Le site du parti de l'In-nocence
Je dis qu'il est très remarquable que la vie humaine, dans sa durée, réserve des heures dernières aux transports.

Le dernier transport, sorte de dernier métro avant le verrouillage des portes, se propose à la bascule de la soixantaine.

Au-delà, à deux ou trois ans près, il n'y a plus de transport.

Le transport dont je parle est tout à l'opposé de celui qui s'opère sur un rail (métro, train) : il est une sortie du rail. Et la dernière de ces sorties s'effectue avant que le rail souverain de la mort ne conduise le sujet aux destinations ultimes où l'attendent les Parques.

Ce transport qui m'occupe est sans destination, à la différence de celui des Parques.

Il est un transport vital de l'âme qui prend de la sorte une destination inconnue, inusitée, la dernière avant son absorption vers la commune destination des cimetières et des crématoriums.

Or il se trouve que cet abord de la soixantaine me paraît réserver une double occasion de transport ultime: le dernier transport amoureux, qui s'amuse à convoquer la muse ancienne du premier d'entre eux par la chronologie, celui du baiser primal, qui fut donné à la première ou au premier des jouvencelles/jouvenceaux qui nous imitait par l'âge, les manières et l'abondance de chevelure et d'émoi, dans l'enchantement dérisoire du vouloir aimer enfin et pour le coup, de penser à tout donner, pour voir, de ce dernier transport amoureux et qui se fit entendre comme tel, dans toutes ses manières savantes et aimables, pour clore ma vie; et le dernier transport littéraire, à nous autres, les nouveaux vieillissants, il y a une remarquable conjonction : le dernier transport amoureux (évidemment étranger au dernier des exploits sexuels, qui, à la date où nous proposons ces lignes, doit se poser entre 80 et 85 ans), et le dernier transport littéraire, sont conjoints.

J'ai su cela pour l'avoir connu : on décide qu'on ne sera plus jamais amoureux en même temps que l'on décide que les pages que nous découvrons dans le transport littéraire seront les dernières qui feront le dernier tremplin du transport littéraire inédit, incertain, totalement sans destination. On n'aime plus en même temps, dans les mêmes semaines, que l'on apprend que l'on ne goûtera plus jamais au transport de la lecture de prose romanesque ou poétique. C'est là une loi esthétique : on n'aimera plus jamais, on ne goûtera plus aucune page de littérature, et cela dès le même jour et le jour même où cette fin se manifeste enfin.

Pour moi, qui ai dit adieu à toutes mes aimées, et à la dernière de toutes, mon dernier transport leur ressemble, ressemble à leur commune origine : la Provence de Henri Bosco. Vite, précipitez-vous avant que d'être vieux et fichu, lisez ces pages qui vous attendent, dans Hyacinthe et le Jardin d'Hyacinthe, et l'Ane culotte (1937), titre par lequel il faut commencer.
Rage, rage against the dying of the light.
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