Citation
Thomas Rothomago
Votre dernier message, cher Anton, a cette caractéristique de quantité de messages qui portent sur les thèmes que vous abordez : on pourrait les lire comme si rien mais absolument rien, ne s'était passé du côté de la technologie ces trente dernières années; comme si les thèmes de l'héritage, du travail, de la richesse ou de la pauvreté n'étaient affectés que très accessoirement (ou plutôt pas du tout) par les nouvelles conditions d'existence que nous font les-dites technologies.
Votre message m'a donné à réfléchir. Il est vrai que j'ai fait abstraction des nouvelles conditions de vie qu'a dessinées le formidable essor de la technologique depuis le début du XXème siècle. L'apparition de la mécanique quantique, notamment, qui nous permet actuellement d'avoir tous ces gadgets numériques. Mais pas seulement : qu'on pense aux innovations médicales et aux problèmes soulevés par la bioéthique.
J'avoue que je ne suis pas assez calé pour comprendre comment s'articulent tous ces concepts.
Qu'est-ce d'abord, précisément, un héritage ? C'est quelque chose qui nous est transmis à notre naissance et qui fait que nous ne sommes pas entièrement neuf, que nous ne venons pas de rien. Nous venons dans un monde qui a déjà existé avant nous et dont nous devons tenir compte (sauf à être des nihilistes comme dans le roman
Pères et fils de Tourgueniev - mais ça ne fonctionne évidemment pas).
Bref, que l'on soit un
grand ou un
petit, nous naissons tous avec un héritage : d'abord celui de nos parents, ensuite (quoi qu'on puisse modifier l'ordre) celui de la nation dans laquelle on vient au monde.
L'avis de quelqu'un qui soit instruit en ethnologie serait bienvenu : il me semble, naïvement, que toutes les sociétés s'organisent en classes hiérarchisées.
Le point qui me dérange et m'interroge, c'est le rapport moral/éthique que les inférieurs vont entretenir vis-à-vis des supérieurs, et vice versa. Pourquoi quelqu'un d'inférieur devrait-il accepter sa condition sans broncher ? Le mépris est-il la seule modalité du regard que peuvent/doivent porter les supérieurs sur les inférieurs ? Une telle organisation sociale peut-elle être harmonieuse : a priori, au vu de l'histoire universelle, ça n'a jamais marché (pas plus que la dystopie communiste d'ailleurs)... Ici, peut-être devrais-je faire part de mon expérience personnelle qui éclaire dans une large mesure mon point de vue sur ces questions. Pour ma part, je suis d'extraction modeste. Il s'est trouvé qu'à l'époque de mon adolescence, j'ai fait la connaissance d'un
jeune patricien qui fréquentait, comme moi, le Conservatoire. C'était vraiment un représentant de la plus pure bourgeoisie locale (fils de vétérinaires extraordinairement riches et cultivés, le haut du gratin). Au départ, on était plutôt amis. Puis, les années passant, il est devenu absolument "puant". Ce n'étaient que vexations sur vexations : lorsqu'il se gaussait d'une lettre qu'on lui avait adressée, pleine de fautes d'orthographe, il me disait " montre les moi pour que je sois sûr que tu ne fais pas semblant de les voir " ; un jour que qu'il me parlait d'un certain courant pictural et que je lui demandais duquel il s'agissait, il me répondit " ce n'est pas la peine, tu ne connais pas". Ou alors, allant chez lui et me montrant un CD : " Mon Dieu, comme il y a de la poussière, la bonne ne fait vraiment rien." J'arrête là, je pourrais continuer la liste sans problème. Mais, ce qu'il y a de plus accablant (enfin, pour moi) c'est que lui, et sa famille, se présentaient comme des gens de "gauche". Il manifestait bruyamment son antiracisme : un jour qu'il était avec sa mère dans un bureau de tabac où le buraliste avait éconduit un peu virilement un de nos remplaçants, il avait dit bien fort :
sortons, maman !. Ou encore, il faisait des mines absolument invraisemblables à propos de tous ceux qui souffraient, de la pauvreté, du racisme, de que sais-je encore, tout en me traitant comme le dernier de ses laquais : il était un peu comme cette dame, dont je ne me souviens plus le nom, dans
Les frères Karamazov, qui dit au Staretz qu'elle aime l'humanité
en général mais que dès qu'elle s'approche d'un homme concret, bien réel, il lui répugne. Enfin, bref, aux dernières nouvelles que j'ai eues de lui, c'est un parfait "bobo".
Enfin voilà, c'était ma petite histoire pour dire que, dès qu'on me parle de bourgeois, de supérieurs, d'héritier, c'est à lui que je pense et me les figure tous comme lui.
Je me rends compte que cela doit biaiser mon jugement.
Pour en revenir au message de M. Rothomago, je perçois bien que nous ne vivons plus au XIXème siècle : ce n'est plus
Germinal. Cependant, je n'arrive pas à comprendre de quelle façon les innovations technologiques ont modifié à ce point ces concepts de classes sociales, d'héritage, de hiérarchie sociale. Pouvez-vous, s'il vous plait, m'en dire plus à ce sujet ?