Voici ce qu'on peut lire dans les Mémoires de guerre d'Aloÿs Pappert, très jeune officier allemand, fait prisonnier par les Soviétiques en 1945 et passant d'un camp de prisonniers à l'autre jusqu'en 1946, dans le Donbass. (Volume 1 :
Une jeunesse volée, volume 2 :
Le sang des prisonniers Editions Salvator (2017). Jean Sévillia y a consacré récemment une chronique dans le
Figaro-Magazine) :
« Le soir venu, nous nous sommes dirigés toutes affaires cessantes vers la place centrale. Notre délégué-prisonnier nous apprend qu’il y aurait un journal pour prisonniers de guerre placardé sur des panneaux. J’étais impatient de comparer la propagande soviétique à celles des nazis. Difficile de les départager ! Un vrai festival de bobards pleins du même orgueil ! On apprenait tout de même que la guerre des Américains contre le Japon n’était pas encore finie.
Comme nous étions une trentaine devant le panneau, tout le monde a accepté que je le lise à haute voix : « Gros titre : Le Japon n’a pas encore capitulé et la guerre du Pacifi que continue. Les bombardiers américains détruisent les villes les unes après les autres depuis que le gouvernement japonais a rejeté fi n juillet 1945 un ultimatum du haut commandement américain. La reconstruction de la patrie soviétique fait de grands progrès, grâce aux héros de la guerre, revenus pour aider la population dans cette lourde tâche. » Je me suis tourné vers mes camarades pour demander qui était au courant de la guerre du Pacifique. Personne !
[…]
[Le lendemain], dans la soirée, un nouvel exemplaire du journal était affiché. Comme la veille, j’ai commencé à lire à haute voix : « Le Japon a capitulé sans conditions et arrête toute hostilité le 15 août 1945. Le 6 août, les impérialistes-capitalistes américains ont lancé une bombe atomique sur Hiroshima et détruit entièrement la ville en tuant sa population. Le 8 août, le maréchal Staline a déclaré la guerre au Japon et lancé l’Armée rouge contre l’armée japonaise en libérant la Mandchourie et les îles Kouriles dans le nord du Japon. Le 9 août, les Américains ont lancé une deuxième bombe atomique sur Nagasaki en détruisant la ville et la population. Grâce à l’intervention de l’Armée rouge, les Américains ont gagné la guerre contre le Japon ! »
Je me suis bien gardé de faire le moindre commentaire sur la conclusion de l’article, un sommet ! J’ai continué à parler mais je ne lisais plus :
- Le Japon a été anéanti par les forces armées américaines. Quand les Japonais ont attaqué Hawaï, ils ne savaient pas qu’ils allaient réveiller un géant qui les mettrait à genoux, mais qui aussi les aidera à devenir une démocratie.
Insensiblement, de nombreux prisonniers avaient été attirés par la lecture du journal. Soulevé par la sensation de vivre un moment historique, j’ai pris la parole :
- Mes chers camarades, la seconde guerre mondiale est vraiment terminée. Une nouvelle ère commence !
Aucune réaction. Rien. Mes paroles se heurtaient à l’abattement muet et l’apathie des 200 hommes massés devant moi. J’ai alors demandé si, en dehors des Allemands, il y avait d’autres Européens parmi nous. Des bras se sont levés, Autrichiens, Français, Italiens, Hongrois, Belges… Alors je me suis exclamé :
- Puisque nous sommes tous Européens, je déclare officiellement la naissance des États-Unis d’Europe !
Cette fois, passée la seconde de stupeur, des applaudissements frénétiques éclatèrent et je continuais, les larmes aux yeux :
- Chers camarades, l’Europe est en ruines et en cendres. C’est le moment de refaire de nos nations un seul et grand pays en criant : vive les États-Unis d’Europe ! Si Dieu nous aide à retrouver nos familles, soyons les premiers défenseurs de notre nouvelle patrie : les États-Unis d’Europe !
J’avais l’impression d’être happé par un rêve et de parvenir à le faire partager. Cette perspective d’un président de l’Europe, d’un gouvernement, d’une politique étrangère et d’une armée pour défendre notre liberté avait réchauffé le cœur des prisonniers. Un instant, nous avions tous oublié notre avenir incertain, j’avais redonné espoir en un monde meilleur et j’étais heureux d’avoir réveillé chez mes camarades le courage d’aller de l’avant »