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Qu'est-ce qu'un collaborateur ?

Envoyé par Thomas Rhotomago 
« Si les collaborateurs ont conclu de la victoire allemande la nécessité de se soumettre à l’autorité du Reich c’est qu’il y avait chez eux une décision profonde et originelle qui constituait le fond de leur personnalité : celle de se plier au fait accompli, quel qu’il fût. Cette tendance première qu’ils décoraient eux-mêmes du nom de « réalisme » a des racines profondes dans l’idéologie de notre temps. […] Pour eux, la domination du fait va avec une croyance vague au progrès, mais à un progrès décapité : la notion classique de progrès, en effet, suppose une ascension qui rapproche indéfiniment d’un terme idéal. Les collaborateurs s’estiment trop positifs pour croire sans preuve à ce terme idéal et, par conséquent, au sens de l’histoire. Mais, s’ils repoussent au nom de la science ces interprétations métaphysiques, ils n’abandonnent pas pour autant l’idée de progrès : celui-ci se confond pour eux avec la marche de l’histoire. On ne sait où l’on va, mais puisqu’on change, c’est qu’on s’améliore. Le dernier phénomène historique est le meilleur simplement parce qu’il est le dernier : on entrevoit qu’il contribue à façonner la figure humaine, cette ébauche à qui chaque instant qui passe apporte une retouche, on est saisi par une sorte de pithiatisme et l’on s’abandonne passivement aux courants qui s’esquissent, on flotte vers une destination inconnue, on connait les délices de ne pas penser, de ne pas prévoir et d’accepter les obscures transformations qui doivent faire de nous des hommes nouveaux et imprévisibles. Le réalisme dissimule ici la crainte de faire le métier d’homme – ce métier têtu et borné qui consiste à dire oui ou non selon des principes, à « entreprendre sans espérer, à persévérer sans réussir » – et un appétit mystique du mystère, une docilité à un avenir qu’on renonce à forger et qu’on se borne à augurer. »

Jean-Paul Sartre – Qu’est-ce qu’un collaborateur ? in Situations, III
Utilisateur anonyme
26 septembre 2015, 15:20   Re : Qu'est-ce qu'un collaborateur ?
Qui s'attache à faire correctement "son métier d'homme" se serait très certainement abstenu de proférer ce genre de saloperie :

"L'existence de ces camps [goulag] peut nous indigner, nous faire horreur ; il se peut que nous en soyons obsédés, mais pourquoi nous embarrasserait-elle ?"

La difference avec Heidegger, c'est que Heidegger n'a jamais pensé ainsi. L'existence des camps - où qu'ils se trouvent - l'a toujours horrifié.
Merci Thomas de cette citation. Le Sartre des Situations mérite d'être lu, quel que soit par ailleurs le passif politique du personnage de cette époque.
Sartre ou pas, il me semble que l'analyse convient plutôt bien à la typologie de nos collaborateurs. Il écrit plus loin :

"Par sa docilité aux faits - ou plutôt ce fait unique : la défaite française - le collaborateur "réaliste" fait une morale renversée : au lieu de juger le fait à la lumière du droit, il fonde le droit sur le fait ; sa métaphysique implicite, identifie l'être et le devoir-être [ C'est, au mot près, ce qui arrive aujourd'hui ]. Tout ce qui est est bien ; ce qui est bien c'est ce qui est. Sur ces principes, il bâtit hâtivement une éthique de la virilité. Empruntant à Descartes sa maxime "Tâcher plutôt de se vaincre que de vaincre le monde", il pense que la soumission aux faits est une école de courage et de dureté virile [ ne nous bassine-t-on pas avec le manque de courage des Européens, leur pusillanimité, leur "petitesse" ]. [...] Il explique la résistance non pas par l'affirmation d'une valeur mais par un attachement anachronique à des mœurs et à une idéologie mortes [ aujourd'hui, on dit "rance" ]. Il se cache cependant cette contradiction profonde : c'est qu'il a choisi, lui aussi, les faits dont il veut partir. La puissance militaire de la Russie, la puissance industrielle de l'Amérique, la résistance têtue de l'Angleterre sous le "blitz", la révolte des Européens asservis, l'aspiration des hommes à la dignité et à la liberté, ce sont aussi des faits. Mais il a choisi, au nom du réalisme, de ne pas en tenir compte. D'où la faiblesse de son système : cet homme qui parle de la "dure leçon des faits" n'a retenu que les faits qui avantagent sa doctrine. [ Ici, bien sûr, la citation de Mavrakis est la bienvenue, Sartre lui-même choisissant les faits dont il ne veut pas tenir compte (le goulag), mais cela ne fait que confirmer sa description : Sartre est simplement un collaborateur du communisme soviétique ] Il est perpétuellement de mauvaise foi, dans sa hâte d'écarter ce qui le gêne : c'est ainsi que Déat quinze jours après l'entrée des Allemands en U.R.S.S., ne craignait pas d'écrire : " A présent que le colosse russe s'est effondré..." [ N'a-t-on pas écrit avec le même aveuglement, ces jours derniers, "à présent qu'un accord entre les Européens a été trouvé ] [...] Dès lors, sa morale, variable et contradictoire, sera la pure obéissance aux caprices du suzerain ; Déat se contredit cent fois, selon les ordres qui lui viennent d'Abetz. Il n'en souffre pas [ tout comme ne souffrent absolument pas de leurs innombrables contradictions les "analystes" pro-migrants ]: la cohérence de son attitude consiste justement à changer de point de vue autant de fois que le maître le veut.[ Et c'est d'autant plus piquant que le maître en question, aujourd'hui, c'est... l'Allemagne ]" Op. cit.
Utilisateur anonyme
26 septembre 2015, 17:17   Re : Qu'est-ce qu'un collaborateur ?
D'ailleurs il serait pour le moins plaisant d'analyser comment le collaborateur-remplaciste est amené à toujours "se dépasser" (par la contradiction, l'incohérence, le reniement, le mensonge) pour satisfaire aux exigences de son Maître - de SES Maîtres : l'UE, l'Allemagne, le Migrant, l'Idéologie remplaciste. Tant est si bien qu'on pourrait parler d'une évolution de la -raison remplaciste.
Utilisateur anonyme
26 septembre 2015, 17:30   Re : Qu'est-ce qu'un collaborateur ?
... que c'est par l'acte même de négation du réel ("l'immigration est une chance", "l'intégration se passe plutôt bien", "aucun lien entre violence et immigration", " les chiffres le prouvent", etc) que le collabo-remplaciste perçoit le réel dans son irréductibilité.

Et que la "doctrine" du collabo-remplaciste soit précise, ou, au contraire, grossière et vague, c'est du pareil au même. Sauf que ce "petit jeu-là" risque, le masochisme et la bêtise aidant, de tirer à conséquence tragique...
Utilisateur anonyme
26 septembre 2015, 18:39   Re : Parler comme Sartre.
L'existence de cette image (enfant-migrant syrien mort sur une plage) peut nous indigner, nous faire horreur ; il se peut que nous en soyons obsédés, mais pourquoi nous embarrasserait-elle ?
27 septembre 2015, 01:59   Ambiance
"L'horreur semblait dehors, dans les choses. On pouvait s'en distraire un moment, se passionner pour une lecture, une conversation, une affaire ; mais on y revenait toujours et l'on s'apercevait qu'elle ne nous avait pas quittés. Calme et stable, presque discrète, elle colorait nos rêveries comme nos pensées les plus pratiques. C'était à la fois la trame de nos consciences et le sens du monde. Aujourd'hui qu'elle s'est dissipée, nous n'y voyons plus qu'un élément de notre vie ; mais lorsque nous y étions plongés, elle était si familière que nous la prenions parfois pour la tonalité naturelle de nos humeurs. Me comprendra-t-on si je dis à la fois qu'elle nous était intolérable et que nous nous en accommodions fort bien ?"
Op. cit ("Paris sous l'Occupation")
Cher Pascal Mavrakis,

J'apprécie vos interventions mais je comprends mal celle-ci :

Qui s'attache à faire correctement "son métier d'homme" se serait très certainement abstenu de proférer ce genre de saloperie :

"L'existence de ces camps [goulag] peut nous indigner, nous faire horreur ; il se peut que nous en soyons obsédés, mais pourquoi nous embarrasserait-elle ?"

La difference avec Heidegger, c'est que Heidegger n'a jamais pensé ainsi. L'existence des camps - où qu'ils se trouvent - l'a toujours horrifié.



Je me trompe peut-être mais si Sartre a été sympathisant du parti communiste il n'a jamais franchi le pas et n'a jamais adhéré à ce parti. C'est très différent d'un Heidegger qui fut nazi.

Sur la citation elle-même je ne comprends pas bien le problème : on peut avoir horreur d'une chose commise par d'autres mais ne pas être embarassé par elle. J'ai horreur de la torture que nous avons conduite en Algérie mais elle ne m'embarasse pas car elle s'appliquait aux bandits du FLN, par exemple. Je ne l'aurais pas faite (et encore je n'en suis pas sûr) mais je n'ai aucune repentance et aucun embarras pour ce que notre armée a fait.
Utilisateur anonyme
27 septembre 2015, 23:28   Re : Qu'est-ce qu'un collaborateur ?
C'est très différent d'un Heidegger qui fut nazi.

Oui enfin bon, c'est compliqué tout ça, vous savez... Si ça vous intéresse je vous conseille la lecture du "Heidegger : anatomie d'un scandale", de François Fédier, philosophe considéré comme le "gardien du Temple heideggérien". Il y remet à leurs (petites) places V. Farias et quelques autres.
(à tous ceux qui évoquent "le passé nazi de Heidegger", il faudrait rappeler que René Char, résistant anti-nazi français en armes, maquisard de Provence -- chef départemental des Basses-Alpes de la SAP (section atterrissage parachutage) qui regroupait sept départements --, l'invita par trois fois dans le village du Thor, proche de l’Isle sur la Sorgue à la fin de la guerre, pour l'entendre y discourir de l'avenir de l'homme).

(Par quelque bout qu'on la prenne -- moi, c'est par la notion de temps, ses Prolégomènes à l'histoire du concept de temps, mais pour d'autres, plus audacieux, ce pourra être par ses cours sur Nietzsche ou Hegel, et pour les vrais aventuriers, Sein und Zeit --, cette oeuvre, véritablement colossale, à aucun moment n'évoque quoi que ce soit de la bête nazie. Mais il appartient à chacun de l'explorer et à tous de commencer par ignorer ce qu'on en dit).
« celle de se plier au fait accompli, quel qu’il fût. Cette tendance première qu’ils décoraient eux-mêmes du nom de « réalisme » a des racines profondes dans l’idéologie de notre temps. […] Pour eux, la domination du fait va avec une croyance vague au progrès, mais à un progrès décapité : la notion classique de progrès, en effet, suppose une ascension qui rapproche indéfiniment d’un terme idéal. Les collaborateurs s’estiment trop positifs pour croire sans preuve à ce terme idéal et, par conséquent, au sens de l’histoire. Mais, s’ils repoussent au nom de la science ces interprétations métaphysiques, ils n’abandonnent pas pour autant l’idée de progrès : celui-ci se confond pour eux avec la marche de l’histoire. »

On ne peut qu’applaudir à cette subtilité de Sartre, aussi condescendante que doucement méprisante, qui ravale les collaborateurs de son époque — gens "de droite", donc, si platement et servilement subjugués par le réel comme il est — qui les ravale au rang de progressistes tronqués, déchus, diminués et, pour tout dire, dégénérés, et fait du même coup de la dégénérescence de la fibre "gauchiste" originelle de nombre d'entre eux la raison même de leur infamie présente et de leur ralliement à la doctrine du seul "fait déjà accompli", marque si distinctive d'un conservatisme borné, quand les authentiques progressistes encore intacts, les vrais hommes (de gauche, en l’occurrence), seraient eux encore capables de saisir à bras-le-corps le cours amorphe des choses et de le plier à la raison virilement triomphante de leurs idéaux.


À propos de Heidegger, il semble quand même que la publication des Cahiers noirs ait ébranlé notablement plus d'un ci-devant inconditionnel, et que certains passages y figurant soient passablement embarrassants, justement, pour leur teneur résolument anti-juive, sinon carrément antisémite, non ?...
S'y fait jour, apparemment, une propension obstinée à considérer les juifs, le peuple juif, comme l'un des plus intrinsèquement et remarquablement incompatibles à toute forme de "recouvrement" éventuel de l'être, parce qu'étranger, par essence, à l'être lui-même et principal promoteur d'un "historicisme" destructeur antagonique de l'"histoire véritable", l'historialité :

« Dans le sans-histoire ne parvient que ce qui en soi fait partie d’elle, et au mieux en l’unité qu’est le complet mélange ; paraître édifier et rénover, complètement détruire – les deux sont la même chose – privés de sol – dévalés auprès de ce qui n’est qu’étant, devenus étrangers à l’estre ; construire et rénover en apparence et détruire complètement – c’est la même chose – ce qui est privé de sol – dévalé dans le seulement étant et étranger à l’estre. Sitôt que ce qui est sans histoire s’est „imposé“, débute la licence de l’„historicisme“ – ; ce qui est dénué de sol sous les traits les plus divers et les plus opposés – sans se reconnaître de pareille inessence – sombre dans l’hostilité et la soif de destruction extrêmes. » (Cahiers noirs, 1938/39)

Terrible accusation, de la part de Heidegger...
Utilisateur anonyme
28 septembre 2015, 16:20   Re : Et Lévinas ?
une propension obstinée à considérer les juifs, le peuple juif, comme l'un des plus intrinsèquement et remarquablement incompatibles à toute forme de "recouvrement" éventuel de l'être, parce qu'étranger, par essence, à l'être lui-même et principal promoteur d'un "historicisme" destructeur antagonique de l'"histoire véritable", l'historialité :


Oui Alain... évidemment, évidemment. Mais "terrible accusation" également (puisque vous semblez aimer ça) que celle de LEVINAS, où celui-ci pointe du doigt le lieu où passe la différence entre le Juif et le Grec : si le Juif se définit par une filialité visant la fraternité, le Grec se définit par une filialité conflictuelle, celle que vient expliciter la notion de "complexe d'Oedipe". Alors que la définition postive du fils chez Lévinas se dit en termes d'être-protégé - "l'existence protectice des parents", elle-même référée à la notion de "maternité" (in Totalité et Infini) - la notion négative, conflictuelle, grecque, de la filialité, s'énonce comme "castration" et "désir de meurtre".

Ce que laisse entendre Lévinas dans une note d'Au-delà du verset :

"C'est contre le paganisme de la notion de "complexe d'Oedipe" qu'il faut penser avec force les versets, en apparence purement édifiants, comme celui de Deutéronome VIII, 5 : "Tu connaîtras donc en ta conscience que l'Eternel, ton Dieu, te châtie comme un père châtie son fils". La paternité a ici la signification d'une catégorie constitutive du sensé et non pas de son aliénation."

LEVINAS, Au-delà du verset, Paris, Minuit, 1982, p. 129, note 2.
28 septembre 2015, 23:18   Re : Et Lévinas ?
Cher Pascal, Lévinas pointe même du doigt le lieu où réside la différence entre Heidegger et lui-même, précisément sur ce point crucial portant sur l'impossible récurrence effective de l'être, et l'étrangeté fondamentale et insurmontable de l'homme (des juifs, mais de tous probablement, des "Occidentaux, de l'Oural à la Californie, nourris de Bible au moins autant que de présocratiques") au monde, et à l'être, étrangeté qui ne pourra être comblée par aucune "fin de la métaphysique", car bien plus primordiale, et antérieure au commencement de la métaphysique et à l'oubli de l'être :

« On lit dans le psaume 119 : "Je suis étranger sur la terre, ne me cache pas tes commandements." (...) Il ne s'agit pas là de l'étrangeté de l'âme éternelle exilée parmi les ombres passagères, ni d'un dépaysement que l'édification d'une maison et la possession d'une terre permettra de surmonter en dégageant par le bâtir, l'hospitalité du site que la terre enveloppe. Car comme dans le psaume 119 qui appelle des commandements, cette différence entre le moi et le monde est prolongée par des obligations envers les autres. Echo du dire permanent de la Bible : la condition — ou l'incondition — d'étrangers et d'esclaves en pays d'Egypte, rapproche l'homme du prochain. Les hommes se cherchent dans leur incondition d'étrangers.
Personne n'est chez soi [et ne le sera jamais]. Le souvenir de cette servitude rassemble l'humanité. La différence qui bée entre moi et soi, la non-coïncidence de l'identique, est une foncière non-indifférence à l'égard des hommes. » (Humanisme de l'autre homme, L'Etrangeté à l'être)

Où l'on retouve les "sans-sol dévalés" de Heidegger, mais ce qui est pour ce dernier une tare rédhibitoire (ce semble) est pour Lévinas la marque d'une grandeur indépassable.

(Et pour revenir, ironiquement ma foi, à l'actualité, on pourrait presque dire que l'étrangeté rivée aux commandements lévinassienne aura eu pour épigone, à la pensée un peu plus étriquée, hélas, le chantre du nomadisme et de la solidarité, eh oui, c'est bien Attali...)
Utilisateur anonyme
29 septembre 2015, 23:02   Re : Et Lévinas ?
Où l'on retouve les "sans-sol dévalés" de Heidegger, mais ce qui est pour ce dernier une tare rédhibitoire (ce semble) est pour Lévinas la marque d'une grandeur indépassable.


Oui cher Alain, vous avez raison.

Une autre différence, loin d'être anodine elle aussi : Heidegger en arrive à penser l'être sans l'étant, attitude que refuse Lévinas.

Il me semble que ce qu'aimait avant tout Lévinas, chez Heidegger, c'était qu'il avait su exploiter le concret ("facticité") mieux que tout autre avant lui, n'hésitant pas à s'emparer d'expériences en apparence banales et sans importance ("renouer avec les expériences originales", in Etre et temps). - le souci de concrétude, la dimension vécue.


NB/ J'ai beaucoup lu et continue de lire Heidegger. J'ai peu lu Lévinas.
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