Ce vendredi matin, sur France Culture, il a encore été question des célébrations ou commémorations (il y a une nuance, mais on finit par s'y perdre) nationales prévues en 2018, qui comportent les noms de Charles Maurras (on le sait de reste) et de Jacques Chardonne. L'un est né en 1868, il y a 150 ans, l'autre est mort en 1968, il y a 50 ans.
Autant les invités de Guillaume Erner - lequel n'a pas nos idées mais qui est remarquable de clarté et de netteté, comme toujours - avaient révisé leur sujet Charles Maurras, autant ils flottaient lamentablement sur Jacques Chardonne.
"Ecrivain mineur", "romancier de l'amour", "éditeur chez Grasset"... approximations, contre-vérités, sous-estimation systématique, ignorance crasse.
Ce qui est vrai cependant, et rappelé ce matin, c'est qu'il fut l'écrivain contemporain préféré de François Mitterrand, presque un modèle pour lui. Tous deux charentais, l'aîné de Barbezieux (livre admirable :
le Bonheur de Barbezieux), le cadet, de Jarnac. Est-ce par esprit de clocher que l'homme de gauche admira le conservateur ? Pas seulement, le politique admira surtout l'élégance du styliste, son sens des nuances, ses formules soit chatoyantes, soit abruptes, et la fine "odeur de France" qui se dégage de nombre de ses pages.
Bien entendu, la qualité du style, l'élégance, le sens des nuances n'auront pas été évoqués ce matin : ce sont pourtant des titres indéniables à être célébré, même officiellement, tant qu'il y aura une France, une histoire de France et une langue française.
Du reste la notoriété doit aussi jouer, à juste titre. Or, loin d'être un écrivain obscur, mineur, inconnu, Chardonne fut considéré en son temps comme l'égal de ses contemporains Mauriac ou Morand.
Il est quelque peu paradoxal d'évoquer un pareil homme de lettres sur le site d'un parti dirigé par Renaud Camus, écrivain d'avant-garde, lui, et sans le moindre atome crochu, me semble-t-il, avec l'auteur du
Bonheur de Barbezieux. A moins qu'une vague filiation barrésienne ne finisse par les rapprocher (Barrès, mais le Barrès égotiste, ayant été le grand homme de Renaud Camus quand il avait 16 ans).
L'autre paradoxe est que pour ma part je n'apprécie pas trop que les écrivains que j'aime soient commémorés par l'Etat. Jaloux, j'aimerais tant les garder pour moi seul. Alors j'approuve les ignares et les sectaires qui s'activent pour
exclure Chardonne des célébrations officielles de 2018. Pour des raisons diamétralement opposées aux leurs. Qu'ils ne mettent pas leur doigts sales et leur conformisme étouffant et niais sur cet indépendant si élégant, nuancé, très peu concerné par la démocratie en art et ailleurs, encore moins par la demande sociale qui pèserait sur l'artiste.
Et pour finir, une des plus belles phrases de la langue française, écrite par le Chardonne revenu de tout des années 1950 :
En ces jours incertains où l'on se dit que nous sommes les derniers d'une certaine famille humaine, j'ai mieux compris ce que signifie l'éphémère, l'instant présent dans sa lumière et son secret ; ces choses, d'autres encore, toutes périssables, me touchent plus que la vision, à mon idée, des temps futurs, morne durée, traînant l'humanité sans cesse refondue ; laquelle n'obtiendra rien que nous n'ayons déjà reçu : la vie et la mort, et quelques belles matinées de juin.