Au début de la Guerre de Jugurtha Salluste écrit : « De toutes les occupations qui sont du ressort de l’intelligence, une des plus utiles assurément c’est le récit des événements passés. L’excellence de cette étude a été proclamée tant de fois, que je m’abstiens d’en parler, d’ailleurs je craindrais qu’on ne taxât de vanité personnelle l’apologie d’un art auquel je me suis adonné. » Il s’agit là d’une traduction du XIXè siècle due à un certain Victor Develay.

En 2010, un certain Nicolas Ghiglion traduit à son tour l’historien antique et lui fait dire dans le même extrait : « Parmi les autres activités qui relèvent de l’intelligence, le récit des événements passés fait partie des plus utiles. Nombreux sont ceux qui en ont vanté le mérite, je crois donc pouvoir m’en abstenir; cela m’évitera en même temps de laisser penser que, cédant à l’arrogance, je me glorifie moi-même en louant l’étude que j’ai choisie. »

Dans les deux cas, le fameux sens est respecté mais on voit le chemin parcouru par la langue : du pompeux à l’enfantin.

Cela doit faire partie des ravages anticipés de la macronie, on croit entendre Salluste zozotant... En même temps, sans icelui (le en même temps), je crois que ça va plus ou moins, c'est sobre et ça dit l'essentiel...

cela m’évitera en même temps de laisser penser que, cédant à l’arrogance, je me glorifie moi-même

L'inconscient politique, ici celui du blanc-bec hystérique qui nous sert de "président", pénètre tout, jusqu'à guider la main du traducteur qui se prend, malgré elle, à son corps défendant, à monologuer cette présidence.

Sacré piano (comme le chantait Aznavour) que celui de l'inconscient, qui, comme dans certain film noir, fait nuitamment surgir une main seule, sans corps, pour jouer sa partition de malheur.

Les traducteurs, pis peut-être que les auteurs, sont des figures de la hantise. Ils sont hantés par le monde qui traverse l'écrit pour y dire sa politique et en articuler l'inconscient.

cela m’évitera en même temps de laisser penser que, cédant à l’arrogance, je me glorifie moi-même en louant l’étude que j’ai choisie

je craindrais qu’on ne taxât de vanité personnelle l’apologie d’un art auquel je me suis adonné.

En ces deux extraits se révèle pour moi la trajectoire du pompeux à l'enfantin. N'étant pas latiniste, je ne peux juger de la plus ou moins grande justesse de ces deux versions, mais je sais que celle de 2010 me tomberait plus vite des mains que l'autre.

Prochainement :

« Quand on réalise tout ce qu’on peut faire avec le cerveau, on s’aperçoit que raconter ce qui s’est passé dans le passé, ça fait partie des choses les plus utiles à faire. De toute façon je ne suis pas le premier à le dire et du coup je peux me passer d’en rajouter parce qu’en plus, si j’en rajoutais, il y en a qui diraient que vu que je m’occupe justement des choses du passé j’ai l’air de me donner une médaille alors que pas du tout. »

Je vous sens prêt à briguer le prix Femina, peut-être le prochain Goncourt, avec cette dernière phrase Thomas. Cassez un peu ces longues propositions en les entrecoupant de périodes et vous avez bon mon brave, la gloire vous guête :

Quand on réalise tout ce qu’on peut faire avec le cerveau. Le passé. Raconter ce qui s’est passé. Une partie des choses les plus utiles à faire. De toute façon je ne suis pas le premier. Et du coup voilà. Je peux me passer d’en rajouter parce qu’en plus il y en a qui diraient que vu que je m’occupe justement des choses du passé. Ces choses, ce n'est pas moi. C'est l’air que j'ai. La médaille. Alors que pas du tout.

Et changez de pseudo mon vieux, et de sexe : Yasmina Rothamadou; Epsilone Traoué; Fatima Yaounsimana et crêpez-vous la chevelure, on n'entre pas à Gallimard avec des cheveux plats par les temps qui courent.