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Le communo-capitalisme, ça rapporte !

Envoyé par Francis Marche 
[www.lefigaro.fr]

La firme Apple, qui paye ses esclaves chinois (ceux qui dorment et vivent à même la fabrique) 1,87 dollar l'heure -- ils sont des millions, de par le monde, à travailler à ce taux horaire pour cette firme, des 13 heures par jour -- a engrangé 11 milliards de dollars de bénéfice en trois mois. Soit onze mille millions de dollars. En trois mois. De quoi s'acheter un Airbus par jour.

Ses profits s'expliquent par une "pénétration du marché chinois" nous explique-t-on. Mao a bien travaillé. Le monopole de la communauté Apple avait été préparé en Chine par les communes maoïstes, cette organisation de vie et de travail qui ne laissait de solitude à personne. Il ne reste plus à Facebook que d'en faire autant et la boucle sera bouclée : le communo-capitalisme sera accompli, il aura atteint son Graal, au terme d'une quête lancée d'assez loin, en 1862, quand l'esclavagisme inefficient de l'appartenance perdit la partie en Amérique du Nord au profit de l'esclavagisme efficient de la désappartenance, plus tard armé du communisme, fer de lance du capitalisme post-moderne, pour sa pénétration et sa conquête du continent eurasien et de l'Extrême-orient.
Le communisme, guise du capitalisme, n'aura été que cela et il l'aura été tout entier : en ciblant le travail "il savait ce qu'il faisait" car les mondes orientaux, convoités par le capitalisme, ne pouvaient être pénétrés que par la faille du travail (travail sur le monde naturel conjoint à "l'éducation" en extrême-orient confucéen, soit la "fabrique de soi") car ailleurs, en Amérique latine, en Afrique, la valeur morale du travail (s'agissant du travail appliqué à la matière comme du travail sur soi que valorise l'éducation) n'a point cours : en Afrique, comme en Amérique latine, pour des raisons d'ordres historique et anthropologique complexes mais réelles, c'est l'éthique aristocratique qui domine, et si l'esclavage d'appartenance ancienne mode (domaines latifundiaires, etc.) dominait en Amérique latine, celui-ci dévalorisait le travail, n'en connaissait point la valeur éthique, et ce dernier s'en trouvait, de ce fait, politiquement démonétisé et sans avenir.

L’Orient présentait ce point faible, cette affinité avec l’éthique humaniste première manière qui plaçait le travail, l’éducation et la perfectibilité dans le même axe historiciste que celui de l’éthique des Lumières et du libéralisme. L’arme historiciste et messianique du communisme servit à enfoncer le coin dans cette matière, ce terrain propice, et à passer le harnais industriel puis la bride de collier, le licol capitaliste, au cou et aux épaules du travailleur oriental.

Le communisme avait l'Orient pour tropisme non point par hasard mais parce que l'éthique du travail et de l'éducation, c'est à dire, pour faire court, celle des Lumières, y était dominante. Non point par hasard non plus parce que la cible du travail, sa survalorisation dans la morale communiste, permettait seule, en trouvant ce terrain anthropologique, de pénétrer cet espace qui contient plus du tiers de l'humanité et de l'ouvrir aux marchés du capitalisme (auxquels la Chine en particulier, était restée hermétique).

Les Lumières, le capitalisme de la désappartenance et de la déshumanisation, étaient dirigés vers l'Orient (qui fascinait tant Voltaire et pour cause !), et c'est ensuite et conséquemment que dans cette partie de l'humanité le piège de l'éthique du travail pouvait être tendu par la tentacule du capitalisme qu'était le communisme. Le filet communiste s'étendit sur ces pays tout au service du patron-pêcheur du capitalisme occidental et il le fit non par goût de l'Orient mais par calcul asservisseur : l'éthique du travail y serait rentable, juteuse, le travailleur, aussi durement exploité qu'il fût, serait fier de son travail et ses petits gains multipliés ouvriraient d'immenses marchés aux smart phones, appareils d'aliénation au réel, à laquelle le despotisme collectiviste du communisme maoïste, qui ne fichait la paix à personne, avait déjà préparé les populations.

Les capitalistes post-modernes, leurs porte-parole du management, nous parlent désormais de leurs entreprises comme d'écosystèmes. Ils savent de quoi il retourne. On découvre que cet écosystème se présente comme un Dasein artificiel : ses rameaux, ses rets sont transhistoriques, éthiques autant que géopolitiques, et la temporalité lui fait une épine dorsale. Il se confond avec l'humanité.

[texte modifié]
Utilisateur anonyme
28 octobre 2015, 13:05   Re : Le communo-capitalisme, ça rapporte !
Le monopole de la communauté Apple avait été préparé en Chine par les communes maoïstes, cette organisation de vie et de travail qui ne laissait de solitude à personne.

L'animal emblème de cette communauté pourrait être l'escargot... L'escargot et sa devise toute hermétique "omnia mecum". - Comment traduire ? : J'ai tout avec moi. J'ai tout sur le dos. Je suis ma propre demeure.

En sa coquille - ici la communauté Apple - l'animal loge tout l'horizon du monde.
Certains me reprochent de vouloir mettre abusivement en cheville la philosophie humaniste, l'éthique égalitariste des Lumières et du libéralisme avec l'esclavagisme post-moderne et l'industrie de l'hébétude qui sévit en Orient post-communiste, et en Occident à un moindre degré. On me signale que Locke et Hume et Hutcheson et Kant tout particulièrement, en faisant du sentiment moral un a priori sanctifièrent l'être humain et que par conséquent on ne saurait.. etc.

L'histoire se joue du sentiment moral des philosophes et des constructions éthiques qu'ils se croient autorisés de fonder sur lui. Et l'industrie qui se nourrit de l'égalité sanctifiée par ces philosophes a engendré, avec l'aide de son fidèle lieutenant le communisme, guise égalitariste et messianique, la pire déshumanisation de l'histoire de l'humanité, par asservissement de l'éthique du travail et une aliénation des consciences qui porte au cube celle du vieux capitalisme des premières révolutions industrielles.

La fabrique des objets et la fabrique de l'homme ne font plus qu'un : l'éducation des hommes doit servir la Fabrique, et la Fabrique des hommes indifférenciés qui produit l'homo soupiens, l'homme-soupe, mixé et recruit, affranchi d'appartenance, de filiation et de territoire, condamne celui-ci à vivre, consommer et fabriquer sans jamais sortir de la matrice artificielle qui engendre des choses et des hommes-choses ; c'était là le telos des Lumières et de leur chien pucier en route pour l'Orient, le communisme. Cette "sanctification de l'Homme" était tout stratagème de fabricant, argument de marketing avant l'heure.

Telle est la désagréable vérité sur "les Lumières" : elles servent à fabriquer des hommes indistincts et "égaux" dans la damnation, qui fabriqueront des objets d'abrutissement, eux-mêmes obtenables au prix d'un travail abrutissant, dans le vain espoir et la cruelle illusion d'acquérir par eux une distinction que les maîtres de la Fabrique matricielle, de toute façon, se réservent.

L'écosystème matriciel est à présent sur le point de se refermer sur l'humanité comme une pierre tombale, avec l'installation d'un Facebook universel, cimetière égalitaire des rapports humains.
Après tout le communisme et le capitalisme mondialiste, sont les deux faces du matérialisme.Tous deux réduisent l'homme à sa capacité de produire et de consommer.
Utilisateur anonyme
29 octobre 2015, 02:41   Re : L'in-distinction.
Telle est la désagréable vérité sur "les Lumières" : elles servent à fabriquer des hommes indistincts et "égaux" dans la damnation, qui fabriqueront des objets d'abrutissement, eux-mêmes obtenables au prix d'un travail abrutissant, dans le vain espoir et la cruelle illusion d'acquérir par eux une distinction que les maîtres de la Fabrique matricielle, de toute façon, se réservent.

Oui Francis. La seule "liberté" à portée de ces nouveaux esclaves étant de "choisir" entre un smart phone de la marque Apple ou un smart phone de la marque Samsung… Mais ce simulacre de choix et cette acquisition, promesse de "distinction" et de jouissance esthétique, transmet simultanément des normes de comportements barbares, une apologie de l'aliénation.
Le choix et le rapport à ces objets n'est évidemment pas un phénomène purement esthétique, mais interfère avec l'histoire, comme si ce choix réfléchissait une dialectique excédant ses propres composantes. Adorno parlait des contenus sociaux de la musique : on pourrait parler des contenus sociaux de ces objets (du smart phone en particulier), et combien ils débordent sur le politique, y compris lorsqu'ils sont une célébration de l'émancipation et du progrès.
Utilisateur anonyme
29 octobre 2015, 03:43   Re : L'in-distinction.
l'homo soupiens, l'homme-soupe, mixé et recruit, affranchi d'appartenance, de filiation et de territoire, condamne celui-ci à vivre, consommer et fabriquer sans jamais sortir de la matrice artificielle qui engendre des choses et des hommes-choses

Hommes-soupe d'autant plus détestables qu'ils ignorent tout de leur fonctionnement grégaire, animal (au sens non noble du terme), de sorte qu'ils se prennent tous pour des êtres tellement singuliers. L'effacement de toute trace d'origine entraînant un redoublement de la meute.
Luc Ferry met au compte des limites historiques propres aux Lumières le fait que Voltaire, par exemple, fût esclavagiste. Sur ce point, il se trompe lourdement. Voltaire, fasciné par la Chine avait dû percevoir que le néo-confucéisme, que tout l'Extrême-orient habitait à son époque -- c'est très Luc Ferry ça, fait pour plaire à certain : l'époque habite une éthique plutôt que l'éthique habite l'époque --, était aligné sur la fabrique de l'homme à venir de par le fait même que l'éthique confucéenne est par excellence celle de la perfectibilité de l'homme et du travail contre la nature. Les Lumières virent là, reniflèrent là, le chemin de la future fabrique matricielle (des choses et de l'homme-chose sur la chaîne de montage de l'historicité) en même temps qu'un bon filon d'extension et de perpétuation de l'esclavage.

Le néo-confucéisme est ainsi virtuellement aligné sur les Lumières, mais au lieu qu'en Chine celles-ci aient fécondé la démocratie, comme on dit qu'elles l'ont fait en Occident, elles y ont implanté l'industrie et un féroce esclavagisme économique en pleine congruence avec celui dont profitait Voltaire.

L'éthique humaniste était perverse parce qu'elle était double, ou empreinte de duplicité : son égalitarisme pouvait tout à la fois "donner des droits" mais aussi les geler dans l'asservissement au travail contre la nature et, in fine, contre la noble idée de l'homme et sa sanctification. Sa fragilité, et l'indécidibilité de son action, féconde ou bien mortifère, tiennent au fait que cette éthique est celle du débordement de la nature et que le plan du divin ou de la providence ou du don naturel lui est étranger : dès lors, elle n'est plus que ce qu'en font les hommes, et l'homme, par contrecoup autant que par voie de conséquence à cela, n'est plus que ce que cette éthique en fait par la main de ceux qui font d'elle une interprétation économique et technicienne ! Et les hommes de l'action économique, ayant très tôt compris comment à l'égalitarisme et à l'indistinction on pouvait passer le harnais, ils en profitèrent pour réduire plus des deux tiers de l'humanité en esclavage et en déshumanisant et en aliénant (rupture générale de la filiation historique des peuples et des individus) cette humanité dans sa totalité. Et cette déshumanisation et cette aliénation sont de la substance même de l'humanité ainsi refaite. Ce à quoi nous assistons en Chine et chez nous est bien le fruit des Lumières. L'horreur que nous constatons partout de cette humanité refaite leur est attribuable.
Utilisateur anonyme
29 octobre 2015, 11:36   Re : Le communo-capitalisme, ça rapporte !
Le sens des Lumières (comme tout sens ?) n'adviendrait donc pas du dedans comme une évidence, porté par une intention signifiante - c'est bien ça ?

Plus généralement j'aurais envie de dire que c'est L'HISTOIRE, qui nous occupe ici, davantage que les Lumières (même si les deux ne sont pas sans rapport).
L'HISTOIRE qui, depuis la fin du 18eme, règne divinement sur l'empire de nos savoirs au point de n'en plus faire que des actualisations particulières de leur essence historique. Une HISTOIRE qui n'est autre chose que la mise en discours et en lumière de la continuité nécessaire et absolue - linéaire ou pas, dialectique ou pas, pourvue ou non d'un dessein, c'est affaire de théologie - qui oriente inexorablement le passé vers le présent et le présent vers l'avenir (une orientation qu'il est difficile de raccorder à la pensée chinoise, confucianiste ou pas, me semble-t-il).
Qu'il s'agisse là d'une illusion ou d'une croyance, de nombreux philosophes, depuis Hegel et contre lui, n'ont cessé de le proclamer, soit pour se retrancher derrière les certitudes d'une nature humaine immuable (là aussi difficile de raccorder ça à la pensée chinoise, confucianiste ou pas) ; soit pour revendiquer une liberté de l'individu se créant lui-même et inventant à chaque instant son histoire (difficile, là aussi, de faire le lien avec le confucianisme - non ?).

Pour le dire autrement : il n'y pas, en Chine, d'"empire de l'Histoire", ni de valeur de vérité d'un récit qui l'expose. D'où ce fossé infranchissable (pour le dire vite) entre Chinois et Européens.

"Le néo-confucéisme est ainsi virtuellement aligné sur les Lumières" ? Si oui, c'est de Lumières devenues folles qu'il s'agit, pour paraphraser Chesterton.
29 octobre 2015, 14:05   Ironie des choses
Perso, les résultats d'Apple, c'est tout bénef. Du coup je vais me payer un Iphone six plus ; plus ! té.
Utilisateur anonyme
29 octobre 2015, 14:33   Re : Ironie des choses
(Un véritable herméneute de la téléphonie mobile ce Alain, I knew that...)
Le néo-confucéisme (veritable Talmud chinois, élaboré en grande partie par Zhu Xi au douzième siècle de notre ère) pose et transpose la perfectibilité de l'homme. Or cette voie n'existe nulle part au monde sauf au moment de cristallisation de l'éthique humaniste en Occident à l'époque des Lumières. D'où ma proposition d'une mise en alignement entre les Lumières et cette philosophie chinoise.

Tout l'Orient, chacun le sait bien, nous parle d'un travail sur soi et sur sa nature. Les Lumières, Voltaire en tête, et Rousseau donnant la primauté à l'éducation et à l'élévation, se sont jetées sur cette matière philosophique orientale et sa transcription sociologique et politique (système d'une administration méritocratique, etc.), comme la vérole sur le bas clergé. Les deux éthiques (humaniste occidentale et néo-confucéiste orientale) se présentaient sur le même plan : celui du travail contre la nature et contre soi par et dans les contraintes de l'éducation et de l'examen de soi à l'aune de la sagesse séculaire, et par conséquent historiée.

Le processus cumulatif d'une sagesse constituée dans et par la tradition, tel que le suppose le néo-confucéisme aux XIe et XIIe siècles, est inconcevable hors une transmission, et par conséquent une historicité. L'oeuvre de synthèse de ces penseurs de la renaissance chinoise du XIe au XIIIe siècle s'articule dans l'historicité. Elle se donnait comme sage aboutissement de toute sagesse.
Pour le dire autrement : il n'y pas, en Chine, d'"empire de l'Histoire", ni de valeur de vérité d'un récit qui l'expose. D'où ce fossé infranchissable (pour le dire vite) entre Chinois et Européens.

Le premier grand écrivain chinois fut un historiographe, Sseuma Tsien. Il fut philosophe, chroniqueur, penseur de l'historicité, s'appliquant à interroger les desseins de l'Histoire dans et par l'établissement des chroniques passées.

Ne serait-ce que par cette oeuvre, la Chine peut être présentée à bon droit comme "Empire de l'Histoire" : [fr.wikipedia.org]
Utilisateur anonyme
30 octobre 2015, 03:09   Re : Le communo-capitalisme, ça rapporte !
la mise en discours et en lumière de la continuité nécessaire et absolue - linéaire ou pas, dialectique ou pas, pourvue ou non d'un dessein, c'est affaire de théologie - qui oriente inexorablement le passé vers le présent et le présent vers l'avenir (une orientation qu'il est difficile de raccorder à la pensée chinoise, confucianiste ou pas, me semble-t-il).

Pas d'orientation Francis, de sens de l'Histoire, de but à atteindre, de progrès (plutôt un procès), de liens de causalité, etc., bref de culte de l'Histoire (historicisme) au sens ou nous, Occidentaux, l'entendons, tout ça n'existe pas dans la pensée chinoise, enfin il me semble.

Mais c'est peut-être que F. Jullien m'a trop impressionné influencé… De toutes façons c'est un domaine que je connais infiniment moins bien que vous.

Heureux de vous lire, anyway.
Je vous concède en partie cela. L'historicité, c'est néanmoins en Chine la conscience impériale nouvelle (la conscience d'un devenir impérial inexorable comme peut l'être chez nous "le progrès" et celle d'une rupture historique marquée par le premier avèvement d'un empire: après celui-ci, plus de retour en arrière possible, l'empire pourra se défaire mais ce sera toujours provisoirement, en l'attente et dans la nostalgie de sa reconstitution[*]), et Sima Qian est le chroniqueur impérial par excellence.

Mais si vous le voulez bien revenons au sujet qui m'importe ici : si le communisme et après lui le capitalisme de la technosphère avec Apple ont si bien "mordu" sur l'Extrême-orient ou si cet Extrême-orient a si bien mordu à cette dynamique économique et technique, la cause profonde en est à chercher dans cet alignement de deux éthiques essentiellement similaires, alignement qui avait été perçu en Europe (en France en particulier) dès le XVIIIe siècle. C'est ce qui fait l'essentiel de mon propos dans cette discussion. Or si cet alignement n'est pas illusoire il ramène les Lumières et leur éthique à ce qui fonde ce que nous observons en ce début de XXIe siècle et qui est très gravement déplorable : une déshumanisation et un nouvel esclavagisme, assez voisin de celui dont un Voltaire profita à titre personnel.

A tel titre qu'on se trouve fondé, dans un second temps, d'assigner à postériori un telos, sorte de fusée transhistorique que compose la chaîne philosophique et politique qui en Occident, et désormais dans l'ensemble du monde développé, relie les Lumières, l'éthique humaniste, l'égalitarisme révolutionnaire, la révolution industrielle, ce que j'ai appelé "le triple attentat" Marx-Darwin-Pasteur de 1860, le communisme et aujourd'hui le capitalisme technosphérique et totalisateur (Apple, Facebook) et le retour à l'esclavage et à la déshumanisation/désappartenance des hommes dans la Fabrique matricielle (fabrique des choses, dont le vivant, et fabrique de l'homme-chose).

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[*] En ce sens on peut avancer que la première fondation de l'Empire fut une double fondation : fondation du premier empire en même temps que fondation de l'être historial transcendant Empire, appelé à courir dans l'historicité sous ses avatars et étants successifs -- l'absence d'empire serait désormais encore partie à l'Empire. L'accroc dans une toile n'est pas du vide ou du non-être mais de la toile déchirée.
Utilisateur anonyme
31 octobre 2015, 06:12   Re : Le communo-capitalisme, ça rapporte !
Francis,

à vos réflexions j'ajouterai l'abstraction généralisée du calcul statistique venant se greffer sur le capitalisme autant que sur le communisme chinois - façon de mise à mort de la mémoire des peuples. Car sauf à quelques imaginations particulières il est difficile de sentir la présence du passé à travers des colonnes de chiffre... Ce culte du quantifiable était sans doute le prix à payer pour que le savoir historique acquière cette légitimité scientifique sans laquelle il semblait être condamné à demeurer hors du champs de la rationalité (?). Mais je déborde un peu...
En réponse à la toute dernière intervention de Pascal :

Un travail sans lien direct avec cette discussion me donne à observer que la technocratie supranationale opère sur des "groupes humains". Mais ce concept de "groupe" ne recouvre pas du tout celui de "groupement" tel qu'il existe en français. A vrai dire, dans ce langage, le groupe est une notion extérieure au groupe et qui admet pour champ sémantique celui du terme français catégorie. La notion de catégorie, qui dans cette langue de néo-indiens particuliers qu'est le français -- "catégories des actifs", "catégories d'usagers des transports publics", "des contribuables non assujettis", "des personnes inscrites à Pôle emploi", etc. -- déclare sa subjectivité technocratique, laquelle y avance sans masque : l'instance qui pose les catégories, l'agent catégoriant, continue de se déclarer extérieur à l'objet classé en catégories. En français ordinaire, langue nationale et non supranationale, l'agent catégoriant signe la catégorie, il en est l'auteur, assume pleinement l'autorat de la catégorie. Je vous classe parmi mes amis, mes ennemis, les suppôts du mal, dans le rang des assassins, ou dans la catégorie politique de ceux qui, objectivement, font le jeu du Front national. Je crée de la catégorie. Je suis, parmi mes catégories, le foyer extérieur qui les tient toutes en main. J'en suis le coeur exclu.

Il en va tout autrement du "groupe" dans la langue supranationale : en usant de ce terme, l'agent catégoriant s'exclut de l'acte catégoriant, se dé-subjectivise et parlera par exemple de "groupes d'acteurs sociaux" lors même que ceux-ci ne marquent aucune volonté de "se regrouper" en tant que tels, dans une catégorie ainsi désubjectivée. Ils sont "groupes" sans se connaître, tout comme "les membres de la catégorie A des demandeurs d'emploi" n'ont pas à se connaître du fait que leur classe est fabriquée de l'extérieur. Sauf que là, l'agent catégoriant en fait un "groupe", tout comme chez ... Karl Marx qui invitait une catégorie (les prolétaires) de gens ne se connaissant pas, à faire groupe, communauté.

Que se passe-t-il alors ? le libre-arbitre des hommes a fondu, ils sont "regroupés" en groupes sous l'oeil de l'instance catégoriante supérieure, supranationale, a-nationale, souverainement auto-excluante des catégories qu'elle crée et des groupements qu'elle ordonne sous le sceau et dans la grille de ses catégories, instance qui a sauté le pas de la catégorie dont elle est le maître au "groupe" dont les composants sont intimés à assumer l'autorat, à le vivre paradoxalement de l'intérieur et par proxy.

Le passage de la catégorie au groupe est insidieux : il est un élément pilier de la constitution (comme les Etats ont des constitutions) de la Fabrique de l'homme. L'homme y est induit à se conformer, subjectivement et "charnellement" (par le groupement) à la catégorie extérieure, lumineuse et transcendante, oeuvre d'une supra-instance qui, l'ayant réifié, entreprend de lui donner vie, et même parfois, autonomie.
Par un curieux retour "bathmologique", par stratégie de se masquer, de travestir sa distance en proximité, l'instance supranationale a-démocratique abandonne la notion abstraite-subjective de catégorie sociologique qu'assumait sans honte l'instance nationale, la République démocratique, pour ne plus parler que de "groupes humains" en feignant de se placer du côté de la base où les catégories n'existent que parce que, en leur intérieur, les hommes s'y "regroupent par affinité". Ce schéma est conforme, par exemple, au soutien qu'apportent ces instances supranationales aux forces dissolutoires-émotives du régionalisme et des "langues régionales" et ce jusqu'à celles qui, en dépit de leur inscription typologique, sont dépourvues de régions géographiques !
L'émergence souveraine de la "communauté" (agglomération d'intérêts dans le ciment de l'affinité) est l'instrument, et désormais le stratagème politique supranational de mise à terme, d'anéantissement de l'ouverte revendication à la création subjective, avouée, non supra-humaine, de la catégorie, socle et fleuron de la raison.

La "communauté" est une fabrication politique sournoise, une perversion de la catégorie originellement fruit et socle de la raison. La communauté est animée sur induction verticale descendante, injonction, de l'instance supra-politique, qui se pique ainsi de "créer du vivant" : celle-ci fait acte de démiurgie en reprenant des catégories originellement revendiquées par la structure nationale ou sociologique existante afin de les re-subjectiver abusivement en groupes intra-animés dans des coques catégorielles qui ne se nomment plus telles, d'où la signature du créateur s'est effacée.

Le maître d'école, jadis, constituait de petites équipes sportives rivales, presque par classes alphabétiques des noms des élèves, crééait ainsi des sous-classes de sa conception en enjoignant à des "leaders" d'en animer les compartiments en interne. Le management procède ainsi, et toute l'infernale fabrique sociale qui excite le nerf du regroupement au sein de catégories qui n'ont jamais existé, qui sont produits d'ingénierie hors sol. La dignité d'être, collectivement et individuellement, est ainsi enterrée dans cette sournoiserie de la "communauté" que les plus hauts dirigeants du monde se mettent en bouche à tout propos.

Les catégories de la Raison de la sorte ont servi, ont été mises au service, d'une vie entièrement inventée par d'autres que ceux qui la subissent. Possible définition de l'aliénation post-moderne : le passage aussi fatal que sournois et insidieux de la catégorie au groupe.

Et ce qui est dit ici de la pédagogie de groupe, du management sportif ou d'entreprise, et des politiques des instances supranationales pourrait être dit de ce phénomène qui se présente comme un condensé de ces mondes : les jeux de téléréalité, paradigme des univers post-modernes.
Utilisateur anonyme
01 novembre 2015, 11:49   Re : Le communo-capitalisme, ça rapporte !
J'avoue être un peu dérouté par la définition plutôt… surprenante (!) que vous donnez de la communauté ("La "communauté" est une fabrication politique sournoise"), cher Francis.

Distinguons les choses. Il y a d'abord la notion de communauté en tant qu'elle s'oppose depuis l'œuvre fondatrice de Ferdinand Tönnies (1887) à celle de société. La communauté définit un mode de socialité organique (correspondant au " holisme" chez Louis Dumont), la société, un type de relations "mécaniques" fondé sur la prépondérance de l'individu et sur l'axiomatique de l'intérêt. Ces deux notions sont évidemment des idéaltypes : toute collectivité possède, mais dans des proportions variables, des traits communautaires et des traits "sociétaux".

Ces deux notions sont-elles encore opposables, toujours opérantes, selon vous ?

Juste en passant : puisque nous parlons de communauté il est intéressant de mentionner "l'école communautarienne", dont les principaux représentants sont Alasdair McIntyre, Charles Taylor et Michael Sandel. Cette école montre le caractère fictif de l'anthropologie libérale d'un individu atomisé toujours antérieur à ses fins, c'est-à-dire arrêtant rationnellement ses choix hors de tout contexte social-historique. Dans l'optique communautarienne, l'appartenance est constitutive de l'individu et de ses fins (y compris quand il entreprend de récuser cette appartenance). L'identité se définit comme ce dans quoi nous choisissons prioritairement de nous reconnaître, comme le cadre à l'intérieur duquel les choses ont pour nous un sens.
La "communauté", ces trente ou quarante dernières années, a été artificiellement refondée par la sphère supra-nationale tout comme celle-ci recrée, ré-instaure, les "langues régionales" y compris quand elles n'ont aucune région, sont d'importation.

Et ce n'est encore que dans la désappartenance que "la fabrique de la communauté", pilier constitutif de la Fabrique matricielle, s'ose comme artifice ultime -- le parti pris régionaliste et communautariste de l'UE est bien en ce sens un artifice.

L'artifice comme ruse, manoeuvre politique de l'instance supra-nationale qui dynamite l'existant, lorsque celui-ci est un créé assumé et signé, en affectant de s'énamourer pour les groupes spontanés invités à animer et structurer le réel dans l'illusion qu'ils en sont les acteurs/créateurs authentiques et originaux, cet artifice rejoint ainsi la facticité nouvelle et radicale, radicalement diffuse et pervasive en régime post-moderne ; l'étage "communautaire" est ainsi entièrement occupé : il n'y a plus rien qui distingue le petit groupe de gens si intimement liés à mon histoire personnelle qu'on peut dire qu'ils ont fait ce que je suis, qu'ils ont vécu ma vie sur invitation, et que l'on pourrait désigner comme ma communauté native et, par exemple, le groupe de ceux que le dispositif de la communauté factice composerait avec moi si j'étais par exemple abonné au gaz de ville, roulant en deux roues, habitant chez mes parents et changeant de petite amie tous les huit mois et demi en moyenne.

C'est la "communauté" au sens facebookien : tous sont de mon groupe, égaux entre eux et alignés, joints sur un même plan, comme au cimetière, par abonnement au même service qui leur est extérieur, les domine, leur fournit de l'appartenance de substitution, comme on dit que la méthadone est un substitut de l'héroïne.
Donnons un exemple grotesque de cela puisque ces exemples sont les plus parlants : je peux appartenir à la catégorie des moins de vingt-cinq ans, qui habitent chez leurs parents, sont vierges, ont dans leur chambre une guitare et une affiche au mur représentant Che Guevara, suivent un traitement contre l'acnée, se masturbent deux fois par semaine et, dans le plus grand secret, se rendent dans la chambre de leur soeur aînée pour jouer avec sa trousse à maquillage quand il n'y a personne à la maison. Le sociologue peut être à peu près certain que la création de cette catégorie est légitime. Mais il ne viendra à personne l'idée de regrouper ces malheureux pour en constituer un groupe (qui d'ailleurs pourrait avoir sa page Facebook).

Eh bien si. Dans la langue des instances supranationales, cela ne se dit pas catégorie mais "groupe". La facticité de cet étant s'en trouvera légitimement animée comme groupe, communauté-marionnette. Et si j'appartenais à cette catégorie de personnes sus-décrites, me verrais-je à présent investi d'une existence et d'une vie communautaire factices nouvelles. J'aurais été communautairement créé par acte à la fois mécanique et conscient d'une instance supérieure qui me détermine, je n'existerais plus seulement dans son regard catégoriant mais, vitalement, concrètement dans la forte et ferme illusion d'une appartenance qui serait toute fabriquée, robotiquement (Facebook) fabriquée.
Il me semble que c'est ce que les idéologues soixante-huitards ont commencé à faire avec les ''jeunes'' assignés à se voir comme un ''groupe-communauté'' à la ''culture'' brimée et bridée, lequel ''groupe'' a beaucou pesé dans le triomphe de la société de consommation.
01 novembre 2015, 17:23   Cercles
A été très en vogue dans la publicité, il y a quelques années (et peut-être est-ce encore en usage), le terme tribu pour désigner ces "groupes".
Les communautés n'étant plus que des catégories animées, la communauté subsumable à la catégorie se doit d'en afficher la marque, les signes d'appartenance, ce qui, en effet, comble la société dite "de consommation" à cheval sur son principe d'une consommation comme signe d'existence.

Le Japon, où les communautés originelles ont, là comme ailleurs, été en partie dissoutes par l'industrialisation, mais en partie seulement, remédie à cette perte par le port emblématique et obsessionnel que font les individus des codes de la mode et des marques et symboles d'appartenance "tribale" qu'ils permettent.

D'ailleurs, chez les communicants et publicistes, le mot "groupe" ne suffit plus depuis longtemps : ils parlent de tribus. La consommation est tribale par artifice. Les tribus ainsi proclamées sont autant de leurres catégoriels, évidemment.
Utilisateur anonyme
02 novembre 2015, 05:09   Re : Le communo-capitalisme, ça rapporte !
Bien. Il ne me reste plus qu'à jeter mon Gemeinschaft et mon Gesellschaft à la poubelle... Francis. Ca avait quand même plus de gueule que vos trucs de communicants, de publicistes et de sociologie bobo-maffésollienne ("groupes", "tribus", "communauté" facebookienne, etc) - non ?
Oh vous pouvez jetez tout ce que vous voulez à la poubelle, y compris ce que j'écris ici, qui n'a aucune "gueule" particulière je vous l'accorde. Ce qui importe serait de ne rien jeter du réel à la poubelle, tant qu'on vit.

Or voilà, c'est très incommode à la lecture, mais certains termes de boutique ("tribus", "catégories d'ayants-droits", "groupes", etc.) à force de désigner ce réel dans l'esprit et dans la bouche et sous la plume de ceux qui le régentent en notre nom, pour notre bien, ont fini par le modeler, le fabriquer, le refaire et nous refaire en lui, et pour une autre forme de jouissance (celle du pouvoir, après tout, nommons les choses simplement) que celle que procure la littérature philosophique noble, dont je suis pourtant amateur autant que vous il va sans dire.

Sans compter, mais c'est une autre histoire, que la valetaille, la piétaille informe des communicants ont eu en main les mêmes manuels et ouvrages de fonds que ceux que vous avez en tête ; ils ont fait des écoles où on leur a enseigné à "en tirer quelque chose", c'est ce quelque chose qui m'intéresse ici.

Cela dit je suis tout prêt à entendre, et je suis tout ouïe et fort disposé à apprendre de vos lectures et interprétations des grands textes de la sociologie et de l'anthropologie académique sur le sujet.
La connaissance par la gueule (des gouffres) :

Il semble que, dans la nature comme dans l’esprit, l’aridité sache seule donner à l’âme ses extrêmes bonheurs. Les plus impérieuses démarches de l’intelligence y aboutissent et les climats sévères la ménagent aux organismes sobres comme des contrées d’élection où ils se trouvent entre égaux. C’est bientôt l’unique alcool capable d’enivrer puissamment que ce vide ardent créé par l’intelligence sous ses propres pas. Comme les gorges malades, l’esprit a des végétations dont il se doit guérir.

[www.fatamorgana.fr]

Décidément, Roger Caillois, dans ses études et essais, ne peut jamais être lu rapidement, c'est de la symphonie mahlerienne, sans raccourci ni précipitation possible. Tant pis pour nous, qui ne vivrons jamais assez longtemps pour en savourer tous les sucs.

L'esprit perdu dans l'escalier je remarque qu'il est au moins un auteur que vous mentionnez -- Alasdair McIntyre -- qui retrouverait aisément ses petits dans mes musings sur la désappartenance, les Lumières et leur éthique faillie, qui se coulent depuis quelques jours d'une arborescence à l'autre de ce forum, tel le serpent tentateur.
Utilisateur anonyme
03 novembre 2015, 03:07   Re : Incompréhension webmatique.
Oh vous pouvez jetez tout ce que vous voulez à la poubelle, y compris ce que j'écris ici, qui n'a aucune "gueule" particulière je vous l'accorde

Je voulais seulement vous taquiner un peu mon cher Francis… Mais bon. Il n'y a pas dans votre message matière à engager quelque échange que ce soit, au moins dans cette même perspective.
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