Il est difficile de ne pas avoir recours à un brin de dopage pour faire face à cet extraordinaire « confinement » tombé de la lune chinoise.
Certains choisissent de se doper à la « bonne volonté », à la « responsabilité ». Ils respectent les consignes, ils jouent le jeu, refusent de céder aux visions orwelliennes qui avancent
masquées derrière absolument toutes les mesures prises pour endiguer la « pandémie ». Ils soupçonnent bien qu’un petit quelque chose cloche dans cette affaire mais ils remettent à plus tard un examen plus approfondi. Ils sont les bons élèves de la contamination. Car dans l’immédiat, l’heure est grave, l’heure n’est pas aux bavardages sociétaux sur tel ou tel aspect que pourrait prendre la
guerre contre le nouveau virus.
Ils estiment par exemple que le fait de voir d’un très mauvais œil, d’éprouver même une sainte horreur à l’égard du port du masque dans l’espace public, relève d’un caprice irresponsable. Eux, les citoyens « responsables » ne comprennent même pas comment on peut se permettre la folie de s’interroger sur une mesure de salut public aussi évidente à leurs yeux que le port du masque.
Car c’est au nom des vies à sauver (ou, plutôt, dans la crainte paralysante de devoir eux-mêmes passer l’arme à gauche, comme si la possibilité de la mort venait de faire son apparition), que les citoyens « responsables » refusent de considérer le bouleversement sans exemple qu’opérerait dans le paysage de nos rues un flot de passants masqués ; le signe d’allégeance à un paysage de rues qui ne sont pas les nôtres qu’une telle mesure signifierait : l’entrée visible dans une façon d’être au monde qui n’est pas plus la nôtre que celle des pays musulmans les plus regardants en matière de tenues vestimentaires.
Pour consentir de bon cœur à ce fameux « port du masque », il faudrait être certain d’une mesure clairement bornée dans le temps. On ferait le sacrifice de le porter du tant au tant, pour le bien de tous. Mais puisque aucune borne dans le temps ne saurait évidemment être fixée, on est en droit de se méfier, de se demander si ce n’est pas pour une durée indéterminée que le masque s’installerait sur nos visages, en muselière de tissu pleine de bonnes intentions. Pour quelle raison, en effet, les virus cesseraient-ils de surgir les uns à la suite des autres, toujours dans des circonstances obscures et parés de « mystères » sans cesse renouvelés, jetés en pâture aux citoyens responsables et terrorisés ? Pourquoi le Covid et ses millésimes successifs, ne deviendrait-il pas une sorte de maladie chronique avec un taux de mortalité « raisonnable » et une survie des malades de plus en plus longue et pourquoi alors le masque ne deviendrait-il pas à la vie de tous les jours ce que la capote est à la vie sexuelle vagabonde ?
En dehors même du malaise que sa vision fait naître chez nous, du climat sinistre et grotesque qu’il installe, le masque s’est présenté d’une façon si bizarre qu’il ne nous a pas mis en confiance pour la suite, comme un type qui entre chez vous en déclarant qu’il n’est bon à rien, autrement dit qu’on ne peut se passer de lui, avant d’ajouter qu’il ne fait que passer et que par conséquent la moindre des choses serait de lui préparer une chambre car il ne sait pas quand il va partir.
On se souvient que le masque FFP2 a connu son heure de gloire. Hors lui, point de salut. Il était le seul, il était l’unique. A peine si le masque chirurgical trouvait grâce aux yeux des experts, mais alors du bout des lèvres et comme un pis-aller. Car les mascologues tenaient le crachoir (désinfecté), expliquant au public les diverses circulations de l’air à travers les masques, selon qu’on inspire ou expire, ce qui change tout il faut le savoir. Les infographistes, malgré le taf dont ils étaient déjà surchargés afin d’inventer chaque jour une nouvelle manière de présenter les progrès de la « pandémie » comme si c’était un dessin animé quotidien réservé aux adultes, les infographistes ont été priés de mettre en schémas chatoyants et pédagogiques la vie des masques dans leurs rapports avec les postillons dont les courbes dans l’air furent décrites, en accéléré ou au ralenti.
Après quelques semaines, ces experts de plateau télé, quelque peu cacophoniques, ont tout de même fini par tomber d’accord sur un impératif : équiper de masques toute la population – l’indispensable chicane renaissant
sur comment y parvenir ou pourquoi on ne l’a pas fait plus tôt.
Quoi qu’il en soit l’impératif de trouver des stocks de masques à n’importe quel prix a fini par rabaisser son caquet à ce prétentieux de masque FFP2, décidément trop rare, un vrai snob. Le masque chirurgical a vu son blason redoré mais c’est le « masque alternatif », le masque « fait maison », naguère encore la risée unanime des experts, qui a fait une entrée en scène remarquée, requalifié en « masque grand public » par les autorités qui se font fortes de le distribuer par milliers afin de rendre possible le « déconfinement ».
Sa vertu protectrice étant à peu près nulle, on est bien forcé de lui accorder une valeur symbolique pour expliquer la bonne presse dont il jouit et alors, en tant que symbole, certes, le masque « grand public » devient
lisible et même d’une singulière limpidité. Il devient le symbole même du nouvel ordre des relations dans un monde sous contrôle « numérique » : perte d’individualité entre les personnes qui ne peuvent que vérifier – à bonne distance – qu’elles sont bien toutes à égalité, implacable déshumanisation.
Le masque « grand public », lui aussi, s’avance masqué, sous des couleurs pratiques et « sympas ». Quand on ne prête au masque FFP2 qu’une durée de vie de quelques heures, le masque « grand public », pas bégueule pour deux sous, passe sans problème à la machine, et même une vingtaine de fois, sans rien perdre de son inefficacité ! Et puis, c’est le masque à la bonne franquette technologique, on obtient son modèle grâce à des « tutos », il est « fun », on retrouve grâce à lui les joies des travaux manuels à domicile et le goût, fallacieux, de se distinguer. Place à la créativité ! Des machines à coudre reprennent du service. Les « petites mains » françaises ou européennes, prises d’un élan généreux, rivalisent d’inventivité pour décorer le mufle de tout un chacun, rejouent les « Taxis de la Marne » dans la guerre contre le virus, plus modestement elles sont priées de faire patienter le public avant les arrivages massifs de masques plus sérieux, sortis des « petites mains » chinoises opportunément déconfinées – à condition toutefois de ne pas trop heurter la susceptibilité des dirigeants chinois avec des questions oiseuses sur leur « gestion » de la crise, plus encore sur son origine.
Mais que le masque soit de luxe ou grand public, high tech ou tricoté main, made in Poitou-Charentes ou China, il serait bon de mesurer la signification profonde qu’il y aurait à être obligés de le placer sur son visage dans toutes les circonstances de la vie en société. Bien au-delà d’une mesure sanitaire, ce serait l’acceptation d’un marqueur civilisationnel absolument capital, et c’est alors que l’expression
perdre la face s’entendrait au sens le plus concret du terme.