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Jamais sans mon voile

Envoyé par Pierre Hergat 
12 septembre 2016, 19:00   Jamais sans mon voile
Il faut avoir vu la sociologue Dounia Bouzar à l’œuvre dans les médias pour réaliser combien le voile islamique s'impose aux femmes comme la cigarette s'imposait aux hommes. Dans un usage toxique de soi, en dépit de soi, en dehors de soi.
Être libre, si l'on veut, c'est être en mesure de se libérer des contraintes et turpitudes que l'on s'est infligé. A l'opposée, en être esclave, c'est être incapable de s'en libérer.
A bien des égards, celui du voile mériterait d'être mis sur le même plan que le produit stupéfiant tant il empêche les femmes de se libérer de contraintes qu'on a voulu pour elles, et dont, au bout du compte, elle sont devenues addictes.



Dounia Bouzar, née Dominique Hélène Bouzar, est anthropologue. En 2014, elle fonde le Centre de Prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam dont elle est directrice générale.
Alors ?
Comment prévenir contre les dérives sectaires, quand on est soi-même incapable de se libérer de ses propres dérives, tourments et turpitudes sectaires. De père algérien et de mère française corse, elle finit donc par épouser la religion musulmane -- grand bien lui fasse --, et sombre du même coup dans le nécessaire port du voile, qui, comme de bien entendu, n'est imposé que par les pères.
On me rétorquera qu'un anthropologue peut parfaitement porter le voile. Après tout Indiana Jones, lui, ne se défaisait jamais de son lasso.

Mais quand même, cette dame étrange (est-ce je dis dame pour une femme de religion musulmane ?), ne se présente jamais sans une sorte de bandana, substitue d'un voile dont elle cherche à se défaire dans les médias, sans se défaire tout à fait, bien qu'elle s'en défasse, tout en le conservant. Mais en partie, seulement. Faut bien concéder quelque chose.

Comme quoi, l'anthropologie ne préserve pas vraiment dès lors qu'on est le produit d'une culture dans laquelle tout le monde semble définitivement atteint.
12 septembre 2016, 20:11   Re : Jamais sans mon voile
(Pas folle la guêpe (bicéphale): je crois que sa très efficace "asso" fonctionne avec un budget à six chiffres.)
13 septembre 2016, 11:38   Re : Jamais sans mon voile
Indiana Jones manie le fouet, non le lasso.
Utilisateur anonyme
13 septembre 2016, 12:33   Re : Jamais sans mon voile
C'est fait : elle a rejoint le cercle très fermé des "spécialistes" et des "experts" en "quartiers sensibles" et en "jeunesse discriminée", option "déradicalisation" - le must, le pactole assuré.
13 septembre 2016, 15:09   Re : Jamais sans mon voile
A part ça, vous n'en avez pas marre, tous, de ces reportages sur la vie dans des villes occupées par Daesh et qui viennent d'être 'libérées" (à chaque fois par des forces extérieures d'ailleurs)? D'une, dans les villes irakiennes et libyennes que l'on nous montre et que certains connaissent, il faut avoir l’œil pour saisir la différence entre la vie quotidienne sous l'EI et la vie quotidienne avant l'occupation djihadiste (disons que l'on est passé d'un enfer relatif à un enfer sinon absolu du moins plus évident et contraignant). De deux, vit-on mieux et différemment qu'en territoire tenu par l'Etat islamique à Molenbek-Saint-Jean, en Seine-Saint-Denis, à Marseille ou à Roubaix?
13 septembre 2016, 15:09   Re : Jamais sans mon voile
Citation
Didier Goux
Indiana Jones manie le fouet, non le lasso.

Tout à fait, c' est Gloria qui manie le lasso.
13 septembre 2016, 15:47   Re : Jamais sans mon voile
À propos de Gloria Lasso, me revient une anecdote. Lorsqu'elle a posé nue dans Lui, à un âge déjà respectable, elle a réclamé à l'organisatrice du shooting (c'est d'elle que je tiens l'histoire) “oune pétite perrouque”. Après quelques secondes de perplexité, mon amie a compris qu'elle avait besoin d'un pubis postiche (mais oui, ça existe…) afin de masquer des ans l'irréparable déboisement.
14 septembre 2016, 13:53   Re : Jamais sans mon voile
L'alopécie pubienne étant souvent concomitante à la perte des cheveux, à ce qu'il paraît, le port du voile s'en trouve là justifié, masquant utilement une calvitie très mal vécue par les femmes.
Le voile semble du reste préférable au postiche pileux, qui presque toujours se voit au premier coup d'œil, donnant alors en plus à l'attifée un air funeste de cancéreuse, ce qui est le pire de tout...
14 septembre 2016, 20:04   Re : Jamais sans mon voile
» Être libre, si l'on veut, c'est être en mesure de se libérer des contraintes et turpitudes que l'on s'est infligé

Il y a là une difficulté, parce qu'être libre, n'est-ce pas aussi, et surtout peut-être, s'infliger les contraintes (et éventuellement les turpitudes) que l'on veut, que l'on a choisi, en vertu de la postulation de ce que Kant avait appelé "l'indépendance de l'arbitre", plutôt qu'une instance tierce, qu'elle soit humaine ou "naturelle", ne vous l'impose ?
Là réside probablement la différence entre l’autonomie et l'hétéronomie... Car un état idéalement exempt de toute contrainte (ou turpitude), cela apparaît tout de même peu réaliste.
À ce titre, l'observance d'un mode de vie découlant d'un choix raisonné et conscient d'une religion donnée ne contredit en rien la notion de liberté, au contraire...
Utilisateur anonyme
14 septembre 2016, 21:02   Re : Jamais sans mon voile
15 septembre 2016, 00:38   Re : Jamais sans mon voile
Citation
Alain Eytan
L'observance d'un mode de vie découlant d'un choix raisonné et conscient d'une religion donnée ne contredit en rien la notion de liberté, au contraire...

D'accord. Se fondre dans une communauté sans chercher à s'en distinguer nécessairement, peut être une forme de liberté très acceptable, voire, très supérieure. En ce sens, la contrainte est utile et elle libère.
Eric Zemmour rappelle régulièrement l'obligation qui fut faite aux juifs de choisir des prénoms du calendrier chrétien; il estime que cela joua dans le sens de leur assimilation, ce que j'appellerais volontiers disparition. Pourtant, avec leur nom de famille, ils conservaient, et leur culture, et leurs origines.
La disparition, tout comme l'oubli, est une chose nécessaire. Il faut savoir disparaitre pour tout le monde. Sans oubli, on devient fou. De même, si l'on ne peut disparaitre dans une foule, on se rend malade. Et c'est un des drames de notre époque. Il n'y a plus d'oubli possible, plus de disparition possible.

Quant à la sociologue Dounia Bouzar qui se 'dévoile' ainsi impudiquement dans les médias, c'est cette impression qu'elle nourrit en moi. Elle ne s'oublie pas. Elle ne disparait jamais. Il faut que ses vérités, les siennes, occupent tout l'espace. Si possible tout le temps.
 
 Le voile, objet de pudeur chez les femmes, et sans doute l'objet le plus impudique du monde.
15 septembre 2016, 04:19   Re : Jamais sans mon voile
Il y a le voile et son burkini, et, chez les auto-contraints athées il y a désormais le tatouage, lequel dans ses motifs et ses manifestations est piqué d'une distinction, d'une originalité, d'une "affirmation de soi", bref d'une autonomie de sa personne qui affiche son goût et se l'inscrit dans la peau, cette peau que personne, jamais, ne partage avec soi. Bien. Or il se trouve que le conformisme de cette manière de s'afficher unique est la chose la plus comique et triste tout à la fois qui se donne à contempler chez Modernoeud. On se tatoue des choses ineptes et horribles, pour la vie, dans un moment de faiblesse mimétique, pour faire comme machin ou machine, on se marque comme du bétail pour mieux s'intégrer au troupeau des non-pensants en le faisant sous la bannière de l'affirmation de soi.

Comme quoi, les "signes extérieurs de pauvreté spirituelle" ne sont pas réservés aux fidèles d'une religion de corps de garde : ils n'épargnent pas même les pires athées qui soient. Le mouton a beau paraître enragé avec ses têtes de mort griffées sur le cou, il n'en reste pas moins un mouton marqué du sceau de son propriétaire et maître.

So much pour "la liberté" actée par le choix d'une contrainte : il n'est guère de contraintes qui ne soient socialement dictées, qui ne soient d'origine extérieure sous la guise du choix personnel, qui ne soient soumission à une instance souverainement indifférente aux penchants personnels véritables et à l'âme profonde du sujet illusionné.
Utilisateur anonyme
15 septembre 2016, 09:54   Re : Jamais sans mon voile
Alain Eytan
L'observance d'un mode de vie découlant d'un choix raisonné et conscient d'une religion donnée ne contredit en rien la notion de liberté, au contraire...
/////

D'accord avec vous. Plus généralement un homme pense, croit, "choisit" et observe tel ou tel mode de vie selon ce qu'il est ; ou comme l'a dit Aristote, la connaissance dépend du mode d'être et du connaissant.
Tout "choix", comme toute contrainte que l'on s'impose, dépend avant tout de la conception que l'individu a de lui-même et de sa destinée, et de la façon dont il voit l'anthropos en face de Dieu et du monde.
Utilisateur anonyme
15 septembre 2016, 09:57   Re : Jamais sans mon voile
Mais j'ai très envie de rejoindre Francis (hélas), lorsqu'il écrit : il n'est guère de contraintes qui ne soient socialement dictées, qui ne soient d'origine extérieure sous la guise du choix personnel...
15 septembre 2016, 10:37   Re : Jamais sans mon voile
"Nous sommes les hommes libres, et voici notre caporal"

Vivre, c'est le carnaval de l'être

- Alfred Jarry

[oulipo.net]
15 septembre 2016, 10:40   Re : Jamais sans mon voile
Vincent Descombes (Le complément du sujet, 2004, p.386) :

“ (…) L'idée qu'un individu se fait de lui-même (ou comme on dit aujourd'hui de son “identité”) est une idée commune, une idée sociale.”

Alfred Jarry (Ubu enchaîné, Acte I, scène II, 1900) :

“ Les trois hommes libres : Nous sommes les hommes libres, et voici notre caporal.-Vive la liberté, la liberté, la liberté ! Nous sommes libres.- N'oublions pas que notre devoir, c'est d'être libres. Allons moins vite, nous arriverions à l'heure. La liberté, c'est de n'arriver jamais à l'heure -jamais, jamais ! Pour nos exercices de liberté. Désobéissons avec ensemble...Non ! Pas ensemble : une, deux, trois ! Le premier à un, le deuxième à deux, le troisième à trois. Voilà toute la différence. Inventons chacun un temps différent, quoique ce soit bien fatigant. Désobéissons individuellement – au caporal des hommes libres !
Le caporal : Rassemblement !
Ils se dispersent.
Vous, l'homme libre numéro trois, vous me ferez deux jours de salle de police, pour vous être mis, avec le numéro deux, en rang. La théorie dit : Soyez libres ! - Exercices individuels de désobéissance... L'indiscipline aveugle et de tous les instants fait la force principale des hommes libres.- Portes...arme ! Les trois hommes libres : Parlons sur les rangs. - Désobéissons.- Le premier à un, le deuxième à deux, le troisième à trois. -Une, deux, trois ! Le caporal : Au temps ! Numéro un, vous deviez poser l'arme à terre ; numéro deux, la lever la crosse en l'air ; numéro trois, la jeter à six pas derrière et tâcher de prendre ensuite une attitude libertaire. Rompez vos rangs ! Une deux ! Une, deux !
Ils se rassemblent et sortent en évitant de marcher au pas. »


[www.philalethe.net]-!
Utilisateur anonyme
15 septembre 2016, 14:24   Re : Jamais sans mon voile
“Une pierre reçoit d’une cause extérieure qui la pousse une certaine quantité de mouvement, par laquelle elle continuera nécessairement de se mouvoir après l’arrêt de l’impulsion externe. Cette permanence de la pierre dans son mouvement est une contrainte, non pas parce qu’elle est nécessaire, mais parce qu’elle doit être définie par l’impulsion des causes externes ; et ce qui est vrai de la pierre, l’est aussi de tout objet singulier, quelle qu’en soit la complexité, et quel que soit le nombre de ses possibilités : tout objet singulier, en effet, est nécessairement déterminé par quelque cause extérieure à exister et à agir selon une loi précise et déterminée.
Concevez maintenant, si vous le voulez bien, que la pierre, tandis qu’elle continue de se mouvoir, sache et pense qu’elle fait tout l’effort possible pour continuer de se mouvoir. Cette pierre, assurément, puisqu’elle n’est consciente que de son effort, croira être libre et ne persévérer dans son mouvement que par la seule raison qu’elle le désire. Telle est cette liberté humaine que tous les hommes se vantent d’avoir et qui consiste en cela seul que les hommes sont conscients de leurs désirs et ignorants des causes qui les déterminent. Un enfant croit librement appéter le lait, un jeune garçon irrité vouloir se venger et, s’il est poltron, vouloir fuir. Un ivrogne croit dire par un libre décret de son âme ce qu’ensuite, revenu à la sobriété, il aurait voulu taire. ” (Spinoza dans la Lettre à Schuler)

15 septembre 2016, 15:06   Re : Jamais sans mon voile
« L'idée qu'un individu se fait de lui-même (ou comme on dit aujourd'hui de son “identité”) est une idée commune, une idée sociale. »

Possible, mais allons un tout petit peu plus loin dans le sens d'une telle argumentation : est-ce toujours vrai, de façon que toutes nos idées, nos valeurs, nos choix et nos préférences soient de part en part déterminés par la nature et la culture qui nous auront produits ?
À vrai dire je n'en sais rien, mais les implications de ce type de conceptions ne laissent pas de faire apparaître de sérieuses difficultés : il y a d’abord le fait que si vous déniez à la personne quelque autonomie de pensée et de choix que ce soit, tous nos propos, nos expériences et nos convictions n'auraient strictement aucune valeur, ou plus exactement ils auraient le même statut qu'un lapsus, étant l'effet de processus se produisant bien en amont d'un "moi" illusoire qui pourrait être responsable de ses actes et de ses pensées.
En fait c'est toute prétention à la vérité qui s'en trouverait révoquée en doute, car comment croire sérieusement aux arguments d'un pur produit de ses gènes et de son histoire, porte-parole aveugle et complètement impersonnel de sa race, son ethnie, sa culture etc., et donc, comment ajouter foi à la valeur épistémologique de la thèse radicalement déterministe elle-même ?
Ne vous en déplaise, Francis, lorsque je débats avec vous, j'aime à penser que je m'adresse à un sujet autonome capable de penser librement, au moins dans une certaine mesure au moment où il réfléchit et argumente, pas à un magnétophone à bande préenregistrée confectionnée partout ailleurs qu'en son for intérieur.
Me trompé-je ?

Pour en revenir plus précisément au sujet, je laisse au musulman, à quelques musulmans, à des musulmans possibles, qui après tout font bien partie de l'espèce humaine, le bénéfice du doute quant à la jouissance d'une telle marge de manœuvre personnelle et d'une auto-détermination individuelle relative, malgré toutes les pesanteurs apparemment inhérentes à leur état : donc la capacité de choisir un mode vie, et les contraintes qui en découlent.
15 septembre 2016, 15:54   Re : Jamais sans mon voile
Lorsque nous débattons librement, nous sommes, en coulisses du débat obvie, en débat contre tout ce qui s'est arrogé des droits sur notre sujet, autrement dit, nous nous débattons contre ce qui nous compose à notre insu, contre les composantes intruses, inconsciemment empruntées, transdiscourantes ou transtextuelles. Nous nous débattons pour nous défaire de loups de carnaval qui nous fûmes distribués à la pelle dans l'âge de tous les acquiescements, entre 17 et 25 ans, âge qui se fait fallacieusement passer pour rebelle.

Par exemple, je me suis aperçu aujourd'hui en écrivant sur un autre fil, ouvert par le sieur prénommé Isaur qu'en disant sommairement la personnalité de trois de mes camarades de pension, je n'avais rien fait d'autre que de dire trois des composantes de ma personnalité sociale ultérieure, sociale et intime : le jeune homme sérieux mais paradoxalement épris de l'oeuvre d'Alfred Jarry et qui devait faire carrière honorablement dans un métier de prédilection, étranger à toute littérature "dinguofolle" comme peut l'être celle de Jarry ; le jeune homme moins sérieux, irrésistiblement drôle et cynique, dont les Chants de Maldoror ne quittait pas la poche de la blouse de drap gris et qui fit carrière dans le comique de fin de banquet (et occasionnellement radiophonique, me suis-je avisé); et enfin le jeune homme à l'intellect vif-argent, impatient et avide de philosophie comme de mathématiques et de sciences naturelles qui finit carrière dans les parcs nationaux et la conservation des niches écologiques d'oiseaux migrateurs, ces trois là, semblent s'être fondus en ma personne à un degré bien plus grand que je ne désirerais l'admettre. Je suis ce dernier camarade, et le premier au statut professionnel honorable et je suis aussi le pitre des fins de banquet. Les camarades, dans de nombreux cas, tiennent un rôle de moule et de "farce" (dans les deux sens du terme, culinaire et dramatique) bien plus décisif que les parents ou les professeurs quand personne ne le voudrait vraiment, eux les premiers. Nous tirons nos forces d'avancer dans le vivre de tout ce que nous rejetons comme se propulse la fusée ou l'avion dont le mouvement vers l'avant s'explique par la poussée réactive, mais nous sommes aussi imbibés d'oiseaux de passage dont nous fûmes les témoins dans notre jeunesse et que nous ne reverrons plus. Des camarades dérisoires se sont inscrits en nous quand il ne l'aurait pas fallu et qui n'en sortiront jamais, et dont l'idée que nous nous fîmes d'eux dicte à nos vie, lui chuchote des conduites, bien plus qu'il ne faudrait. Nous passons une partie non négligeable à leur rendre un hommage silencieux permanent, inavouable, et même un peu honteux.

Où placez-vous la "liberté" là-dedans ?
Utilisateur anonyme
15 septembre 2016, 16:36   Re : Jamais sans mon voile
Où placez-vous la "liberté" là-dedans ?

///

Ce fantasme de "liberté"-là participe du concept moderne de l'homme en tant qu'être "libéré" du Ciel, maître absolu de sa propre destinée, lié a la terre, mais aussi maître de celle-ci, oublieux de toutes les réalités eschatologiques qu'il a remplacé par quelque état futur de perfection projeté dans le temps historique profane, indifférent sinon opposé au monde de l'Esprit et à ses exigences, dépourvu du sens du sacré (j'arrête là, tant ce type humain me déplaît).

Je pose la question : que vaut cette "liberté" ?
15 septembre 2016, 16:47   Re : Jamais sans mon voile
Avant d'agiter la question de la liberté, ceux qui se piquent d'en penser les termes devraient commencer par s'accorder sur l'épineuse question de la poule et de l'oeuf. Qu'est-ce qui est premier ? Mon être qui me fit m'acoquiner à ces camarades et qui, pour son programme et son devenir, avait besoin de leur exemple, de leur "modèle" pour se l'accaparer, le faire sien, et se forger le sien en idéal à partir de ces ingrédients "librement" choisis ? ou bien ces camarades de contingence lycéenne qui imprimèrent leur personne sur la mienne et façonnèrent mon être à mon insu (et au leur) ?

Si j'ai exercé ma "liberté" en les choisissant pour "modèle" ou "personnes de référence", il faut considérer que cet acte ne fut jamais conscient, réfléchi, délibéré, et que si "liberté" il y a eu chez moi l'accomplissant, celle-ci usurpe son nom.

Soit donc 1. je les choisis librement comme camarade, je les triai en fonction de ma personne en devenir mais ce tri et cette élection n'effleurèrent jamais ma conscience ; 2. Je ne choisis rien ; ils me firent et je fus asservi à leur personne que j'ai intégrée en moi; je suis berné, je suis le jouet de forces dont j'ignore tout. 1. l'oeuf; 2. la poule. Et dans les deux cas, poule ou oeuf, je ne fus jamais "libre".

Douloureux constat, mais indispensable à qui souhaite envisager sa liberté.
15 septembre 2016, 16:56   Re : Jamais sans mon voile
Encore une fois nous retombons sur la lancinante problématique d'une absence de causalité unique, d'un vecteur monodirectionnel de la causalité. Les causalités, comme dans les univers quantiques, sont croisées : je suis ce qu'ils me firent mais une force en moi, qui est tout moi, me poussa à les choisir à cette fin.

Les causalités croisées ou rétrocausalités, fusionnent pour constituer ce que Deleuze aimait à appeler "un plan de rencontre". Rien n'est cause de rien, mais tous facteurs causaux s'entrecroisent et se tissent et de cet écheveau, surgit l'iodiotès qui se tient droit dans ce plan et entonne son hymne à sa liberté. A la faveur de cet écheveau inextricable de rétro-causes, il se croit autorisé de se dire sans-cause et non-agi. Pauvre fou.

La force ordonnatrice, supra-causale, que l'on pourrait dire transcendante, qui me porte inexorablement à choisir les facteurs prédestinés au façonnage de l'idiot que je suis, demeure une totale inconnue. Et l'idée que nous puissions en être affranchis la fait sans doute doucement sourire.
Utilisateur anonyme
15 septembre 2016, 17:28   Re : Jamais sans mon voile
Toujours cette même force ordonnatrice... qui nous pousse, et qui nous pousse encore :

//////
Prison de Gradignan (33) : « Poussé par la voix d’Allah », un détenu agresse un psychiatre.
le 15/09/2016

Les faits se sont déroulés hier, au centre pénitentiaire de Gradignan en Gironde. Alors qu’un psychiatre rendait visite à un détenu pour l’examiner, ce dernier l’a agressé avec une fourchette dans le but de le tuer. Il aurait aussi « fracassé du mobilier » sur sa tête.

Le détenu aurait expliqué avoir agi après avoir été poussé par « la voix d’Allah ».
15 septembre 2016, 19:00   Re : Jamais sans mon voile
Jadis, quand on était poussé par la voix de Dieu, on écrivait De la signature des choses ou une messe. En revanche, quand aujourd'hui on est poussé par la voix d'Allah ou quand on sort d'un prêche un peu musclé, les dispositions d'esprit sont légèrement différentes. Les musulmans connaissent-ils seulement la joie, celle dont on souhaite qu'elle demeurât toujours?
Utilisateur anonyme
15 septembre 2016, 19:21   Re : Jamais sans mon voile
En termes plus simples, il convient de dire que tout est écrit.
Tout est écrit car tout est causé.
Il est impossible de trouver un acte ou une pensée qui ne soit pas la conséquence d'un autre acte ou d'une autre pensée.
C'est notre seul orgueil d'animaux non humains qui nous conduit à penser, que nous ne le voulions ou non, que nous sommes libres.
La liberté ou plus exactement le libre-arbitre c'est l'absence de cause ou de motivation à nos actes ou pensées.
Alors, elle n'existe pas.
Mais comme écrit Dostoievski, ce qui en un sens est l'exact contraire et revient au même tout à la fois, nous sommes responsables de tout devant tous.
Son roman Les Carnets du Sous-sol contient une démonstration de cette idée assez stimulante.
15 septembre 2016, 19:33   Re : Jamais sans mon voile
» Lorsque nous débattons librement, nous sommes, en coulisses du débat obvie, en débat contre tout ce qui s'est arrogé des droits sur notre sujet, autrement dit, nous nous débattons contre ce qui nous compose à notre insu (...) Où placez-vous la "liberté" là-dedans ?

Dans ce départ, cet espace ménagé par la non-coïncidence, c’est-à-dire dans l'aire de délibération intérieure qui permet et où a lieu le débat ; de texture vif-argent au superlatif, elle aussi, les chercheurs en sciences de l'esprit l'ont nommée de diverses manières, la plus simple étant peut-être "subjectivité".


» Je pose la question : que vaut cette "liberté" ?

Pascal, en toute logique, elle vaut tout, elle vaut absolument, puisqu'elle est la seule à pouvoir forger des valeurs, rien d'autre n'existant qui pourrait la relativiser.
Vous devez être au courant, tout de même, en bon nietzschéen, que les arrières-mondes, c'est fini, c'est foutu...
15 septembre 2016, 20:16   Re : Jamais sans mon voile
» En termes plus simples, il convient de dire que tout est écrit

Vous rendez-vous compte que vous nous faites une petite crise de mektoub, ce qui est vraiment un comble ?...


» C'est notre seul orgueil d'animaux non humains qui nous conduit à penser, que nous ne le voulions ou non, que nous sommes libres

D'animaux humains, plutôt ? Mais je dirais que ce n'est pas l'orgueil qui conduit à penser ceci ou cela, mais la pensée, l'extravagant privilège d'être doué de pensée réflexive, qui nourrit l'orgueil de cette semblance de liberté.
Je n'ai pas vos certitudes, et le problème que vous évoquez m'apparaît simplement insoluble, s'il est vrai que le "problème corps-esprit" en est véritablement un, et qu'il y a interaction, ce qui semble bien être réciprocité causale entre le corps et les états mentaux, la matière et l'esprit.
Toujours est-il que si ma seule volonté peut à ce moment mouvoir mes doigts et écrire au clavier ce que je veux vous dire là, la conscience est bel et bien une façon de cause première, et un soupçon de liberté permise s'esquisse... et je ne pense pas que Spinoza ait résolu l'énigme, du reste...
Utilisateur anonyme
15 septembre 2016, 22:16   Re : Jamais sans mon voile
Merci pour votre réponse Monsieur Eytan.
Mais cette réponse et cette volonté que vous aviez de me répondre étaient elles-mêmes causées de même que mes remerciements.
Nous et nos consciences ne sont que le fruit du passé.
Et si nos consciences étaient indépendantes, elles-mêmes seraient issues de quelque chose, donc non choisies et causées.
La cause première est précisément l'indécouvrable, l'inconnu.
Anticiper le futur est une tâche également impossible car il conviendrait pour ce faire de connaître tout le passé et tout le présent de tous et de tout.

Eh oui, nous sommes humains (erratum) et je dirais fatum ou Jacques le Fataliste plutôt que mektoub (ne croyant pas en allah et momo).
.
15 septembre 2016, 22:53   Flûte
La liberté, c'est celle qu'octroie tout jeu.
16 septembre 2016, 13:36   Re : Flûte
» La cause première est précisément l'indécouvrable, l'inconnu

En l’occurrence, la "cause première" serait l'auteur, putatif peut-être plutôt qu'avéré, du choix : le sujet de la conscience de soi.
Que nos états à un moment donné, corporels et psychiques, soient le produit d'un inconnaissable et inextricable concours de facteurs, c'est l'hypothèse de travail la plus probable ; mais avec l'émergence d'un sujet conscient il semble se produire quand même un décalage, une solution de continuité dans la série des causes et des effets, dans l'adoption du comportement le plus idoine (l'effet) en réaction à une sollicitation particulière du milieu (la cause) : la conscience réalise un dispositif d'imagerie virtuelle intérieure permettant d'envisager plusieurs possibilités, plusieurs réponses comportementales possibles en réaction à une même situation, ce qui crée censément la possibilité d'un choix dans la conduite de soi.
Dans une telle perspective, la liberté n'est que cette latitude, ce jeu que permet la possibilité d'une visualisation interne du possible entourant le réel, et ce qui semble bien être un choix en découlant.
À mon avis les réductionnistes radicaux de tous types ne rendent pas suffisamment compte de la singularité et de l'importance de l'émergence des états mentaux conscients dans le règne du vivant, non plus qu'ils ne fournissent en réalité aucune explication probante du phénomène de la conscience elle-même, dans ce qu'elle a de spécifique et de complexe.
Curieusement c'est Bergson qui a donné de cela une formulation qui continue de m'apparaître remarquablement claire, et convaincante :
« Dans toute l'étendue du règne animal, la conscience apparaît comme proportionnelle à la puissance de choix dont l'être vivant dispose. Elle éclaire la zone de virtualités qui entoure l'acte. Elle mesure l'écart entre ce qui se fait et ce qui pourrait se faire. À l'envisager du dehors, on pourrait donc la prendre pour un simple auxiliaire de l'action, pour une lumière que l'action allume, étincelle fugitive qui jaillirait du frottement de l'action réelle contre les actions possibles. »
16 septembre 2016, 16:15   Re : Flûte
Citation
Thomas Rothomago
La liberté, c'est celle qu'octroie tout jeu.

En même temps que tout jeu est constitué d'une série de règles précises.
16 septembre 2016, 16:37   Re : Jamais sans mon voile
Si je vous ai bien lu Alain, la conscience sous influence, cela ne peut exister puisque Bergson n'en a pas parlé. J'ai bon ?
16 septembre 2016, 18:32   Re : Jamais sans mon voile
Probablement pas, mais à vrai dire je n’en sais trop rien, essayez d’être un peu plus clair : selon vous le fait que certains puissent être emprisonnés signifie-t-il que tous ne seraient jamais libres ? C’est curieux comme raisonnement…
16 septembre 2016, 19:36   Re : Flûte
"En même temps que tout jeu est constitué d'une série de règles précises."

Bien sûr, sachant aussi que ces règles sont elles-mêmes soumises à un jeu.
16 septembre 2016, 19:50   Re : Flûte
Bien sûr, sachant aussi que ces règles sont elles-mêmes soumises à un jeu.

Ouh la. Vous venez de commettre un larsen.
(comme quand on met le micro devant le haut-parleur).
17 septembre 2016, 07:01   Re : Jamais sans mon voile
Sur un plan trivial et général je ne comprends pas comment on peut vouloir, ou s'attacher à, définir la liberté hors des conditions de sa survenue. La subjectivité est un mot commode qui recouvre mille aspects lesquels, si on les analyse, comme on a tenté de le faire par exemple dans la nouvelle de Conrad Karain, un souvenir, tout récemment, se révèlent comme autant de modes de hantises et de dépossession ou d'occultation de soi.

Le vivre est le carnaval de l'être, selon la fusée géante d'Alfred Jarry qui, à propos, aurait selon ses biographes suivi les cours de Bergson au Collège de France.

Pour ne rien dire des conditions neurophysiologiques de la liberté -- si je regarde la télévision gouvernementale tous les jours six heures par jour je ne serai jamais libre, parce que je serait hanté, et aliéné, occulté et en mode débrayage de ma durée, ni mon temps ni mes désirs ne seront plus les miens, et mes facultés d'agir et de penser en toute indépendance, en conscience, seront privées des conditions de leur exercice.

Le vivre est le carnaval de l'être et nous somme faits de loups de carnaval cousus et superposés, empruntés et légués ça et là. Je vous ai exposé dernièrement trois des miens (des camarades de collège) et il y en a dix mille autres, tous plus au moins secondaires, accessoires ou temporaires. Encore une fois, la hantise permanente, d'origine ancienne (les amis d'autrefois et qu'on ne verra plus, nos parents et proches morts) ou renouvelée au quotidien (la télévision, le JT de 20 heures) rendent nulle et non avenue l'affirmation péremptoire d'une liberté de conscience principielle, propre et kantienne, assise dans l'objectivité comme si celle-ci pouvait idéalement repousser sans risque de contamination les gargouillis ventraux de la subjectivité. Nous sommes le ventre de notre être, impur et en digestion permanente de ce qu'il a absorbé à tort ou à raison. La liberté de la tête n'a pas même à être envisagée hors les remugles de ce ventre et de ce vivre d'emprunt. Elle doit composer avec eux, savoir en interpréter les effets délétères, et s'en garder avant toute chose.
17 septembre 2016, 13:01   Re : Jamais sans mon voile
» Sur un plan trivial et général je ne comprends pas comment on peut vouloir, ou s'attacher à, définir la liberté hors des conditions de sa survenue (...) La liberté de la tête n'a pas même à être envisagée hors les remugles de ce ventre

Et ses gargouillis, hélas.
Sur un plan aussi trivial et général, à mon sens parce qu'il vaut mieux avoir quelque idée préalable de ce qu'on attend de voir survenir, pour savoir ce qui survient, le cas échéant.
17 septembre 2016, 13:34   Re : Flûte
Citation
Pierre Hergat
Bien sûr, sachant aussi que ces règles sont elles-mêmes soumises à un jeu.

Ouh la. Vous venez de commettre un larsen.
(comme quand on met le micro devant le haut-parleur).

Ce qui sanctionne l'infraction : il n'y a dans le jeu aucune liberté de jouer avec les règles du jeu.
17 septembre 2016, 13:57   Re : Flûte
Citation
Alain Eytan
Ce qui sanctionne l'infraction : il n'y a dans le jeu aucune liberté de jouer avec les règles du jeu.

Ben oui. Changer la règle du jeu revient à changer le jeu. C'est S I M P L E.
Alors, pourquoi cette idée ne vaut-elle pas également en Politique ? Ainsi, la démocratie telle que définie aujourd'hui (faite pour que la société soit en mouvement) est l'exacte contraire de la démocratie telle que voulue par les Grecs (faite pour immobiliser).

J'ai même vu passer une norme, ISO, destinée à produire une Constitution, une pré-constitution en quelque sorte. Faut le faire quand même.
Donc:
1) Le peuple souverain rédige une Constitution.
2) Il s'appuie sur la Norme.
3) La Constitution est votée.
4) Le normalisateur change la Norme.
5) La Constitution est actualisée.
6) Le peuple a perdu sa souveraineté.

Évidemment, on ne dit pas norme. On dit bloc de constitutionnalité

Le jeu a changé. Désormais, quelqu'un a compris que faire la règle du jeu, c'est faire le jeu.
17 septembre 2016, 15:39   Re : Flûte
C'est que les règles du jeu de la démocratie moderne portent essentiellement sur les règles permettant de réviser ou modifier les règles du jeu proprement dites, ce sont des méta-règles du jeu, en quelque sorte, non ? Auquel cas le peuple n'aura pas perdu sa souveraineté si le nouveau "normalisateur" est encore représentatif du peuple, qui a seulement changé d'avis et d'état d'esprit, donc de majorité...
Avouez qu'en l'occurrence c'est plutôt heureux, et qu'il serait quand même fâcheux qu'on soit bloqué sur les règles du jeu hollandiennes, par exemple, jusqu'à la Saint-Glinglin...
17 septembre 2016, 16:44   Re : Jamais sans mon voile
La question demeure, peut-être depuis saint-Augustin, ou du moins Hamlet : comment réconcilier le fait d'être hanté et d'être libre. La voilée, l'idiot impensant, fasciné par tout ce qui lui nuit, par mille arlequinades spectaculaires, surdites, par mille masques de carnaval qui le composent comme l'habit d'Arlequin compose Arlequin, sont des hantés.

Le problème de la hantise n'est pas mince. On a commencé à l'identifier sérieusement en Occident au tournant du siècle dernier, avec Mallarmé et Conrad, puis Freud puis tout le monde.

La liberté ne peut plus, à cause de ceux-là, de ces précurseurs ("Alfred Jarry précurseur de Heidegger" disait de lui Deleuze) être posée en termes purement kantiens. Cette évidence est écrasante. Bergson le vénérable n'avait pas pressenti la prégnance de la hantise. Proust, si. Deleuze, en l'occurrence, très pertinent dans ce virage et l'étude des hantises, avait écrit des textes de référence sur les deux, Bergson et Proust, un peu pour les départager, comme dans un partage des eaux.
17 septembre 2016, 16:54   Re : Jamais sans mon voile
La voilée est comme Arlequin dans le carnaval de l'Etre : elle est un être tout d'emprunt. Sa "liberté", est pis que dérisoire -- elle est comique comme était comique d'intention le personnage Arlequin, fantoche tout habillé et fantoche tout de lambeaux d'emprunts. L'être en lambeaux : la voilée, figure par excellence du carnaval de l'être.

Cette non-femme est un emprunt vivant. Un loup carnavalesque sans carnaval ni chair. Un emprunt de tissu et de drap sur deux pattes.
17 septembre 2016, 18:04   Re : Jamais sans mon voile
La voilée est comme Arlequin dans le carnaval de l'Etre : elle est un être tout d'emprunt.

Je me demandais si la législation qui conviendrait à ces créatures fantomatiques ne relevait pas tout simplement du Carnaval, à commencer par la fête des fous:
Législation de la fête parisienne
18 septembre 2016, 15:21   Re : Jamais sans mon voile
» Bergson le vénérable n'avait pas pressenti la prégnance de la hantise

Francis, vous y allez quand même un peu fort : tout l'effort de Bergson a consisté justement a essayer de se défaire de tous les conditionnements de l'esprit, à commencer par le plus vital, celui du nécessaire instinct de survie conformant la pensée aux modes de connaissances pratiques et utilitaires de la réalité, afin de dégager le pur mouvement de l'esprit dans ce qu'il a de plus originel, en deçà des figements, des automatismes et des réifications que produisent toutes vos "hantises", qui occupent l'intériorité et la voilent.
Il n'avait pressenti que cela, "la prégnance des hantises", et voulu décrire ce qui était lors qu'on pourrait s'en libérer.
Qu'il ait réussi ou non, que cela soit possible ou pas, est une autre question, et c'est la raison pour laquelle je suis entièrement en désaccord avec vous quand vous écrivez que "la liberté ne peut plus être posée en termes purement kantiens" : si, c'est justement parce que la liberté continue d'être définie dans ce sens — à vrai dire il n'y a pas 36 façons de la définir, elle consiste toujours grosso modo dans la faculté qu'aurait un sujet d'être l'agent de ses choix — que ses dénégateurs les plus acharnés continuent de nous rebattre les oreilles de son caractère illusoire.
Ce n'est donc pas la compréhension de la notion de liberté qui a tant changé, mais l'évaluation de ses conditions de réalisation concrètes.


» Cette non-femme est un emprunt vivant

Seulement si vous jurez savoir ce que doit être l'original, le prototype, the real thing, la femme libre en soi.
Utilisateur anonyme
18 septembre 2016, 15:38   Re : Jamais sans mon voile
Libre ou pas je la trouve absolument sublime... (et je crois qu'Alain sera d'accord avec moi) :

[goo.gl]
18 septembre 2016, 16:04   Re : Jamais sans mon voile
Citation
Pascal Mavrakis
Je la trouve absolument sublime... (et je crois qu'Alain sera d'accord avec moi).
goo.gl

La femme absolument sublime est donc désormais la femme sur le point d'ôter son voile.
Au-delà, c'est déjà un peu l'enfer.
Ne nous reste donc plus qu'à trouver un équivalent voilé de la naissance de Vénus; quelque chose qui ressemblerait sans doute à une caravane de chameaux franchissant une dune en forme de sein ?

Utilisateur anonyme
18 septembre 2016, 16:13   Re : Jamais sans mon voile
Voilement, dévoilement... Finalement, le hijab, c'est très heideggérien - non ?
18 septembre 2016, 19:38   Re : Jamais sans mon voile
Citation
Pascal Mavrakis
Libre ou pas je la trouve absolument sublime... (et je crois qu'Alain sera d'accord avec moi) :

[goo.gl]

Oui Pascal ; et imaginez que cette beauté ôte son voile et éploie une ondoyante chevelure de jais sur nos visages subjugués ; ça, ce serait littéralement un transfert de hantise.
18 septembre 2016, 20:31   Re : Jamais sans mon voile
Et quel transfert de hantise.

Imaginer une seconde que les cultures les plus dissemblables puissent mener au même résultat relève du plus pur fantasme humaniste, pour ne pas dire du délire le plus inepte. Il n'y a de Botticelli qu'à Florence.

Quant aux monde musulman, il s'est érigé sur le sable. C'est bien là son problème.
19 septembre 2016, 00:15   Re : Jamais sans mon voile
Il me semble que depuis quelques mois une nouvelle mode qui passe inaperçue pour la majorité des gens ou du moins n'en parle pas et: à la TV , sur les plateaux et dans les rues : le port le la barbe mal rasée ! en quelque sorte une réduction de la barbe islamique .......!..
19 septembre 2016, 10:56   Re : Jamais sans mon voile
Citation
Guy Couchard
Il me semble que depuis quelques mois une nouvelle mode qui passe inaperçue pour la majorité des gens ou du moins n'en parle pas et: à la TV , sur les plateaux et dans les rues : le port le la barbe mal rasée ! en quelque sorte une réduction de la barbe islamique .......!..

La 5, iTélé, France 2, les chaînes sportives... C'est, au sens fort du terme, hallucinant! On se croirait dans un cauchemar, avec l'impression détestable, à certaines heures, que c'est le fait même de zapper qui produit, génère, fait apparaître, l'un après l'autre, ces présentateurs à la barbe faussement négligée. Je suis certain que, bientôt, le zabiba sera très tendance et sexy.
Utilisateur anonyme
19 septembre 2016, 15:49   Re : Jamais sans mon voile
Citation
Alain Eytan
Citation
Pascal Mavrakis
Libre ou pas je la trouve absolument sublime... (et je crois qu'Alain sera d'accord avec moi) :

[goo.gl]

Oui Pascal ; et imaginez que cette beauté ôte son voile et éploie une ondoyante chevelure de jais sur nos visages subjugués ; ça, ce serait littéralement un transfert de hantise.

///

Oui Alain... Ces histoires de "liberté" et de "femme libre en soi", face à pareille beauté, qu'il faut savoir contempler comme un signe (âyât) de Dieu, ça ne tient pas la route longtemps.

(Bon là je ne vais pas me faire que des copains...)
30 septembre 2016, 01:03   Re : Jamais sans mon voile
Bergson le vénérable n'avait pas pressenti la prégnance de la hantise. Proust, si. Deleuze, en l'occurrence, très pertinent dans ce virage et l'étude des hantises, avait écrit des textes de référence sur les deux, Bergson et Proust, un peu pour les départager, comme dans un partage des eaux.

Tombé hier par hasard sur ceci, dans L'espace, le temps et le nombre qualitatifs (bien un "s" à qualitatifs) du Traité de métaphysique de Jean Wahl (1955) :

On peut rattacher dans une certaine mesure à Bergson la conception du temps chez Proust. Mais il ne faut pas laisser dans l'ombre les profondes différences qui les séparent. Il semble bien que la mémoire chez Bergson soit essentiellement représentative et intellectuelle ; la mémoire chez Proust est essentiellement affective. Plutôt qu'à Bergson, on pourrait rattacher l'expérience de Proust à une tradition qui aurait peut-être son point de départ dans la pensée de Rousseau et qui se verrait au XIXe siècle dans la "mémoire du coeur", telle que la concevait un Benjamin Constant, telle qu'un Chateaubriand la sentait. D'autre part, le but de Proust n'est qu'en partie de nous faire ressaisir la durée dans sa continuité ; sans doute dans les derniers tomes de son ouvrage, il nous montre d'une façon concrète ce vieillissement dans lequel Bergson voyait un des caractères fondamentaux du temps. Mais ce qui lui importe surtout, c'est d'accéder à une sorte d'éternité, par l'instant. Et les souvenirs ne sont plus des mélodies continues mais plutôt des lueurs discontinues dont chacune nous permet parfois de dépasser le temps.

Etre hanté, c'est l'être de ces lueurs (et leurres)
30 septembre 2016, 03:05   Re : Jamais sans mon voile
Derrida a développé une "hantologie" fascinante. Je crois que, pour ce faire, il s'était inspiré de l'oeuvre très originale et étrange des psychanalystes Nicolas Abraham et Maria Torok, une oeuvre où il est question de crypte et de fantôme. Le psychique du mélancolique pathologique, que le deuil a fait dériver vers la psychose hériterait selon ces derniers de l'inconscient du mort. Cette présence introjectée et inexpulsable les hanterait littéralement. Or en effet il n'y a pas plus hantés, obsédés, habités que les musulmans par la présence permanente, dans leur tête et dans leur cœur, de leur prophète. Un jour, au Caire, nous nous "amusions" avec mon épouse à écouter une émission de radio où des fidèles sont invités à poser librement des questions, y compris les plus absurdes, à un imam. Nous cessâmes de rire quand nous entendîmes une jeune fille visiblement très tourmentée demander s'il est acceptable ou non de penser au prophète quand on fait ses besoins.
30 septembre 2016, 03:55   Re : Jamais sans mon voile
La grande liberté, celle du grand large de Conrad, ne libère d'aucune des hantises. Conrad vécut en homme libre (marin "free-lance", s'embarquant pour où bon lui semble), comme aussi cet autre voyageur écrivain, Blaise Cendrars, autre grand hanté (par les morts de certains de ses camarades dans la Grande guerre, comme le révèleront les premiers chapitres de l'Homme foudroyé) sans repos possible, avec dans son cas, l'ajout à tous ces fantômes de celui d'un membre fantôme.

Le deuil persistant qui évolue vers la psychose rend hélas sans objet l'épreuve de la liberté.

Conrad vécut la majeure partie de sa vie, toutes ses années de littérature, dans le deuil mélancolique frisant la psychose -- il fut prit de folie après être arrivé au bout de sa rédaction de Under Western Eyes, par exemple, et fut à deux doigts de connaître l'internement d'office.

Le deuil de Conrad se révèle comme une boucle psychotique : sa dernière oeuvre, Les Frères-de-la-Côte (The Rover) est un roman qui raconte le sacrifice, le suicide, donc, d'un vieil homme, un marin Français, sur les lieux mêmes (la Grande passe de Hyères) où la jeune fiancée française de Joseph Conrad se jeta du haut d'un rocher quand il la quitta pour ne plus revenir, trente ans avant l'écriture de ce dernier roman.

Je le répète avec assurance au risque d'en irriter certains : la hantise, la lueur des morts, frappent de nullité les données kantiennes de la liberté.

Et Pierre-Jean a raison de rappeler que, bâchée ou à poil, la musulmane, hantée comme elle est, ne peut être libre.
03 octobre 2016, 20:15   Re : Jamais sans mon voile
Francis, deux petites remarques rapides : d'abord il serait intéressant de savoir pourquoi il semble à Jean Wahl "que la mémoire chez Bergson soit essentiellement représentative et intellectuelle" : autant qu'il m'en souvienne, et j'ai parcouru un peu "Matière et mémoire" pour me rafraîchir les idées, la mémoire est pour Bergson constitutive de la perception même, en ce qu'elle complète le donné sensoriel immédiat en l'interprétant — à ce titre d'ailleurs Bergson est véritablement un précurseur de la distinction moderne, psychophysique, entre sensation et perception —, ce qui veut dire que la mémoire est partie prenante et active dans le rendu le plus concret du monde, dans le présent matériel que donne à éprouver la perception : cela n'est en principe pas "intellectuel", encore que, dans un sens particulier, "représentatif" pourrait convenir...

Ensuite, je ne vois toujours pas comment "la hantise, la lueur des morts, frappent de nullité les données kantiennes de la liberté" : je ne sais pas précisément ce qu'une telle phrase veut dire en vérité, parce que cette problématique des "hantises" ne me semble tout simplement pas recouper l'acception de la liberté chez Kant : pour ce dernier, un homme presque totalement paralysé dans son lit d'hôpital, hormis la capacité de lever son petit doigt au prix d'insupportables efforts, cet homme qui trouvera néanmoins en lui la ressource de le faire pour tenter d'aider un camarade de chambrée en difficulté, sera pleinement libre : quel rapport avec vos hantises ?
04 octobre 2016, 16:29   Jamais sans mon Wahl
La lecture de ce Traité de métaphysique de Jean Wahl paru en 1955 fournit l'occasion de sonder les reins du présentisme, ainsi qu'il est convenu de désigner la manie post-moderne de la tabula rasa en politique. Or la source du présentisme y apparaît comme jaillir de la lecture sartrienne de Heidegger. C'est un peu technique, mais néamoins fascinant. Ce pan de l'oeuvre de Sartre, largement oublié ou négligé aujourd'hui, celui qui prend corps avec L'Etre et le Néant, donne la prééminence au présent sur les deux autres versants de la temporalité (alors que Heidegger accordait celle-ci à l'avenir). Cet ouvrage de Sartre, plus ou moins contemporain du séminaire de Kojève sur Hegel (auquel assista Jean Wahl), a nourri toute une génération de penseurs, puis d'activistes politiques. Le présentisme chez Sartre a trouvé à s'incarner une dizaine d'années avant sa mort (dans la France de l'après mai-68) par le compagnonnage avec ceux qu'on appelait alors les "Mao Spontex" -- spontex de spontanéité, qui est l'autre guise du présentisme. La construction européenne dont Kojève fut le hérault but à la même source de l'effacement révolutionnaire de l'histoire et du passé des nations, et du reste son héros actuel, Daniel Cohn-Bendit, personnage phare des événements de Mai 68, à qui lorsqu'on demande quel événement fut pour lui le plus marquant de ces journées, ne manque jamais de répondre "ma visite à Sartre". Sartre qui continue de faire l'admiration d'un Bernard-Henri Lévy.

Donc, la question du pour-soi, lequel pour Wahl est donné par la naissance, et de l'en-soi, qui est le domaine du passé, et qui est tout le passé, et qui fait le tout de la vie au moment de notre mort, paraît incontournable, et pour techniques que paraîssent ces considérations, son étude éclaire d'un jour nouveau l'européisme présentiste et l'interprétation sartrienne, et passablement perverse, du Dasein aujourd'hui assez bien résumée par la formule ils sont ici, ils sont d'ici d'un Badiou concernant les migrants.

Wahl propose une typologie intéressante -- toujours couchée dans une langue limpide et comme délibérément "modeste" -- des diverses approches philosophiques du temps dans laquelle s'inscrit et s'articule, nous le verrons au passage, la différence entre le passé de Proust et celui de Bergson, qui incidemment fait le sujet de la dernière intervention du sieur Eytan.

On y va ? Allez, c'est parti (je précise avant de le citer ici allez longuement, que cet ouvrage de Jean Wahl -- un pavé de 722 pages, un peu dans le goût volumique de l'Etre et le Néant, justement -- est indisponible en librairie depuis au moins trente ans et qu'on ne le trouve plus que chez les bouquinistes, à prix généralement exorbitant, souvent équivalent à celui d'un jeune chameau ou d'une mobylette d'occasion. J'entrelarderai à l'occasion ce passage de l'Espace, le temps et le nombre qualitatifs de notes miennes entre parenthèses et en petite police, prises au fil de la plume comme je le fais dans les traductions que je propose parfois sur ce forum):


L'esprit est un ensemble d'actes tendus les uns vers le passé, les autres vers l'avenir ; de rétentions et de protentions (concept husserliens, la protention comprenant l'ordre ou la visée eschatologiques). Le présent est chaque fois le produit de ces deux forces de protention et de rétention.

La théorie de Heidegger peut être sur certains points rapprochée de celle de Husserl. Elle s'en distingue par l'importance que Heidegger donne à l'avenir, qui est d'après lui la première des trois extases du temps, tandis que pour Husserl, c'est seulement à partir du présent que l'on peut concevoir l'avenir et le passé.
Pour Heidegger, comme pour Bergson, il faut aller du temps inauthentique au temps authentique.
Notre temps de tous les jours est essentiellement un temps pragmatique, ce qu'il appelle un temps pour. Les différents moments de ce temps pour sont datés "grâce à l'objet du monde environnant qui se trouve dans le rapport causal le plus proche avec la venue du jour". C'est d'après le soleil, "montre naturelle", que sera constitué ce temps ; et toutes les montres artificielles seront plus ou moins directement réglées sur cette montre naturelle.
Ce temps pour dont Aristote a donné une description prend place entre le temps originaire, antérieur à de semblables numérations, et le temps proprement scientifique, qui ne sera qu'indirectement pragmatique (la science interposant alors sa médiation à l'usage pragmatique du temps).
Le temps inauthentique est le temps de la curiosité et aussi celui de la science, en tant que celle-ci fait abstraction du contenu du temps pour n'en prendre que la forme constituée par des éléments identiques (la relation d'identité permet d'extraire et de définir des formes numérisables, dont celle du temps inauthentique des scientifiques)

Ainsi nous avons vu qu'au-dessus du temps originaire se sont construits plus ou moins artificiellement ce que Heidegger appelle le temps pour et le temps scientifique. Mais aucun de ces modes du temps, et sans doute le temps originaire non plus que les autres, ne nous donne le temps véritablement authentique. Nous n'atteindrons celui-ci qu'en tant que nous prendrons conscience que nous sommes des êtres finis et anticiperons notre mort (la finitude et la mort sont seules garantes de l'authenticité du temps, par elles il perd son caractère pragmatique, illusoire et factice). Le temps est toujours tourné vers l'avenir et consiste dans l'anticipation de cet avenir ; mais cet avenir est un avenir fermé, fermé par notre mort ; et derrière chacune de nos anticipations se profilera cette anticipation universelle de la mort. C'est par la mort, en tant que celle-ci est la possibilité de l'impossibilité (formule heideggerienne s'il en fût), que le cours du temps senti par nous prendra son sens, d'autant plus que cette possibilité de l'impossibilitéest la possibilité la plus extrême et la plus propre, la possibilité d'être réellement en face de nous-mêmes et par là de prendre sur nous mêmes notre destin.

Nous pouvons à partir de là voir l'ensemble de la constitution du temps pour Heidegger. Nous sommes nous-mêmes facticité en tant que nous sommes liés au passé, nous sommes aussi tendance vers l'avenir, et nous sommes chute dans le présent. Existence, facticité et chute, c'est-à-dire futur, passé et présent, c'est là la structure de notre moi ; c'est dire que notre moi est essentiellement souci ; car le souci, c'est précisément le fait d'être orienté vers l'avenir et conditionné par le passé (l'anticipation des risques de mort par accident, dont la mesure est conditionnée par l'acquis d'expérience, le "passé" donc, dictera par exemple ma conduite prudentielle de maintenant : mon acte de maintenant est engendré dans et par un arc tripolaire qui l'enjambe et qui ne cesse d'en engendrer de nouveaux, et je ne fais que chuter en permanence dans le fond de ce berceau de l'acte présent dont les sources parentes et qui le surplombent ek-statiquement sont ainsi toujours inactuelles)

En saisissant cette structure du temps, nous saisissons donc l'être de l'étant que nous sommes, être qui est souci ; et c'est à partir de cet horizon du souci et du temps que nous pourrons d'après Heidegger aborder le problème de l'être. Mais le temps lui-même, à proprement parler, n'est pas, et pour caractériser son existence, Heidegger nous dit qu'il se temporalise. Il est en effet une structure toujours en voie de formation qui est union de trois actes, l'acte de se diriger vers, l'acte de revenir sur, et l'acte de se laisser rencontrer par. On voit ainsi aussi en quel sens Heidegger peut dire que la structure du temps est toujours extatique ; il entend par là que le temps est toujours en fuite vis-à-vis de lui-même, toujours se dégageant de ce qui est donné (nous avons fait une "étude de cas" de ce phénomène avec la projection futurologique de Koestler "prédisant" le paysage social, technique et politique des années 1980 en 1969, nous avons vu l'image anamorphotique qu'offre cette projection, la fuite, l'échappée des "années 1980" qui font une ombre portée démesurée sur les trois décennies qui les ont suivies -- c'est parce que "les années 1980" ne sont ni une "tranche de temps" ni bien sûr une chose : elles sont elles-mêmes engenderesses de temps et ce qu'elles pouvaient contenir de projetables en 1969 c'est lui-même projeté sur l'avant, comme l'immense coulure d'une image anamorphotique visuellement considérée de l'angle très fermé de l'an 1969 -- voir ceci, en avril dernier [www.in-nocence.org]. Voir aussi ceci, sur "la chute" du temps et le temps de la chute, et accessoirement ce que Wahl appelle "la victoire d'Héraclite", un an plus tôt : [www.in-nocence.org]).

(à suivre)
04 octobre 2016, 17:53   Re : Jamais sans mon Wahl
De plus, cette conception extatique du temps nous est utile pour nous faire comprendre la formation du présent en tant que celui-ci est lié à l'espace. Le temps pour est un temps lié à un certain point de l'espace ou plutôt à un certain lieu de l'espace qui est le lieu où nous sommes, qui est ce dont l'idée et la trace se trouvent présentes dans le mot Dasein qui désigne notre existence.

On voit tous les mérites de cette philosophie du temps chez Heidegger. Mais on voit aussi une difficulté qui vient de ce que avec ces trois moment hétérogènes, marqués par de si profondes différences, nous ne voyons pas comment on pourra faire une unité. Le passé et l'avenir sont absolument différents ; et pourtant ils se réunissent dans ce troisième moment qui est le présent.
Nous voyons aussi une difficulté dans le fait que l'instant de la décision résolue nous fait en quelque sorte dépasser le temps. Dans cet instant, rappelons-le, Heidegger nous dit que, prenant conscience du caractère limité de notre vie, nous disons oui à cette vie limitée et prenons sur nous notre destin. Dès lors, nous somms en face du problème qui consisterait à savoir comment il se fait qu'il y a deux modes sous lesquels peut nous apparaître le présent, d'une part une sorte de présent mathématique dont la suite homogène formerait le temps mathématique, d'autre part l'instant des décisions, assez analogue à l'instant kierkegaardien. L'un ferait partie du temps inauthentique ; mais l'autre, tout en faisant partie du temps authentique, nous le fait dépasser.

Sartre nous présente une théorie existentielle du temps en ce sens qu'il met toujours en relation étroite le temps avec mon existence. La relation qui me lie à mon passé par exemple n'est pas une relation de possession, n'est pas une relation d'avoir ; on ne possède pas son passé, on est son passé. Ce passé n'est d'ailleurs pas quelque chose de tout fait ; en effet seuls ont un passé les être tels qu'il est question dans leur être de leur passé ; ils ont à être leur passé ; et ainsi notre passé est quelques chose que nous nous faisons à nous-mêmes.

Et cependant à tout moment, notre passé risque de nous échapper, risque de retomber dans l'en-soi ; de ce point de vue on peut définir le passé comme la totalité toujours croissante de l'en-soi que nous sommes ; de sorte que finalement à notre mort nous serons complètement transformés en en-soi. En deuxième lieu, il faut tenir compte du fait que je ne suis pas mon passé, puisque je l'étais. Nous voyons donc le caractère dialectique de ma relation avec mon passé : "j'ai à l'être pour ne pas l'être et à ne pas l'être pour l'être". Ainsi nous sommes et ne sommes pas à la fois notre passé.

Or cette relation avec le passé constitue tout ce que je peux dire ou penser de moi; je ne peux penser ou parler à mon sujet qu'au passé ; c'est toujours au passé que je suis celui que je suis. C'est il y a une seconde que j'étais mécontent ou que j'étais heureux.

Toute vie consciente doit avoir derrière soi du passé. Le pour-soi a à être son être derrière soi. C'est pourquoi le pour-soi vient au monde avec un passé; et c'est le phénomène de la naissance. La mort sera le triomphe de l'en-soi ; la naissance est le triomphe du pour-soi, mais par rapport à un en-soi antérieur. (L'héritage et le rejet de l'héritage font la dualité dialectique du pour-soi. L'animal, qui ne connaît pas sa mort ni ne prend sur lui son destin dans aucun de ses actes, ne conteste rien de l'héritage parental, d'en rejette strictement rien, son idéal est de se nourrir, d'agir et de se reproduire strictement comme ses parents, l'animal qui est tout en-soi dès la naissance est comme le fils d'André Glucksmann : tout papa/tout maman, et strictement cela ; le petit Glucksmann est comme un tout jeune ourson ou un tigron près de son père : tout héritage, pur héritage, un en-soi dès la naissance, c'est bouleversant à contempler -- où nous commençons à caresser, pas vraiment dans le sens du poil, la problématique de la liberté et de l'héritage : l'héritage en mode pour-soi, humain, disons-le mot, est tout autant acceptation que contestation d'héritage, il consiste contradictoirement à accueillir le passé pour mieux s'ériger contre lui, à s'en affranchir extatiquement, et dans cet affranchissement, à le faire entrer et à l'enfouir en soi).

Dire cela, c'est dire que le passé est ce que Sartre appelle la facticité, l'élément de fait qui grossit sans cesse dans tout ce que nous faisons.

Le présent, ce sera essentiellement pour Sartre la présence à quelque chose, ou plutôt la présence de quelque chose à moi. En effet un être existant, un pour-soi, existe toujours, d'après l'idée de Heidegger suivie ici par Sartre, hors de soi et auprès d'autre chose. Et c'est cela qui va avoir pour résultat que ce pour-soi prend conscience de lui-même comme présent.

Ici comme chez Heidegger, et d'un certain point de vue comme chez Bergson, nous voyons qu'il y a trois caractères différents pour chacun des moments du temps. Le passé est la totalité toujours croissante de l'en-soi que nous sommes (et qui finit par occuper chez l'homme la place et les fonctions de "l'instinct" chez l'animal, lequel est tout en-soi ; à savoir que, chez les humains, l'inconscient détemporalisé, fixé et séquestré dans les couches cimentées de l'en-soi, qui est l'autre nom du passé, revêt cette faculté d'agir seul et donc aussi sur nous, et dans les cas extrêmes en vient à se comporter comme si lui-même était pourvu d'un pour-soi, ce qui définit l'aliénation, la folie -- constat ou notion qui commença à affleurer à la fin du XIXe siècle en Occident avec ce que nous avons appelé "la hantise", le fait d'être hanté en quelque sorte "par l'arrière" du pour-soi conscient, ce qui, comme je l'ai avancé, bouleverse les données kantiennes de la liberté consciente ; constat et notion à l'origine du freudisme), le présent se définit par la présence, et l'avenir par le possible. D'après Sartre, aucune de ces dimensions n'a de priorité sur l'autre ; pourtant, s'il fallait choisir, c'est à partir du présent que d'après lui on pourrait mieux comprendre la structure du temps, et sur ce point il s'oppose à Heidegger qui constitue le temps à partir de l'avenir.

(à suivre)
05 octobre 2016, 03:05   Re : Jamais sans mon Wahl
Ce commentaire général à mi-parcours du texte de Wahl que je reproduis ici :

Des trois versants de la temporalité -- le passé, ordre du "factice" chez Sartre et du "nécessaire" chez Heidegger ; le présent, berceau permanent de mes actes chez Sartre, "chute" chez Heidegger et qui, chez Sartre, est le grand engendreur du temps authentique ; et le futur auquel Heidegger accorde la prééminence -- se sont dressés ces deux philosophes à parti pris politique : Heidegger avec le nazisme futurien ; Sartre avec le maoïsme jeuniste-présentiste de la Révolution Culturelle chinoise qu'il a suivi aveuglément pour ne s'arrêter que devant Pol Pot et le réel des boat-people (sous l'influence de Béni Lévy et de Glucskmann). Badiou, lui, qui a applaudi à Pol Pot en 1975, continue cette lignée avec son présentisme universaliste qui lui fait dire des migrants "ils sont ici ils sont d'ici".

Il reste le troisième pan de la temporalité, le passé, qui est le grand laissé pour compte du XXe siècle en Occident, n'ayant vu surgir pour porte-flambeau aucun penseur politique digne de ce nom qui lui eût accordé la prééminence face aux deux autres.

Alors ça vient ? Disons que oui, ça vient, lentement mais ça vient.
05 octobre 2016, 15:15   Re : Jamais sans mon voile
Doit-on s'autoriser à penser ceci ?

Que le passé fut le grand impensé du XXe siècle, son parent pauvre, son délaissé, son refoulé. La première moitié du siècle aura vu la prééminence politique du futurisme, avec le nazisme et le communisme ; la deuxième moitié celle du présentisme avec la société de consommation du "tout tout de suite", de l'instantané, et de la jeunesse qui a toujours raison, et des fondations néo-impériales molles amoureuses de la tabula rasa ; le passé quant à lui, aura connu la damnation de n'être point autre chose que de l'en-soi, on ne lui aura point accordé d'autre statut que celui de mémoire d'arrière-plan, de mémoire intemporelle et morte, agent de hantise, rôle et place que lui ont assignés la psychanalyse et le freudisme (et le jungisme avec ses archétypes immuables); en d'autres termes le passé interdit d'accès au pour-soi fut le grand refoulé politique du XXe siècle et, comme de juste, sa place associée à l'insconscient est précisément donnée dans le vocabulaire freudien comme le refoulé.

Le passé au XXe siècle c'est le refoulé total, le proscrit politique et proscrit de conscience par excellence, le fantôme innommable qui ne saura jamais faire ou prétendre à rien d'autre que de hanter les consciences des vivants absorbés tantôt dans le futur, tantôt dans le présent.
05 octobre 2016, 15:24   Re : Jamais sans mon voile
Sur la question de la tradition, et incidemment du port du voile, ceci avant de reprendre demain la lecture du Traité de Jean Wahl :

Que l'héritage d'une tradition, dans toute culture vivante n'est reçu que pour être contesté, mais cette paradoxale acceptation-contestation se solde par un geste de rejet en faveur de la tradition : ce geste est celui du renvoi de la tradition dans l'en-soi, dans l'intériorité; la tradition se perpétue ainsi en étant rejetée vers l'intérieur.

Porter le voile parce que les parents le faisaient n'est le signe d'aucune tradition vivante qui chevaucherait le pour-soi, qui serait articulée sur le fil du pour-soi. C'est une tradition sans en-soi non plus, sans arrière-plan intérieur, sans arrière-plan critique comme doit l'être la tombe de l'en-soi dans l'arrière-cour du moi. C'est une fausse tradition -- une arlequinade, le signe d'un en-soi mort, immuable et privé de l'accompagnement de la conscience, comme il l'est chez l'animal.
05 octobre 2016, 18:16   Re : Jamais sans mon voile
Jamais sans mon Wahl ?!? Ah non, écoutez, Francis... Au moins, avez-vous fini par concéder que le port du voile, chez certaines jeunes coquettes non dénuées de perversité, pouvait également être l'objet d'un choix, c'est déjà ça...

Mais je vais donc entreprendre de parcourir tout cela, bien que n'étant pas très frais ces jours (intoxication alimentaire carabinée)...
06 octobre 2016, 10:19   Re : Jamais sans mon voile
L'extrait que j'ai retenu aujourd'hui de ce même chapitre du Traité de Wahl,doit éclairer plus particulièrement ce que j'écrivais supra hier sur la négation de l'héritage, et son rejet vers l'intérieur, seule condition de perpétuation de la tradition et du sens dans le vivant.

Ce passage éclaire aussi d'un jour particulier ce phénomène propre au "migrant" des temps que nous traversons, qui, au terme d'une vie quasi tout-entière passée à s'occuper en France, ou à y tenir les murs, une fois atteint le terme de son existence spécieuse (comme certains philosophes ont pu écrire sur "le temps spécieux" dont William James ou Whitehead), ira se faire enterrer dans un carré musulman en Tunisie, en Algérie et au Maroc : ils sont ici mais Monsieur Badiou, vous vous leurrez et vous nous trompez : ils ne sont pas d'ici. Leur en-soi, leur hantise, leur regret, c'est encore l'immuable bled ; leur carré mortuaire et critique, la certitude de la mort qui doit nous faire prendre sur nous notre destin comme l'écrit Wahl, le point d'aboutissement de leur élan de vif, ce point d'arrivée aliéné à leur pour-soi, lequel en devient spécieux, irréel, c'est l'en-soi qui les hante, les possède et qui reste là-bas, c'est le bled, l'autre rive, où l'en-soi est resté arrimé et qui révèle son arrimage dans la mort.

Le colon qui ne s'avoue pas tel, et qui ne se fait jamais prier pour reprocher son "colonialisme" abusivement et fallacieusement, comme dans un jeu de lentilles inversant les images du réel, à celui-là même qui le tolère sur son sol, est celui dont la mort trahit l'appartenance et la hantise, et le caractère spécieux et non-assumé de toute une vie déroulée en porte-faux avec son être-là.

Certains (Didier Bourjon dans sa dernière vidéo) font observer non sans pertinence que la remigration a déjà cours, dans ce rapatriment des corps qui révèle où se tenait l'âme du vif pendant ses années de séjour en France : si l'âme était tout ce temps là-bas, et si le corps après la mort s'en va la rejoindre, pourquoi diable attendre la fin de vie pour opérer leur remigration conjointe ! :

Il nous faut rappeler que le temps n'est pas moins cause d'union que cause de séparation, cause de rayonnement des choses les unes sur les autres que cause de disjonction des choses les unes par rapport aux autres.

Tout être sera à la fois le même et différent, gouverné à la fois par le principe d'identité et le principe de négativité. Grâce au premier "tout être reste le même être, ... représente une idée éternelle, immuable, a une nature ou essence" ; grâce au second, un être nie ou supprime son identité avec soi-même et devient autre qu'il n'est (cf. Kojève, p. 472 -- il s'agit de la transcription du séminaire de Kojève sur Hegel, paru chez Payot). C'est en ce sens que l'on a dit que l'être réel concret n'est pas seulement être, espace et nature mais encore devenir, temps et histoire (temps et histoire font la poutre maîtresse, un élément architectonique indispensable de la maison-être). Et c'est peut-être par là que l'on pourra expliquer la conscience elle-même; car "devenir autre qu'on est, c'est prendre position vis-à-vis de soi-même" ; c'est conserver ce qu'on nie en tant que nié, c'est-à-dire en tant qu'irréel ou idéel, en tant que sens. On arrive ainsi à un être qui n'est pas seulement en-soi mais pour-soi. (voilà donc énoncé par Wahl l'essentiel de mon message sur la tradition et l'héritage : "conserver ce qu'on nie en tant que nié", rejeter la tradition au fond de soi, en faire son en-soi.)

------------------------------------------------------------ FIN -------------------------------------------------------

La liberté et la hantise : celle-là se constitue en combattant celle-ci, en la dévitalisant autant que faire se peut, en l'intimant au silence, comme on le fait à un chien de garde aux aboiements intempestifs. Tout un art. Que ces chiens infernaux reprennent leurs concerts d'aboiements dans la cage où ils se tiennent enfouis, et c'en est fait de la liberté.
Eh bien, Francis, merci pour cet effort... Cela dit je reste un peu sur ma faim : et Bergson, dans tout ça ? et pourquoi — ce qui était le motif premier de mon étonnement — sa conception de la mémoire est-elle "intellectuelle", intellectuelle dans quel sens, par rapport à quoi ?

Au risque d'ennuyer encore d'éventuels lecteurs, je donnerai en appendice un extrait de "Matière et mémoire" où Bergson expose de façon toujours claire et élégante, précise et profonde, sa conception du présent ; je trouve qu’il est en l'occurrence bien moins "intellectuel" dans son analyse que ce qui précède, car il prend toujours soin de ne nous offusquer la vue de pesantes constructions conceptuelles dans quoi on finit quand même, c’est presque inévitable, par s’emmêler un peu les pinceaux...

J'ai pour ma part quelques réserves quant à la sorte de politisation aux forceps que vous opérez à partir de motifs strictement "métaphysiques" chez ces auteurs, d'abord parce que cela me semble nuire à une juste compréhension de leur pensée (difficile par exemple de ressortir de tout cela en ayant une idée claire de la distinction entre l"en-soi" et le "pour-soi" chez Sartre), ensuite parce que cela ne convient pas à ce dont il s’agit de rendre compte, en vérité, ou de façon trop expéditive en se contentant de l’à peu près :
"Heidegger avec le nazisme futurien" de par la prééminence accordée à l’à-venir (au possible) ? Mon objection principale serait que la nazisme consacre en réalité au passé le rôle le plus essentiel dans sa propre fondation idéologique, puisqu’il s’agit d’un passé inscrit "en dur" dans les gènes, à la détermination de quoi il est absolument impossible d’échapper : toute vision du monde raciste proclame un état de fait fatal qui condamne les hommes à n’être que ce qu’ils sont en vertu d’un inné hiérarchisant dont la création et l’ordre remontent à la nuit des temps.
C’est probablement là le point de divergence fondamental qu’a relevé Françoise Dastur entre l’inaccomplissement et la "facticité" heideggeriennes, et le nazisme :
« Il en résulte, et c’est là une conséquence d’une portée considérable, que l’existence ne peut nullement être comprise comme un genre commun à une multiplicité d’êtres. C’est parce que l’être du Dasein est en réalité un avoir-à-être qu’il ne peut se comprendre lui-même comme l’exemplaire particulier d’un genre, fût-ce le genre humain, puisque celui-ci n’est nullement comparable à une espèce zoologique et ne sera jamais "accompli". Le Dasein est ainsi "à chaque fois mien", ce qui implique qu’il n’a pas de modèle auquel il aurait à se conformer, ni d’essence qu’il aurait à réaliser, mais qu’il y a, chaque fois, la contingence de l’être-jeté dans le monde à prendre en charge — ce que Heidegger nomme Faktizität der Überantwortung)… […] C’est ce qui fait qu’aucune détermination n’a pour lui (pour le Dasein) l’extériorité d’un fait de nature… ».
Alors que le nazisme n’est qu’une doctrine qui veut enfermer totalement (car c’est un totalitarisme) l’homme dans le fait de nature que constitue son appartenance génético-raciale, et ne fait que poursuivre une politique de mise à disposition de tous les moyens possibles afin d’imposer et de mettre en œuvre en la perpétuant la hiérarchisation découlant de cette appartenance.
Le "futurisme", au regard de cela ? Je crois qu’il ne consiste éventuellement que dans les moyens, point dans l’infrastructure doctrinale.

Puis, le « "présentisme"… avec la société de consommation du "tout tout de suite", de l'instantané, et de la jeunesse qui a toujours raison, et des fondations néo-impériales molles amoureuses de la tabula rasa » de Sartre ?
Il y a d’abord qu’à mon avis la table rase et la refondation du monde par le sujet est avant tout cartésienne : en ce sens c’est Descartes qui anéantit le passé, pas Sartre ; tout au plus pourrait-on dire je crois que Sartre « néantise » le passé, ce qui n’est tout de même pas du tout la même chose (je vous prie de m’excuser de ce qui va suivre, mais au moins pourra-t-on grâce à ces complications ensuite se rafraîchir les méninges en lisant Bergson): ladite néantisation consistant à transférer l’ayant existé dans le domaine de l’en-soi, comme simple, brut et bête fait déjà accompli, au regard de la conscience qui par cela même qu’elle réfléchit ce dont elle prend conscience s’en démarque, s’en distingue et le nie en tant qu’elle est par ce qu’elle n’est pas ; mode d’être de l’être doué de conscience qui est, comme chacun sait, le "pour-soi".
Or le pour-soi a absolument besoin de ce qu’il nie, de l’en-soi (donc du passé également) pour être ce qui est par ce qu’il n’est pas, par défaut, par absence, c’est pourquoi je reprends volontiers au compte de Sartre votre formule : conserver ce qu'on nie en tant que nié.
Ainsi la présence au monde de Sartre peut-elle coïncider avec l’élémentaire présentisme de la société de consommation, du seul fait accompli de l’immédiate satisfaction égoïste, sourde et aveugle, servilement et absolument inféodée à l’état de fait que constituent les choses telles qu’elles sont ?
À mon avis non, précisément parce que la condition humaine consiste pour Sartre à se défaire, se déporter continuellement de ce qui est (de l’être, de l’en-soi), à charge au contraire de supporter le très pesant fardeau de la responsabilité de faire advenir le devoir-être, marque d’une liberté qu’on peut dire indélébile.

Enfin, Francis, permettez-moi cette chute (point dans le présent) qui me vient à l’instant à l’esprit : pour Sartre, on est libre par la hantise, la hantise de l’absence d’être.
« Qu’est-ce, pour moi, que le moment présent ? Le propre du temps est de s’écouler ; le temps déjà écoulé est le passé, et nous appelons présent l’instant où il s’écoule. Mais il ne peut être question ici d’un instant mathématique. Sans doute il y a un présent idéal, purement conçu, limite indivisible qui séparerait le passé de l’avenir. Mais le présent réel, concret, vécu, celui dont je parle quand je parle de ma perception présente, celui-là occupe nécessairement une durée. Où est donc située cette durée ? Est-ce en deçà, est-ce au-delà du point mathématique que je détermine idéalement quand je pense à l’instant présent ? Il est trop évident qu’elle est en deçà et au-delà tout à la fois, et que ce que j’appelle "mon présent" empiète tout à la fois sur mon passé et sur mon avenir. Sur mon passé d’abord, car "le moment où je parle est déjà loin de moi" ; sur mon avenir ensuite, car c’est sur l’avenir que ce moment est penché, c’est à l’avenir que je tends, et si je pouvais fixer cet indivisible présent, cet élément infinitésimal de la courbe du temps, c’est la direction de l’avenir qu’il montrerait.
Il faut donc que l’état psychologique que j’appelle "mon présent" soit tout à la fois une perception du passé immédiat et une détermination de l’avenir immédiat. Or le passé immédiat, en tant que perçu, est, comme nous le verrons, sensation, puisque toute sensation traduit une très longue succession d’ébranlements élémentaires ; et l’avenir immédiat, en tant que se déterminant, est action ou mouvement.
Mon présent est donc à la fois sensation et mouvement ; et puisque mon présent forme un tout indivisé, ce mouvement doit tenir à cette sensation, la prolonger en action. D’où je conclus que mon présent consiste dans un système combiné de sensations et de mouvements. Mon présent est, par essence, sensori-moteur.
C’est dire que mon présent consiste dans la conscience que j’ai de mon corps. Étendu dans l’espace, mon corps éprouve des sensations et en même temps exécute des mouvements. Sensations et mouvements se localisant en des points déterminés de cette étendue, il ne peut y avoir, à un moment donné, qu’un seul système de mouvements et de sensations. C’est pourquoi mon présent me paraît être chose absolument déterminée, et qui tranche sur mon passé.
Placé entre la matière qui influe sur lui et la matière sur laquelle il influe, mon corps est un centre d’action, le lieu où les impressions reçues choisissent intelligemment leur voie pour se transformer en mouvements accomplis ; il représente donc bien l’état actuel de mon devenir, ce qui, dans ma durée, est en voie de formation. Plus généralement, dans cette continuité de devenir qui est la réalité même, le moment présent est constitué par la coupe quasi instantanée que notre perception pratique dans la masse en voie d’écoulement, et cette coupe est précisément ce que nous appelons le monde matériel ; notre corps en occupe le centre ; il est, de ce monde matériel, ce que nous sentons directement s’écouler ; en son état actuel consiste l’actualité de notre présent. La matière, en tant qu’étendue dans l’espace, devant se définir selon nous un présent qui recommence sans cesse, inversement notre présent est la matérialité même de notre existence, c’est-à-dire un ensemble de sensations et de mouvements, rien autre chose. »
15 octobre 2016, 12:50   Re : Jamais sans mon voile
Merci à vous de vos efforts répondant aux miens (comme le dirait un jeune premier à sa cavalière à l’issue de la dernière des danses d’un bal de débutantes), cher Alain. Je reconnais bien volontiers que la salade d’extraits de ces méditations de Jean Wahl a fini par donner trop d’importance à la chose sartrienne, qui semble en avoir obnubilé beaucoup en France dans milieu de la décennie 50. Et j’ai bien conscience d’avoir un peu oublié Bergson en route. Je n’aime pas dire d’un penseur « qu’il est dépassé » mais de Bergson je dirais qu’il est à dépasser, ce que semble s’être appliqué à faire le siècle avec lequel il a débuté des travaux (les plus importants). Son approche de la durée était une pierre indispensable à l’édifice qui, s’agissant de la théorie du temps, a bien avancé par la suite. Wahl prend la peine de rappeler que la notion d’espace-temps, qui devait connaître la fortune que l’on sait au XXe siècle, recouvre, si l’on peut dire, les constructions bergsoniennes sur la durée. Et de même, mais c’est là un domaine trop technique pour être abordé dans le cadre de cette discussion, les travaux de Heidegger sur le Dasein, lequel à mes yeux aurait eu du mal à éclore dans une époque où la notion d’espace-temps n’aurait pas été dûment forgée et établie et rendue opérante dans les sciences et la technosphère.

Cette focalisation excessive sur les concepts clés de l’ontologie sartrienne donne l’impression que c’est à partir d’elle que j’avance ces notions « politiques » sur le futurisme et le présentisme au XXe siècle, ce qui n’est pas le cas.

Ce que j’avance en la manière est on ne peut plus simple à énoncer : le premier grand pan du XXe siècle (disons jusqu’en 1945) a vu éclore et s’affirmer des thèses philosophiques et politiques tenues dans l’écheveau de l’entéléchie (Wahl use de ce terme emprunté à Aristote plus volontiers que « eschatologie »), et c’est ainsi que lorsque j’écris « nazisme futurien » il s’agit dans mon esprit du dépassement d’une doctrine hyperdéterministe (laquelle porte en avant et en toile de fond « un passé inscrit en dur dans les gènes » comme vous dites) par un projet politique qui doit mettre le présent entre parenthèses en vue de faire éclore, ou d’accoucher d’un futur projeté. La protention dans le nazisme et dans le communisme a emprunté des voies jumelles, qui sont celles de la justification de l’effusion de sang extrême comme prix à consentir pour l’accouchement d’un futur de vision et de projet. On connaît le dicton des communistes de cette époque (Staline et le Kommintern) : « on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs » (*); on a un peu perdu de vue que le 3ème Reich massacreur et faiseur d’holocauste ne concevait pas son morbide ouvrage dans des termes bien différents de ceux-là : on entama la « Shoah par balles » sans gaité de cœur particulière, on y voyait un boulot morne et sans attrait et ses exécutants paraissent n’avoir eu d’autre attitude, le plus souvent, que celle de qui exécute sa tâche « parce qu’il faut bien que quelqu’un s’y colle ». Le nihilisme des massacreurs était racheté par l’emprise d’un futur hautement désirable, dans lequel se réconcilieraient la doctrine (raciale et suprématisme) et le réel. On envoyait les gens ad padres (en surmontant son dégoût par la consommation de toutes sortes de narcotiques) dans des fosses communes sans joie particulière et seulement parce que le futur le commandait ; et on faisait de même en Russie soviétique, où on expédiait au Goulag sans plaisir, parce qu’il fallait que le présent en passe par là pour que le futur s’imposât. Donc nazisme et communismes étaient « futuriens ». Françoise Dastur a raison quand elle relève la contradiction d’Heidegger dont vous faites état, pourtant le fait que le Dasein « est en réalité un avoir-à-être » n’est pas si contradictoire avec la protention nazie telle que je vous la représente. Si bien que l’infrastructure doctrinale est elle-même touchée, contaminée par ce que vous appelez « les moyens ». Les moyens sont l’émanation d’une fin, laquelle, dans le nazisme comme dans le communisme, est portée dans la doctrine, ce qu’a amplement prouvé l’histoire du mouvement communiste où l’horreur des moyens ne cessa d’être conforme à celle des fins.

L'an 1945 marque un point de bascule. Le libéralisme vainqueur avec l’Amérique ne souffre aucun sacrifice du présent aux finalités futures, et comme de juste, on voit s’affirmer dans la société (bientôt « de consommation » puis « des loisirs ») des doctrines présentistes qui culmineront en Europe de l’Ouest avec la fin des vieux empires (le milieu des années 60, Mai 68 advenant six ans après la fin de l’Algérie française et le démantèlement général de tout l’Empire français) et qui annonceront l’effondrement prochain de l’Empire soviétique transitoire, miné par mille facteurs parmi lesquels « l’American Way of Life » et son présentisme ne furent pas des moindres.

Sartre et son « existentialisme » en furent un élément moteur en France et ailleurs, et les moyens s’alignant sur les fins, elles-mêmes étant portées par la doctrine, l’existentialisme ne tarda pas à devenir un produit, et un outil marketing, un « signe de reconnaissance » un halo d’appartenance à une doctrine-attitude diffuse dans la société de consommation naissante en France.

Pourquoi Sartre connut-il donc une telle fortune littéraire, académique et publicitaire dans cette France-là ? parce que le personnage signifiait la venue de temps nouveaux qui tourneraient le dos au futur comme mobile et horizon politiques de l’action. Les Mémoires de De Gaulle sont éclairantes : le ton change après la perte de l’Algérie, la France hormis la culture de sa « grandeur », n’a plus de vision de son avenir ; elle confie désormais son avenir aux maîtres d’intendance (Pompidou) : elle ne veut plus que la paix et le présent. On sait que De Gaulle et Pompidou vouaient à Sartre une admiration paradoxale et secrète. C’est qu’ils étaient d’accord sur l’essentiel. Sartre savait, dans les années 60, que le communisme avait échoué et qu’il était désormais évidé de tout désir de sacrifier le présent au futur. Son adhésion spectaculaire au maoïsme fut comme un défi, un chant du cygne face à un De Gaulle qu’il détestait et elle fut aussi l’occasion de tester le présentisme (le spontanéisme) et l’action d’éclat opportuniste capable de faire surgir des configurations qui établiraient, un peu magiquement, le futur dans le présent sans effusion de sang ni sacrifice. Le présentisme gaullien des années 1962 (année qui vit le sacrifice de l’avenir de 2 millions de pieds-noirs au présent d’une métropole ne rêvant que de téléviseurs et réfrigérateurs et 4CV pour tous, c'est à dire qui inversa de manière éclatante le schème du sacrifice du présent au futur) à 1968 joua au régime un tour pendable : il fut renversé par plus présentiste que lui ! Il avait nourri des « aspirations » au présent que lui-même ne pouvait satisfaire assez vite, et c’est ce phénomène que l'on a appelé Mai 68.

En 1992, se dessine une nouvelle configuration impériale en Europe continentale à la faveur de l’effondrement de l’Empire soviétique : l’Union européenne. Malheureusement pour elle, cette refondation « molle », sans exosquelette (des frontières extérieures absentes) ni endosquelette (des institutions gouvernementales uniques pour les pays qui le composent elles aussi absentes) a vu le jour dans une Europe de l’Ouest (les choses étant sensiblement différentes à l’Est) alors que celle-ci vit son histoire sous le sceau du présent. Si bien que cet empire en est mol, en mode mineur, flottant et sans vision future ferme de lui-même, sans maître ni guide, ni bien sûr, empereur. Les velléités futurantes de l'UE sont diffuses, sournoisement agencées (cf. le plan Coudenhove-Kalergi, par exemple), elles ne vont pas jusqu'à l'effusion de sang volontaire, se contentant de déplacements de populations et d'un jeu de chaises musicales entre populations de continents non européens et populations européennes autochtones. C'est immense, c'est sans précédent, mais jusqu'ici, ça ne saigne pas (enfin, pas trop, si on compare les horreurs de Nice ou de Paris à celles de la dernière guerre mondiale).

Peut-être, pour que les choses changent enfin, conviendrait-il, après être allé du futur au présent au cours du XXe siècle, envisager le salut par un retour à la prééminence du passé sous la guise de l’identité historique (et non plus génétique-futurante comme chez les nazis) et user d’elle comme d’un tremplin ou d’une connaissance de soi générique: juger le présent à cette aune et en estimer ce qu’il doit être, avant de s’attaquer à l’avenir. Ne plus tolérer le présent non point parce qu’il serait non conforme à l’avenir ou parce qu’il serait à sacrifier à ce dernier, mais parce qu’il se présente à nos yeux comme non-conforme à l’âme et à l’histoire nôtres. Telle devrait être la nouveauté de notre XXIe siècle. Telle devrait se concevoir dans notre temps, en Europe, ce que les deux derniers siècles ont désigné par le vocable « Révolution » en faisant systématiquement l'impasse sur le passé et l'en-soi qu'il fonde (aussi imparfaitement et humainement que ce soit).

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(*) A cette image triviale du stalinisme futurant fait pendant la métaphore non moins triviale chère à l'ordre présentiste libéral : on ne fait pas rentrer le dentifrice dans le tube à dentifrice quand il en est sorti, ce qui veut dire "tout part de l'état présent", le présent est le donné absolu, ce qui lui précède n'existe pas, est inconcevable et d'aucune incidence sur ce qui va être fait ou se produire. C'est le présentisme-crémaillère : le futur n'est qu'une succession, un empilement infini de maintenants sans retour possible à quelque état révolu que ce soit, et sans que ces états passés n'influent sur notre action.
On retiendra bien que cette métaphore du présentisme-crémaillère sert d'argument absolu, d'article de foi aux agents idéologiques de l'européisme : on ne peut remonter en arrière, ce qui est fait est fait, l'Europe est faite, elle ne peut être défaite, on ne peut en sortir comme le dentifrice ne peut être remis dans le tube. Le présentisme est le ciel idéologique de l'européisme institutionnel. Daniel Cohn-Bendit, personnage emblématique de l'européisme institutionnel et leader non moins emblématique de la flambée présentiste de Mai 68, et admirateur de Sartre, affectionne cette image du tube à dentifrice, comme autant les vieux staliniens futurants qui furent ses adversaires celle de l'omelette et des oeufs.

Le présentisme-crémaillère est le milieu par excellence dans lequel la technosphère s'épanouit (on crée des disposifs techniques, on prépare des expéditions sur Mars parce que l'état d'aboutissement de la science l'autorise ; on le fait parce que qu'on peut le faire) -- il est dans sa nature de s'opposer au schème paedomorphique (reculer pour mieux sauter, partout présent dans la nature et l'histoire naturelle) ; ses avancées sont linéraires et mûries dans l'état actuel des choses, techniques ou politiques, et il conduit en droite ligne, comme par une fonction linéaire du temps, au transhumanisme.
16 octobre 2016, 04:41   Re : Jamais sans mon voile
Donc, ce qui fait l'originalité, la nouveauté et la force de l'islam politique, sa force de séduction : il est à la fois passéiste et futurant.

Il est ancré dans un en-soi archaïque fièrement revendiqué en tant qu'ordre (et non en tant que donné génétique comme chez les nazis) en même temps qu'il s'emploie, par le djihad, à assassiner le présent, à le saigner par égorgement, pour faire advenir le futur plus vite.

Il a du communisme et du nazisme l'assassinat précipité du présent, le sacrifice ensanglanté de l'étant présent, la haine du présent; mais il est fort aussi de ce qui continue de nous faire défaut : la passion de soi, l'affirmation d'un immuable et immémorial en-soi.

S'il parvient à ses fins, la période présentiste européenne (1945-2001) n'aura été à l'échelle historique qu'une transition singulière entre la folie politique futurante (celle des deux grands hégélianismes politiques qui se sont effondrés pour l'un en 1945 avec le troisième Reich, pour l'autre en 1991 avec l'Union soviétique) et le triomphe du passé par islamisation du présent européen dans les années que nous vivons.

Au fond, entre les islamistes et nous, l'enjeu de la confrontation est le passé. Lequel des deux va s'imposer dans le futur (et au futur), leur passé-identité ou le nôtre ? Le futur se forgera en opérant un choix entre deux visions, non pas de lui-même mais du passé. Le passé le plus fort et le plus valorisable gagnera la guerre.
16 octobre 2016, 11:53   Re : Jamais sans mon voile
Donc la grille chronologique des cent dernières années (1917-2017), s'agissant de la philosophie rendue à la praxis politique en terre européenne, aura été la suivante :

1. Deux futurisme protensifs d'inspiration hegelienne s'affrontent à mort (1917-1945)
2. L'un vainc l'autre (Urss abat le Troisième Reich) en 1945, mais avec l'aide du présentisme libéral venu d'outre-Atlantique
3. Le vainqueur du grand combat des hegelianismes entre en crise et se meurt peu à peu (le présentisme post-deuxième guerre mondiale ayant incontestablement une part dans cet étiolement et cette mort, et du reste, celui-ci n'a pas hésité pour précipiter cette fin à s'allier militairement aux djihadistes afghans dès 1979) (1945-1991) ;
4. En Europe de l'Ouest (1945-1992) le présentisme s'affirme et s'impose -- trois moments forts jalonnent cette évolution : la Libération de 1945 ; la perte des empires et mai 68 en France ; la fondation de l'Union européenne en 1992;
5. En 1992, l'Union européenne présentiste se fonde à l'heure où expire le futurisme protensif (fin de l'Urss) qui avait été le vainqueur de la première phase, celle des affrontements entre grands futurants ;
6. De 1992 à 2001, l'Empire mol présentiste ayant mené une guerre par procuration dans les Balkans, il s'étale comme une tâche de graisse sur l'Europe. Il est à peu près sans concurrent et se figure que la fin de l'histoire lui est désormais acquise.
7. 2001-2017 l'islam de combat et de conquête fait irruption : il est anti-présentiste et archéo-futurant (le futur qu'il envisage est celui de l'instauration d'un ordre archaïque) ; son millénarisme est religieux-identitaire et eschatologique. Il se met en devoir d'affronter et d'abattre le présentisme qui s'était figuré d'avoir atteint la fin de l'histoire, dans laquelle il s'était mollement installé;
8. De cet affrontement surgit une vision du combat, de l'histoire et de l'avenir que l'on attend : cette vision devra dépasser et enterrer le présentisme comme celui-ci avait enterré le futurisme protensif des premières décennies du XXe siècle. Cette vision du futur devra s'arc-bouter sur le passé et l'identité historique afin d'opérer un rejet positif du présent. Ce sera très difficile. Mais ce sera ça ou l'esclavage.
17 octobre 2016, 14:46   Re : Jamais sans mon voile
Concernant le caractère supposément dépassable de Bergson : je ne vois pas a priori en quoi la notion d'espace-temps constituerait une "avancée" par rapport à la durée bergsonienne, j'ai peut-être naïvement plutôt tendance à penser que c'est la première qui d'emblée confirme la critique de Bergson relative à la réduction de la durée, "temps intérieur vécu", au temps quantifiable des physiciens, réalisant irrésistiblement selon lui une projection de la dimension temporelle propre dans l'espace : l'"espace-temps" n'est en réalité qu'une modélisation mathématique dont les quatre coordonnées constitutives sont des grandeurs calculables, dont le temps qui devient, comme les trois autres, une mesure de distance ("ct" qui représente la variable "temps" dans un continuum d'espace-temps indique le temps que met la lumière à parcourir une distance donnée).
Je soupçonne que nombre de ceux qui prétendent dissoudre l'intuition temporelle de Bergson dans la modélisation objective d'un temps numérisable comme "multiplicité distincte" n'ont tout simplement pas compris précisément quel est le sens de la "durée" bergsonienne au regard du "temps homogène" ; j'ai peine à croire que ce soit le cas de Wahl, qui a tout de même été l'élève de Bergson, non ?...

Pour passionnants que puissent être les "travaux sur le Dasein", je ne vois pas vraiment non plus en quoi ils "dépasseraient" les analyses de Bergson relatives au temps et à la conscience, faisant déjà du corps percevant (on peut je crois parler à cet égard de "corps propre") l'axe, le "centre d'action" de toute présence au monde, en tant qu'elle est temporelle et réflexive.
Je fais pour ma part miennes complètement ces quelques remarques préliminaires de l'introduction de "La Structure du comportement" de Merleau-Ponty", aussi me contenterai-je de les recopier :

« Pourtant, il faut bien dire que les auteurs les plus résolus à égaler existence et être au monde ont le plus souvent négligé ou esquivé de nous décrire ce mixte qu'est la conscience humaine.
Heidegger se place toujours à un niveau de complexité qui permet d'imaginer résolu le problème qui nous occupe. Car c'est au stade de la perception et du sensible qu'il doit recevoir son traitement décisif. Or, les projets qui, selon Sein und Zeit, engendrent pour nous l'intelligibilité du réel, présupposent déjà que le sujet de l'existence quotidienne lève le bras puisqu'il cloue et forge, dirige son regard puisqu'il consulte sa montre, s'oriente puisqu'il roule en voiture. Qu'un existant humain puisse s’acquitter de ces différentes tâches ne soulève aucune difficulté, dès lors qu'on a jugé "évidentes" sa capacité d'agir et de mouvoir son corps, sa faculté de percevoir.
On n'a jamais fini de traquer les évidences du sens commun et le lecteur de Heidegger s'aperçoit trop tard que l'acuité minutieuse déployée par l'auteur dans la description du monde que nous projetons a eu pour contrepartie une totale négligence du monde qui pour nous est "toujours-déjà-là".
Et c'est bien dans celui-ci que surgit la paradoxale structure d'une existence consciente, d'une existence qui se fait chose en surplombant la chose... »
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