Le site du parti de l'In-nocence
01 septembre 2016, 23:36   Promenade dans un parc
"Plusieurs mariages et naissances ayant récemment eu lieu chez eux, avec l' accroissement de leur famille déjà nombreuse, comme il fallait s' y attendre mes voisins se sont mis en tête d' agrandir leur lieu
d' habitation et, dans ce but, ont eu recours au spécialiste que je suis en vue des travaux à exécuter. Ne fût-ce qu' en qualité de professionnel intéressé, je serais fâché de leur refuser mes services ; toutefois, devant l' envergure de leur projet, j' ai compris qu' ils n' ont probablement pas idée de ce qu' est devenue dans notre secteur locatif l' occupation des terrains que j' ai, une fois de plus, été amené à étudier de près à la suite de leur demande.

Dans leur méconnaissance de la conformation géologique et de la disposition de nos structures de première nécessité, ne voyant que leurs besoins, ainsi que la plupart des postulants auxquels j' ai affaire chaque jour, ces gens-là sont eux aussi pressés de caser au mieux les leurs comme si l' emplacement était à volonté extensible. A leur décharge, il convient de dire que nul ne se soucie de les informer de nos difficultés et qu' en conséquence ils ont en droit de penser qu' un agrément ou un refus ne dépend que de ma seule bonne volonté, m' attribuant des responsabilités morales qui ne devraient pas m' incomber et ont fini par me faire des ennemis de ceux que je me suis trouvé dans l' obligation de décevoir sans appel.

En ce qui concerne ces voisins, voilà qui est pis encore s' il se peut, et je sais par avance que je vais à titre personnel être mis en question du moment que nos logements sont contigus. N' accédant pas à leur désir, ils croiront inévitablement que je m' y oppose pour mes commodités, alors que la réalité est tout autre : au point d' encombrement où nous en sommes arrivés, ce qu' ignore le public, c' est qu' il est désormais exclu d' envisager de nouveaux forages, d' ouvrir de nouvelles galeries ou de prolonger celles qui sont occupées. L' espace exploitable l' a depuis longtemps été jusqu' aux couches les plus profondes dans toutes les directions et, du reste, l' état de nos moyens techniques de ventilation ne nous permet guère des creusements au-dessous d' une certaine norme de sécurité ; par ailleurs, dans l' étendue, nous sommes empêchés par le réseau de canalisations des égouts que le nombre excessif d' habitants rend déjà insuffisant, comme l' ont tragiquement démontré il y a quelques années de graves inondations pestinentielles consécutives à une succession d' orages au cours desquels ces mêmes voisins ont eu à déplorer la perte de deux de leurs jeunes enfants ; mais avec le temps et face à l' urgence, de tels avertissements de ce qui nous guette si nous n' avons pas la sagesse de borner notre expansion sont oubliés même des plus réfléchis.

Quant aux risques d' éboulement que nous fait encourir notre perforation anarchique du sous-sol, on se garde de ne pas provoquer une panique générale qui précipiterait à la surface une population aussitôt massacrée sans pitié par ceux qui se sont arrogé depuis plusieurs générations le droit d' y vivre en nous reléguant à nos souterrains."

Louis Calaferte
02 septembre 2016, 04:29   Re : Promenade dans un parc
L'idée avait déjà été exploitée par H.G. Wells, il me semble, dans la Machine à remonter le temps (1895), qui dresse l'uchronique des Morlocks.
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