Voyage en Italie

Le bruit étant un de nos principaux ennemis, et un "gimmick" apprécié des connaisseurs du Journal de Renaud Camus, je propose de découvrir l'auteur du remarquable passage ci-dessous, ultra-camusien par anticipation. Il s'agit d'un très bon (on en jugera) auteur français de la deuxième moitié du XXème siècle, fort oublié, qui fut membre de l'Académie française.

Le bruit, surtout... J'ai quitté Rome au bout d'une semaine, à cause des vespas. Ici, les vespas sévissent également, bien sûr ; mais elles sont un chant de sirène, comparées aux humains. Je n'ai jamais entendu des enfants de cinq ans dotés de voix aussi puissantes : c'est la stridence du chacal ou du coyotte, alliée singulièrement à la trompe caverneuse du crapaud-buffle. Bref, des rossignols siciliens... Les adultes ne crient pas tout à fait aussi fort. La tonalité générale du langage parlé est la colère, la fureur, la revendication rageuse, et cela, quelle que soit l'intention exprimée. A l'épicerie, un moutard achète un sucre d'orge : vous croiriez qu'il effectue un hold-up. Du reste, la marchande lui répond sur un ton et avec une mine à laisser supposer qu'elle est en train de les maudire, lui et sa descendance, jusqu'à la septième génération. Près du palais Corva, des hurlements soudains me font courir jusqu'à la ruelle voisine : ce n'est pourtant pas un meurtre, ni même une querelle : c'est un conciliabule entre le facteur et la propriétaire d'un hôtel.
Ces gens vivent dans un perpétuel fortissimo vocal. Cela m'amusait beaucoup chez les néo-réalistes d'il y a dix ans... Cela m'amuse moins dans la réalité.

Michel Déon ?

Cela pourrait être aussi Jacques Laurent : il y a une semaine, sur un banc d'une station de tram, trouvé en format de poche un roman de Laurent : Le Miroir aux tiroirs ! Etonnant, n'est-ce pas ? faut croire qu'à Jéru au moins il n'y a pas que des ploucs, contrairement à une tendance semblant se généraliser en France... Quoi qu'il en soit, ai commencé aussitôt à le lire : ce n'est pas mal, agréable même, un peu trop plaisant peut-être : on a l'impression de rester un peu trop à la surface des choses, sans même que ce soit d'ailleurs un parti pris rigoureusement stylistique : ce type d’écriture semble n'avoir pas assez de profondeur d'entrure en soi pour entamer les chairs, et nous voulons quand même de la blessure et du sang, non pas ?

Non, cher Alain. L'auteur est un meilleur styliste, me semble-t-il, que Michel Déon, lequel m'a toujours paru surfait à cet égard. De plus, la renommée de l'auteur mystère, de son vivant comme aujourd'hui, était bien inférieure à celle de Déon. Ce qui ne m'empêche pas de le redécouvrir avec délices. Un indice : il a écrit et publié des pastiches.

Ce n'est pas non plus Jacques Laurent. Je dois avouer qu'avec mon auteur on ne court aucun danger au point de vue du risque de blessure en profondeur... Ce n'est pas qu'il soit léger, non, mais il cultivait un flegme très british.

Jean-Louis Curtis ?

Bravo. C'est bien Jean-Louis Curtis. Extrait de l'ouvrage intitulé : Un miroir le long du chemin : journal paru chez Julliard en 1969. Et excellent dans son genre.

Après quelques recherches et avoir avalé de la poussière, fini par dénicher Un Jeune couple, qui commence aussi en Italie, à Venise, avec des envies de Danieli ; dans les années 60, le Danieli, c'était bien...

C'est très méritoire, même après avoir cru mordre la poussière, d'avoir su dénicher Jean-Louis Curtis que plus personne ne cite et ne lit, sauf par hasard en avisant un vieux livre de poche sur un banc... Une exception de taille, toutefois : il paraît que Michel Houellebecq parle élogieusement de cet auteur dans son roman de 2010 La carte et le territoire. Cela ne m'avait pas frappé à première lecture, mais plaiderait une fois de plus pour les remarquables indépendance d'esprit et acuité de jugement de notre Houellebecq national.

Mon mari l'a eu comme (très bon) professeur d'anglais au lycée Lakanal.

Et comment, que c'est méritoire ! et comme le Danieli, dans les premières pages du roman, n'est évoqué que de l'extérieur, cajolé du regard à partir d'une petite pensione un peu minable quand même, la référence à Houellebecq est peut-être plus subtile qu'il y paraît : il y a la littérature qui regarde les palaces de loin, avec envie, et celle qui, hasard ou grâce, s'y établit d'emblée...