Céline et les GJ

Comme il a été récemment question de Sigmaringen et de Céline, et lisant d'autre part la passionnante biographie d'icelui par François Gibault (le tome II, Céline, 1932-1944, Délires et persécutions), j'ai été agréablement titillé par ce passage d'une lettre à Elie Faure — pour lequel, bien que "mi-youtre et si franc-maçon" (Bagatelles pour un massacre) Céline avait grande estime —, qui m'a fait penser à ces éternels jobards toujours si ébaubis du "peuple"...

« Le malheur en tout ceci, c'est qu'il n'y a pas de "peuple" au sens touchant où vous l'entendez, il n'y a que des exploiteurs et des exploités, et chaque exploité ne demande qu'à devenir exploiteur. Il ne comprend pas autre chose. Le prolétariat héroïque égalitaire n'existe pas. C'est un songe creux, une faribole, d'où l'inutilité, la niaiserie absolue, écœurante de toutes ces imageries imbéciles, le prolétaire en cotte bleue [transposé à nos jours, cela donne "en gilet jaune"], le héros de demain, et le méchant capitaliste repu à chaîne d'or [les "davocrates", les "Riches" et toute cette engeance répugnante]. Ils sont tous aussi fumiers l'un que l'autre. Le prolétaire est un bourgeois qui n'a pas réussi. Rien de plus. Rien de moins. Rien de touchant à cela, une larmoyerie gâteuse et fourbe. C'est tout. Un prétexte à congrès, à prébendes, à paranoïsmes... »

Bien sûr, oui, évidemment : c'est comme ça, cela a toujours été comme ça et ce sera toujours comme ça — moyennant quoi, à ne voir que le permanent, l'éternel, le toujours déjà arrivé, on passe à côté de l'histoire, un peu comme Céline en quelque sorte. Or les hommes qui, sans doute, sont pour l'essentiel toujours les mêmes (quoiqu'en proportions et intensités légèrement variables), font et subissent, subissent et font des événements fort variables. Qui peut dire aujourd'hui quels effets à long terme, si effets à long terme il y a, produira l'affaire des Gilets Jaunes ?

D'autre part il me semble qu'il y a de l'aveuglement à ne pas vouloir comprendre que les “davocrates”, les médiatres, BHL, le complexe médiatico-politique, la Clique, pour tout dire, dont l'existence ne fait aucun doute, et qui veut un monde, instaure activement un monde dont nous sommes quelques-uns à ne pas vouloir, est vraiment gênée par ces gens et en a eu, au moins a un moment précis, quand l'Élysée quasi-assiégé était survolé par un hélicoptère prêt à “exfiltrer” le président, réellement peur ? En quoi la reconnaissance de ce phénomène du type gros grain de sable implique-t-il une quelconque idéalisation du prolo en jaune ?

Les GJ n'en pouvaient plus de toujours voir mettre en avant la banlieue et jamais, jamais, jamais eux et voilà que pour une fois qu'elle ne la ramenait pas avec ses pleurnicheries, Macron s'empresse de la solliciter ! Manque plus qu'il déclare débloquer pour elle 50 milliards d'euros ! Si j'étais GJ ( ce que je suis d'ailleurs plus ou moins) je la trouverais mauvaise !

Cassandre, les gros grains de sable destinés à gripper la machine à produire le réel dont on ne veut plus peuvent avoir les effets les plus inattendus...

Mais concernant Céline, on pourrait probablement tout aussi bien dire qu'il n'aura jamais été "à côté de l'histoire", mais plutôt en plein dedans, justement, et même dans son cœur le plus noir sans la distance et les gants d'office des gens de goût (et des gens d'office, à vrai dire), vraiment dans la pleine poisse de ses mouvements les plus déjantés, et cela presque avec une sorte de jubilation lucide, sans se faire trop d'illusions sur la justesse des causes : dans une lettre à Henry Miller : « Sachez avoir tort — le monde est rempli de gens qui ont raison — c'est pour cela qu'il écœure. »

Au fait, dans la biographie de Gibault figure cette photo de 1925 où certains "Echangistes" sont reçus par Mussolini en personne — Céline est le quatrième en partant de la gauche.
N'est-ce pas un facétieux pied de nez de l'histoire, tout de même ?...
Mais je n'en sais pas plus sur ces mystérieux "Echangistes", qui n'ont pas l'air d'avoir été les partouzards auxquels on pense tout d'abord...

Si on tient à un parallèle, faisons observer qu'avec les "gilets jaunes" c'est dans l'autre sens qu'est franchie la frontière.

Je serais tenté de dire que c'est normal, la réflexion temporelle des événements créant un effet de miroir.