J'ai les mêmes souvenirs que vous de Singer. Qui est moins désagréable que l'autre, et surtout que l'insupportable Philip Roth.
J'ai commencé à m'intéresser à Dylan quand je lisais
Moby Dick de Melville. Une de ses vieilles chansons (Dylan
a commencé par être vieux, à 21 ans, il avait la maturité apparente et la voix d'un vieux bluesman), je crois que c'est
Bob Dylan's 115th Dream (http://bobdylan.com/songs/bob-dylans-115th-dream/) qui est un récit un peu "frappadingue" (attention je ne dis pas "décalé") burlesque et truculent qui est truffé de référence à
Moby Dick et aux "mythes fondateurs de la nation américaine".
Ce que les Français ne comprennent pas et à l'évidence ne veulent pas entendre, c'est que Dylan, bien que juif lui aussi (Robert Zimmermann) n'est pas
juif-américain à la manière du gentil et très anecdotique Singer. Il est
all-american, il plaît aux gens en Amérique et dans le monde parce qu'il reprend à son compte en quelque sorte la totalité de la nation et de l'âme du pays. Du dernier des ploucs du Midwest aux universités de la côte Est, tout ce qui est américain reconnaît dans cette oeuvre et dans ce personnage insaisissable, traversé d'immenses contradictions, l'âme même du pays. On a souvent dit de lui qu'il était "la voix d'une génération" quand en vérité, et le passage des ans aidant, il se révèle comme étant la voix d'un pays
et d'un peuple historié.
Ceci m'amène à relever cette contradiction : dans un cercle de pensée tel qu'il s'exprime ici, on s'étonne de voir ainsi dégradé et dévalorisé avec des manifestations d'un snobisme de pacotille et si caricatural qu'on en vient à se demander si on n'a pas affaire à une forme de second dégré chez certains, un poète qui a fini (54 ans de carrière, et des centaines de chansons, la plupart "à texte", ce n'est tout de même pas rien) par
incarner son pays, pour le dire vite, ce qui devrait être aux yeux de tous ceux qui ont le patriotisme pour souci premier, une position très enviable et une source d'honneurs pour qui peut y prétendre. Dylan est tout sauf désincarné, il est l'emblème incarné d'une langue et d'une psyché nationales, il est justement le contraire de l'homme remplaçable. Et du reste chacun s'accorde, du moins ceux qui sont un peu familiers avec cette oeuvre, pour constater que l'artiste et auteur-compositeur n'a pas de successeur.
Lui coller sur le front l'étiquette "dictature de la petite bourgeoisie" est si atterrant que je ne parviens pas croire qu'il y ait là autre chose qu'une facétie de plus et un jeu d'attitudes et de clins d'oeil de soi-même à soi-même, pour ne pas dire d'enfermement systématique et de rejet de tout ce qui n'a pas l'habit.
Bon sang, mais comment faut-il leur faire entendre que les aèdes étaient des joueurs de guitare !