Ils, et elles, écrivent comme ils papotent, ce qui est le contraire de la création littéraire, mais nous vendent la chose comme "polyphonie", et ça devient, dans le marché du livre, de l'art.
Une oeuvre littéraire sur le sujet des migrants d'Afrique traversant la Méditerranée au péril de leur vie serait pourtant possible, si elle commençait par se donner pour raison d'être de bien nous pénétrer du réel tel qu'il se donne à vivre collectivement, dépouillé du doxique brouhaha compassionnel : en nous faisant bien sentir que ces hommes (et ces quelques rares femmes) qui nous parlent de passeurs négriers, qui "les traitent comme du bétail", avant de les entasser dans des embarcations de fortune, à destination de leurs sauveteurs italiens qui parachèvent ainsi leur passage, sont des pions passifs d'une déstabilisation générale des sociétés européennes mais aussi africaines ; une littérature moins sotte et obscène que celle qu'on tient à nous vendre servirait à une prise de connaissance du réel par le toucher de son relief : que c'est bien une traite négrière qui s'opère ainsi, et que les garde-côtes sauveteurs et les vaillants veilleurs ongistes de l'accueil en Europe sont des maillons indispensables d'une chaîne de ce commerce esclavagiste contemporain d'un type un peu spécial, ces hommes devenant la tête de pont du désoeuvrement et du crime à l'africaine au sein de l'Europe, se faisant les agents passifs-agressifs de la déculturation générale et du malheur des identités perdues -- la leur pour commencer, la nôtre du même coup et par le truchement de leur présence sans but défini ni avenir consensuel dans les sociétés qui les accueillent malgré elles.
Une littérature qui mettrait en relief cette tragédie historique, tant que dominera dans l'édition française les "polyphonies" des ovaires sur la question du mâle africain esseulé, n'est pas près de voir le jour.