Le site du parti de l'In-nocence

Clément Rosset (1939-2018)

Envoyé par Pierre Jean Comolli 
Rendons hommage à ce philosophe éminemment cratylien et dont l'ouvrage "Principes de sagesse et de folie" se terminait par ce paragraphe : "Chacun sait que tous les chapitres du Coran commencent par cette même formule rituelle : 'Au nom d'Allah clément et miséricordieux'. Mais ici, comme en de nombreux autres passages du livre saint, on ne s'est pas soucié d'accorder la formule initiale avec ce qui la suit immédiatement : en l'occurrence, le supplice d'Abou-Habab. Un lecteur habitué aux automatismes du Coran n'y trouvera sans doute rien à redire : la passage ex-abrupto de la bonté d'Allah au châtiment impitoyable d'un contestataire de Mahomet lui paraîtra même aller de soi. En revanche, aux yeux d'un lecteur non averti, le raccourci peut sembler un peu raide. Encore un fâcheux manque de transition, qui exprime involontairement mais à merveille la conception ordinaire de la clémence et de la miséricorde : coupez-lui d'abord les mains ; ensuite, égorgez-le".

(Je suppute qu'il ne pensait pas nécessairement que la dite conception ordinaire fût universelle.)
Je crois n'avoir lu de lui qu'un seul livre, c'est Le Choix des mots, qui était "hermogénien" au point que j'en fus, mais c'était il y longtemps, presque indisposé : il soutenait en effet que le sens, l'être du sens, faisait corps avec son expression formée comme énonciation au point qu'il ne pouvait en être dissocié, sous peine d’accréditer la plus totale fiction d'une origine plus profonde et indépendante du sens.
Un nietzschéen comme lui ne pouvait que répercuter le motif de l'apparence toute seule, qui peut être aussi bien le jeu de toutes les conventions d'époque, désancrée du pendant qu'est l'autre moitié du signe, le représenté ; aurait-il depuis changé son fusil d'épaule ?
Je ne connais pas ce livre, et je comprends mal ce que vous écrivez à son sujet (dès qu'il est question de langage, je suis largué). Ce que je connais de Rosset, ce sont ses textes très sophistiqués, excitants, et, ce qui ne gâche rien, forts drôles, sur ce qu'il appelle le réel (Le Réel et son double, Le Démon de la tautologie, Principes de sagesse...). Ces textes, qui empruntent beaucoup à Wittgenstein, ont même trouvé grâce aux yeux de Bouveresse.

Amusons-nous un peu. Ce que vous dites là, cher Alain, aurait beaucoup plu...à Rosset !

"Toujours est-il que le philosophe, ou le philosophant, et n'importe quel quidam en fait, peuvent très bien ne pas accepter la réalité telle qu'elle est, lui faire la figue et se contreficher du monde des faits, par conviction, goût et bravade, mais celui-ci le leur rend aussi bien : foncer tête baissée contre le béton armé d'un réel qui ne se laisse pas du tout infléchir, qui, objectivement, ne le pourra sans doute pas dans le sens qu'on voudrait, n'est pas très réaliste, c'est le moins qu'on puisse dire ; or, dès lors qu'on prétend se mêler d'affaires publiques, du sort des sociétés et du destin des nations, on ne peut pas exclusivement rêver, me semble-t-il, encore qu'il le faille aussi, et se contenter d'espaces de fiction : il est absolument nécessaire qu'on prenne aussi en considération ce qui est de l'ordre de l'impossible, et donc du seulement possible.
Pardon pour ces généralités..."

Rosset nietzschéen? Oui, mais à sa manière alors :

"Nietzsche ou la joie par-dessus tout", par Clément Rosset
Oh là là, encore cette faribole du Nietzsche joyeux, fou de joie, charmant, dansant, sautelant, si léger par profondeur, et l'inverse, etc.

Parfois j'aime bien Comte-Sponville, qui a au moins la qualité d'être honnête et plein de bon sens, ainsi, me semble-t-il, que bon et sagace lecteur.

« C'est une question que j'ai posée un jour à Clément Rosset, à laquelle, à ma connaissance, il n'a jamais répondu : un salaud tragique, ou dionysiaque, en quoi en est-il moins salaud ? Non pas, c'est bien clair, que je suspecte en quoi que ce soit l'évidente et si chaleureuse bonhomie de l'auteur de La Force majeure. C'est d'ailleurs ce qui me frappe souvent chez les nietzschéens, quand ils sont sympathiques : ils partent bille en tête contre la morale, ils prétendent renverser toutes les valeurs, amorcer une nouvelle ère de l'humanité, vivre par-delà le bien et le mal, etc., et au bout du compte ils se comportent comme vous et moi, à peu près honnêtement, à peu près vertueusement, bon pères et bons époux, quand ils le sont, et en tout cas les meilleurs amis du monde. [...] Mais alors, à quoi bon prétendre renverser toutes les valeurs ? Pourquoi se dire immoraliste ? Et que peut bien signifier leur "par-delà le bien et le mal" ? »

André Comte-Sponville — La brute, le sophiste et l'esthète, in Pourquoi nous ne sommes pas nietzschéens
Ben oui, il existe ce Nietzsche danseur, joyeux et affirmatif... Une faribole, mieux, un mythe, des salades dans lesquelles Wahl, Jaspers, Deleuze, Klossowsky et Fink seraient tombés ? Et vous dégainez le sympathique Compte-Sponville et le daté Pourquoi nous ne sommes pas nietzscheen à l'appui de vos moqueries ? Cap sur les platitudes, les textes écrits 'sans une goutte de sang' alors...
Parmi les auteurs ayant contribué, à mon avis brillamment, à ce Pourquoi nous ne sommes pas nietzschéens figurent aussi Alain Boyer, Vincent Descombes, Alain Renaut, Taguieff, dont je ne vois vraiment pas pourquoi l'écriture et la pensée serait si lymphatique, ni même ce que cela peut bien vouloir dire en fait ; et puis, on peut très bien être sanguin et bête, l'un n'empêche pas l'autre après tout...
Pour ce qui est des platitudes, écoutez, colporter l'image d'un Nietzsche inoffensif et gai luron, affirmatif et joyeux, méridional, somme toute un penseur foncièrement positif, cela me paraît être la pire des platitudes le concernant justement.
Je veux bien que le pâle Comte-Sponville puisse ne pas agréer aux plus subtils exégètes de la pensée nietzschéenne, mais personnellement c'est peut-être ce qui me plaît le plus dans sa contribution : une lecture qu'on pourrait dire au ras des pâquerettes, brute de décoffrage, rustique et pratique, et soucieuse des conséquences de ce que dit sans détours le texte, en même temps qu'exhaustive et parfaitement documentée, sans les complications d’interprétations trop décoratives, parce que c'est son hypothèse de travail la plus intéressante à mon sens : il n'y a pas à interpréter, il faut prendre Nietzsche à la lettre, entièrement au sérieux, c'est à cette condition seulement que les motifs clés de sa pensée prennent tout leur relief et acquièrent une réelle profondeur, laquelle ne se révèle tout entière que dans l'exclusive apparence et superficie...

Comme Comte-Sponville faisait en particulier référence à la conception trop lénifiante, à ses yeux, de Rosset, je continue donc un peu sur cette lancée...

« Clément Rosset, dans sa belle tentative pour rendre Nietzsche acceptable est obligé de laisser de côté non seulement tous les textes rassemblés dans La Volonté de puissance et la quasi totalité du Zarathoustra, ce qui fait déjà beaucoup, mais encore tout le contenu proprement immoral, ou immoraliste, de Par-delà le bien et le mal et de La Généalogie de la morale. De fait, si l'on en reste au Gai savoir ou à Aurore, ou si l'on ne retient des textes ultérieurs que les passages sur la musique ou la gaieté, on obtient un Nietzsche tout à la fois plausible et attachant — réaliste, rationaliste, joyeusement démystificateur — , très proche en vérité de Spinoza ou, et pour cause, de Clément Rosset...
[...]
il faudrait ici multiplier les citations, et ce serait vite fastidieux. Nietzsche est un des rares philosophes, peut-être le seul (sauf si l'on tient Sade pour un philosophe) qui ait à la fois, et presque systématiquement, pris le parti de la force contre le droit, de la violence ou de la cruauté contre la douceur, de la guerre contre la paix, qui ait fait l'apologie de l'égoïsme, qui ait mis les instincts plus haut que la raison, l'ivresse ou les passions plus haut que la sérénité, la diététique plus haut que la philosophie et l'hygiène plus haut que la morale, qui ait préféré Ponce Pilate au Christ ou à saint Jean, César Borgia ("l'homme de proie", "une espèce de surhumain") à Giordano Bruno, qui ait prétendu qu'il n'y avait "ni actions morale ni actions immorales", qui ait justifié les castes, l'eugénisme, le racisme et l'esclavage, qui ait ouvertement prôné ou célébré la barbarie, le mépris du grand nombre, l'oppression des faibles et l'extermination des malades, et en tenant sur les femmes et sur la démocratie des propos qui, pour être moins absolument exceptionnels, n'en sont pas moins affligeants... »

Quoi qu'on pense d'autre part de ces prises de position de Nietzsche, Comte-Sponville n'en a pas moins parfaitement raison, et son compte rendu de lecture est juste...
Utilisateur anonyme
29 mars 2018, 19:29   Re : Clément Rosset (1939-2018)
Il n'y a pas à interpréter, il faut prendre Nietzsche à la lettre, entièrement au sérieux, c'est à cette condition seulement que les motifs clés de sa pensée prennent tout leur relief et acquièrent une réelle profondeur, laquelle ne se révèle tout entière que dans l'exclusive apparence et superficie

Il me semble que c'est ainsi que les littéralistes et les juristes lisent et "comprennent" le Coran (pour ne citer que ce Texte révélé) - non ? Le rejet de l'interprétation a toujours à voir avec l'intégrisme ou, si on préfère, avec la "mentalité intégriste".
Pour ce qui est des platitudes, écoutez, colporter l'image d'un Nietzsche inoffensif et gai luron, affirmatif et joyeux, méridional, somme toute un penseur foncièrement positif, cela me paraît être la pire des platitudes le concernant justement.

Rosset, dans la lignée de Deleuze, n'isole pas des nombreuses identités que l'on peut sélectionner chez Nietzsche un Nietzsche comique troupier très...dernier homme ! Le Nietzsche de Rosset, c'est écrit noir sur blanc dans l'interview que je me suis donné la peine de partager, est un Nietzsche qui dit oui au tout de la vie. Nietzsche affirmatif, cela ne veut pas dire qu'il se vivait comme l'âne de Zarathoustra. Vous savez tout cela... Comme vous savez très bien que les auteurs de Pourquoi nous ne sommes pas nietzschéens visaient précisément une lecture parfois délirante de Nietzsche qui faisait cette fois de cet auteur -- qui fut choyé par les nazis -- un soixante-huitard avant l'heure (deviens ce que tu es, vive les multiplicités et le devenir...). Toute chose que Rosset, là encore dans l'entretien que vous n'avez pas lu, raille allègrement.

Pointer l'immoralisme de Nietzsche, c'est gentillet, et s'indigner de sa prétendue apologie de la force, c'est une imbécillité, bien plus qu'un malentendu de lecture, à laquelle un nombre considérable d'auteurs de langues française et anglaise a réglé son compte depuis longtemps.

Les auteurs que vous citez, à leur propos on se demande : "Ce n'est pas possible, ils n'ont tout de même pas lu au premier degré le mot de Nietzsche, 'On a toujours à défendre les forts contre les faibles...' " Eh bien si. (cf. le message de Pascal sur le littéralisme de certaines lectures paresseuses de type pied de la lettre.)

Alain Boyer, Vincent Descombes, Alain Renaut, Taguieff : oui, bon. A Royaumont, en 1964, le camp d'en face avait fière allure aussi : Martial Gueroult, Henri Birault, Karl Löwith, Jean Wahl, Gabriel Marcel, Giorgio Colli...
En l'occurrence, ce qui me semble être l’imbécillité la plus frappante, c'est de nous rebattre les oreilles avec l'admirable affirmation nietzschéenne — "dire oui au tout de la vie" —, et dans le même temps tenir que l'apologie de la force ne soit que prétendue et procède d'un malentendu.
De quel malentendu s'agit-il ? Et qu'est-ce que la vie, sinon la volonté de puissance ?
Tout chez Nietzsche tend vers l'augmentation de la force, la hiérarchisation des valeurs selon ce qu'elles laissent s'exprimer de la façon la plus inaltérée la "vie" entendue comme volonté de puissance, dont la force en acte est l'emblème et la manifestation optimale ; toute la "morale" nietzschéenne consiste à embrasser cette force et la vouloir magnifier, et rejeter ce qui pourrait la contrarier, l'altérer et la mutiler, comme la morale (traditionnelle, celle des esclaves), la subjectivité, la conscience, la laideur et la faiblesse.
Comment alors l'apologie de la force pourrait-elle être un malentendu, et du reste, pourquoi le penser ?
Vraiment, pourquoi penser que cela ne soit que métaphorique, et ne reflète pas l'intention de l'artiste ?
Dresser certaines listes de noms et arguer de leur précellence évidente en regard d'autres noms, c'est très bien et fort méritoire, mais encore faut-il dire quelque chose, montrer pourquoi on pense qu'on a raison...

Justement, à propos de la métaphore, ou de son absence, chez Nietzsche, je continue avec mon Comte-Sponville, qui me convainc sur ce point beaucoup plus que toutes les listes que vous pourrez me renvoyer, jusqu'à preuve du contraire :

« Malheureusement, si métaphore il y a, c'est en sens inverse. Nietzsche s'en est souvent expliqué, et cela touche au cœur de sa doctrine : loin que le corps soit la métaphore de l'esprit, c'est au contraire l'esprit qui est la métaphore du corps, son signe ou son symptôme, et toute philosophie n'est en cela qu'"une simple exégèse du corps, une simple méprise du corps" (GS). Nietzsche ajoute : "Derrière les plus hautes évolutions éthiques qui ont guidé jusqu'à présent l'histoire de la pensée se cachent des malentendus nés de la conformation physique, soit d'individus, soit de classes, soit enfin de races entières. Les orgueilleuses folies de la métaphysique, les réponses qu'elle donne, notamment, à la question de la valeur de la vie, peuvent toujours être considérées en première ligne comme les symptômes de certaines constitutions physiques"
Vouloir dédouaner Nietzsche de ses propos racistes ou barbares sous prétexte que chez lui il s'agit de métaphysique, c'est donc se tromper du tout au tout sur le statut nietzschéen de la métaphysique, laquelle, loin d'échapper à l'ordre vital du corps (et donc au biologisme), n'en est qu'une expression (un symptôme) parmi d'autres, qui n'est ni la plus digne ni la plus importante, et qui, surtout, reste en droit comme en fait sous sa dépendance. »

Sincèrement, je crois que là Comte-Sponville est très bien, et marque un point : il n'y a pas de métaphore qui tienne, concernant la volonté de puissance et l'apologie de la force, si la pensée elle-même n'est jamais considérée que comme un signe de l'état corporel, de l'état de forces dont on dispose...
30 mars 2018, 11:07   Erreur
Je me suis trompé de plage...
30 mars 2018, 15:36   Nietzsche on the beach
» Pointer l'immoralisme de Nietzsche, c'est gentillet, et s'indigner de sa prétendue apologie de la force, c'est une imbécillité

Encore un mot sur cette phrase, qui a une drôle d'allure : quand on place toute sa pensée dans la perspective d'une transmutation de toutes les valeurs, et veut opérer un renversement si radical de la morale qu'on prétend se situer par-delà le bien et le mal, l'immoralisme n'est pas qu'un hochet qu'on agite pour épater le badaud indigné : il est au cœur de la doctrine, il est ce qui la constitue et lui donne son sens, car il y a bien doctrine et contenu, thématique extrêmement et continûment charpentée, dès les premiers livres : à écouter certains, on pourrait penser qu'il n'y ait là qu'une attitude, un état d'esprit, une ébriété affirmative et joyeuse (en disant oui ! au tout de la vie), et même une sorte de gestuelle, pas de danse esquissé, voire, pour les plus malins, le teint halé par le soleil du sud y suffirait ; à peine Nietzsche aurait-il pensé et écrit quelques-uns de ses livres en fait...

Pouvez-vous m'expliquer, Pierre Jean, pourquoi "s'indigner" de l'apologie de la force serait une imbecillité ? À supposer donc qu'il y ait effectivement telle apologie de la force — quand on hypostasie à ce point la volonté de puissance, le contraire serait tout de même étonnant —, on peut en effet s'en indigner, c'est-à-dire n'être pas d'accord avec une telle anti-morale (si moralisante du reste), au nom de ses propres principes, desquels on ne tient pas à se défaire si facilement.
Est-ce donc si stupide en soi de tenir à ses principes moraux, et ne pas se précipiter en bon béni-oui-oui pour dire oui ! au tout de la vie, mais au contraire se payer le luxe de chipoter, et carrément refuser et dire non ! à ce qui advient et à ce sagouin de réel ? Je ne vois pas pourquoi... Qui est vraiment prêt à tout avaler au nom d'une prétendue intelligence supérieure de la vie ? Vous peut-être ?
Utilisateur anonyme
30 mars 2018, 16:11   Re : Nietzsche on the beach
@Alain

On peut, me semble-t-il, exiger de la force qu'elle ne se manifeste pas "bêtement" comme force, qu'elle ne soit pas une volonté de subjuguer, une volonté de terrasser, une volonté de dominer, une soif d'ennemis, de résistances et de triomphes... Non ?
Là, au débotté, je ne m'en sens pas tout à fait... la force. Plus sérieusement, songer, sentir, croire que l'immoralisme de Nietzsche est scandaleux et d'une radicalité telle qu'il faille voir en lui un appel manifeste à détruire physiquement, hommes compris (dans l'ordre, et à son époque, les chrétiens, les moralistes, les Allemands), tout ce qui rattache à la morale me sidère. Après, on peut brandir l'équivoque de la terminologie nietzschéenne, s'appuyer sur son indéniable agressivité (même si, chez Nietzsche, l'agressivité le dispute souvent à la plus grande douceur) pour exprimer un désaccord voire un dégoût. Primo Levi, par exemple, détestait le vocabulaire de Nietzsche mais, ai-je l'impression, non pas au nom de la morale mais parce que sa sensibilité faisait que le style de ce philosophe-là, de cet écrivain-là l’écœurait. Mais Levi, à la différence des aplatisseurs de discours, ne pouvait pas voir dans la philosophie à coups de marteau un chant de la force brute. Je me refuse, en tout cas, à l'imaginer.

Nietzsche, d'après les deux auteurs qui, selon moi, l'ont le mieux expliqué au XXe siècle (Deleuze et Fink), veut mener la vraie critique, précisément en philosophant à coups de marteau, pour, je m'autorise la pirouette, enfoncer le clou de la critique kantienne. Evaluer les valeurs doit se faire à ce prix. Quant à la doctrine de l'éternel retour, qui jamais ne s'incarna historiquement, Nietzsche lui-même, selon les spécialistes, y croyait guère. Ce grand fou, décidément, n'aura jamais fait de mal à une mouche...
Bien sûr qu'il n'a jamais fait de mal à une mouche : il était malade et dépressif presque tout le temps, la Salomé l'a bien mené en bateau, sa vie sexuelle s'est probablement limitée aux putes, et il en est vraisemblablement mort, on ne sait au juste... tu parles d'un mâle !
L'esprit symptôme du corps, avait-il écrit ; un colosse eût été beaucoup plus doux et serein, jamais si obsédé par la force et la puissance...
Utilisateur anonyme
30 mars 2018, 17:19   Re : Clément Rosset (1939-2018)
Erreur
Utilisateur anonyme
30 mars 2018, 17:21   Re : Clément Rosset (1939-2018)
Mouais... Bah c'est que les grands artistes sont rarement foutus, et durs au mal, comme Mike Tyson - ne l'avez-vous pas remarqué ? Et alors ?... Ça n'est pas ce qu'on leur demande.
Utilisateur anonyme
30 mars 2018, 17:23   Re : Clément Rosset (1939-2018)
Deleuze le reconnaissait : pourvu d'une excellente santé il n'aurait pas écrit une ligne.
Il aurait pu faire du mal avec ses écrits. Tiens, il n'y a plus qu'Heidegger qu'on accuse de cette ânerie (comme chacun sait, Hitler et Eichmann s'endormaient chaque soir en serrant dans leurs bras un exemplaire d'Etre et Temps...)

L'homme Nietzsche, c'est vrai, n'était pas toujours très vigoureux... Ce sont les affreux symptômes, y compris neurologiques, d'une syphilis, lesquels, couplés à un tempérament un tantinet tourmenté, qui lui auraient pourri la vie et fait basculer dans une démence mortelle.

Deleuze le reconnaissait : pourvu d'une excellente santé il n'aurait pas écrit une ligne.

Cette analyse par Deleuze du perspectivisme de Nietzsche à partir de l'examen du rapport maladie/grande santé, attention les yeux !
30 mars 2018, 17:50   L'érection des pages
Citation
Pascal Mavrakis
@Alain

On peut, me semble-t-il, exiger de la force qu'elle ne se manifeste pas "bêtement" comme force, qu'elle ne soit pas une volonté de subjuguer, une volonté de terrasser, une volonté de dominer, une soif d'ennemis, de résistances et de triomphes... Non ?

Pascal, ce que vous dites là, n'est-ce pas précisément nier la vie au nom de la morale ? Vous voulez exiger quelque chose de la force, c'est-à-dire chipoter, vous aussi, sur l'expression plénière de cet excès de force qu'est la vie, en retrancher ce qui en constitue la pureté originelle, pour le mieux-être d'hommes moralement débilités qui n'ont plus la vitalité d'affirmer crânement le tout et de danser sur l'abyme ?
Mais enfin, la moitié des pages de Par-delà... au moins, se dresse là-contre...
sa vie sexuelle s'est probablement limitée aux putes, et il en est vraisemblablement mort, on ne sait au juste... tu parles d'un mâle !

Terrible impression d'entendre parler un connaisseur, une autorité de la question.

Dans cette seconde moitié de XIXe siècle, il serait plus rapide et facile de dresser la liste des grands maîtres d'oeuvre de l'esprit et des artistes qui ne sont pas morts de la syphilis que de dénombrer ceux que cette maladie a emportés. Alphonse Daudet, pour rester dans le Midi cher à Nietzsche, est un nom qui me vient à l'esprit, auteur point aussi dissemblable de M. Nietzsche qu'il y paraît, pour avoir partagé avec l'Allemand le même mépris pour ses contemporains. Etre lentement et fatalement (et très douloureusement) dévoré par cette maladie devait nourrir chez le patient un vaste et profond mépris pour le genre humain, une colère chronique envers lui, comme chez les premiers malades du sida (cf. Guy Hocquenghem dans les années 80 du siècle dernier). Crever seul comme chien de "la maladie d'amour" doit avoir de quoi vous mettre à cran envers l'humanité basse, et spécialement envers tous les faibles qui vous ont collé le diable dans les veines en ornant leur geste de sourires et de gloussements.

Je crois avoir lu je ne sais plus où que la maladie avait été inoculée à Nietzsche par des empoisonneurs, des espèces de farceurs, malveillants par jeu, appartenant à son entourage. Les putes n'y auraient été pour rien.
Bien vu, le rapport syphilis/sida à travers l'exemple d'Hocquenghem, nietzschéen étrange et sulfureux. (Ces années ont compté autant de nietzschéens hautement dionysiaques que de nietzschéens qui le furent plus bassement.)

Je crois avoir lu je ne sais plus où que la maladie avait été inoculée à Nietzsche par des empoisonneurs, des espèces de farceurs, malveillants par jeu, appartenant à son entourage. Les putes n'y auraient été pour rien.

Exact, cela fait partie des versions discutées. Personne, sur l'homme, n'a su en outre être définitif quant à son apparence physique. L'exhaustive monographie de Jaspers regorge de témoignages contradictoires : très grand / trapu, voix fluette/ voix rauque, etc. Mais tout le monde s'accorde à dire que Nietzsche était le plus délicat et attentionné des individus.
Francis, toujours aussi bien disposé !
En réalité, il paraîtrait, selon des études très sérieuses, que Nietzsche serait mort d'une tumeur au cerveau plutôt...
Lui se tenait pour victime de la syphilis. C'est l'essentiel. Tout le reste (misanthropie, culte de la force physique, et tout son évangile zarathoustrienne du surhomme, etc.) suit, comme une intendance philosophique le combat du corps vers la gloire.
Francis, le retour ! Sur ce forum aussi, un seul être vous manque et tout est dépeuplé...
Tumeur au cerveau : la syphilis, en cela bien comparable au sida, engendre toutes sortes de maux sans causes. Lisez la Doulour de Daudet, dont la colonne vertébrale tire-bouchonnait sans raison dans ses vieux jours.

Du reste, on ne mourait pas du sida mais "de scepticémie" ou d'encéphalopathie (M. Foucault) ou de "pneumonie aiguë" dans les années 80 du siècle dernier, comme Nietzsche de toutes sortes de causes combinées et mal isolées.

Mourir du sida, ou de la syphilis c'est toujours mourir du genre humain, tout en étant banni de son appartenance, mis en quarantaine.
Du reste, on ne mourait pas du sida mais "de scepticémie" ou d'encéphalopathie (M. Foucault) ou de "pneumonie aiguë" dans les années 80 du siècle dernier, comme Nietzsche de toutes sortes de causes combinées et mal isolées.

Sur la faible non-pensée monocausale triomphante, qui est une idéologie, il y aurait tant à dire... Un nouveau discours dominant fait du vin "un alcool comme les autres". Aucun bienfait, rien, le vin est cancérogène au premier verre ! Il est "directement responsable" du développement d'au moins 8 types de cancer ! Au spécialiste qui, sur France 5 hier, tenait ces propos de talibans, personne n'a songé à demander socratiquement : Très bien, cher Professeur. Mais alors, si la consommation de tous les alcools est "directement responsable" de la formation d'au moins 8 cancers, pouvez-vous nous parler du risque d'incidence des 8 cancers en question dans les pays musulmans, où aux dernières nouvelles on ne consomme jamais ou presque d'alcool ? Pouvez-vous nous dire si, en Argentine, où l'on petit-déjeune en dévorant des entranas saignantes, les gens meurent toutes les cinq minutes de cancers colorectaux ? Les Pakistanais, qui boivent cul sec un litre de thé brûlant par jour, crèvent-ils tous de cancers de l’œsophage ?

La non-pensée monocausale ne saurait même pas imaginer que ce sont le culturel et le psychique, qui, au cœur de l'infini biologique, allument et éteignent des gènes suppresseurs de tumeurs ? Apparemment, oui.
Utilisateur anonyme
30 mars 2018, 18:59   Re : Clément Rosset (1939-2018)
Citation
Francis Marche
Lui se tenait pour victime de la syphilis. C'est l'essentiel. Tout le reste (misanthropie, culte de la force physique, et tout son évangile zarathoustrienne du surhomme, etc.) suit, comme une intendance philosophique le combat du corps vers la gloire.

Un "combat du corps vers la gloire" comme une expression du grand style : la philosophie comme radicalisme aristocratique.

Mais, de grâce, évitons tout biographisme psychologisant...
Ah non, Pascal, apprendre la sorte d'hommes que furent les titans de la pensée occidentale, ce qu'ils avaient dans la tête en se rasant le matin, sera toujours fascinant. Pas besoin de s'attarder non plus sur cet aspect, mais en dire un mot est à chaque coup excitant pour le lecteur.
Route de nuit et Loin de moi, de Clément Rosset, m'ont beaucoup plu quand je les ai lus, au temps où je multipliais les lectures sur l'autobiographie. J'ai tout oublié de ces bons livres.
Sur la médecine matérialiste et monocausale qui continue de voir dans le corps l'oeuvre d'un corps de principes mécanistes, en prenant grand soin de séparer l'esprit des problématiques virales, par exemple, Tom Campbell à partir de 2 : 02. 00 dans cette vidéo YouTube. T.C. commente les critiques de Rupert Sheldrake sur les 10 dogmes de la science.


[www.youtube.com]

Selon lui, un vieil atavisme, ou du moins un biais hérité de l'histoire des sciences en Occident, écho des conflits particulièrement douloureux qui ont opposé au XVIe siècle l'investigation scientifique au monde de la foi, et au pouvoir de ce qu'il nomme "les grands prêtres", rend compte de l'obsession persistante qu'entretient la science contemporaine, un bon siècle après la mise en évidence de la mécanique quantique, en faveur des mécanismes acéphales, de la pure logique computationnelle, instituée théologie moderne : le scientifique retient "dans son ADN" d'Occidental la leçon donnée par les théologiens de l'Eglise qui brûlèrent et persécutèrent ceux qui avaient outrepassé les bornes de l'investigation matérielle. Le scientifique a peur du bûcher, cinq siècles après la fin traumatisante infligée à Giordano Bruno. Aussi, s'interdit-il, comme un enfant victime d'une punition ancienne et particulièrement sévère, de mordre sur le terrain de l'immatérialité, sachant trop qu'il peut lui en cuire de le faire.

Donc, le délégué des "grands prêtres" de jadis, leur vizir, c'est le chef de laboratoire, sorte d'évêque Cauchon, collabo d'un pouvoir spirituel qui n'est plus, sous-théologien du vrai, qui, chat échaudé craignant l'eau froide, musèle la science et cantonne ses investigations à l'univers matériel et à une vision empiriste logique du réel (vision "ferme ta gueule et calcule" comme se plaisait à ironiser Richard Feynman) . Pas mal trouvé si vous permettez.
Le neurochirurgien Hugues Duffau a, pour sa pratique, surmonté les impasses simplistes du localisationnisme (tout est réduit aujourd'hui à cette foutue amygdale). Le bougre opère ses patients éveillés la cervelle à l'air, il leur demande de le guider par la parole en stimulant telle aire cérébrale afin d'éviter tout dégât lésionnel irréparable.

C'est prodigieux, un mélange génial de thaumaturgie, de talking cure et de neurobiologie de pointe.
Tom Campbell, qui a travaillé toute sa vie à la Nasa comme ingénieur, c'est à souligner (on rappelle qu'Edmund Husserl avait été longtemps mathématicien avant de devenir ce philosophe majeur de son temps, Spinoza polisseur de lentilles, etc.), propose un modèle phénoménologique transcendant radical, et par là même fort intéressant, me semble-t-il, du réel : le réel n'est qu'information, et toute notion de vérité ne s'articule que dans le virtuel. Le réel est une réalité virtuelle constituée d'informations "discrètes" (pixellisées en quantum) et qui, parce qu'elle n'est qu'interprétation et modèle doit être programmée hors de son objet. N'est réel que ce qui est concevable et le vrai n'est qu'une fonction dérivée du concevable, de l'exprimable dans un consensus que réunissent des observateurs, mais l'acte d'obversation non accidentel, consenti par le vouloir, crée déjà l'information-réel, par intention, ou expectative ou héritage. L'être n'est plus donné que comme intention ou discours consensuel : l'observateur participant au réel engendre l'objet de son observation.

Le terme information dans le monde anglosaxon est un curieux fourre-tout mais dans cette théorie (Campbell s'est fendu d'un traité de 800 pages intitulé My Big Theory of Everything, ironiquement abrévié en My Big TOE par son auteur), il paraît grossièrement équivalent à celui de discours ou de logos. Tout raisonnement logique est fruit ou produit dérivé de discours et le point d'aboutissement consensuel de tout discours (quitte à ce que celui-ci ne soit atteignable qu'au terme d'un long processus dialectique et contradictoire) n'est autre que cela : une information instituant le réel. L'information, le réel donc, se donne alors comme condensat de discours. Il n'y a ni information ni discours sur le réel, ou à propos de lui ou connexe à lui mais seulement une information-réel, et toute destruction de cette transcription couchée sur quelque support que ce soit entrainera un effacement du réel lui même; bien effacement de l'objet réel et discernable et nommable et non de l'image informationnelle ou mémorielle qui en aura été la trace effaçable. Le réel s'efface, dans son intégralité, quand s'efface son image ou son "information".

On interroge Campbell, on lui dit : "supposons qu'une équipe de scientifiques munie de télescopes suffisamment performants découvre une nébuleuse dans un recoin de l'univers, qu'ils la décrivent et la nomment, puis que, par quelque catastrophe, toute l'équipe soit anéantie et que tous meurent, supposons aussi que tous les appareils ayant servi à cette découverte et toutes les archives où elle fut consignée soient détruits ou perdus, si une autre équipe venait à observer cet endroit du ciel, sûrement cette seconde vague de scientifiques retrouverait la même nébuleuse, n'est-ce pas ?"

Campbell est catégorique : c'est non. Une autre équipe, munie d'autres instruments, dans un temps autre, une époque différente de celle de la découverte initiale, produirait une observation-discours très vraisemblablement autre : ces scientifiques identifieraient l'objet comme une étoile naine rouge (par exemple) ou tout objet cosmique consensuel autre que le premier. L'observation-discours est matériellement irrépétible, d'où il découle que son objet n'est que probabilistique. La probabilité est stable, mais l'observation-discours est folle, variable, incontrôlable et créatrice de son objet. L'observateur n'observe pas, il conçoit, et enfante le réel.

Donc, oui, il y a quelque chose plutôt que rien, mais ce quelque chose n'est point définissable et arrêtable hors le discours, dicté par les circonstances sociales, historiques et subjectives arrêtées et qui en arrêtent l'identité. L'être s'en échappe. Il est le fruit et le corps d'un texte démiurge dont l'inscription transcendante s'opère hors les mains des hommes.
Exposé par T. C., dans un entretien informel de 2012, de sa théorie du réel probabilistique arrêté par l'information. Sa théorie fut élaborée à partir des résultats de l'expérience des fentes de Young (https://fr.wikipedia.org/wiki/Fentes_de_Young), soit "double-slit experiment" en anglais, terme qui revient souvent dans la bouche de T. C. et que l'auditeur francophone ne reconnaîtra peut-être pas d'emblée :

[www.youtube.com]
Il est remarquable que pour T.C., le réel n'a qu'un "souci" : sa propre cohérence informationnelle. C'est le ciment du réel. D'où l'importance de l'historique des hommes et des choses : c'est la transmission historique des données (du donné devrait-on dire) qui fabrique le réel, l'institue, le fixe. Le réel n'obéit qu'à une seule règle majeure : la cohérence des données, la règle la plus fondamentale de ce jeu qui se joue à plusieurs (7 milliards d'humains) est : le réel n'est que données. Hors ces données, il n'existe pas, il n'y a rien en amont de la réception collective du réel sur la plaque où se recueillent les données qui le constituent. Il n'est point de réel hors le recoupement des données perceptives et partagées qui le stabilisent en tant que réel, qui en arrêtent la nature. Rien. C'est-à-dire le néant, le moins que vide. "Comme lorsque le serveur du jeu vidéo en ligne à Warcraft s'éteint : la matérialité des rochers, des rivières et des monstres s'évanouit totalement, n'a point cours faute de joueurs, n'a jamais été". La matérialité illusoire du réel s'éteint comme une lampe et retourne au néant quand son flux probabiliste n'est plus arrêté par aucune transcription informationnelle. Elle est, littéralement hors jeu.
"Comme lorsque le serveur du jeu vidéo en ligne à Warcraft s'éteint : la matérialité des rochers, des rivières et des monstres s'évanouit totalement, n'a point cours faute de joueurs, n'a jamais été".

Sommes-nous en mesure d'empêcher que ce qui "n'a jamais été" se mette à vouloir naître ?
Très intéressant Jean-Jacques Kupiec, porteur de cette idée d'un hasard au cœur de la cellule.
Le réel est une réalité virtuelle constituée d'informations "discrètes" (pixellisées en quantum)

Le père de la théorie de l'information est Shannon. Le théorème de Shannon est célèbre parce qu'il permet de transformer un signal continu en signal discret, numérique, pixellisé. C'est lui qui nous a fait passer du disque vinyle (gravé physiquement) au disque numérique qui ne contient plus que des 0 et des 1.
Tout cela est très lié au laser.
Shannon permet de passer de la physique du continu (analogique) à la physique du discret (logique), et inversement.
Le signal physique est échantillonné, et si nécessaire, reconstruit pour redevenir analogique, sans perte(s) de donnée(s). C'est ce que fait le lecteur CD. L'information est reconstruite par une technique inverse (les transformations de Fourrier), technique que l'on retrouve partout, par exemple, avec les fichiers .zip qui discrétisent (compressent) et restituent (décompressent) à volonté pour notre univers analogique, celui des mots. Pareil pour les nombres à virgule flottante qui sont numérisés pour le calcul avant leur 'reconstruction' pour réapparaitre sous forme analogique, le nombre composé des chiffres, de la virgule, de la mantisse.

Le théorème de Shannon dit en gros que pour un signal analogique de période T, il faut au minimum 3 points d’échantillonnages (l'exemple ci-dessous est dit 'digital' : l'axe des abscisses devient numérique, mais l'axe des ordonnées reste analogique. Donc digital signifie en fait à moitié numérique).



En fait, les mathématiques du continu et du discret sont au cœur des travaux de Grothendieck. Et Alain Connes qui commentait ses travaux avait fait cette remarque:
- La coexistence du continu et du discret n'est rendu possible que par la non commutativité.

Autrement dit, la coexistence du continu et le discret, ce n'est rien d'autre qu'une nouvelle façon de poser la question du temps, la question tautologique par excellence.
Donc, et en manière de reprise d'une discussion déjà ancienne (dix jours, une éternité !) portant sur les notions imbriquées de vérité et de puissance : le Grand Remplacement, se défend Renaud Camus, n'est pas un concept, mais un fait constatable. Or, avant lui, ce "fait constatable" n'avait émergé dans aucun discours ni écrit. Ceux qui présentent le GR comme "concept" ont tort bien sûr, mais R.C a tort lui aussi de nous dire que ce n'est là qu'un diagnostic ou constat ou "fait". C'est un arrêté de réel. C'est l'effondrement d'un flux de propabilités et d'indétermination (the collapse of the wave function selon l'expression des mécaniciens quantiques).

L'écrit Le Grand Remplacement est un arrêté. Il institue, il "crée" le réel et toute l'énergie du réel se solidifie dans le concept et son rayonnement d'implications, tant négatif que positif. Si le GR entre dans le débat, fait l'objet d'un débat, cristallise une problématique métapolitique ("historique" dit Camus) en Europe et en Amérique du Nord ce n'est pas parce que RC est un créateur de concept génial ni un observateur (impartial ou partial) du réel d'une sagacité extraordinaire mais parce que son dit arrête les flux indéterminés de ce qui advient : il les matérialise irréversiblement.

L'observateur donne à concevoir autant qu'il donne à observer et son dit instaure une matérialité. Il est créateur. Tout observateur est créateur de réel au sein de la matrice que nous sommes convenus de nommer réel.

Comment vérité et puissance s'articulent-elles dans cette dynamique, pour former ce que j'ai appelé une unité phénoménologique ?

Parce que le réel est énergie, sa surrection néguenthropique obtenue par le dit qui en matérialise les flux est synonyme de puissance/énergie. Et, ressenti comme vérité, cet arrêté fixateur se soude à la puissance qu'il fait naître. Le discours qui décrit le Grand Remplacement est puissant de vérité (puissance allégorique) et cette fonction allégorique s'effondre à son tour dans l'émulation d'une puissance politique nouvelle.

Voilà, grossièrement résumé, où je voulais en venir dans les discussions qui m'ont opposé à Alain Eytan dans le courant du mois.
à Pierre, en écho à sa dernière intervention sur la nature discontinue (pixellisée) du temps et de l'espace, cet exposé "au coin du feu" de Tom Campbell sur les paradoxes de Zénon et la solution qu'en offre cette discontinuité :


[www.youtube.com]
31 mars 2018, 17:10   Ce qui n'a jamais été
J'essaie de préciser ma question, un peu confuse.


Francis écrit : "Comme lorsque le serveur du jeu vidéo en ligne à Warcraft s'éteint : la matérialité des rochers, des rivières et des monstres s'évanouit totalement, n'a point cours faute de joueurs, n'a jamais été".

Sommes-nous en mesure d'empêcher que ce qui "n'a jamais été" (les rochers, les rivières et les monstres) se mette à vouloir être ? En d'autres termes, sommes-nous en mesure d'empêcher que le jeu vidéo Warcraft s'émancipe du joueur ?
31 mars 2018, 19:49   La vie des particules
Avant d'être appréhendés par le Verbe de Renaud Camus nous étions si improbables, puis en un battement de cils devînmes si remplaçables, quelle misérable et brève existence...
Utilisateur anonyme
31 mars 2018, 20:15   Re : La vie des particules
"mais parce que son dit arrête les flux indéterminés de ce qui advient : il les matérialise irréversiblement."
///

Son dit n'arrête pas les flux migratoires, bien RÉELS, eux. Le dire ("le Verbe de R.C."), face à l'énormité de ce advient, trouve là ses limites, hélas...
Dans l'interprétation du réel que propose de T.C, je crois que non, Thomas, pour la simple raison qu'il y a archive, mémoire, dépôt, trace dans la conscience collective. Mon "n'a jamais été" est une exagération : rien de ce qui a laissé trace comme objet ne peut être aboli. L'exemple de la nébuleuse évanouie des mémoires par une catastrophe est autre. Il faudrait pour anéantir les rochers et les rivières et les monstres de ce jeu, que personne, jamais, ne puisse s'en souvenir, ce qui, bien évidemment, est trop tard pour être envisagé ou seulement imaginé. Ce qui est transcrit comme chose ne meurt qu'avec le ou les supports de cette transcription, dont la multiplicité tend désormais vers l'infini.

L'ordinateur universel (celui du "serveur universel"), c'est la conscience universelle, laquelle s'occupe à ne point mourir en multipliant les traces mémorielles de ses constructions. Donc, oui, l'intention crée le larron ! et rien ne pourra empêcher la résurgence future des choses du réel sur lesquelles la conscience a apposé son sceau quelles que soient les formes de vie que revêtira cette résurgence. Le vouloir être des choses dites et sues est irrépressible.
Cette question à Pierre, dont j'aimerais connaître la réponse :

Les mathématiques... institutionnelles, dirons-nous, affirment que le hasard n'a pas de mémoire (Chance has no memory, comme cela se dit dans les universités outre-Atlantique).

Le problème de la mémoire, enfin sa problématique, qui survient lorsqu'on se trouve confronté au mur computationnel est que cette mémoire s'inscrit dans et par le temps. Or l'adage des mathématiciens qu'on vient d'énoncer, ce faisant, fait fi de toute pertinence du temps. Le temps n'est point pertinent, semblent-ils nous dire, aux lois mathématiques. Ce qui retire à celles-ci un peu plus de leur accès et de leur pertinence au réel humain.

Soit le cas du jet d'une pièce de monnaie, qui selon les lois connues et ordinaires de la probabilité donne 50 pour cent de chances de voir la face se présenter au repos, et cinquante pour cent de voir le côté pile.

Si après 25 jets, le côté face a été le résultat, au 26ème jet, le taux de probabilité d'avoir le côté pile pour résultat sera inchangé, nous disent les mathématiciens, en vertu du principe que "le hasard n'a pas de mémoire" : il sera toujours et encore de 50 pour cent.

Or cette manière extrêmement fruste de calculer les probabilités fait tout simplement fi de l'existence du temps, et de l'histoire, savoir qu'il y a ignorance obtuse, délibérée, bornée et militante du facteur durée dans ce calcul.

Des mathématiques moins militantes, moins sottes et bornées devraient faire de la série des résultats "face" sur les 25 jets, un objet mathématique, soit une série qui soit objet dans la maison du temps ("maison" c'est à dire "durée" et non tissu temporel ou chronologie). Elles nommeraient cet objet A-25 où "A" désignerait la série continue des résultats "face" et 25 le nombre des jets.

Un nouveau plan, intégrant la "durée" (bergsonnienne) serait par là-même constitué sur lequel les lois de probabilité pourraient à nouveau s'exercer : les mathématiques diraient alors que l'objet A-25 possède une probabilité d'occurence de 1/500 par exemple, et l'objet A-26 une probabilité d'occurrence dans cet espace (ou "maison", comme je l'ai proposé), de 1/600, etc.

La durée, en mathématique (bien en mathématique, et non en physique), n'existe pas, du moins dans ce qui fait le coeur de la mathématique, soit les flux probabilistes, ce qui est pure folie, scandale à mes yeux.

Qu'en est-il selon vous ?
Cette question est une des plus humaines qui soit. Le temps, c'est-à-dire l'expression du chaos [quantique].
Le chaos fait qu'une chose ne peut jamais se reproduire, car, dans l'infiniment petit, rien n'est distinguable. Comment fait-on pour répéter deux actions parmi 1019 actions ?
Dans notre monde macroscopique qui résulte de ce chaos, comment peut-il en être autrement; parvenir à répéter deux fois la même chose (avec le même objet) ?
Il faut donc un concept pour exprimer cette idée de non-reproductibilité d'un événement, c'est ce que nous nommons le temps.
Ou alors, casser deux tasses revient à casser deux fois la même tasse.
La formule dès lors devient simple:

le temps est l'expression du chaos qui est en nous.


Ce qu'il faut observer:
- en physique, aucune formule qui fait intervenir le temps, pas de formule avec 't' (sauf en cinématique, mais c'est un seulement pratico-pratique), ni celle de Maxwell, de Einstein, de Schrödinger, ....
Il n'y a pas de temps dans l'infiniment petit.

Hasard et Chaos sont des concepts liés à la physique, aux objets, à l'infiniment petit.
Le Temps, lui, est le même concept mais appliqué aux hommes et transposé dans notre monde macroscopique.

Hasard, Chaos, Temps, c'est seulement une question d'échelle.
Or cette manière extrêmement fruste de calculer les probabilités fait tout simplement fi de l'existence du temps, et de l'histoire, savoir qu'il y a ignorance obtuse, délibérée, bornée et militante du facteur durée dans ce calcul.

Jetez, non pas une pièce, mais 1019 pièces. La probabilité sera toujours de 1/2 et ce pour la totalité des pièces. Pour jouer avec ce tas de pièces, il faudra nécessairement marquer la pièce que vous suivez, l'esprit humain fait ça très bien, la Physique, elle, l'interdit. Si vous marquez la pièce en question et que vous lancez le tas de pièces pour un 25e jet, il vous faudra une vie entière pour la retrouver dans le tas. De sorte que le jeu des probabilités s'arrête.
Autrement dit, les probabilités et la mémoire cohabitent à condition de travailler avec un objet unique celui que l'on suit. Cet objet est marqué et chaque jet est mémorisé.
Mais en agissant ainsi, on passe du chaos de l'univers à un univers totalement ordonné car désormais, une seule pièce est marquée et seule cette pièce est suivie.
Pour faire une comparaison un peu triviale, cela revient à réduire la vitesse 'naturelle' de l'univers qui est la vitesse de la lumière, à notre propre vitesse qui est de 1 m/s, puis à élaborer des concepts qui expriment au ralenti ce qui se déroule à très grande vitesse. Ainsi, le temps n'est plus rien d'autre que du chaos observé au ralenti.
« Jetez, non pas une pièce, mais 1019 pièces. La probabilité sera toujours de 1/2 et ce pour la totalité des pièces. »

C'est vrai pour chaque jet pris isolément mais c'est absolument faux lorsque l'on considère la série dans son ensemble.
Sentiment en vous lisant que la science physique n'a longtemps été "rien d'autre" que des mathématiques prenant en charge une certaine notion de temps linéaire. Ce qui est très insuffisant mais qui est déjà ça.

A l'échelle sub-atomique, les processus font fi de la temporalité et en un sens le temps en ressort comme pertinent à la seule échelle des phénomènes macro-physiques, dans lesquels nous, humains, baignons.

Les cumuls historiques, ceux qui se font par répétition des phénomènes dans le réel, forment une force entraînante (entropique, néguentropique, etc.) que les mathématiques ne veulent pas connaître. C'est gênant.

Le temps, et donc avec lui la macro-physique, s'extraient de toute matrice mathématique pure par corpularisation des phénomènes. Le monde mathématique ne connaît que les phénomènes ondulatoires. L'expérience des fentes de Young permet d'observer cette charnière : le monde mathématique des flux de lumière qui sont de nature ondulatoire, laisse place de manière évidente et soudaine à un afflux corpusculaire de photons, soit un phénomène exclusivement physique. Or l'advenue du temps et du corpuscule s'opère tout uniment avec celle du monde physique que nous nommons "réel" ou "réalité". Et il est à observer, et à retenir que cet avènement soudain s'obtient par interpollation d'un détecteur dans le champ ondulatoire de la lumière. C'est à dire que, pour résumer, il y a contagion de réel : l'objet physique (le détecteur, l'oeil de l'observateur), qui appartient à l'espace des entités corpusculaires, fige les flux ondulatoires en les corpuscularisant. Il les contamine de sa physicalité.

Le temps en ressort comme notion bien plus physique (matérielle) qu'on ne le pense généralement.

Le jet de pièce est un acte physique, il est donc contradictoire, scandaleux, de s'obstiner à ne point intégrer dans les flux probabilistes l'espace de la durée dans la succession des jets. Absurde et scandaleux parce que le temps (et ses concrétions que sont les durées) agit de plein droit sur les processus macro-physiques et matériels parmi lesquels se rangent les jets de pièces de monnaie.
Sentiment en vous lisant que la science physique n'a longtemps été "rien d'autre" que des mathématiques prenant en charge une certaine notion de temps linéaire. Ce qui est très insuffisant mais qui est déjà ça.

La science physique est une science appliquée [à la société humaine].
Même Einstein. La première fois qu' Einstein a publié un article sur la Relativité, c'était pour répondre à une demande des industriels qui souhaitaient que deux horloges, entre deux pays, soient synchrones bien que autonomes. Il s'agissait de mettre les gares à la même heure. Einstein a démontré par la Relativité que ce n'était pas possible.

La physique générale n'a pas besoin du temps. Mais la physique appliquée [aux hommes] nous ramène constamment à lui.
On retiendra au passage que la corpuscularité (ou devrait-on parler à présent de "granulosité" ?) apparaissant simultanément avec l'afflux, lequel ne se conçoit pas sans cumul sur la durée, devient cohérente avec la nature corpusculaire du réel animé par la temporalité. Par conséquent il y a dans cet ordre du réel non purement mathématique une cohérence à laquelle le temps lui-même n'échappe pas : il est lui-même contaminé par la corpuscularité du réel (mise en évidence par celle de la lumière dans l'expérience des fentes de Young), ce qui tend à corroborer la thèse de Campbell qui nous parle de pixélléïté du temps (dans sa méditation sur les paradoxes de Zénon -- voir supra).

Donc l'univers mathématique qui n'intègre pas le temps physique ne peut le faire de par la nature pixéllisée et physique de celui-ci et cette nature discontinue de l'espace-temps physique se manifeste dans un découpage du temps en durées et dans la physicalité de la lumière (photons). A la granulosité générale et universelle de la sphère physique, -- durées, photons, afflux --, s'oppose la fluidité générale de la matrice en laquelle elle s'engendre (par contamination) : champs, nature ondulatoire de la lumière, indifférence du calcul probabiliste au cumul des durées; flux stables devant l'entropie.

Le dérangement (détection, observation, écran) de la matrice des flux et des champs engendre un temps pixéllisé simultanément à l'advenue du monde physique.

[message modifié]
Toute détection d'un flux fait surgir un afflux dans le réel. En sciences politiques : la détection/observation d'une logique de flux (p. ex. le remplacisme des êtres comme régime universel de la modernité) fait surgir dans le réel observable le Grand Remplacement, qui est un afflux. Antérieurement à sa détection le GR n'était que flux probabiliste, champ de force. Postérieurement à elle, il se révèle en afflux, se manifeste en cumul et invasion de corpuscules dans la durée. Le réel afflue, envahit tout le champ (politique et historique) selon une logique cumulative et la réalité désormais nommable prend corps par contamination instantanée.
03 avril 2018, 16:28   More is different
» en physique, aucune formule qui fait intervenir le temps, pas de formule avec 't' (sauf en cinématique, mais c'est un seulement pratico-pratique)

Je ne sais pas ce que vous appelez au juste "pratico-pratique", mais tout de même, il n'y a aucune relativité einsteinienne concevable sans intervention du temps, comme une des coordonnées déterminant un événement dans un continuum espace-temps, et ce de façon non anecdotique ou négligeable, puisque ce temps mesuré influe le plus réellement sur la matière dont il est l'un des paramètres, non ?...

» Il n'y a pas de temps dans l'infiniment petit.
Hasard et Chaos sont des concepts liés à la physique, aux objets, à l'infiniment petit.
Le Temps, lui, est le même concept mais appliqué aux hommes et transposé dans notre monde macroscopique.


Vous savez, cela revient à faire une chose curieuse : juger de la nature véritable du temps selon le niveau de réalité où ce temps (d'après vous) n'existe tout simplement pas.
Le problème n'est pas simple, et pourrait pourtant être résumé de façon triviale : nous ne sommes pas des bosons, et le milieu macroscopique et sensible (le niveau d'organisation du réel) dans lequel nous évoluons n'est pas en lui-même un milieu quantique : à partir du moment où la réalité est stratifiée en couches successives de niveaux d'organisation faisant apparaître, à chaque niveau considéré, des phénomènes propres comme propriétés émergentes d'une matière de plus en plus complexifiée, peut-on purement et simplement transposer ce qui apparaît comme pertinent au niveau le plus élémentaire (celui des particules) dans un niveau infiniment plus complexe où apparaissent des phénomènes qui ne veulent strictement rien dire pour l'électron lambda : le vieillissement, la subjectivité, la conscience, la mémoire etc. ?
Bref, est-ce que le temps tel qu'il est "expérimenté" par le vivant et l'homme en particulier n'est pas de nature si intrinsèquement inédite qu'il ne puisse tout simplement pas être réduit à des concepts appartenant pratiquement à un autre monde, un autre niveau d'observation du réel, quand bien même nous serions composés d'éléments décrits à ce niveau-là ?
03 avril 2018, 18:32   Re : More is different
(je savais que je n'allais pas me sortir de cette question ...)

Libre à vous de considérer l'espace comme un espace-temps, et d'y appliquer la relativité générale. C'est ce qu'on fait à peu près partout, et ça marche très bien. Mais la relativité générale s'applique à bien d'autres espaces dans lesquels le temps ne figure pas, l'espace de Hilbert par exemple.
En fait, il faut distinguer deux 'temps':
1 - le temps qui marque l'heure et qui relève de la norme horlogère (et qui est utilisé en RG).
2 - le temps qui s'observe sur les visages. Il n'est pas nécessaire de disposer d'une montre pour savoir sur quel visage le temps a déjà fait son oeuvre. Moins le visage est symétrique, plus la personne est âgée. "Un espace muni d'une géométrie non commutative induit des univers qui génèrent leur propre temps". Traduction approximative: "une physionomie, une allure, munie d'un visage non symétrique induit un individu qui génère son propre temps".
Donc:
0 - le temps est quelque chose que l'on produit,
         prendre son temps,
          perdre son temps,
          occuper son temps sont des travers de langage. Le temps n'est pas consommé il est produit.
1 - le bébé ne produit pas de temps. Le vieillard en produit beaucoup
Utilisateur anonyme
03 avril 2018, 22:29   Re : More is different
"Quand je parle du temps, c'est qu'il n'est déjà plus." (Apollinaire)

Et si les choses étaient réalisées par la langage ?, et en même temps court-circuitées par lui ?
Ainsi de la lutte des classes. Quand Marx en énonce le concept, quand celui-ci affleure à la conscience, historique, c'est que la phase sauvage de la lutte des classes est déjà terminée. La pensée, comme le Messie de Kafka, arrive toujours avec un temps de retard.

Paradoxe : la réalité existe de par le langage puis, tout doucement, à l'ombre du langage, elle cesse d'exister.
04 avril 2018, 14:04   Des gnards tout neufs
» le bébé ne produit pas de temps. Le vieillard en produit beaucoup

Tiens, j'aurais plutôt dit que le vieillard est un produit du temps, de fabrication ancienne, alors que le gnard qui vient d'être pondu et ne sait pas encore ce qui l'attend, le pauvre, est tout neuf.

À vrai dire j'ai souvent l'impression que lorsque certains scientifiques parlent du temps, ils parlent en fait d'autre chose, éludent le problème réel qui se pose à nous et dont nous faisons à chaque instant l'expérience, dont chaque instant constitue l'expérience : le réel sensible synchrone avec la perception qu'on en a, c'est-à-dire ce qu'on appelle le "présent", est la matérialité même de notre existence : (!) est passée la matérialité des moments passés, qui pourtant, chacun en leur présent, étaient tout aussi matériels que mon présent sensible que j'ai maintenant sous la main ? C'est en fait le critère même de ce qui existe, de ce qui est, que le temps fait chanceler à chaque instant de son écoulement, et il semble que l'esprit humain a même du mal à prendre la mesure précise de cette interrogation et à s'y confronter, parce que la façon de poser la question ("où" ?), de connotation spatiale, est justement impropre à exprimer la dimension temporelle intrinsèque : la "commutativité", c'est très bien et certainement intelligent, mais ça ne nous dit rien du problème qui nous occupe en réalité, me semble-t-il...
Je trouve que les philosophes s'en tirent mieux, parce qu'au moins ils formulent plus précisément la question, à niveau d'homme, là où la question du temps se pose.
Utilisateur anonyme
04 avril 2018, 15:38   Re : Des gnards tout neufs
@Alain
Je trouve que les philosophes s'en tirent mieux, parce qu'au moins ils formulent plus précisément la question, à niveau d'homme, là où la question du temps se pose.
/////



Parfois, souvent même, ce sont les écrivains qui s'en sortent le mieux... « J’ai laissé faire le temps. J’ai laissé perdre ce qu’il fallait défendre », écrit G. Debord.

C’est à partir de là, à partir de cet insupportable et inassignable défaite de l'homme face au temps qu’il faut entendre, dans sa résonance politique, la dite mélancolie de G. Debord, qui est la seule interrogation politique (et plus largement existentielle) digne de ce nom, la question première : comment avons-nous pu laisser faire ça ? Comment avons-nous pu passer à côté de notre vie ?
04 avril 2018, 18:04   Paresse somptuaire
Le grand luxe, Pascal, est de laisser filer le temps comme une poignée de sable fin entre ses doigts...
» le bébé ne produit pas de temps. Le vieillard en produit beaucoup

Tiens, j'aurais plutôt dit que le vieillard est un produit du temps, de fabrication ancienne, alors que le gnard qui vient d'être pondu et ne sait pas encore ce qui l'attend, le pauvre, est tout neuf.


Trouvé par une nuit d'insomnie, ceci de William Blake, qui date de 1810, en commentaire à son oeuvre picturale Une Vision du Jugement dernier pour un catalogue d'exposition (je respecte l'orthographe originelle - reprise telle quelle dans une édition des oeuvres complètes de Blake de 1925), où il est question aussi d'allégories et de contamination :


The Greeks represent Chronos or Time as a very Aged Man ; this is Fable, but the Real Vision of Time is in Eternal Youth. I have, however, somewhat accomodated my Figure of Time to the common opinion, as I myself am also infected with it & my Visions also infected, & I see Time Aged, alas, too much so.

Allegories are things that Relate to Moral Virtues. Moral Virtues do not Exist ; they are Allegories & dissimulations. But Time & Space are Real Beings, a Male & a Female. Time is a Man, Space is a Woman, & her Masculine Portion is Death


Les Grecs représentent Chronos ou le temps par un homme très vieux ; c'est là une fable, car la vision réelle du temps est donnée par la jeunesse éternelle. J'ai cependant adapté ma représentation du temps à l'opinion commune, car je suis moi aussi infecté par elle et mes visions en sont infecées, et moi aussi, hélas, je vois le temps comme chose ancienne, plus qu'il ne faudrait.

Les allégories sont des choses qui ont trait aux vertus morales. Les vertus morales n'existent pas ; elles sont allégories et dissimulations. Mais le temps et l'espace sont des êtres réels, l'un est masculin, l'autre féminin. Le temps est un homme, l'espace une femme, et la portion masculine de celle-ci est la mort.


Blake dans son poème fleuve Jerusalem s'attaque à ce qu'il désigne, à travers les "vertus morales", le "droit naturel" qu'il récuse ensemble, leur opposant les vertus spirituelles. Cette récusation, de Rousseau, notamment, n'est pas sans ramifications politiques visant les Lumières.

Dans Blake encore, ceci, qui a été écrit il y a exactement deux cents ans, dans son Everlasting Gospel (Evangile éternel), véritable fulgurance qui paraît vouloir résumer ce que nous disions sur la corporéïté générale du réel et le noeud de contradictions qu'introduit cette corporéïté dans la dynamique des flux originaux, et qui nous ramène aussi à la notion de réel de fiction qui est celui dont la corporéïté (celle de la lumière corpuscularisée comme celle de la matérialité souveraine dans la science des Lumières) fixe les bornes :

This Corporeal life's a fiction
And is made up of Contradiction


Cette vie corporelle est une fiction
Que compose la Contradiction


que précède ce premier appel, cent vers en amont :

Do what you will, this Life's a Fiction
And is made up of Contradiction


Fais ce que voudras, cette vie est une fiction
que compose la contradiction

11 avril 2018, 18:16   La grande question
Nonobstant la qualité évidente de la prose et des vers de William Blake, je ne résiste pas à l'envie de poser quand même la question, avec mes gros sabots : il n'y a de fiction qu'au regard d'une réalité vraie, celle-là, laquelle doit être saisissable d'une certaine façon, figurable ou concevable, pour que son défaut suffise à qualifier ladite fiction ; d'autre part, nous vivons en effet dans une ère "philosophiquement" réaliste où le critère de l'existence est la matière inter-subjectivement percevable : est réel, existe ce qui apparaît comme matériellement percevable, et tout critère d'existence doit donc être donné dans le cadre d'une interaction sensorielle avec le monde (en fait, déjà pour l'idéaliste Berkeley : "être, c'est percevoir ou être perçu")...
Peut-on encore disposer aujourd'hui d'un autre critère d'existence et, dans l'affirmative, quel serait-il ?
11 avril 2018, 20:27   Re : La grande question
Voyez comment opère ce que j'appelais provisoirement et trivialement "logique des coïncidences", celle qui s'articule sur une facilité quasi-télépathique dans l'émergence du sens par ce que les anglophones désignent comme sérenpidité : j'ai voulu vous répondre en recopiant le poème que j'ai trouvé l'autre jour dans le volume III des oeuvres complètes de W. Blake, qui nous parle de Rousseau et des Lumières. Pris de paresse, j'ai fait une recherche en ligne par les mots clé "W. Blake", "Rousseau" au lieu de compulser à l'aveuglette ce volume poussiéreux que j'ai parcouru sans y laisser de signet. Je viens de tomber sur cet autre poème, que je ne connaissais pas (ou l'avais-je connu avant de l'oublier ?) et qui remplit son objet avec une adéquation stupéfiante, bien supérieure à celle du premier poème.

Ici, il est question en douze vers, de Rousseau; de la nature ondulatoire (rayonnement) de la lumière "divine" (première et primordiale à la Création) et de sa nature corpusculaire (évoquée par "le père de la science moderne", Démocrite) ; de Newton, qui emboîte le pas à Démocrite ; et d'Israël, puisque vous y êtes. Nous sommes ici au coeur, dans le noeud du sujet comme dans le foyer ardent de la pensée et de la poésie de Blake, celle-là remarquablement hétérodoxe dans son époque, quasi-hérétique :

Mock on, mock on, Voltaire, Rousseau,
Mock on, mock on; 'tis all in vain!
You throw the sand against the wind,
And the wind blows it back again,
And every sand becomes a gem
Reflected in the beams divine;
Blown back they blind the mocking eye,
But still in Israel's path they shine.

The Atoms of Democritus
And Newton's Particles of Light
Are sands upon the Red Sea shore,
Where Israël's tents do shine so bright.

Raillez ! Raillez donc, Voltaire, Rousseau
Raillez ! Raillez donc ; et raillez en vain !
Vous jetez le sable au vent,
Et le vent vous le renvoie,
Et chaque grain de sable devient un joyau
Qui se réfléchit dans les rayons divins ;
Renvoyés par le vent ils aveuglent l'oeil railleur,
Mais brillent dans la voie que suit Israël.

Les atomes de Démocrite
Et les particules de lumière de Newton
Sont des sables sur les rivages de la Mer rouge,
Où brillent avec éclat les tentes d'Israël


(Israël désignant l'humanité comme peuple de Dieu, prise comme unité dans la lumière divine)

Le réel est ce sable, qui existe, en effet, mais seulement par la donation divine de la lumière. Rousseau, Newton et les autres, interprètent le réel dans la matérialité, le réduisent intégralement à celle-ci, sont aveuglés par une lumière qu'ils ne perçoivent pas. L'oeil perçoit la lumière et les corps, mais le matérialiste railleur, se piquant de rationnel, fait un choix, qui est celui de ne pas vouloir connaître la vraie Lumière dont brille Israël. Il évolue dans un univers filtré.

Il y a une véritable actualité politique à cela, que je trouve dans le dernier discours de Camus prononcé il y a trois jours devant l'école de Magistrature, et qui pourrait se résumer en un prédicat simple : le réel est un faux, une pâle copie qu'on nous présente et que nous nous représentons.
13 avril 2018, 21:03   La voie négative
Si le matérialiste est si aveuglé par la lumière qui l'empêche de la voir, son aveuglement ne procède pas d'un choix, non plus qu'il aura choisi ce que ses facultés perceptives lui présenteront de portion congrue de monde : qui choisit d'être daltonien ou hypoacousique ?
Il n'y est donc pour rien, le pauvre homme...
Cela étant dit, les rationalistes les plus lucides ne se piquent de rien du tout, ils ne sont qu'affligés par les fatales limites que borne la seule intelligence du réel dont ils s'autorisent, qui pour le reste les plonge dans une aphasie confinant au religieux, s'il est vrai que le seul moyen d'être dans la Lumière des choses (et d'Israël incidemment) est la voie négative.
À défaut de pouvoir jamais percer les ténèbres, le seul critère d'existence reste donc ce qui apparaît du monde comme données sensorielles inter-subjectivement "avérées", nous en sommes toujours là...
Dans l'esprit de William Blake, la lumière primordiale est engendreuse de corporéïté, et c'est bien la lumière de la Genèse.

Mais curieusement, la science moderne, peut-être encore jusqu'à aujourd'hui, est engluée dans un étrange déni, ou aveuglement volontaire : elle ne voit pas que, jusque dans les expériences des fentes de Young (dont les résultats sont encore glosés par Hawkins dans un de ses derniers ouvrages), la corporéïté, y compris la nature corpusculaire de la lumière, est illusion et écran. La corporéïté est une sorte de sous-produit de la lumière, plus exactement elle est un produit de dégradation de la lumière et agit sur elle comme un cache. Cela pourrait être un énoncé gnoséologique quand ce n'est qu'une glose de l'expérience de Young. Dès qu'il y a lumière, il y a corps : toute la matérialité qui nous permet de percevoir la lumière nous la masque et nous brouille sa pureté dans le même mouvement perceptif.

Il y a là une manière de logique formelle : ce qui est perceptible est le produit d'une dégradation complexe, très impure et contaminante et la corporéïté propage son être de manière antagonique aux forces qui l'engendrent.

Dans l'histoire, les Lumières se sont désignées telles quand la science du matériel prit son essor, quand la corporéïté devint objet de toute la science. Certains compareraient cela au sourire de l'hôtesse de l'air : c'est quand plus rien n'est possible d'intime entre elle et vous, quand il est patent qu'aucune intimité n'est pensable, qu'elle vous donne son sourire le plus pleinement. Les Lumières du XVIIIe siècle se sont affirmées telles quand l'opaque matérialité prit le pouvoir scientifique (en économie, en sciences physiques, astronomie, chimie, etc.), fermement déterminée à ne plus le lâcher, et éteignant la lumière en entrant dans l'histoire.
Urizen, personnage de la mythologie "privée" de Blake, dans une illustration de sa main :

Remarquable article sur le personnage blakien d'Urizen, qui résume en partie ce que je tente de vous exposer :

Within the early works, Urizen represents the chains of reason that are imposed on the mind. Urizen, like mankind, is bound by these chains. Additionally, these works describe how Newtonian reason and the enlightenment view of the universe traps the imagination. The poems emphasize an evolutionary development within the universe, and this early version of a "survival of the fittest" universe is connected to a fallen world of tyranny and murder.

[en.wikipedia.org]
» Il y a là une manière de logique formelle : ce qui est perceptible est le produit d'une dégradation complexe, très impure et contaminante et la corporéïté propage son être de manière antagonique aux forces qui l'engendrent.

Francis, j'y vois plutôt une manière de pétition de principe, ce que la logique formelle récuserait : considérer ce qui est perceptible comme "dégradé" par rapport à d'occultes principes génésiques implique déjà qu'on a antéposé ces prétendus principes en les tenant pour originels, purs et "meilleurs" en soi, ce qui en outre procède d'un jugement de valeur, qu'on peut partager, ou pas du tout.

Cela dit, je ne vois pas tellement non plus pourquoi cette expérience des fentes de Young démontrerait que la "corporéité" soit une illusion : ce qu'on appelle en l'occurrence la "matière", à ce niveau infinitésimal — entendue seulement comme phénomène objet d'expériences visant à en rendre compte —, possède à la fois des propriétés corpusculaires et des propriétés ondulatoires, ce qu'exprime simplement le principe de complémentarité de Bohr : l'aspect corpusculaire et l'aspect ondulatoire sont deux représentations complémentaires d'une même réalité, dont l'une n'est pas plus vraie ou originelle que l'autre (Le Cantique des quantiques, de Ortoli et Pharabod, qui est un (bon) ouvrage de "vulgarisation" (sinon, j'ai aussi des livres de D'Espagnat, plus chiadés en la matière)).

De toute façon, il reste quand même le problème de la réductibilité des niveaux d'organisation du réel évoqué plus haut, que j'essaierai de formuler de la façon la plus élémentaire : la vie des quantons n'est pas la nôtre, et je ne vois absolument pas pourquoi ce que nous tenons pour "vrai" comme critère d'existence (ce dont nous pouvons constater la présence matérielle par nos sens) devrait, au niveau du réel qui est celui de notre monde macroscopique et des phénomènes percevables dans quoi nous évoluons, être révoqué en doute par certains phénomènes observés à un niveau qui est celui d'êtres "pour qui" le terme même de perception est totalement dénué de sens, et c'est précisément cette incommensurabilité qui rend à mon avis toute tentative de hiérarchisation axiologique de ces niveaux au moins aussi peu sensée.
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