Toujours dans le même rapport on apprend que les soldats de “Sentinelle” ne tirent qu'en état de légitime défense. En somme ils sont invités à riposter si on leur tire dessus mais pas de tirer si l'on attaque des civils :
« M. le président Georges Fenech. Vous nous avez expliqué que le rôle des forces militaires avait d’abord consisté à rassurer la population, les pompiers et la police, par la présence de personnels en armes, ainsi qu’à appuyer les forces de sécurité intérieure en bouclant les secteurs et en organisant la circulation. Le soir du 13 novembre, les premières forces à intervenir ont été celles des BAC . Alors que les forces militaires étaient également présentes, elles ne disposaient pas du cadre juridique qui leur aurait permis d’intervenir – je veux dire, de participer à un assaut contre les terroristes.
Alors que l’on se trouvait dans une situation de guerre, avec des assaillants munis d’armes lourdes, les militaires se tenaient donc en arrière, se contentant de sécuriser le quartier, tandis que les forces de police – qui, elles, n’étaient équipées que d’armes légères – étaient au plus près de l’action et tentaient même de neutraliser l’un des terroristes à l’angle du boulevard Voltaire et du passage Saint-Pierre-Amelot. À un moment donné, les fonctionnaires de police ont demandé aux personnels de l’opération Sentinelle s’ils pouvaient leur prêter leurs armes, mais se sont heurtés à un refus.
Si vous aviez été les premiers à intervenir au Bataclan, aurait-il été concevable qu’en entendant les coups de feu tirés à l’intérieur, vous décidiez de pénétrer dans le bâtiment dans le but de neutraliser les terroristes ?
M. le rapporteur. Par ailleurs, y a-t-il eu une évolution dans votre doctrine d’intervention, faisant que vous interviendriez si une situation semblable se présentait demain ?
Général Bruno Le Ray. Si je vous ai laissé penser que la mission première des personnels de l’opération Sentinelle était de rassurer, je me suis mal exprimé. En réalité, la mission première des militaires est d’appuyer, de soutenir les forces de sécurité intérieure. J’ai été informé, dans le courant de la soirée, que les militaires avaient retiré les dispositifs de sécurité de leurs armes – les TOC –, afin de rendre celles-ci immédiatement opérationnelles : en clair, les militaires qui se trouvaient aux côtés de la police et des pompiers auraient été en mesure d’ouvrir le feu immédiatement si des terroristes étaient sortis du Bataclan.
M. le rapporteur. En réplique ?
Général Bruno Le Ray. En réplique, effectivement : comme toutes les forces de sécurité, nous appliquons les règles de la légitime défense.
M. le président Georges Fenech. Mais vous n’auriez pas cherché à entrer dans le bâtiment pour aller abattre les terroristes ?
Général Bruno Le Ray. Les seuls moments où des coups de feu ont été échangés, c’est lorsqu’un terroriste a entrouvert une issue de secours pour lâcher des rafales à l’aveuglette – des impacts ont été relevés sur certains véhicules, notamment ceux des pompiers –, ce qui ne permettait pas à nos hommes de riposter efficacement. Si les terroristes étaient vraiment sortis du bâtiment en ouvrant le feu dans la rue, les militaires auraient tiré à leur tour dans le cadre de la légitime défense, sans que j’aie besoin de les y autoriser.
M. le président Georges Fenech. Vous n’avez pas répondu à ma question.
Général Bruno Le Ray. J’y réponds en vous disant qu’à l’instar des forces de sécurité intérieure, nous aurions ouvert le feu si les conditions de la légitime défense avaient été réunies, comme des soldats l’ont fait à Valence en janvier dernier. Les militaires ne sont pas inhibés dans l’usage de leur arme : ils connaissent parfaitement les règles de la légitime défense et les appliquent de manière rigoureuse.
Pour ce qui est d’entrer dans le Bataclan, nous avons agi conformément à notre mode d’action habituel – applicable en opération extérieure comme sur le territoire national –, qui veut que l’on n’entre pas dans une bouteille d’encre, c’est-à-dire sans savoir où l’on va, ce que l’on va faire et contre qui ! En mon âme et conscience, je n’aurais donc pas donné l’ordre à mes soldats de pénétrer dans le bâtiment sans un plan d’action prédéfini. Je peux concevoir que l’on intervienne en appui des forces de sécurité intérieure, qui décident de donner l’assaut parce qu’elles connaissent les lieux et savent ce qu’elles vont y trouver, mais pas que l’on se lance dans l’inconnu.
M. le président Georges Fenech. Vous entendiez tout de même des tirs en provenance de l’intérieur !
Général Bruno Le Ray. Certes, mais des bruits de tirs ne fournissent que fort peu d’informations sur ce qui se passe à l’intérieur. »