Plus sérieusement, ceci, de Michelet dans son
Banquet (1879), oeuvre inachevée et posthume, sur une des manières les plus classiques et ordinaires qu'à la mort de s'inviter chez
l'arrêté:
J’avais le bonheur dans cette décroissance de forces, de garder suffisamment nette ma lucidité d’esprit. A défaut d’un travail suivi, je pouvais du moins par moment m’observer, étudier mon incapacité d’étude.
Cette manière d’exister (ou, si l’on veut, de mourir), n’est pas sans quelque poésie. Elle prête à chaque instant des ailes à l’imagination. Elle a, dans le clair-obscur, des songes à demi lumineux, comme des échappées soudaines où l’on croirait entrevoir quelque peu du monde inconnu. Qui s’y attache et la cultive a chance d’arriver à l’extase.
Seulement (…) elle se trouve impuissante à fixer ses résultats. Elle peut être poétique, mais la nature lui refuse de formuler sa poésie. En vain, par un effort momentané, elle voudra se saisir, s’exprimer, prendre une voix articulée, consigner et faire durer ses rêves d’or ; toujours ils s’envolent. Il n’en reste que langueur et mélancolie.
Par moments, je dois l’avouer, j’étais affecté d’un changement si complet d’habitudes, de ce qui est une vraie mort pour le travailleur, de mon incapacité de travail.
L’action, pour qui a gardé l’âme entière, est un besoin pressant, impérieux. Les oisifs ne sauront jamais tout ce qu’a d’insupportable pour nous autres une telle situation. L’homme laborieux qui, arrêté en pleine course, en plein élan, voit tout à coup ses bras détendus ou sa pensée ralentie, ne s’afflige pas seulement ; son premier mouvement instinctif, c’est de se prendre en dégoût, de se mépriser.
Propre à rien ! c’est l’injure vulgaire que s’adresse l’ouvrier malade. Et, dans cette disposition, il ne lui faut pas grand effort pour adhérer à l’appel de la nature, se laisser aller à elle, et mourir sans réclamation.