«
Au fait, que diable voulez-vous que puisse rêver, aujourd’hui, un adolescent que les disciplines modernes exaspèrent et que l’abjection commerciale fait vomir ? Les croisades ne sont plus, ni les nobles aventures lointaines d’aucune sorte. Le globe entier est devenu raisonnable»
Ainsi s’exprimait l’infréquentable Léon Bloy dans «
Le Désespéré ». Cri du cœur apprécié de maints «
néoréacs » qui devront bien convenir qu’en son temps, le socialisme utopique de Charles Fourier s’élevait tout aussi véhémentement contre le Bourgeois.
Le jeune Charles Fourier, bien que fils d’un marchand de draps de Besançon, avait en effet si peu la fibre commerciale qu’ainsi qu’Hannibal pour Rome, il avait fait un serment de haine éternelle au commerce. Puis il s’était empressé de dénoncer un dix-neuvième siècle «
tout entier à l’agiotage et à la soif de l’or », et de vitupérer contre un siècle maudit où «
la morale du divin Sénèque et du divin Diogène » - lesquelles prêchaient le mépris des richesses perfides – avaient été détrônées au profit du culte du veau d’or.
Cet utopiste alla même jusqu’à concevoir les plans de son phalanstère, sorte de refuge contre l’embourgeoisement du monde qui n’eût pas déplu au Caïn Marchenoir du Désespéré.
Le phalanstère devait être une sorte de palais habité par une phalange industrielle, ou, si l'on préfère, de monastère dédié au travail, et où l'on devait trouver, comme dans les abbayes cisterciennes, un grand domaine dédié aux activités d'horticulture, une grande pièce de parade, un promenoir, un jardin d'hiver planté d'arbres, des cours intérieures avec jets d'eau et bassin, de grands ateliers où l'on pût produire en commun, des salles d'études, une bibliothèque et une église …
Certes, Caïn Marchenoir, dans pareil phalanstère, se fût consacré à l’art, «
un art proscrit, il est vrai ».
Un art «
catacombal ». Mais surtout un art «
unique refuge pour quelques âmes altissimes condamnées à traîner leur souffrante carcasse dans les charogneux carrefours du monde ».
Quid des jeunes gens du vingt-et-unième siècle ? Certes, l’on sent chez certains un regain d’intérêt pour la critique de la course à l’argent : le «
golden boy » de Wall Street et son âme en breloque fait de moins en moins rêver ; la croissance infinie, grande mystification moderne, trompe de moins en moins de monde ; et surtout, les eaux glacées du calcul égoïste n’attirent plus personne.