Où
Brigitte-au-sein-droit s'est-elle en allée ? De quel être Brigitte-au-sein-droit est-elle (
était-elle ?) l'étant ?
McTaggart (1866-1925) (sa fiche Wikipédia existe en français) se distingue dans l'histoire de la philosophie pour avoir été le seul et unique (apparemment) philosophe hégélien
britannique. Son article le plus célèbre s'intitule
The Unreality of Time (1908). Il tient en 25 pages. McTaggart y livre une analyse phénoménologique du temps en une série duelle (la "Série A" et la "Série B"), qui eut une forte influence sur les penseurs du temps au XXe siècle (dont Husserl) :
Ci-dessous, un essai de traduction d'un extrait de ses
Studies in Hegelian Cosmology, sorte de prolégomène de 1901 à cet article qui devait ouvrir les portes de la perception nouvelle du temps :
Dans l’ensemble de ce chapitre, je vais employer le mot « fini », qui, lorsqu’il apparaîtra sans qualification, servira à désigner toute [chose qui] admet une réalité hors d'elle-même, que cette détermination soit simplement extérieure à ce que l’on désigne tel, ou qu’elle s’inscrive dans la nature même de l'objet considéré. Hegel lui-même parle de l’autodéterminé comme infini. Mais cela présente des inconvénients pratiques, bien que reposant sur une vérité importante. Car cela laisse innomée la différence entre l’entièreté d’une réalité et toute partie d’icelle, tout en donnant le nom d’infinité à une qualité qui possède déjà son nom propre : l’autodétermination.
La position de Hegel sur cette question, comme sur un si grand nombre de questions de cosmologie, nous est cause de grande perplexité. Il affirme la vérité de l’immortalité en plusieurs endroits de son œuvre, et il ne la nie jamais. Mais ses assertions ne sont pas appuyées et son énoncées comme en passant, sans leur conférer aucune prééminence. Et s’agissant d’une doctrine aussi importante que celle-là, une déclaration simplement incidente est presque équivalente à un déni.
Quand nous passons aux applications de la dialectique, cette perplexité ne fait que croître. Car la doctrine de l’immortalité y est tranquillement passée sous silence. Hegel traite longuement de la nature, des devoirs, des espérances, de la société humaine, sans accorder la moindre attention à sa propre conviction que, pour chacun des hommes qui composent cette société, la vie en celle-ci n’est qu’un fragment infinitésimal de son existence en tant que tout – un fragment qui ne saurait avoir le moindre sens en-dehors de son rapport à la totalité. Pouvons-nous penser qu’il fut le tenant d’une doctrine qu’il traita de manière aussi négligente ?
D’autre part, nous avons ses déclarations explicites selon lesquelles l’immortalité doit être attribuée au moi. Il est impossible de supposer que ces déclarations soient insincères. Il n’y a rien dans la vie ou dans la personne de Hegel qui nous autoriserait à penser qu’il aurait dissimulé ses opinions sur la question afin de se protéger d’éventuelles persécutions. Et pas davantage, l’omission d’affirmations si négligemment et trivialement énoncées de la doctrine officielle n’eût rendu son œuvre plus notablement exposée au risque d’encourir le déplaisir des gouvernements qu’ils servait.
La véritable explication, doit-on penser, se trouve ailleurs. Le fait est que Hegel ne paraît pas avoir été très intéressé par la question de l’immortalité. Cela rendrait compte du fait que, tout en apportant des réponses affirmatives à cette question, il en fait un si maigre usage. C’est la doctrine fondamentale de ce système dans son ensemble qui veut que la réalité soit essentiellement esprit. Et il semble n’y avoir aucune raison particulière de l’accuser de supposer que l’esprit puisse exister autrement que comme personnes mais, assez illogiquement, il semble ne pas avoir considéré les personnes individuelles comme de grande importance. Tout ce qui était nécessaire était que l’esprit soit là sous telle ou telle forme personnelle. Il découle de cela, évidemment, qu’il n’a jamais attaché beaucoup d’importance à la question de savoir si l’esprit était éternellement manifesté dans la même personne, ou dans une succession de personnes différentes.
On ne peut lire les œuvres de Hegel, en particulier celles qui contiennent les applications de la dialectique, sans en être frappé. Hegel va parfois si loin qu’il en vient presque à justifier la critique qui l'a visé, selon laquelle la réalité ne comporte de valeur pour lui que dans la mesure où elle forme un système d’exposition de l’idée pure (
because it forms a schema for the display of the pure Idea). J’ai essayé de montrer ailleurs que cette vision de son œuvre n’est pas essentielle au système de Hegel, et qu’à vrai dire elle lui est absolument incohérente. Mais cela ne rend que plus évident que la pensée de Hegel inclinait naturellement et très fortement dans ce sens, ne serait-ce que parce que ses propres principes fondamentaux ne l’empêchèrent en rien à y revenir sans cesse.
Le fait que Hegel s’abstient de souligner l’individualité de l’individu explique son omission à souligner l’immortalité de ce dernier. Mais cela reste un défaut dans son œuvre. Car il s’agit d’une question qu’aucune philosophie ne saurait être fondée de traiter de manière aussi insignifiante. Un philosophe pourra y répondre par l’affirmative, ou par la négative, ou il pourra se récuser en s’abstenant d’y apporter une réponse. Mais quelle que soit sa manière de se prononcer sur elle, il aurait indiscutablement tort de la traiter comme si elle était dénuée d’importance. Car non content de faire toute la différence pour le futur, elle fait une différence profonde dans le présent. Suis-je éternel, ou ne suis qu’une manifestation temporaire de quelque chose d’éternel qui n’est pas moi-même ? Il se peut que la réponse à cette question n’ait guère d’incidence sur la manière de m’acquitter de mes devoirs au quotidien. Immortel ou non, mon devoir demeure de payer mes factures, de ne pas tricher aux cartes, ne de trahir mon pays. Mais on ne saurait en rien exagérer la différence que cette réponse induit dans l’estimation de notre place dans l’univers et, par voie de conséquence, dans nos idéaux, nos espoirs, et l’ensemble des émotions qui colorent nos vies. Et cela est surtout le cas des principes hégéliens qui posent que l’existence dans le temps est inadéquate et relativement irréelle. Si nous sommes immortels, nous sommes peut-être la finalité suprême de toute réalité. Si le temps nous a fait, et s’il doit nous défaire, notre plus haute fonction doit être d’être le moyen de quelque fin qui est autre que nous-mêmes.
Pour déterminer le rapport véritable qu’entretient la philosophie de Hegel avec la doctrine de l’immortalité, il convient d’aller plus loin dans la question que lui-même n’a cru bon d’aller. Nous devons adopter le point de vue de Hegel sur la nature véritable de la réalité, et nous devons nous demander si ce point de vue requiert ou exclut l’existence éternelle des êtres que nous sommes (
requires or excludes the eternal existence of selves such as our own). Pour Hegel, la nature véritable de la réalité est celle de l’Esprit Absolu. Et quand nous demandons ce qu’est la nature de l’Esprit Absolu, il nous est dit que son contenu est fait de l’Idée Absolue. La solution de notre problème est donc à trouver dans l’Idée Absolue.
Nous sommes certains, quoi qu’il en soit, que la doctrine de l’Idée Absolue nous enseigne que toute réalité est esprit. Il n’est personne, croit-on pouvoir affirmer, qui n’ait jamais douté que le sens de la pensée de Hegel est celui-là. Et selon nous, il ne fait aucun doute non plus qu’il conçut cet esprit comme nécessairement différencié. Chacune de ces différenciations, ne constituant pas la totalité de l’esprit, est donc finie. Cela nous rapproche peut-être de la démonstration de l’immortalité, mais cette dernière est encore loin d’être achevée. Il est dans la nature éternelle de l’esprit de se différencier en esprits finis. Mais il ne découle pas nécessairement de cela que chacune de ces différenciations soit éternelle. On pourra soutenir que l’esprit ne cesse de revêtir des formes nouvelles, tels les modes de la Substance de Spinoza, et que chaque forme différenciée est temporaire, lors même que la succession des formes différenciées serait éternelle. Et, même s’il était acquis que l’esprit possédât des différentiations éternelles, il resterait encore à l’être humain philosophant à déterminer si lui-même, et autres êtres pourvus de conscience avec lesquels il est en contact, comptent parmi ces différentiations éternelles.
Si ces deux point étaient déterminés par l’affirmative, nous tiendrions une démonstration de l’immortalité. Mais la conclusion sera différente au regard de la forme ordinaire que revêt toute croyance en l’immortalité. La croyance ordinaire confine le privilège d’immortalité à l’espèce humaine, s’agissant des êtres vivants habitant cette planète. Les animaux inférieurs ne sont pas censés, dans l’esprit de la plupart des gens, survivre à la mort de leur corps présent. Et même chez ceux qui élargissent l’immortalité à tous les animaux, la plus grande part de leur réalité n’est en rien tenue pour spirituelle, et n’est que matérielle, ce qui rend sans objet l’application à cette réalité des notions de mortalité ou immortalité. Mais si nous pouvons déduire l’immortalité de la nature de l’Idée Absolue, celle-là doit s’appliquer à tout esprit – autrement à toute réalité – et nous serons ainsi amenés à la conclusion que l’univers consiste entièrement en esprits consciences et immortels.
La deuxième particularité de cette conclusion est que l’immortalité à laquelle elle se réfère ne sera pas une existence sans fin mais une existence privée de temps (timeless existence), dans laquelle toute durée pouvant appartenir à l’esprit n’en sera qu’une manifestation subordonnée. Mais cela, bien que distinguant notre conception de certaines formes plus grossières de cette croyance, n’est évidemment, en rien exclusivement hégélien mais se réitère continuellement en philosophie comme en théologie.
Nous devons nous demander alors, et pour commencer, si nos êtres se rangent parmi les différentiations fondamentales de l’esprit, dont l’existence est signalée par la dialectique, et si tel est le cas, nous devons nous interroger pour savoir si chacune de ces différentiations existe éternellement.
La première de ces questions ne peut être réglée entièrement par la pure pensée, parce que l’un des termes employés ressortit à l’expérience empirique.
(à suivre)