Le temps offre ses relectures, dans tous les sens du terme :
« […] nous assistons à une contamination de l’utopie par l’apocalypse : la « nouvelle terre » qu’on nous annonce affecte de plus en plus la figure d’un nouvel enfer. Mais, cet enfer, nous l’attendons, nous nous faisons même un devoir d’en précipiter la venue. Les deux genres, l’utopique et l’apocalyptique, qui nous apparaissaient si dissemblables, c’est le mérite de notre temps de les avoir rapprochés ; ils s’interpénètrent, ils déteignent l’un sur l’autre, pour en former un troisième, merveilleusement apte à refléter la sorte de réalité qui sera la nôtre, qui l’est déjà. Le désarroi, à ce stade, devient consolation et promesse ; il prend des proportions cosmiques, il nous élève et nous transfigure. Le mécanisme du paradis futur est démasqué ; nous en connaissons l’horreur, et l’acceptons. Sans aller aussi loin que ce philosophe qui prétendait « amnistier l’histoire à tous les points de sa durée », nous dirons néanmoins aux événements un oui, un oui correct et sans illusion. Ce sera notre manière d’être
irréprochables devant la fatalité. »
E.-M. Cioran in
Nouvelle Revue Française (Juillet 1958)
