Le site du parti de l'In-nocence

Chantal Delsol fait des progrès

Envoyé par Francis Marche 
Dans la Déclaration de Paris, signée par une douzaine d'intellectuels, elle écrit : Ce n’est pas parce que l’Europe est déchristianisée que sa culture a fondamentalement changé. Les racines chrétiennes ont été reprises par les Lumières et se déploient d’une autre manière.

Plutôt pas mal.

Elle déclare dans un entretien au magazine Atlantico que "Le multiculturalisme est d'essence impériale", soit très exactement que nous écrivions ici même il y a un mois : 6. Que le multiculturalisme raisonnant de Kubilaï Khan faisait de lui un authentique No Border avant l'heure, et que le moderne mouvement No Border d'abolition des frontières en ressort comme d'essence impériale ;

[www.in-nocence.org]

C'est bien. C'est très bien. Les choses avancent, du moins chez certains philosophes, fort lentement mais tout de même. Le philosophe et le sénateur se distinguent par leur célérité commune dans leur envol vers le Réel.

De manière incidente à cela, je lis dans un entretien d'Etienne Balibar de 2012, ceci, qui décrit ce qu'il appelle "le couplet empirico-transcendantal" de l'universalisme (sur le site du Collège international de Philosophie [www.ruedescartes.org]):

Je prends comme point de référence les textes fondateurs de la politique bourgeoise au tournant du XVIIIe et du XIXe siècle, donc les grandes déclarations des droits de l’homme et du citoyen, ou ceux qui les précédent dans la révolution américaine, ou ceux qui les suivent dans d’autres. Et je pense qu’il est possible d’y lire à même le texte, d’une part une tentative pour rendre l’humain et le politique (ou le civique) coextensifs, c’est-à-dire pour fonder, sur une certaine description de la condition humaine ou de la nature humaine, un droit universel d’accès à citoyenneté (« the right to have rights », dans la terminologie de Hannah Arendt), dont personne, a priori, ne pourrait être exclu. Et d’autre part, par voie de conséquence, une tension très forte entre les dimensions que j’appelle intensive et extensive de l’universalité. La première est tout simplement le fait que, dans les limites d’un corps politique, d’une constituency (qui se trouve historiquement être fondamentalement la nation, mais qui pourrait être de nature très diverse), les discriminations en tant que telles, des discriminations entre différents types d’humanité, entre différents statuts (non seulement au sens social, mais au sens de la dignité humaine), sont disqualifiées en principe : il n’y a pas des hommes qui sont par nature esclaves, d’autres maîtres ; pas de supériorité a priori des hommes sur les femmes, ou des femmes sur les hommes. On débouche très vite sur des difficultés considérables, en particulier à propos des enfants. Bentham l’avait relevé immédiatement dans sa critique de la Déclaration des droits de l’homme et ça sonne très actuel. Mais enfin, il y a une sorte d’idéal régulateur qui est celui de la non-discrimination. C’est ce que j’appelle l’universalité intensive. Par ailleurs, se pose la question de l’universalité extensive (question qui vient d’aussi loin que les empires, les prosélytismes religieux, etc.), de savoir si l’humanité en tant que telle, en tant qu’elle habite la planète terre, appartient à un seul et même espace politique (ou cosmopolitique, comme on a été amené à le dire au XVIIIe siècle). Entre l’idéal de la non-discrimination et l’idéal du cosmopolitisme il y a une étroite interrelation. Mais il n’y a ni identité absolue du point de vue conceptuel, ni enchaînement automatique du point de vue historique et politique.

Propos qui est antécédent (de six ans) et recoupe à ce que nous écrivions ici il y a deux semaines dans le fil Universalité, Raison et Puissance (Lettre du Kubilai Khan au Japon):

Il y a deux pôles au multiculturalisme aujourd'hui : il y a celui que décrit ce propos, qui est une forme de kantisme, hérité du siècle des encyclopédismes et de l'universalisme jésuitique, et en son sein, sous son parapluie, il y a son contraire : la promotion forcenée des minorités (en passe de ne plus l'être) qui, elles, se parent de cet universalisme pour pousser du col et du jabot leur race, leur sexe, souvent les deux, et aussi leur religion, donc souvent les trois, au détriment de tout ce qui n'est pas elles.

Comme quoi, les philosophes sont désespérants de lenteur mais parmi eux certains partent de plus loin que nous. En soi, cette idée rassure un peu sur notre solitude.
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