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In-nocent quand même

Envoyé par Thierry Noroit 
14 octobre 2016, 13:42   In-nocent quand même
Et voilà, mes deux idoles brocardées en même temps par Renaud Camus dans un de ses tout récents tweets :

Le Nobel à Bob Dylan c’est vraiment le sacre culturel de la DPB, encore plus triomphal que le fameux “ce midi” de Mme @OliviaGesbert .

J'encaisse. Il faut une opposition interne. Voire une petite bourgeoisie qui relève la tête, ici-même. Ah, mais !

Au demeurant, Renaud Camus admettra peut-être :

- que Bob Dylan vaut mieux que n'importe quel romancier "moyen", au surplus engagé et bien-pensant, tiers-mondiste
tant qu'on y est, dont regorge la liste des Nobel de littérature ;

- qu'Olivia Gesbert, en dehors de son "ce midi" éliminatoire et fatal, a une voix bien posée, nuancée, adulte, pleine
d'autorité, qu'elle dispose d'un large vocabulaire et use d'une syntaxe impeccable - déplaçons-la à un autre horaire
que la mi-journée et elle n'aura plus que des qualités. Non ?
14 octobre 2016, 17:06   Re : In-nocent quand même
Mouais. L'académie Nobel a récompensé deux écrivains américains dans les années 70, Saul Below et Isaac Bachevis Singer. Je me suis, à l'époque "forcé" de lire aux moins deux titres de ces auteurs, que j'ai trouvé à peu près sans intérêt et dont la prose plate (en traduction, il est vrai) s'est révélée d'un ennui mortel. Je donnerais sans hésitation le Don de Humbolt du premier, interminable roman qui se voulait "comique" et qui ne va nulle part, qui ne m'a ni séduit ni diverti, et Ennemies du second qui ne m'a laissé aucun souvenir impérissable, pour l'album Blonde On Blonde de Dylan.

Mais il faut dire que ces deux auteurs, au moins, ne relèvent pas de la DPB. Ouf ! On respire. Rien à reprocher à l'académie Nobel par conséquent, d'avoir distingué ces deux-là : puisqu'ils ne jouent pas de la guitare, ils doivent être de bons littérateurs et pas petits bourgeois du tout du tout.
14 octobre 2016, 18:44   Re : In-nocent quand même
Comme il paraît que c'est Below qui entreprit de traduire Singer en anglais, cela tombe bien.
J'ai souvenir pourtant d'avoir lu avec un certain plaisir les nouvelles de Singer, surtout les nouvelles "américaines" où il croquait avec vivacité et tendresse le petit milieu de juifs fraîchement débarqués du Yiddishland en pleine essoreuse new-yorkaise, éperdus et totalement largués, ainsi que les nouvelles relatant sa vie de jeune intellectuel juif dans le Varsovie des années vingt ; il est vrai que j'avais trouvé les récits versant trop franchement dans le folklore shtetlique mystico-surnaturel un peu éprouvants... Il n'empêche que c'était un chroniqueur assez fin quand il laissait tomber les gros sabots et chaussait des souliers de ville, et, peut-être n'est-ce pas une qualité esthétique en premier lieu, mais tant pis, très attachant par une espèce de gentillesse bienveillante qui suintait dans ses nouvelles pour les êtres de toutes espèces, notamment les petites souris qui venaient furtivement la nuit grignoter ses livres de Kant.
Mais j'étais jeune et tendre quand j'avais lu ça...
14 octobre 2016, 19:19   Re : In-nocent quand même
J'ai les mêmes souvenirs que vous de Singer. Qui est moins désagréable que l'autre, et surtout que l'insupportable Philip Roth.

J'ai commencé à m'intéresser à Dylan quand je lisais Moby Dick de Melville. Une de ses vieilles chansons (Dylan a commencé par être vieux, à 21 ans, il avait la maturité apparente et la voix d'un vieux bluesman), je crois que c'est Bob Dylan's 115th Dream (http://bobdylan.com/songs/bob-dylans-115th-dream/) qui est un récit un peu "frappadingue" (attention je ne dis pas "décalé") burlesque et truculent qui est truffé de référence à Moby Dick et aux "mythes fondateurs de la nation américaine".
Ce que les Français ne comprennent pas et à l'évidence ne veulent pas entendre, c'est que Dylan, bien que juif lui aussi (Robert Zimmermann) n'est pas juif-américain à la manière du gentil et très anecdotique Singer. Il est all-american, il plaît aux gens en Amérique et dans le monde parce qu'il reprend à son compte en quelque sorte la totalité de la nation et de l'âme du pays. Du dernier des ploucs du Midwest aux universités de la côte Est, tout ce qui est américain reconnaît dans cette oeuvre et dans ce personnage insaisissable, traversé d'immenses contradictions, l'âme même du pays. On a souvent dit de lui qu'il était "la voix d'une génération" quand en vérité, et le passage des ans aidant, il se révèle comme étant la voix d'un pays et d'un peuple historié.

Ceci m'amène à relever cette contradiction : dans un cercle de pensée tel qu'il s'exprime ici, on s'étonne de voir ainsi dégradé et dévalorisé avec des manifestations d'un snobisme de pacotille et si caricatural qu'on en vient à se demander si on n'a pas affaire à une forme de second dégré chez certains, un poète qui a fini (54 ans de carrière, et des centaines de chansons, la plupart "à texte", ce n'est tout de même pas rien) par incarner son pays, pour le dire vite, ce qui devrait être aux yeux de tous ceux qui ont le patriotisme pour souci premier, une position très enviable et une source d'honneurs pour qui peut y prétendre. Dylan est tout sauf désincarné, il est l'emblème incarné d'une langue et d'une psyché nationales, il est justement le contraire de l'homme remplaçable. Et du reste chacun s'accorde, du moins ceux qui sont un peu familiers avec cette oeuvre, pour constater que l'artiste et auteur-compositeur n'a pas de successeur.

Lui coller sur le front l'étiquette "dictature de la petite bourgeoisie" est si atterrant que je ne parviens pas croire qu'il y ait là autre chose qu'une facétie de plus et un jeu d'attitudes et de clins d'oeil de soi-même à soi-même, pour ne pas dire d'enfermement systématique et de rejet de tout ce qui n'a pas l'habit.

Bon sang, mais comment faut-il leur faire entendre que les aèdes étaient des joueurs de guitare !
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