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L'Empire Mol et sa Ligne Maginot imaginaire en Turquie

Envoyé par Francis Marche 
2016 aura vu l’Empire Mol dirigée par Angela Merkel passer des accords avec la Turquie. C’est la déclaration UE-Turquie du 18 mars 2016, dont voici le texte intégral :

Les membres du Conseil européen se sont réunis ce jour avec leur homologue turc. Il s'agit de la troisième réunion tenue depuis novembre 2015 en vue d'approfondir les relations Turquie-UE et de remédier à la crise migratoire.
Les membres du Conseil européen ont exprimé leurs plus vives condoléances à la population turque à la suite de l'attentat à la bombe perpétré à Ankara dimanche. Ils ont fermement condamné cet acte odieux et ont réaffirmé leur soutien sans faille à la lutte contre le terrorisme sous toutes ses formes.
La Turquie et l'Union européenne ont confirmé une nouvelle fois leur attachement à la mise en œuvre de leur plan d'action commun, activé le 29 novembre 2015. De nombreux progrès ont déjà été réalisés, dont l'ouverture par la Turquie de son marché du travail aux Syriens bénéficiant d'une protection temporaire, l'établissement de nouvelles exigences en matière de visa pour les Syriens et les ressortissants d'autres pays, l'intensification des efforts en matière de sécurité par les garde-côtes et policiers turcs et le renforcement de l'échange d'informations. Par ailleurs, l'Union européenne a commencé à verser les trois milliards d'euros de la facilité en faveur des réfugiés en Turquie aux fins de projets concrets, et les travaux ont avancé en ce qui concerne la libéralisation du régime des visas et les négociations d'adhésion, dont l'ouverture du chapitre 17 en décembre dernier. Le 7 mars 2016, la Turquie est en outre convenue d'accepter le retour rapide de tous les migrants n'ayant pas besoin d'une protection internationale qui partent de la Turquie pour gagner la Grèce et de reprendre tous les migrants en situation irrégulière interceptés dans les eaux turques. La Turquie et l'UE sont également convenues de continuer à renforcer les mesures contre les passeurs et se sont félicitées de l'action que l'OTAN mène en mer Égée. Dans le même temps, la Turquie et l'UE reconnaissent que des efforts supplémentaires et résolus doivent être déployés rapidement.
Afin de démanteler le modèle économique des passeurs et d'offrir aux migrants une perspective autre que celle de risquer leur vie, l'UE et la Turquie ont décidé ce jour de mettre fin à la migration irrégulière de la Turquie vers l'UE. Afin d'atteindre cet objectif, elles sont convenues des points d'action complémentaires suivants:
1) Tous les nouveaux migrants en situation irrégulière qui partent de la Turquie pour gagner les îles grecques à partir du 20 mars 2016 seront renvoyés en Turquie. Cela se fera en totale conformité avec le droit de l'UE et le droit international, excluant ainsi toute forme d'expulsion collective. Tous les migrants seront protégés conformément aux normes internationales applicables et dans le respect du principe de non-refoulement. Il s'agira d'une mesure temporaire et extraordinaire, qui est nécessaire pour mettre un terme aux souffrances humaines et pour rétablir l'ordre public. Les migrants arrivant dans les îles grecques seront dûment enregistrés et toute demande d'asile sera traitée individuellement par les autorités grecques conformément à la directive sur les procédures d'asile, en coopération avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Les migrants ne demandant pas l'asile ou dont la demande d'asile a été jugée infondée ou irrecevable conformément à la directive susvisée seront renvoyés en Turquie. La Turquie et la Grèce, avec l'aide des institutions et agences de l'UE, prendront les mesures qui s'imposent et conviendront des arrangements bilatéraux nécessaires, y compris en ce qui concerne la présence de fonctionnaires turcs dans des îles grecques et de fonctionnaires grecs en Turquie à partir du 20 mars 2016, pour assurer la liaison et faciliter ainsi le bon fonctionnement de ces arrangements. Les coûts des opérations de retour des migrants en situation irrégulière seront pris en charge par l'UE.
2) Pour chaque Syrien renvoyé en Turquie au départ des îles grecques, un autre Syrien sera réinstallé de la Turquie vers l'UE en tenant compte des critères de vulnérabilité des Nations unies. Un mécanisme sera mis en place, avec le soutien de la Commission, des agences de l'UE et d'autres États membres, ainsi que du HCR, afin de s'assurer de la mise en œuvre de ce principe à partir du jour même où les retours commenceront. La priorité sera donnée aux migrants qui ne sont pas déjà entrés, ou n'ont pas tenté d'entrer, de manière irrégulière sur le territoire de l'UE. Du côté de l'UE, les réinstallations prévues par ce mécanisme seront, dans un premier temps, mises en œuvre en honorant les engagements pris par les États membres dans les conclusions des représentants des gouvernements des États membres réunis au sein du Conseil le 20 juillet 2015, 18 000 places de réinstallation étant encore disponibles dans ce contexte. Il sera répondu à tout nouveau besoin de réinstallation au moyen d'un arrangement volontaire similaire, dans la limite de 54 000 personnes supplémentaires. Les membres du Conseil européen se félicitent de l'intention de la Commission de proposer une modification de la décision relative à la relocalisation du 22 septembre 2015 afin que tout engagement de réinstallation pris dans le cadre de cet arrangement vienne en déduction des places non attribuées au titre de la décision. Si ces arrangements devaient ne pas permettre d'atteindre l'objectif consistant à mettre un terme à la migration irrégulière et si le nombre des retours devait approcher les chiffres prévus ci-dessus, ce mécanisme fera l'objet d'un réexamen. Si le nombre de retours devait dépasser les chiffres prévus ci-dessus, ce mécanisme sera interrompu.
3) La Turquie prendra toutes les mesures nécessaires pour éviter que de nouvelles routes de migration irrégulière, maritimes ou terrestres, ne s'ouvrent au départ de son territoire en direction de l'UE, et coopérera avec les États voisins ainsi qu'avec l'UE à cet effet.
4) Une fois que les franchissements irréguliers entre la Turquie et l'UE prendront fin ou tout au moins que leur nombre aura été substantiellement et durablement réduit, un programme d'admission humanitaire volontaire sera activé. Les États membres de l'UE y contribueront sur une base volontaire.
5) La concrétisation de la feuille de route sur la libéralisation du régime des visas sera accélérée à l'égard de l'ensemble des États membres participants afin que les obligations en matière de visa pour les citoyens turcs soient levées au plus tard à la fin du mois de juin 2016, pour autant que tous les critères de référence soient respectés. À cette fin, la Turquie prendra les mesures nécessaires pour se conformer aux exigences auxquelles il n'a pas encore été satisfait afin que la Commission puisse, à l'issue de l'évaluation requise du respect des critères de référence, présenter une proposition appropriée d'ici la fin avril, sur la base de laquelle le Parlement européen et le Conseil pourront prendre une décision finale.
6) L'UE, en étroite coopération avec la Turquie, accélérera encore le versement du montant de trois milliards d'euros initialement alloué au titre de la facilité en faveur des réfugiés en Turquie et assurera le financement d'autres projets en faveur de personnes bénéficiant d'une protection temporaire que la Turquie aura rapidement contribué à identifier avant la fin mars. Une première liste de projets concrets en faveur des réfugiés, notamment en ce qui concerne la santé, l'éducation, les infrastructures, l'alimentation et autres frais de subsistance, qui peuvent être rapidement financés à l'aide de la facilité, sera conjointement définie dans un délai d'une semaine. Une fois que ces ressources seront sur le point d'être intégralement utilisées, et pour autant que les engagements précités soient remplis, l'UE mobilisera un financement additionnel pour la facilité, à hauteur de trois milliards d'euros supplémentaires jusqu'à la fin de 2018.
7) L'UE et la Turquie se sont félicitées des travaux en cours sur la modernisation de l'union douanière.
8) L'UE et la Turquie ont confirmé une nouvelle fois leur volonté de relancer le processus d'adhésion conformément à leur déclaration conjointe du 29 novembre 2015. Elles se sont félicitées de l'ouverture du chapitre 17 le 14 décembre 2015 et ont décidé que la prochaine étape serait d'ouvrir le chapitre 33 au cours de la présidence néerlandaise. Elles ont salué le fait que la Commission présentera une proposition à cet effet en avril. Les travaux préparatoires relatifs à l'ouverture d'autres chapitres se poursuivront à un rythme accéléré sans préjudice des positions des États membres conformément aux règles en vigueur.
9) L'UE et ses États membres collaboreront avec la Turquie dans le cadre de tout effort conjoint visant à améliorer les conditions humanitaires à l'intérieur de la Syrie, en particulier dans certaines zones proches de la frontière turque, ce qui permettrait à la population locale et aux réfugiés de vivre dans des zones plus sûres.
Tous ces éléments progresseront en parallèle et feront l'objet d'un suivi mensuel mené conjointement.
L'UE et la Turquie ont décidé de se réunir à nouveau si nécessaire, conformément à la déclaration conjointe du 29 novembre 2015.


Voici à présent ce qu’écrivait en 1954 l’historien et anthropologue britannique Arnold J. Toynbee en ouverture au volume VIII de son A Study Of History (12 volumes publiés de 1934 à 1961, non disponibles en français), qui se trouve être en partie inspiré par le Déclin et la chute de l’Empire Romain d’Edward Gibbon (le texte anglais est magnifique, je le livre tel quel ci-dessous avant d'en proposer une traduction) :

{p.43} The truth is, in enlisting the barbarian in its service, the Power behind the limes is attempting, under altogether unpropitious psychological conditions, to recapture the relation between Barbarism and Civilization that prevailed in days when the civilization had not yet broken down, and the limes had not yet some into existence. The defence of the civilization by an inner ring of barbarians against an outer ring of barbarians was something that happened of itself, without any contract between the parties, so long as the growing civilization was attracting the barbarians by its charm. Under these psychological conditions an inner ring of barbarians served spontaneously both as a conductor through which the civilization radiated its cultural influence into barbarian societies at a farther remove and as a buffer which absorbed the shocks of these outer barbarians' attempt to take by force a cultural kingdom which, in its heyday, had for them the fascination of the Kingdom of Heaven. In these happy psychological circumstances the inner barbarian proselytes of the one day became the cultural converts the next, while today's outer barbarian assailants became tomorrow's inner barbarian proselytes. The growing civilization progressively extended its borders through the successive assimilation of one ring after another of its barbarian neighbours―a very different story from the subsequent history of a broken-down civilization’s expansion by force, up to the limit to which sheer force would carry it, at the expense of whom it has ceased to charm.

The reason why, after the breakdown of the civilization and the erection of the limes, the enlisted barbarians do not remain loyal is that, in the mercenary barbarian’s soul, his business contract with the civilized employer is not underwritten by any desire to share in the civilization which he has undertaken to defend in return for a quid pro quo. The direction of the current of mimesis has indeed, as we have seen, long since been reversed, and, so far from Civilization’s retaining any prestige in the barbarian’s eyes, it is the barbarian who now enjoys prestige in the eyes of the representative of Civilization.
……………………….
This reversal of the direction of the current of mimesis is fatal for a policy of enlisting Barbarism in Civilization’s defence. In these psychological circumstances a corps of barbarian foederati will never turn into a unit of the Imperial Regular Army ; il will remain an unassimilated barbarian war-band retaining its own esprit de corps, nursing s own ambitions. In the same circumstances a settlement of barbarian laeti will never turn into a civil community of imperial citizens ; it will remain an unassimilated imperium in imperio which, short of being annihilated, will find its political destiny sooner or later in becoming the nucleus of a dissident successor-state. In short, the policy of hiring barbarians to keep their kinsmen out is foredoomed to failure; and, as this expedient is the last forlorn hope of the tottering Power behind the limes, its failure is immediately followed by the limes’ collapse.


Traduction proposée :

"La vérité est qu’en enrôlant le barbare à son service, la Puissance sise en deçà du limes s’efforce, dans des conditions psychologiques qui sont dans leur ensemble non propices, à reconstituer les rapports entre barbarie et civilisation qui prévalaient dans un temps où la civilisation n’était pas encore tombée en panne, et où le limes n’existait pas encore. La défense de la civilisation par un cercle interne de barbares contre un cercle externes de barbares advenait alors d’elle-même, sans aucun contact entre les parties, cela tant que la civilisation en croissance attirait les barbares par ses charmes. Dans ces conditions psychologiques, un cercle interne de barbares assurait spontanément une double fonction : fonction de conduction par laquelle la civilisation faisait rayonner son influence culturelle sur les sociétés barbares plus éloignées d’une part, et fonction de zone tampon qui absorbait les chocs que représentait les tentatives des barbares de prendre par la force un royaume culturel qui, dans ses heures de gloire, exerçait sur eux la fascination d’un royaume céleste, d’autre part. Dans ces conditions psychologiques heureuses, ceux qui étaient les prosélytes barbares du cercle intérieur en tel jour, étaient les convertis culturels du lendemain, et dans le même temps, les assaillants barbares extérieurs pouvaient devenir du jour au lendemaindes prosélytes barbares intérieurs. La civilisation en croissance repoussait ainsi ses frontières progressivement, par assimilation successive d’un cercle après l’autre de ses voisins barbares, soit une dynamique très différente de l’histoire ultérieure d’expansion par la force d’une civilisation en panne, se portant à la limite où la force pure pouvait la porter, aux dépens de ceux qu’elle avait cessé de charmer.

La raison pour laquelle, à l’issue de la panne de la civilisation et de l’érection du limes, les barbares enrôlés perdaient leur loyauté et que, dans l’âme mercenaire du barbare, son contrat d’affaires (littéralement business contrat) passé avec l’employeur civilisé n’est plus en rien garanti par un quelconque désir de devenir partie à la civilisation que le barbare s’est engagé à défendre dans un échange donnant-donnant. En effet, le sens du courant de la mimesis s’étant inversé depuis longtemps, loin de voir la civilisation conserver de son prestige aux yeux du barbare, c’est le barbare qui, à présent jouit d’un prestige aux yeux du représentant de la civilisation.
……………………….
Cette inversion du flux de la mimesis est fatale pour une politique qui consiste à enrôler la barbarie au service de la défense de la civilisation. Dans ces circonstances psychologiques, un corps de barbares dits « peuples fédérés » (foederati) ne se changera jamais en une unité de l’armée impériale régulière ; il demeurera toujours une sorte de bande armée barbare (barbarian war-band) conservant son propre esprit de corps, nourrissant ses propres ambitions. Dans les mêmes circonstances, un établissement de lètes (laeti) ne se transformera jamais en une communauté civile de citoyens de l’Empire. Il demeurera un empire dans l’empire et sera en tant que tel inassimilé, et, à moins d’être annihilé, se trouvera tôt ou tard un destin politique en se muant en noyau d’Etat successeur dissident. En clair, la politique consistant à engager des barbares pour tenir à distance leurs semblables est vouée à l’échec ; et, sachant que ce recours est le dernier espoir de la Puissance chancelante derrière son limes, cet échec se voit immédiatement suivi de l’effondrement du limes."

Tel est le stade où se trouve aujourd'hui l'Empire Mol. Empire auto-imaginé, figure d'empire, qui se construit pour sa défense des solutions imaginaires. L'Empire Mol est ainsi le premier empire pataphysique et ubuesque pur de l'histoire de l'humanité.
Le phénomène d'inversion du flux mimétique entre civilisation et barbarie dont nous entretient Toynbee avait déjà été décelé, et même un peu analysé, ici, à l'occasion de la lecture de la nouvelle de Conrad Karain, a Memory :

Avant d'aborder le dénouement de cette nouvelle, on notera cette inversion, bien dialectique : il y a cent cinquante ans, – et non cent vingt car le personnage de Karain est présenté dans le souvenir des aventures de jeunesse de Conrad, remontant à une époque où l'auteur devait être jeune trentenaire, ou pré-trentenaire –, le colonisé musulman est aspiré par le pays fantasmé du colonisateur blanc, dans l'espoir de lui prendre de sa force, de son pouvoir sur le monde visible et de se mettre à l'école de son mépris pour les mondes invisibles. Aujourd'hui, l'ancien colonisé est mêmement attiré vers le pays du Blanc mais il est animé d'une ambition et d'une démarche inverses : celles d'imposer au mécréant sa croyance au lieu de vouloir à son contact s'en débarrasser. Et inversement, l'ancien colonisateur séduit par ces croyances, multiplie à domicile ses conversions subjuguées et fantasme de se joindre aux croyants dans leur pays de prédilection, entre Syrie et Irak. Voilà la preuve, s'il en fallait une, que la colonisation a inversé son cours, que la relation prédicative coloniale s'est maintenue intacte en intervertissant ses relata.
[www.in-nocence.org]

En Europe occidentale, dans le coeur géographique de l'Empire Mol (France, Allemagne), cette inversion du flux mimétique est-elle datable ? Il semble bien que oui, et il semble bien qu'elle le soit de la dernière décennie du deuxième millénaire. Les passages de millénaires ont toujours été des locus d'inversion de ce type de polarité : depuis la fin des années 90, il appartient, pour la première fois depuis la chute de l'Empire romain d'Occident, aux peuples historiques de la civilisation occidentale de s'adapter aux moeurs et aux spiritualités barbares, et non l'inverse. La vision de Toynbee "tient la route" est se montre applicable aux problématiques contemporaines, et le pacte Empire Mol-Monde Ottoman conclu en 2016 en corrobore tous les signes.
Utilisateur anonyme
04 janvier 2017, 22:36   Re : L'Empire Mol et sa Ligne Maginot imaginaire en Turquie
Passionnant.

Dans "Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain" Gibbon rapporte l'initiative incroyable de l'empereur Gallus, lequel paya un lourd tribut aux Barbares pour avoir la paix. Il met également en cause la lourdeur des impôts, la pression toujours plus menaçante des Barbares sur les frontières et l'imprévoyance des empereurs qui, au lieu de renforcer l'armée, exemptèrent du service militaire les praticiens.
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