C'est bien tout l'absurde de cet état de fait Alain, la Matière Humaine Indifférenciée est rejetée par absolument tout le monde à l'exception de ses promoteurs entêtés : ceux qui, dans l'esprit de ces promoteurs, sont censés y pourvoir par leur venue chez les autres en rejettent le programme "en persistant dans leur être", comme vous dites; quant aux autres, ceux à qui les premiers sont imposés, ils s'affirment chaque jour un peu plus eux aussi déterminés à se différencier et rejettent mêmement ce programme. Le projet MHI en Europe est une utopie morbide, bien comme l'était, par exemple, le Communisme, qui a chu comme un fruit mûr en quelques semaines alors qu'il s'était présenté aux hommes comme le programme même de l'humanité.
C'est le propre des utopies mortifères : personne, dans le réel, ne les soutient, la doxa à laquelle elles sont suspendues ne tient elle-même que comme un consensus tout aérien, hors sol et hors les mains des hommes, si bien qu'une fois balayée à tout jamais du paysage politique et mental dominant, on en vient à se demander si tout ce temps on n'avait pas rêvé, somnambulisé la chose. Il n'y a absolument personne, en Europe, qui souhaite cette indifférenciation dans l'asservissement utilitaire (la consommation, comme jadis la production, se déploie sur l'axe utilitaire, est la force arraisonnante ultime, la machine qui tracte le train de la MHI), chacun s'y laisse prendre, le nez dans son smartphone, mais renacle à la moindre occasion, sait ce qu'il en est, ce qu'il en coûte de se laisser mener ainsi.
Il n'y a plus personne qui
croit en le discours que distillent les élites à Bruxelles et ailleurs. C'était tout différent dans les années 60 ou 70, où les gens
croyaient (tenaient des discours articulés positifs sur le modèle de société motivant leur crédo), qui en la possibilité du bonheur et du progrès par et dans la société moderne (industrielle, de consommation, des loisirs, etc.), qui en l'avenir radieux du socialisme dont il fallait hâter l'avènement par le militantisme révolutionnaire, voire seulement militantisme "de gauche" (jusqu'à l'élection de Mitterrand en 1981).
Aujourd'hui les gens ne croit plus en rien si ce n'est cela : leur
différenciation (dont la propagande victimaire et catégorielle universelle n'est qu'un volet en même temps que la plus éclatante et persistante manifestation de cette foi nouvelle). L'ironie, fort comique, est que tout ce qu'il est convenu de désigner comme "l'élite" en Europe, s'acharne à vouloir donner vie à une vision contraire, celle de l'indifférenciation moulée dans les impératifs économiques et techniques et la déterritorialisation des hommes qu'ils emportent. Le divorce est net, consommé entre ce discours et les aspirations des hommes quels qu'ils soient (musulmans compris, bien évidemment). Les élites, alors, ont forgé ce terme passe-partout :
populisme pour désigner les foules des hommes et la cohorte des nations qui leur tournent le dos ; dans ce schéma, ce terme de
populisme, tient le rôle de "la réaction" dans le verbiage des apparatchiks moscovites ou castristes, ou maoïstes. Il occupe la place même que l'autre lui a tenue chaude pendant 70 ans : les peuples des nations de Visegrad placent leur avenir entre les mains de "populistes" comme le dit Bruxelles et ses porte-parole, exactement de la même manière qu'ils l'avaient criminellement confié "à la réaction" (et aux "fascistes") dans la bouche de Brejnev. Ces peuples et ces nations, qui n'ont toujours fait rien d'autre que de "persister dans leur être", sont ainsi passés en quelques années du statut de "chiens courants du capitalisme et de la Réaction fasciste" à celui de "populistes fascisants" sans avoir bougé d'un poil dans leur revendication à être. L'UE, c'est l'URSS refondée. Sa MHI, c'est le grand remaniement des peuples et des frontières dans l'Union des Républiques Soviétiques, le grand loft de la décivilisation.