Le site du parti de l'In-nocence

On ne peut que souhaiter aux étudiants de rencontrer et de se souvenir de tels maîtres.

Envoyé par Utilisateur anonyme 
Pour mieux mesurer tout ce qui nous sépare de "la France d'avant" je propose à la réflexion des lecteurs de ce Forum ce court texte d'André Leroi-Gourhan, parlant de l'enseignement de son maître Marcel Mauss :




"L'image que j'ai de Mauss est une image idéalisée ; mais il avait une façon de construire ses phrases qui suggérait les choses sans les déclarer de façon inflexible. Son discours était tout en articulations et en élasticité. La plupart de ses phrases finissait sur le vide mais c'était un vide qui donnait à construire (…) le plus caractéristique, c'était ses silences. Mauss faisait des commentaires qui accrochaient n'importe quel coin du monde à titre de comparaison. Il avait une érudition fantastique, et nous, on absorbait tout cela avec délectation, sans pouvoir au fond dire, après coup, comment il était parvenu à nous combler. Mauss était un homme d'une confusion géniale. Il mélangeait un peu tout et il en sortait des choses inoubliables. En fait, un maître, on ne sait jamais ce qu'on lui doit. Il y a tant de pensées que l'on construit avec un arrière plan dont on ne se rend pas compte et qui peut vous avoir été communiqué par quelqu'un qui pensait mieux que vous, ou différemment."

In "L'homme qui marche sous la pluie", Jean Clavreul, p. 151.
Toute l'eau de la mer ne suffirait pas à laver une tache de sang intellectuelle. Isidore Ducasse, Poésies I.
Il me semble, d’après le titre de ce fil, qu’ils auraient dû être plus rigoureux quant à la grammaire, néanmoins.
(...de rencontrer de tels maîtres et de s'en souvenir. Le métier d'écrire existe, comme existe celui des cordonniers bougons et ursins, celui des réparateurs-installateurs d'appareils de télévision et celui des plombiers-chauffagistes râleurs, ronchons, imponctuels et capricieux comme des dandys, des divas qui engueulent le client parce que tout est de sa faute et qui se fichent de l'heure et du jour de leur prochain rendez-vous comme de leur première chaussette avec laquelle il ont colmaté un joint qui fuyait, en attendant de pouvoir revenir.

La plomberie et la tuyauterie syntaxique partagent bien des traits communs, et l'impunité et le respect dont jouissent auprès du profane les hommes de l'art n'est pas le moindre de ceux-là. Les trois-quarts de ce qui fait "l'art littéraire" sont affaire de robinetterie subtile et de joints syntaxiques bien serrés et ajustés, mais ne comptez sur personne pour le reconnaître ouvertement.


Et du reste, là où cela n'est ni reconnu ni même soupçonné, et nié avec entêtement, surviennent et s'installent la fuite d'eau, la flaque, la gadoue, l'humidité qui s'insinue ; et les murs de l'édifice textuel se prennent à suiter et à se couvrir de salpêtre et à se brouiller de moisissures et finissent par rendre l'habitat insalubre, inhabitable (terme abrégé en inbitable), et l'inconfort général de tout séjour en pareil lieu devient extrême et cause l'abandon du texte par ses occupants, ou le renoncement à l'occuper.
Qu'est-ce qu'on bon écrivain ? Un bon plombier, rien de plus. Et un grand écrivain ? Un grand plombier, ou à peine plus avec, chez l'un comme chez l'autre, le même caractère insupportable ; au plan économique : chez les "bons", le plombier gagne dix à quinze fois plus que l'écrivain ; quand ils sont tous deux "grands", leurs revenus s'équilibrent peu : le plombier ne gagne plus que deux à trois fois ce que gagne le grand écrivain)

(J'espère que je ne vais pas être obligé de changer toute la tuyauterie...)
Seuls les utilisateurs enregistrés peuvent poster des messages dans ce forum.

Cliquer ici pour vous connecter