La chaîne de télévision Arte projetait cette semaine un documentaire passionnant sur les découvertes récentes (2014/15) faites en Afrique du Sud, issues des fouilles menées par le paléontologue américain Lee Berger à la grotte dite « Rising Star » sur le site dit « Berceau de l’humanité », particulièrement riche en gisements fossiles d’hominidés.
Ce documentaire, intitulé « L’aube de l’humanité » est encore visible (pour 2 jours seulement) sur le site de la chaîne Arte,
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Il s’agit de la version française (traduction déplorable et particulièrement irritante, où l’on entend le terme « simien » là il faudrait « simiesque », qui traduit normalement l’anglais « simian » ; « denture » pour « dentition », etc. mais passons) d’un documentaire américain, visible en intégralité sur YouTube, ici :
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Pour gagner du temps, je reproduis le texte de présentation de ce documentaire par Arte, qui résume ces découvertes de Lee Berger et son équipe, et la thèse qu’elles font naître sur « l’origine de l’humanité » (je souligne l’énoncé sur lequel s’articule cette thèse nouvelle):
L'énigme de la transition entre l'australopithèque, proche du singe, et les premiers membres du genre homo, les tous premiers humains, est en voie de résolution. En Afrique du Sud, dans les grottes de Rising Star, des milliers de fragments d'os, issus d'au moins quatorze squelettes, ont été exhumés en 2015 par Lee Berger et son équipe. Une découverte d'une ampleur inédite, que le paléoanthropologue américain attribue à une espèce alors inconnue du genre humain qu'il baptise Homo naledi.
Coexistence simiesque
Parallèlement aux préparatifs de la fouille, le film retrace l’histoire d’une autre découverte effectuée par Lee Berger cinq ans plus tôt : l'Australopithecus sediba. Ces deux espèces permettent d’esquisser un nouveau tableau de nos origines, mettant ainsi au placard la vision d'un arbre généalogique à la lignée unique, où nos ancêtres se succéderaient un à un. Sediba et naledi prouvent qu'à l'aube de l'humanité plusieurs grands singes dotés d'un petit cerveau coexistaient. Il se pourrait même que des croisements aient eu lieu, rendant impossible la désignation de l’une de ces espèces comme étant notre unique ancêtre. Derrière cette question se profile l’épisode le plus important de notre évolution.
Il faut bien mesurer ce que signifie cette « mise au placard de la vision d’un arbre généalogique », car ses implications épistémologiques, philosophiques et politiques sont phénoménales :
elle signifie rien moins que l'inversion et l’abolition du paradigme darwinien dans la pensée de l’évolution des espèces.
Dans la version anglaise de ce documentaire à 1 :48.00 environ, est introduit le paradigme nouveau, que ces savants nous exposent. Il est parfaitement hérétique au système de pensée qu’on s’est efforcé de nous inculquer depuis 150 ans en matière d’évolution des espèces. Le modèle darwinien et ses variantes et déclinaisons avaient tous pour moteur le retranchement, la soustraction : l’arbre de l’évolution croissait et laissait mourir certaines de ses branches, supposées « inadaptées » et qui représentaient la disparition de certaines espèces au bénéfice d’autres, supposées « mieux adaptées » (à l’environnement, à la lutte interspécifique, intraspécifique, etc.) ; le modèle appelé à le remplacer est d’abord prudemment présenté par ces scientifiques qui s'expriment dans ce documentaire comme celui d’un « buisson » au lieu d’une arborescence à tronc commun unique. Puis, tout est mis cul-par-dessus tête au sens littéral et très brutalement : on retourne le buisson pour adopter l’image d’un réseau hydrographique, d’un bassin versant : les espèces primitives ou ancestrales sont nombreuses et fort variées, et se mêlent, se brassent et, bien entendu, le mot magique est lâché : se
métissent. Bien. Se métissant, elles se prennent à ressembler à des ruisseaux qui en mêlant leurs eaux font des rivières, lesquelles, coulant vers les bas-fonds, les lacs et les mers deviennent des fleuves, et le fleuve ultime, le grand delta du Danube, l’estuaire de la Somme, vous l’avez compris, c’est nous,
Homo Sapiens, en qui est réuni un peu de toutes les caractéristiques de nos « ancêtres » sans qu’on puisse mettre le doigt sur l’un d’eux en particulier pour s’exclamer « c’est lui, l’ancêtre de l’homme !». En effet, les « sources de la Seine » sont multiples, et personne, semble-t-il, ne s’est soucié, autrement que pour l’effet poétique et la promotion du tourisme local, de décréter scientifiquement que dans tel filet d’eau courant sous les herbes du Plateau de Langres, il fallait immédiatement reconnaître le fleuve prestigieux qui baigne Paris.
Pourquoi donc ce modèle vaut-il révolution copernicienne en même temps que, indirectement, il dévalorise toute parole à prétention paradigmatique sur le sujet, y compris bien évidemment son discours propre ? Parce que
1. Le modèle « sélection naturelle » darwinien classique, bâti sur une compétition entre individus est à régime autonome : l’élimination des espèces « inadaptées » s’opère suivant une loi interne au système. L’espèce ou la sous-espèce qui réussit triomphe et progresse dans son ascension de l’arbre de l’évolution grâce à ses caractéristiques et à sa « valeur » propre. La girafe survit en savane en broutant les hauts feuillages grâce son long cou, qui lui est un trait distinctif jouant en sa faveur dans la compétition pour l’accès à la nourriture, etc.
2. Le nouveau modèle, qu’il faudrait peut-être désigner comme « de convergence », lui, procède par accrétion au contraire de l’élimination : au plan génétique il y a entropie des caractéristiques trop saillantes – chez l’hominidé l’arcade sourcilière recule, la mâchoire prognathe s’affine et se banalise et surtout, au plan social, finie la lutte à mort pour la survie du plus apte : on privilégie la « coopération ». Donc en génétique : métissage et par conséquent rabotage entropique des traits les plus particuliers ou saillants (c’est la vision de l’humanité uniformément café au lait chère à ce « père de l’Europe » qu’était Coudove Kalergi au siècle dernier); en anthropologie : convergence, coopération, entraide, mise en commun des ressources, etc.
3. Au régime de la « force autonome », celui des qualités propres de chaque espèce, sous-espèce et individu qui fait croître l’arbre généalogique darwinien, qui l’entraîne comme un moteur interne, fait donc place, dans ce nouveau modèle, un tout autre régime de croissance, qui lui, trouve sa force motrice sur un plan EXTERIEUR au système.
Explication : certains sceptiques ont depuis longtemps questionné le modèle darwinien de mille façons, mais toutes ou presque se résument à cette question :
quelle est donc la force de gravité de l’évolution ? Quelle est la force qui en oriente le cours ? La réponse de nos darwiniens orthodoxes (très bien représentés par Yves Coppens en France) a toujours été la même, lapidaire, invariable :
il n’y en a pas, tout n’est que « hasard et nécessité ». Or nos scientifiques qui ont participé à ce documentaire en nous proposant le paradigme du bassin fluvial, et en nous parlant donc de ce que les ingénieurs en hydraulique appellent « eaux gravitationnelles » posent que cette force de gravité existe bel et bien et qu’elle est extérieure aux espèces ! En effet, si, mue par la force de gravité, une pomme rejoint le sol quand on la lâche, ce n’est aucunement parce qu’elle serait porteuse de « qualités particulières » (comme la girafe dotée de son long cou) qui la ferait chuter vers le sol. La force de gravité, qui fait courir les eaux des fleuves et chuter les pommes des vergers est bien extérieure à la pomme autant qu’à la qualité des eaux du fleuve, et tout autant indépendante de Gaïa qui lui est elle aussi soumise. Galilée ayant démontré empiriquement que, nues de toute force de frottement, la plume et la boule d’acier sont soumise au même régime de la gravité qui les fait arriver au sol en même temps, que la qualité de la plume et celle de la boule d’acier n’entrent pour rien dans le phénomène. Il y a là bouleversement copernicien de la pensée de l’évolution : l’évolution est tirée vers une destination comme les eaux des rivières vers la mer et cette force de traction n’a strictement rien à voir avec les « qualités » des espèces qui en sont le jouet.
4. Pourquoi dire que ce changement de paradigme dévalorise tout paradigme et « théorie de l’évolution » ? parce qu’il révèle que ces discours scientifiques, le darwinien comme aujourd’hui le post-darwinien, n’ont rien de scientifique et tout d’idéologique et de politique : le modèle darwinien fut élaboré en pleine révolution industrielle libérale et il se trouvait fournir un schéma de pensée du vivant transposable au réel social, lequel était aussi projetable en lui -- ce schéma des lois de la nature, celui de « l’histoire naturelle » conférait à l’évolution sociale en cours un fondement unitaire indispensable, s’harmonisait avec elle, disait que les lois de la société étaient conformes aux lois de la nature, lesquelles donnaient toute confiance pour avoir fait leurs preuves sur des milliers d’années – en 1860, se déclarer hérétique à l’évolution sociale et économique en cours (la révolution industrielle et le capitalisme léonin), c'était ainsi prétendre vouloir aller contre les lois fondamentales de la nature récemment énoncées par Darwin, lois dont la pérennité était sans conteste.
Cette page de l’histoire sociale étant tournée en Occident en 2017 (mais pas en Extrême-Orient, qui compte presque un siècle de retard sur ce point), voici qu’il faut changer de paradigme scientifique en concomitance avec le changement de paradigme économique et social : adieu « le darwinisme social » et la farouche territorialité des
winners, vive le loft, le métissage, la levée des frontières, le brassage enrichissant ! et voilà nos scientifiques qui s’alignent comme Lyssenko sur la pensée stalinienne du moment :
Homo Sapiens est l’aboutissement étal et uniforme, plan et paisible, qui se donne dans un grand lac, une vaste baie que baigne l’océan de la tranquillité entropique, baie nourrie des eaux tumultueuses et sauvages du passé, lesquelles, descendues de mille parts, viennent en lui s’apaiser enfin dans l’apothéose d’un plan d’eau au repos. Pensée de fin de l’histoire, transposée dans cette fausse science qui fascine tant, la paléoanthropologie. Mais il y a plus : il y a, dans ces discours à prétention scientifique l’introduction d’une externalité dominante, une « force de gravité » qui aménage une place nouvelle à l’hypothèse de la création divine, celle de l’agent divin dominant le système de l’Evolution. Ca tombe bien : l’islam, religion de tous les demains de l’humanité, politique de toutes les politiques (spirituelles, juridiques, économiques) est prêt à accueillir ce nouveau paradigme où doit siéger Allah, à l’accueillir comme un message ou un don de plus de la Providence.
5. Conclusion : il n’y a pas de science dans ce foin idéologique qu’on donne à manger aux ânes depuis 150 années, tant dans la recherche du « chaînon manquant » des darwiniens et néo-darwiniens qui brandissent encore (Coppens) "le hasard et la nécessité" comme étendard, que dans la myriade d’hominidés qui font les grandes rivières où nous serions désormais censés baigner également comme le voudraient ces paléontologues nouveau genre.