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L'Autriche du 50/50, du milieu du gué au milieu du siècle, Etat croupion avant-poste de l'Occident

Envoyé par Francis Marche 
Le vagabondage dans les textes réserve immanquablement des surprises par recoupements impromptus, hasards objectifs et autres simultanéités d'occurrence avec l'actualité. Koestler encore, dans un article pour l'Observer paru le 18 octobre 1959 nous parle du pays de sa jeunesse : l'Autriche et plus singulièrement sa capitale, la Vienne d'avant-guerre, à l'occasion d'une visite effectuée dans cette ville en 1954, époque où le Rideau de Fer ne s'était pas encore concrétisé par un mur à Berlin (dont l'érection débuta en août 1961).

On y découvre avec surprise le sens, ou la dimension historique manquante, de ce résultat électoral du mois d'avril 2016, quand on a vu l'Autriche retrouver sa position d'avant-poste des mutations historiques ; c'est que le 50/50 de l'élection présidentielle entre le candidat patriote (soutenu par les électeurs de province) et l'écologiste (qui a la faveur des citadins de Vienne) n'est pas sans précédent et représente un retour à une configuration extrême et extrêmement classique en Autriche, celle que nous expose Koestler en cet automne 1959 ; l'événement politique autrichien de mai 2016 en ressort comme symptomatique d'un regain de tension politique qui gagne l'ensemble du continent et que celui-ci n'avait pas connu depuis le plus fort de la première Guerre froide. L'Autriche, si elle n'est le "phare de l'Europe" (comme on a pu le dire de la Pologne à l'époque de Solidarnosc), pourrait être de l'avenir politique du continent ce que le canari des galeries de mines est à la viabilité de cet environnement souterrain si particulier : que le petit volatile se trouve mal, qu'il subisse un stress visible, et le coup de grisou n'est pas loin.

Lors de ma visite à Vienne dans l'été (mémorablement caniculaire) de 2015, la noble capitale célébrait par des expositions et autres "événements", le bicentenaire du Traité de Vienne ( Page de Herodote sur ce Traité ) qui consacrait la fin définitive de la préminence française sur le continent européen, laquelle avait duré quelque 320 ans (des premières excursions militaires de Charles VIII en Italie en 1494, émaillées de revers et d'incertitudes, au désastre de Waterloo). L'Autriche n'avait ainsi point perdu conscience de son rôle charnière dans le destin politique de l'Occident.

Je donne ci-dessous une traduction de cet article de Koestler, un peu visionnaire, et aux résonances un rien prophétique comme si souvent chez Koestler :

Tu felix Austria (Ndt : référence à la devise de l'archiduché des Habsbourg : Bella gerant alii, tu felix Austria, nubes -- Tandis que les autres guerroyent, toi, heureuse Autriche, tu te maries)

"Je crois tout le monde capable du pire, sans m'en exclure, et sur ce point, je me suis rarement trompé" -- ainsi Johann Nestroy résumait-il le credo autrichien il y a un siècle, et d'y ajouter cet amer jeu de mots : "La nation la plus noble a nom résignation".
J'avais passé les années les plus heureuses de ma jeunesse à Vienne ; mais lors de ma dernière visite d'avant-guerre, en 1934, ce credo paraîssait être devenu vérité effrayante. La capitale de l'empire tronqué avait touché le fond du malheur économique, du provincialisme culturel et de la brutalité politique. Les premiers logements modèles destinés aux travailleurs -- manifestation du premier Etat providence miniature -- avaient été pilonnés et réduits en miettes par l'artillerie de Dollfuss, le dictateur nain ; pour toute l'Europe, l'Autriche s'était affirmée pionnère et chef de file dans l'art de la guerre civile. Quelques mois plus tard, Dollfuss lui-même fut massacré dans un coup d'Etat nazi, et quelques années plus tard, la métropole des Habsbourg était devenue le morne centre administratif d'une province défavorisée du Reich de Hitler. Les ténèbres de sept ans étaient descendues sur le Danube (Ndt : référence aux sept ans de Tribulation prophétisés par l'Apocalypse de Jean).

Quand je visitai Vienne vingt ans plus tard, en 1954, je ne trouvai pas une seule personne que j'avais connue avant la guerre, ni ami ni connaissance, pas un homme, pas une femme, pas un chien. Je connaissais un certain nombre de Viennois à Paris, à Londres, à New-York et à Tel Aviv ; mais à Vienne, personne. Tous avaient soit émigré, soit avaient été tués dans les chambres à gaz, les camps de concentration, la guerre.

(à suivre)
Oui, c'est intéressant. Cela me rappelle la très belle trilogie cinématographique d'Alex Corti Welcome in Vienna.

Un détail : quand il écrit que « Les premiers logements modèles destinés aux travailleurs – manifestation du premier Etat providence miniature – avaient été pilonnés et réduits en miettes par l'artillerie de Dollfuss », il en rajoute beaucoup. Le fameux Karl-Marx-Hof, qui servit de quartier général aux insurgés, a été pris d'assaut par l'armée mais certes pas réduit en miettes. Il se porte du reste toujours très bien :

[commons.wikimedia.org]
Marcel Meyer : le pilonnage par l'artillerie de Dollfuss est évoqué par Koestler dans un de ses romans où il relate l'épopée des "communauté hébraïques" de Palestine dans ce début et ce milieu des années 30 : La Tour d'Ezra. Il se peut bien que ces cannonades de l'artillerie du "dictateur nain" (au demeurant anti-nazi, il n'est pas inutile de le rappeler à ce propos) aient marqué le jeune Arthur, âgé de 28 ans à ce moment, qui fut témoin alors de ces ravages. Je n'ai pas entre les mains le roman La Tour d'Ezra (Thieves in the Night) pour vous le confirmer, mais il me semble bien que des communautés juives furent victimes de ces pilonnages, et que ce fait est évoqué dans le roman, et que le mouvement sioniste en fut renforcé à ce moment. J'apprends, en visitant les diverses pages Wikipedia sur le sujet, que le quartier de la Karl-Marx-Hof, soit le Heiligenstadt, fut le théâtre d'affrontements décisifs lors du deuxième siège de Vienne (1683) contre les Turcs ottomans. Vienne est une grande capitale européenne qui est aussi, de ce fait et de tous ces faits, une ville-frontière, comme si, en Amérique, elle était la capitale prestigieuse et hautement civilisée, du Nouveau-Mexique].
[suite de la traduction de cet article de Koestler sur l'Autriche]

La majorité d'entre eux, évidemment, avait été des juifs. Je dis "évidemment", parce que la culture de la Vienne d'avant-guerre avait été culture austro-judaïque. C'était l'époque de Freud et d'Adler, de Schnitzler, de Hofmannsthal et de Reinhardt, de Franz Kafka et de Karl Kraus, de Peter Altenberg et de Popper-Lynkeus, de Mahler et de Schoenberg, de Werfel et de Stefan Zweig. Sur une population totale de deux millions d'âmes, Vienne comptait environ deux cent cinquante mille juifs et, pour le meilleur et pour le pire, ces juifs tenaient le rôle d'une pellicule d'huile irridescente étalée sur la surface d'une mare d'eau douce (Ndt : curieusement, Koestler écrit en anglais a sweet-water pool, ce qui se traduit naturellement en "mare d'eau douce", or en anglais l'eau douce n'est sûrement pas "sweet water" mais "fresh water". Qu'est-ce qui amène K. a produire ce gallicisme en anglais et est-ce bien un gallicisme ? K. se plaît-il à penser en français ou en allemand et à en nourrir artificiellement, nostalgiquement, sa prose anglaise ? ou joue-t-il à nous dire obliquement la fausse et écoeurante douceur de Vienne et celle des jours d'apparence heureuse que coulait peut-être à ce moment une certaine intelligentsia juive viennoise ?)

L'Establishment littéraire, la presse, le Barreau, les cabarets, étaient austro-judaïques; dans la Ligue de football, l'équipe juive, la Hakoah, figurait généralement parmi les trois premières -- et le football surpassait tout, jusqu'à l'opéra, comme levier des passions et des ferveurs.

Pour saisir l'atmosphère de la Vienne d'avant-guerre, on ne peut pas ne pas rappeler ces faits car, dans l'époque Freud-Schnitzler-Hofmannsthal, l'élimination de la composante juive, et après elle celle des composantes hongroise et tchèque, de la culture autrichienne, était aussi inimaginable que, par exemple, celle des ingrédients gallois, irlandais et écossais de la culture des îles britanniques.

Cette première visite d'après-guerre à cette ville dans laquelle il ne restait personne que j'eus connu me fut des plus douloureuses. Du Prater (Ntd : grand parc du deuxième arrondissement de Vienne), qui avait été le terrain de jeu le plus fameux d'Europe, il ne restait plus rien ; l'opéra n'était plus qu'une coque carbonisée ; mon lycée où j'avais été pensionnaire était à présent situé dans la zone d'occupation soviétique ; le Grand Hôtel était devenu une caserne russe, où l'on abattait des boeufs dans la salle de bal. Les maisons, les échoppes, les vieux tramways comme chevaux de retour, cabossés et loqueteux (battered and shabby) s'alignaient désormais sur les normes de leurs pairs asiatiques ; les passants dans les rues allaient déguenillés et abattus ; les sveltes demoiselles étaient devenues bouffies, le teint épaissi par la malnutrition. Les accents hongrois, tchèque, croate, slovène, qui avaient été autant de discordes sonores et de contrepoints dans la symphonie autrichienne, ne faisaient plus retentir leur écho dans les foyers des facultés, dans les théâtres et dans les cafés aux cloisons parées d'un marbre qui montrait à présent ses craquelures.

(à suivre)
[suite de Tu Felix Austria]

A l'issue de la désintégration, en 1918, de la monarchie austro-hongroise, Vienne, bien qu'appauvrie et de stature diminuée, était néanmoins restée le centre culturel de son empire évanoui. Mais en 1945, presque du jour au lendemain, la ville se trouva physiquement déplacée du centre de l'Europe à sa périphérie orientale. Elle redevint alors ce qu'elle avait été lors des sièges turcs : l'avant-poste le plus excentré de la chrétienté occidentale.

C'est ce changement extrême de destin qui rend l'exemple de l'Autriche d'après-guerre si riche de sens pour l'Europe (NdT: il s'agit là du type de résonance ou d'écho prophétique qui, perçu tel à nos oreilles de 2016, semble dicté par l'inconscient de Koestler, si ce n'est que l'intéressé était conscient du phénomène ! ayant produit d'autres articles où il aborde le sujet : les vérités intemporelles sont des fruits bâtards d'un dialogue avec l'insconscient, et du fait même que ce dernier est une instance inaltérable, non assujettie à l'altération par la temporalité, il découle logiquement que toute "dictée de l'inconscient" est tout autant prémonition que réminiscence, d'où le statut de "vérité intemporelle" des créations originales et des productions mentales (mentation, chez K.) issues de ce dialogue -- voir à ce propos le Daemon de Socrate, que je traduirai peut-être après ceci. Cette problématique a nourri les 400 pages de son ouvrage The Art of Creation paru en 1964, mais aussi Les Somnambules (The Sleepwalkers), gros volume qui explore l'épistémologie de la découverte scientifique à l'aube des temps modernes à partir de la biographie de l'astronome Johannes Kepler -- pour Koestler, le somnambulisme est l'état mental par excellence de celui chez qui la découverte, y compris en sciences dures, est création. A propos de The Sleepwalkers, paru en 1959, soit l'année de publication du présent article, voici la recension qu'en avait fait le New York Times le 24 mai : New York Times Sleepwalkers mai 1959 -- les curieux pourront lire les cent premières pages de l'ouvrage ici : Sleepwalkers texte 100 pages. J'en recommande la lecture en conjonction avec celle de Nous autres, modernes, de Finkielkraut.)

Car si l'Autriche en faillite politique et morale dans les années 1930 avait emmené l'Europe dans la course à l'autodestruction, l'Autriche des années 50 peut être considérée comme symbole des forces phénoménales de la regénération morale.

(à suivre)
[suite de Tu Felix Austria]

C’est ainsi que par un renversement historique étonnant, les deux grands partis politiques autrichiens – les socialistes et les catholiques, couramment désignés comme les Rouges et les Noirs – qui entamèrent en 1934 une série de guerres civiles en Europe, forment à présent le régime de coalition le plus stable d’Europe. Cela a commencé sous l’occupation russe en 1945, comme une sorte de mariage contracté d'urgence en temps de guerre ; et cela continue , sans interruption, depuis quinze années pleines, et si tout va bien, cela pourrait même déboucher sur des noces d’argent – ce qui serait sans précédent dans les annales de la démocratie parlementaire. La devise Tu felix Austria nubes semble ainsi revêtir un sens nouveau : les Habsbourg acquirent leurs territoires par des mariages judicieusement conçus ; les politiciens de l’Autriche d’après-guerre ont assuré la stabilité et la prospérité en adoptant, métaphoriquement, la même méthode.

En dépit de leurs philosophies diamétralement opposées il n’y a pas grand-chose, à vrai dire, dans le domaine de l’action pratique qui distingue les Rouges et les Noirs. En politique étrangère leurs attitudes sont identiques : un tropisme occidental qui s’affirme sans ambiguïté dans le cadre d’une neutralité de pure forme, imposée par le traité de 1955. En politique intérieure, chacun des deux partis reconnaît la zone d’influence de l’autre : Vienne est traditionnellement Rouge, et la province traditionnellement Noire ; s’agissant de l’économie, le Butskellisme (NdT : voir la définition de ce terme sur Wikipédia : i c i) règne en maître et au cours des dix dernières années a transformé un pays extrêmement appauvri et affamé en une économique saine et robuste, reposant sur une maîtrise des prix, des salaires et des loyers, et qui peut s’enorgueillir de posséder une des devises monétaires les plus solides d’Europe. (NdT : exemple de réussite économique d’un gouvernement de coalition ou d’union nationale -- que les Français appellent cohabitation, soit une formule qui fait la hantise de la classe politique française -- en situation d’encerclement national. Formule politique qui, pour l’avenir de la France dans les cinq prochaines années devrait être à retenir s’il advient que notre pays sorte de la zone euro). L’expérience de cette coalition a été si concluante que lors de la campagne électorale du printemps dernier, on a vu les deux partis demander au corps électoral non pas de défaire l’adversaire, que Dieu nous en garde ! mais de préserver leur équilibre à un niveau cinquante-cinquante (NdT : soit ce que ce même corps électoral autrichien vient d’accomplir, pour ainsi dire sans que l’on lui demande (!) aux élections présidentielles du mois dernier qui vit le cinquante-cinquante d’après-guerre se reformer spontanément entre Rouges (bourgeois de Vienne et des grands centres urbains) et Noirs (classes populaires des campagnes), réflexe pérenne d’une nation qui se reconnaît, de nouveau, encerclée par une Europe néfaste et dominatrice comme elle l’avait été dans la période d’encerclement soviétique à partir de 1945 – c’est ici que cet article de Koestler nous éclaire sur « ce qui est en train de se passer » à la faveur de cette élection présidentielle autrichienne de 2016 et qui, au-delà des espérances politiques d’un camp au détriment de l’autre, témoigne du retour à une situation macro-politique européenne qui n’est pas sans parenté ni filiation subjective avec celle de la domination soviétique – cf. le concept de translatio imperii --, c’est du moins ainsi que le peuple autrichien, par son comportement aux urnes, vient de le signaler indirectement et symboliquement aux autres peuples européens.)
(Tu Felix Austria de Koestler, 1959 -- suite et fin)

Il va sans dire que mariage de coalition ne veut pas dire idylle parfaite. Une telle union fait parfois ressembler le parlement à une mare d’eau stagnante, où les affrontements d’idées laissent place aux querelles stériles et à l’intrigue. Dans toutes les branches de gouvernement, de la fonction publique et de l’administration, les postes sont attribués suivant une proportion fixe entre les partis, ce qui interfère souvent avec le choix du candidat le plus capable. Selon une blague autrichienne classique, aux toilettes publiques si le fonctionnaire préposé au coin « Dames » est un Noir, il faut que celui des hommes soit un Rouge ; et ce fait n’est pas loin d’être authentique. Cependant, si on garde à l’esprit l’histoire de la première république autrichienne et l’histoire de certains autres pays européens dans l’après-guerre, il s’agit là de tares relativement légères.

On aurait tort, au demeurant, de vouloir expliquer le spectaculaire redressement de l’Autriche par la seule expérience de cette coalition, aussi exceptionnelle soit-elle. Il conviendrait au contraire de faire de la stabilité et de la durée de cette coalition la conséquence un changement d’ordre psychologique dont les racines plongent plus loin que la politique parlementaire. Ce changement est né de l’intensité des souffrances qu’aucune autre nation occidentale n’a connues (NdT : rappelons que ce texte fut produit deux ans avant l'édification du Mur de Berlin). Car la partie orientale de l’Autriche, y compris Vienne, est le seul pays de l’Occident libre qui ait été placé sous occupation militaire russe --- ayant été prise du mauvais côté du Rideau de fer au moment le plus fort de la sauvagerie que déchaînait la guerre --- avant d’en être dégagée pour prendre un nouveau départ.

Le dimanche de Pâques, le 31 mars 1945, l’Armée rouge franchit la frontière autrichienne et, quelques jours plus tard, Vienne fut coupée du monde extérieur : sans électricité, sans ravitaillement, eau courante, équipements sanitaires, journaux ni radiocommunications. L’histoire de ce sombre épisode d’interrègne, qui dura jusqu’à l’arrivée des Alliés occidentaux à Vienne, n’a pas encore été écrite, et les Viennois ne l’évoquent qu’avec réticence.

Une des raisons de ces réticences tient aux chiffres, toujours non publiés, d’un certain bureau autrichien dont les listes comptent quelque 86000 cas de viols, signalés par les victimes en vue d’obtenir un traitement préventif contre les maladies vénériennes ; l’âge des victimes s’échelonne de onze à quatre-vingt ans. Pendant plusieurs mois, les hôpitaux de Vienne ont pratiqué des avortements d’urgence, légalisés par le gouvernement provisoire. Sachant que la majorité des victimes doivent avoir été réticentes à signaler leur viol, leur nombre total est estimé à 30 pour cent de la population féminine adulte qui n’avait pas fui la ville ; mais dans les campagnes, cette proportion fut beaucoup plus élevée. Ceux qui n’avaient pas fui appartenaient pour la plupart aux classes travailleuses et aux couches pauvres de la population, qui peuvent avoir été enclines à accueillir les Russes comme libérateurs de l’oppression que leur avaient fait subir les Nazis. (NdT : il n’est pas question de comparer ce qui n’est pas comparable, pourtant, la vague d’agressions sexuelles qui a touché l’Allemagne de Mme Merkel en décembre 2015 ne peut pas ne pas avoir eu un retentissement en Autriche, pays affecté « dans les couches profondes de sa psyché » comme le dit Koestler en 1959 par l’épisode de ces viols commis par l’Armée rouge à Vienne en 1945. Et si l’on ne saurait comparer ce qui n’est pas comparable, rien n’interdit de dresser des parallèles historiques : le tollé des anti-racistes à la française (comme l’ancienne dirigeante d’Osez le féminisme Caroline De Haas osant twitter l’intwittable: “Ceux qui me disent que les agressions sexuelles en Allgne (sic) sont dues à l’arrivée des migrants: allez déverser votre merde raciste ailleurs“) lorsqu’il apparut que tous les auteurs de ces agressions sexuelles étaient des migrants et demandeurs d’asile, ne peut pas ne pas avoir ressemblé à celui des « pro-communistes viennois » qui, dans un premier temps au moins, traitèrent les victimes de ces viols d’anti-communistes primaires et d’agents de la propagande fasciste. Donc, le vote autrichien de mai 2016 s’éclaire ici encore : il s’agit de « se mettre en position d’unité et de défense » contre une menace, sorte de réflexe atavique qui prend appui sur les ressorts d’un traumatisme que Koestler qualifie de « quasi-archaïque »).

Ce n’est pas sans réticence que l’on remue les souvenir des horreurs de la guerre, et il faut admettre que ce que l’Occident fit à Hiroshima fut plus effroyable que ce que les Russes firent à Vienne. Mais on ne peut parler du Japon d’après-guerre sans mentionner la Bombe, et pas davantage ne saurait-on évoquer l’Autriche de l’après-guerre sans mentionner l’expérience traumatique dont elle souffrit. Ces souffrances mirent fin à tout jamais à toutes velléités de sympathie pro-communiste, tant dans le peuple que dans l’intelligentsia : pas de Nenni (NdT : il s’agit de l’Italien Pietro Nenni, lauréat du Prix Staline pour la Paix en 1951), de Sartre, de Picasso ou d’Archevêque de Canterbury en Autriche ; mais cet épisode eut des conséquences psychologiques plus profondes que cela, car aussi douloureuses que fussent les expériences vécues par la France, les Pays-Bas, le Danemark et la Norvège sous l’occupation nazie, le choc que subit Vienne était de nature plus extrême, quasi-archaïque, et pénétra dans les couches profondes de la psyché de la nation. Cette expérience marque un tournant dans l’histoire de l’Autriche.

Jusqu’en 1918, les Autrichiens s’étaient considérés comme à la tête d’une monarchie pluri-nationale. Après 1918, ils se trouvèrent être une tête guillotinée, à qui manquait désespérément son corps en allé ; après 1945, les Autrichiens découvrirent, pour la première fois, qu’ils étaient une nation à part entière, économiquement viable et culturellement concentrée (culturally self-contained).

Lorsque le siège des Turcs fut levé au tournant du dix-septième siècle, Vienne entra en efflorescence – dans l’âge du Baroque autrichien. La fin du régime d’occupation en 1955 apporta une répétition du phénomène à une échelle moindre: un regain d’optimisme et de joie de vivre (NdT : en français dans le texte) qui devait se concrétiser dans la réouverture du saint des saints : l’opéra reconstruit, ce qui fut un événement tapageur, pour lequel on fit grand battage chargé de sentimentalité et de symboles. Un an plus tard, la tragédie chez le voisin de palier hongrois vint rappeler aux Autrichiens que si l’Autriche était libre, le siège de l’Europe n’avait pas encore été levé (NdT : cette expression « siège de l’Europe » n’est évidemment pas ici le fruit du hasard, après nous avoir parlé du siège de Vienne par les Turcs – le syndrome de la citadelle assiégée est opérant en Autriche et il est à réhabiliter dans toute sa noblesse, savoir faire le gros dos et s’unir bravement dans la tempête et face au danger constituent un acte salvateur et noble, tel devrait être l’enseignement à tirer de cet article et de son recoupement avec l’actualité) et que Vienne était encore --- ou de nouveau --- une ville-frontière. Les Autrichiens se montrèrent à la hauteur de la situation et ce, remarquablement : des milliers de réfugiés hongrois doivent leur vie aux équipes de secours autrichiennes, composées de volontaires, qui intervinrent le long de la frontière en prenant des risques considérables, et au sang-froid du gouvernement autrichien. (NdT : Bel exemple de solidarité intra-européenne, totalement étrangère à la fausse solidarité imposée par l’UE pour des « réfugiés » venant imposer en Europe leur prise en charge en quittant des régions du monde et des continents éloignés d’où ils transportent dans leur besace un agenda politique de subversion du monde libre).

Dans l’ensemble, Nestroy (NdT : Johann Nepomuk Eduard Ambrosius Nestroy (7 décembre 1801 à Vienne - † 25 mai 1862 à Graz (Autriche), est un acteur, chanteur et dramaturge autrichien), l’idole des Viennois, qui, de leur part s’attendait toujours au pire, semble avoir eu tort. Si les Autrichiens ont péché – en le faisant, peut-être, principalement par complicité passive – ils en ont subi une dure pénitence. Ils se sont aussi débarrassé de leur nostalgie teintée d’auto-apitoiement pour les gloires du passé et se sont lancés dans une expérience nouvelle : faire une nation qui ne soit ni austro-hongroise, ni austro-germanique ni austro-quelconque mais autrichienne. (NdT : Enseignement subsidiaire : un Etat-nation monoculturel et identitaire se construit au travers de souffrances extraordinaires dans l’Europe d’après-guerre, puis, un demi-siècle plus tard, rejoint l’Union européenne, et se trouve ainsi placé dans un cadre institutionnel supranational où, quelque quatre décennies après sa constitution de 1955, il est invité, une fois de plus dans l’histoire, à retourner au multiculturalisme et au culte de l’Autre. Comment voudrait-on que les Autrichiens ne soient pas les premiers dans cette nouvelle histoire qui doit se conclure par la mise au rebut de l’UE, à vouloir défaire ce cadre, comme ils l’ont montré aux élections de mai 2016 ? De manière générale : est-il moral que l’édifice communautaire européen bâti par des Etats-nations monoculturels enjoigne à ces derniers de dissoudre le monoculturalisme national auquel cet édifice doit son existence ? N’est-on pas fondé de voir en cela une forme de "trahison ontologique" contre ces nations et leurs peuples ?)

Pour l’heure, il s’agit d’une expérience et rien de plus, dont l’issue est difficile à entrevoir. Elle peut déboucher sur quelque chose d’inébranlable, de digne et de provincial ; ou bien succomber aux tentations du tourisme commercial et perdre son identité. Mais je crois pouvoir dire qu’au bout du compte, l’esprit de Vienne prévaudra car, pour citer Hans Weigel, il n’y a, après tout, aucune autre ville au monde où les dentistes jouent du violoncelle si magnifiquement.
En épilogue à cet article de 1959 sur l'ordalie autrichienne dans l'immédiat après-guerre, cet article d'une officine de propagande multiculturaliste et "open society", la revue en ligne Slate. L'article s'intitule "Pas touche à nos femmes", la leçon raciste et sexiste du FPÖ aux réfugiés. On doit son "repérage" à une journaliste du journal Le Monde (who else!) -- la sublime Annabelle Georgen, correspondante à Berlin pour la feuille de chou parisienne et ses confrères sur papier glacé, et pourfenderesse devant l'éternel du fâââchisme post-moderne, ayant ainsi sévi pas plus tard qu'hier, 3 juin 2016 :

[www.slate.fr]

Comme on le voit, l'ignorance et le mépris de l'histoire des nations ne sont pas perdus pour tout le monde et prennent des formes répétibles, bien récurrentes, d'une ère impériale à l'autre. Défendre la population contre les agressions sexuelles de l'occupant russe en 1945, c'était "faire de l'anti-communisme primaire", c'était "être nostalgique du fascisme", voire "faire le jeu de la réaction" ; en 2016, s'agissant du même pays, l'Autriche, le discours "de gauche" n'a pas varié, il est structurellement le même : ne pas vouloir que les femmes autrichiennes soient prises comme viande à vainqueur ("viande à vainqueur" en 1945 mais "viande à vaincu" en 2016 puisque ces migrants sont de jeunes gens vigoureux qui ont décroché des champs de bataille et des pays en désespérance économique), ce n'est plus "anti-communiste" mais raciste et sexiste (parfaitement, "sexiste" !), c'est se rendre comptable et coupable d'offense à l'Autre, qui est le nom du nouveau culte institué par l'Union européenne, nouveau dissolvant impérial et impérieux des peuples et des nations. Les discours de domination vingtiémistes, ceux de la Guerre froide qui étaient essentiellement culpabilisateurs, qui retournaient la culpabilité vers ceux qui se défendaient contre l'agression, conservent au 21e siècle leur structure inchangée. C'est ce qui me fait penser qu'ils n'ont pas d'avenir véritable.

(message modifié)
Le Figaro donne un article sur la Vienne de François-Joseph, qui fut un peu le Roi Soleil de la Mitteleuropa au XIXe siècle. Le Figaro en ligne ne sait écrire ses articles dans une langue correcte que pour ces sujets où est abordé "l'art de vivre" ou "le goût de vivre" en rapport avec le patrimoine. Je ne sais s'il y a quelque explication à cette singularité. Toujours est-il que l'envie de Vienne, fort louable, et toujours récompensée à qui se contraint au voyage, est bien ranimée dans cet article :

[www.lefigaro.fr]
L'article est de Jean Sévillia, ce qui explique la langue correcte.
Toujours est-il que l'envie de Vienne, fort louable, et toujours récompensée à qui se contraint au voyage,

D'autres également, qu'on appelle des "migrants", ont exprimé il y a peu une certaine "envie de Vienne", fort bien "récompensée" elle aussi.
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