On peut évidemment tout imaginer. Mais les objections à une possibilité de conscience chez les robots sont écrasantes. Le robot est insensible à la durée, qui n'est pas celle des minuteurs. Je veux parler de la durée intérieure engendrante de lassitude, de désintérêt, de dissipation de l'attention et de perturbations passagères, de fonctionnement général sub-optimal. L'humain est sujet à cela, à l'émoussement de sa conscience par la fatigue et le désintérêt croissant. Il corrige cela par des moyens autonomes : le sommeil, le divertissement, le sexe, les libations (ces deux dernières activités étant moins "autonomes" que celles-là), les jeux, le sport.
J'étais jeune encore quand j'achetai une voiture d'occasion, ce devait être au tournant des années 80. Son propriétaire me fit faire un petit tour à bord. Je remarquai un petit "problème" à la pédale d'embrayage. Il me rassura dans des termes étranges, sans que je sache encore s'il me "chambrait" ou s'il croyait sincèrement à son argument :
elle a de temps en temps ce petit défaut mais elle s'auto-répare.
Qu'entendait-il par là ? que ce petit dysfonctionnement était si bénin et si épisodique que, métonymiquement, on pouvait dire de l'automobile qu'elle s'auto-réparait, comme un humain par le repos ou le sommeil nocturne ? ou bien que véritablement, et non plus métonymiquement, l'engin se resaisissait
consciemment, se mettait en devoir de réparer le dysfonctionnement. L'ambiguïté était là, et elle y demeure. Mais la réalité des choses est autre : l'auto-maintenance, déjà si difficile chez les humains âgés qu'il faut présenter régulièrement au médecin (et qui de ce fait ont déjà "perdu leur autonomie auto-réparatrice"), n'est guère concevable chez la chose artificielle. Celle-ci ne dispose pas des moyens et mécanismes de s'auto-entretenir (par le divertissement, les changements d'activités --
je me repose d'une activité dans une autre disait Cocteau -- le sommeil, un peu de gymnastique, des choix alimentaires raisonnés, etc.).
Pourquoi le robot ne dispose-t-il pas de ces moyens ? pour des raisons qui jusqu'à présent ont été d'ordre extérieur à la technosphère et qui ont trait à l'économie des sociétés humaines, qui doit assurer des emplois, de l'activité et par conséquent disposer d'une main-d'oeuvre qualifiée à qui on confiera la maintenance extérieure du robot (extérieure au robot).
La question de la lassitude dans la durée, celle qu'engendre la répétition des tâches,
est un point fort de la constitution humaine puisque l'évolution (à supposer que ce soit elle), pour compenser cet apparente faiblesse, a doté l'humain de dispositifs internes et donc autonomes destinés à la corriger ; or ce sont ces dispositifs (le sommeil, le jeu, le repos, le loisir) qui prolongent la durée de vie et de fonctionnement
autonome des humains.
Donc, l'émergence chez l'homme de la lassitude, sa sensibilité interne à la durée, durée qui participe à l'émergence et à la définition de la conscience (Bergson), loin d'être des faiblesses, sont à l'origine du ressort que fournissent des dispositifs autonomes d'entretien et qui a pour effet de retarder la mort du sujet d'une part, et lui donne le temps de contourner l'offensive de connerie brutale du robot compétiteur, obsédé et infatigable, d'autre part. Le robot se fatigue moins vite que l'homme mais il périra plus tôt, au terme d'une vie comparativement brève et comparativement dépendante. C'est là un atout humain considérable dans le championnat qui doit opposer l'espèce à sa créature.
Pas de conscience possible chez le robot car pas de sensibilité interne
et physique à la durée, absence caractéristique chez toute créature mécanique inlassable, fût-elle multitâches.