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Le pessimisme à tout va

Envoyé par Daniel Teyssier 
18 mars 2017, 09:18   Le pessimisme à tout va
Je ne veux faire aucune concession à mes lecteurs, je ne veux pas jouer à mon propre jeu pour leur faire plaisir. L'avantage de n'avoir pas eu de succès est de pouvoir poursuivre introublé son chemin, de n'être pas arrêté en route par des appels ou des récriminations. On ne trahit personne, sauf ces quelques lecteurs qui ne veulent ou ne peuvent vous suivre, qui se sont fixés à une certaine image de vous, dont ils n'entendent pas se séparer. Avançons sans eux. D'ailleurs j'aurais honte d'avoir une clientèle. Le disciple est mon cauchemar. Je ne pardonnerais pas à ceux qui m'imiteraient. J'aime mieux un ennemi qu'un compagnon.
Et ce que je déteste par-dessus tout, c'est de me reconnaître et de me retrouver dans quelqu'un.

La lâcheté rend subtil.

Être un tyran sans emploi.

Mon idéal d'écriture : faire taire à tout jamais le poète qu'on recèle en soi ; liquider ses derniers vestiges de lyrisme ; aller à contre-courant de ce qu'on est, trahir ses inspirations ; piétiner ses élans et jusqu'à ses grimaces.

Tout relent de poésie empoisonne la prose et la rend irrespirable.

Toute ma vie j'ai voué un culte aux grands tyrans empêtrés dans le sang et le remords.
Je me suis fourvoyé dans les Lettres par impossibilité de tuer ou de me tuer. Cette incapacité, cette lâcheté seule a fait de moi un scribe.

Le fond du désespoir est le doute sur soi.

Il faut, pour écrire, un minimum d'intérêt aux choses ; il faut encore croire qu'elles puissent être happées ou du moins effleurées par les mots. Je n'ai plus ni cet intérêt, ni cette croyance...

J'ai trop lu... La lecture a dévoré ma pensée. Quand je lis, j'ai l'impression de "faire" quelque-chose, de me justifier vis-à-vis de la "société", d'avoir un emploi, d'échapper à la honte d'être un oisif, un homme inutile et inutilisable.

Aucune espèce d'originalité littéraire n'est encore possible tant qu'on respecte la syntaxe. Il faut broyer la phrase, si on veut en tirer quelque-chose.

Rien ne stérilise tant un écrivain que la poursuite de la perfection. Pour produire, il faut se laisser aller à sa nature, s'abandonner, écouter ses voix..., éliminer la censure de l'ironie ou du bon goût...

Plus un écrivain est original, plus il risque de dater et d'ennuyer : dès qu'on s'habitue à ses trucs, il est fini. La vraie originalité est inconsciente de ses moyens et il faut qu'un auteur soit porté par son talent ; au lieu de le diriger et de l'exploiter.
Un esprit ingénieux fait son talent, c'est-à-dire qu'il l'invente. N'est-ce pas là la définition du littérateur ?

C'est un défaut d'élocution, mes balbutiements, ma façon saccadée de parler, mon art de bredouiller, et surtout l'obsession cuisante de mon accent, qui m'ont poussé, par réaction, à soigner mon style en français, et à me rendre quelque peu digne d'une langue que je massacre, par la parole, tous les jours...

Eussè-je parlé comme les indigènes, que je ne me serais jamais ingénié au bien-écrire, et à tout ce que la recherche stylistique comporte de coquetteries et de vaines subtilités.
Le secret d'une habilité réside dans un défaut plus ou moins clandestin.

Ecrire, quelle déchéance !

Je n'ai jamais émis des idées, j'ai toujours été possédé par elles. Quand je crois en concevoir une, c'est elle qui me tient et m'asservit.

Il est aussi difficile de supporter l'anonymat que la notoriété , quand on a le malheur d'être un écrivain.

Il n'y a rien qui ressemble tant au néant que la gloire à Paris ! Dire que j'ai aspiré à ça ! J'en suis pour toujours guéri. Et c'est le seul vrai progrès dont je puisse me féliciter après tant d'années de tâtonnements, d'échecs, et de désir. Travailler en vue de l'anonymat, m'évertuer à m'effacer, cultiver l'ombre et l'obscurité, mon seul propos. Retour aux ermites ! Me créer une solitude, élaborer dans l'âme un couvent aves les restes d'ambition et d'orgueil que je possède.

Quand j'écris, dès que je cesse d'attaquer et de maudire, je m'ennuie et abandonne la plume.
Parfois je me demande si, en dehors de mes frénésies, j'existe réellement. Qu'elles me quittent, et je végète et me traîne comme une loque.

Nous ne sentons vraiment que nous avons une âme que lorsque nous écoutons de la musique.

Plus je me sens vidé intérieurement, plus me passionnent les questions de langage. L'écrivain indifférent à tout, incurieux et épuisé finit en grammairien. Dénouement insignifiant et honorable ; la médiocrité après l'excès et les cris.

Par peur d'être quelconque, j'ai fini par n'être rien.

Ecrire, ce n'est pas penser, c'est une grimace ou, au mieux, une imitation de la pensée.

X fait profession d'être profond. Il n'est pas le seul. On ressent un certain plaisir à paraître superficiel aux yeux de cette sorte de gens.

Je me suis empêtré dans les mots, comme d'autres dans les affaires.

Cioran
Ecrire, ce n'est pas penser, c'est une grimace ou, au mieux, une imitation de la pensée.

Hélas.

Coucher sa pensée par écrit est évidemment chose impossible. C'est autre chose qui se couche alors, par exemple, le soleil de sa pensée sur l'horizon des choses à dire, ou son éclipse qui advient par le masque de l'écriture.

Le recours contre ce malheur serait de laisser l'écrit penser tout seul, dans la nuit de toute pensée. Il en ressort des monstres menaçant enfantés sous la lune, qui hantent le penseur ne reconnaissant en eux aucun des siens, ni rien de soi. Et qui ne sait plus trop qu'en penser, et qui n'ose plus ni penser ni écrire. Mais qui pense pourtant et qui, connaissant la peur de rentrer en lui, par précaution, ne pense plus qu'en dehors de soi, en garde contre lui-même et sevré d'écriture.
Oui Francis. C'est, bien sûr, à devenir fou ! A attraper un tour de rein de l'esprit.
Mais, grosso modo, bien qu'ils aient nécessairement une part de vérité, je ne partage pas ces aphorismes de Cioran, lesquels, qui plus est, sont exprimés le plus souvent sous forme de sentences définitives. Surtout ceux concernant le style en littérature.
Léautaud aussi, quoiqu'il en ait bien, se méfiait diablement du style, de ces coquetteries et autres ornements rococo, emphatiques, ampoulés, boursouflés, de tous les trucages possibles.
Le principal grief qui lui est fait (au style) étant celui d'insincérité, de fausseté, d'affectation exagérée.
Mais tout ce qui relève de l'Art, de la poésie, n'a-t-il pas trait, forcément, avec le théâtre, la mise en scène, l'apparence, l'enivrement des sens, l'extase, la volupté, le vertige, la magie ?
En outre, de nos jours, la plupart de nos contemporains, y compris ceux faisant profession d'écrivains, ne sont pas vraiment menacés du risque touchant le beau style. Car pour en être menacé encore faudrait-il en avoir !
Ces critiques du beau style ne risquent-elles pas, plutôt, de conforter, de rassurer, de soulager, d'encourager, et même aussi de valoriser, tous ceux qui n'en ont pas une once, et ainsi, de leur ôter toute lucidité sur la qualité de leur oeuvre, de les conduire à se méprendre sur eux-mêmes, à s'aveugler totalement sur soi et sa soi-disant(e) originalité.
Est-on plus sincère, plus Vrai, quand on manque de style ou même de mots ? La sincérité passe-t-elle nécessairement par le cri, par la pauvreté linguistique, par une simple éjaculation spontanée sans aucune maîtrise de rien ?
Quel nihilisme à l'oeuvre !
Le style c'est aussi, beaucoup, ce que l'homme ne sait pas faire. Le style d'abord et avant tout signe son autodidacte. Chopin avait du style. Té pardi. Van Gogh, qui n'avait pas appris, avait du style.

C'est une maladresse et une carence surmontées à la force du poignet, ou des mains ou de la plume, qui prolonge le poignet, le coude, vous savez, là c'est que se fait l'huile du même nom.

Les petits universitaires bien appris, n'ont jamais de style, et pour cause.

Le style est un point dur dans la direction, celle de la main et peut-être aussi, sur certains points, celle de la tête.
21 mars 2017, 15:10   La tentative d'exister
Que le style soit la marque distinctive du dilettantisme se reprenant est une riche idée, Francis, et d'ailleurs, hormis certaine utilité purement de circonstance, les "professionnels" parfaitement réglés sur les situations en règle générale nous emmerdent, ou, comme dirait BB, ils nous cassent les burnes...
21 mars 2017, 16:10   Du paradoxe des pessimistes
J'ai souvent constaté que les meilleurs auteurs pessimistes étaient plaisants à lire, agréables à fréquenter, intellectuellement du moins, et surtout qu'ils avaient beaucoup d'humour, jusqu'à en être franchement amusants, et pis que tout, qu'ils étaient sacrément roboratifs : quand Leopardi assène lourdement que Tout est mal, puis déroule implacablement sa noire diatribe contre le fait même d'exister, et qu'il y ait de l'être, ou qu'il décrit froidement dans le détail le massacre généralisé de tout contre tout ayant constamment lieu dans un jardin soleilleux en apparence si aimable, c'est à hurler de rire...
Aussi le plaisir que distillent ces atrabilaires est contre-productif à leurs propres thèses, puisque qu'il fouette le sang en réalité, conforte et prolonge l'élan vital qui se nourrit de la satisfaction réjouie qu'on prend à les lire, ce qui mine terriblement les plus solides déterminations à se tirer une balle dans la tête.
Un pessimiste conséquent devrait être aussi pénible à lire qu'est l'existence à vivre, d'un chiant d'encre, comme le sont d'ailleurs souvent les optimistes les plus enjoués...
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