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La vérité scientifique n'est jamais qu'une représentation dominante du monde et du faire des hommes. La réussite de la technique illustre la domination d'un discours sur le réel, elle n'enterine aucune vérité exclusiviste
On dirait presque du Feyerabend, Francis... Franchement, je n'y crois pas une seconde.
Qu'on se serve de la "vérité" scientifique pour établir sa domination, évidemment, et ce n'est pas étonnant : mais c'est bien parce que cette vérité est bel et bien universelle, c'est-à-dire applicable partout et par tous avec les mêmes résultats, qu'elle constitue un moyen si redoutablement efficace de domination.
Il me semble que vous confondez la volonté de domination avec son moyen, en l'occurrence le corpus de savoirs constituant les sciences, et les techniques qu'il permet : si le moyen n'était pas si opératoire par quiconque le mettrait en œuvre, il ne permettrait d'asseoir aucune domination, cela semble évident, parce que la seule volonté n'y suffirait pas.
Aussi je formulerais de façon exactement contraire votre proposition : c'est bien parce que les sciences et les techniques illustrent de façon si spectaculaire la domination sur le réel, que cette domination entérine leur validité.
Si j'ai mis des guillemets à la "vérité" scientifique, c'est parce que bien entendu il ne s'agit jamais que de modèles : consultez une liste des lois scientifiques, c'est impressionnant : ces lois constituent des modèles — "structure formalisée utilisée pour rendre compte d'un ensemble de phénomènes qui possèdent entre eux certaines relations" —, modèles vérifiables, reproductibles partout, donc "universels", donc vrais... temporairement, parce que ce ne sont que des modèles, des façons fonctionnelles de rendre compte des phénomènes en les pouvant reproduire, et que le modèle n'
est pas le réel qu'il décrit et explique : il peut y avoir plusieurs modèles concurrents expliquant les mêmes phénomènes, et il pourra y avoir des modèles plus performants que ceux existant : cela n'enlève rien au caractère universel des modèles admis actuellement, parce qu'ils sont opératoires quels que soient les opérateurs, et où qu'ils soient mis en œuvre.
La force de la méthode scientifique moderne est qu'elle se passe de
point de vue, précisément : cela a été très clairement résumé à mon sens par Thomas Nagel dans
La Perspective de nulle part, et cette méthode procède de ce qu'il a appelé "la conception physque de l'objectivité" :
« Par commodité, je l’appellerai la conception physique de l'objectivité. [...] Le développement se fait par étapes, chacune offrant un tableau plus objectif que la précédente. Le premier pas consiste à s’apercevoir que nos perceptions ont pour cause l’action des choses sur nous, à travers leurs effets sur notre corps, qui appartient lui-même au monde physique. L'étape suivante consiste à réaliser que, puisque ces mêmes propriétés physiques qui causent en nous des perceptions à travers notre corps, produisent aussi différents effets sur d'autres objets physiques et peuvent exister sans causer aucune perception du tout, leur véritable nature doit pouvoir être détachée de leur apparence perceptuelle et n'a pas besoin de lui ressembler. La troisième étape consiste à essayer de former une conception de cette véritable nature, indépendamment de l'apparence qu'elle a, soit pour nous, soit pour d'autres types de percevants. Cela revient non seulement à ne pas penser au monde physique à partir de notre propre point de vue particulier, mais à ne pas y penser non plus à partir du point de vue plus général de la perception humaine : ne pas penser à ce qu'on y voit, à ce qu'on y sent, à ce qu'on y entend, à son odeur, à sa saveur,. Ces qualités secondes disparaissent alors de notre tableau du monde et l'on pense structurellement aux qualités premières sous-jacentes telles que la forme, la taille, le poids et le mouvement.
Cette stratégie s'est avérée extrêmement féconde. La compréhension du monde physique s’est considérablement étendue à l’aide de théories et d’explications qui ne sont pas attachés au point de vue perceptuel spécifiquement humain. »
(Le théorème d'incomplétude énonce qu'il est impossible de prouver absolument la vérité logique (la validité) de toutes les propositions d'un système logico-déductif ; et alors ?
Cela vous empêche-t-il réellement de considérer que votre raisonnement est juste, ou de tenir n'importe quel syllogisme correctement formulé pour vrai ?
Et d'ailleurs, à mon avis, si votre raisonnement n'est pas juste, le pauvre Gödel n'y sera pour rien...)