Les nazis avaient au moins un avantage, c’est que leur entreprise criminelle était théorisée. Leur racisme avait une armature à prétention scientifique que l’on pouvait démonter. En voulant détruire les juifs (entre autres) ils ne prétendaient pas oeuvrer pour le bien de l’humanité pris comme un tout, mais voulaient favoriser une race au détriment des autres. Ils voulaient construire un monde nouveau mais en s’asseyant ouvertement et sans complexes sur les valeurs humanistes.
Le nouveau racisme avance masqué en commençant par dire qu’il n’y a pas de race. Mais c’est pour en réintroduire immédiatement la notion, comme repoussoir, dans deux directions opposées : soit toute allusion à la race est dénoncée comme répréhensible, soit, par un subtil déplacement, est désignée comme inférieure moralement, une race ainsi définie. Elle est alors dénoncée comme un ennemi de l’humanité aux noms de valeurs universelles, que ce soit le droit, la république, l’humanisme, la tolérance, etc. On n’exclut plus celui qu’on veut détruire, on constate qu’il s’est situé de lui-même hors du camp du bien, le seul qui peut protéger. Dès lors, il n’est plus nécessaire de donner des explications, d’argumenter, il suffit de jouer entièrement sur le sentiment.
« Un blanc gentil ça n’existe pas ! » ; « Pouvons-nous croire aux larmes des blancs ? » ; « Le racisme génétique des blancs... » ; « Cette race maudite ! »... On peut en trouver autant qu’on en veut. Il semble qu’on soit souvent venu de loin pour le plaisir de voir de près l’ignominie des blancs. Mais comme les dunes du désert édifiées par le vent ces constructions mentales n’ont pas de fondation, pas de structure, elles se posent là, elles constituent un paysage sans urbanité fait afin qu’on s’y perde. Car on ne peut pas contredire de telles assertions sans verser aussitôt dans l’infantilisme. Impossible de contester, on ne peut que constater. Certains naïfs, nostalgiques d’un passé enfui, pourront quand même aller jusqu’à s’indigner, protester, tempêter... Bah ! Les souchiens aboient la caravane passe.
Alors à quoi sert cette accumulation de lieux communs ? A créer, à partir d’éléments très hétérogènes, une communauté basée sur le rejet. Rappelez-vous comment les colons de l’Amérique du Nord, venus de partout, ont construit le sentiment de leur propre valeur, qui les unissait dans le rêve américain, sur la dévalorisation systématique des indiens (un bon indien est un indien mort !) qui furent dépossédés dès le départ de leur identité par une appellation erronée. Cela commence exactement comme cela, par un surnom qui vous assigne une place où viennent se rassembler tous les lieux communs. On s’y retrouve cantonné. On ne peut plus en sortir comme d’un ghetto. Partant de là il est facile d’imaginer la suite.
Mais avant de passer à l’action la stratégie dit qu’il faut préparer le terrain. Cette préparation est fondée sur la démoralisation, sur une invitation à disparaître, à se dissoudre dans le temps. C’est une sorte de dépression induite dont le maître mot est “culpabilité”. À côté de ceux qui comptent en faire leurs choux gras, un nombre indéterminé de courants moutonniers divers convergent, avec une sorte de délectation, vers ce destin apparemment inéluctable de l’effacement progressif. Ceux qui relèvent le défi de la résistance sont marqués à la culotte et promis au pire.
Pourtant les nazis sont arrivés au résultat inverse de celui souhaité. Les Allemands qui les avaient suivi ont vu leur espace vital considérablement réduit et leur population aussi. Ils ont compris trop tard leur erreur et quand certains d’entre eux se sont réveillés pour essayer maladroitement de faire sauter le führer, il était déjà moins cinq. Le résultat fut que cette race imaginée comme étant la seule véritable humanité s’est largement auto-détruite. Il y a là une leçon à méditer : quel que soit son contexte, et aussi favorable qu’il puisse paraître, la solution finale est une entreprise risquée.