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Distractions estivales

Envoyé par Alain Eytan 
05 juillet 2020, 23:58   Distractions estivales
Alors qu'en Israël on se prépare à un deuxième round d'une offensive virale, bien mieux sentie celle-là, et qu'on s'étrécit déjà le regard dans l'anticipation de nouvelles mesures "confinatoires", je vous propose de vous déglacer l'esprit en regardant ailleurs, pour une fois, très loin vers les espaces infinis et d'autres envahisseurs : en effet, au plus fort de la Grande Pétrification où tout le monde se morfondait dans son trou, est parue une nouvelle étonnante, curieuse, dont je me suis demandé ce qu’elle pouvait bien vouloir dire, quitte à lui attribuer une extrême importance pourvu qu'on prenne au sérieux ses éventuelles conséquences : le Pentagone a confirmé l’authenticité de certaines vidéos montrant ce qu’il faut bien appeler des ovnis (je crois que c'est la première fois que cela arrive), filmés par des pilotes américains aussi incrédules que bon enfant...

video: [youtu.be]
06 juillet 2020, 17:38   Un formulaire de l'inertie
« Perdre son temps relève d'une certaine esthétique. Pour les subtils de la sensation, il existe un formulaire de l'inertie qui comporte des ordonnances pour toutes les formes de lucidité. La stratégie mise en œuvre pour combattre la notion de convention sociale, les impulsions de nos instincts, les sollicitations du sentiment, exigent une étude approfondie dont le premier esthète venu est tout à fait incapable. Une étiologie rigoureuse des scrupules doit être suivie d'un diagnostic ironique de notre servilité à l'égard de la norme. Il importe aussi de cultiver notre habileté à éviter les intrusions de la vie ; un soin [...] doit nous cuirasser contre notre sensibilité à l’opinion d'autrui, et une molle indifférence nous matelasser l'âme contre les coups bas de la coexistence avec les autres. »

Fernando Pessoa - Le Livre de l'intranquillité
06 juillet 2020, 22:30   Les coups bas
"Je remarquai que la situation dans laquelle on me tenait et les farces qu’on me faisait me contraignaient à confondre les événements véritables avec les événements produits par l’imbécile méchanceté des scélérats qui me conduisaient ; ce qui, en me rendant insensible à ceux qui étaient arrangés, me rendait de même insensible à ceux du sort ou de la nature, en telle sorte que pour l’intérêt de mon propre repos, j’aimais mieux ne plus ajouter foi à rien et me blaser sur tout. D’où il résultait la terrible et dangereuse situation de supposer plutôt que l’on m’avait trompé en m’annonçant la vérité la plus funeste, que de croire à cette vérité dès qu’il m’était avantageux de la mettre au rang des mensonges que l’on multipliait pour contraindre ou faire naître des situations ; et, certes, on peut bien dire qu’il n’était rien au monde de plus funeste et pour mon cœur et pour mon caractère."

D.A.F de Sade – Cahiers personnels (1803-1804)
08 juillet 2020, 16:40   Jamais deux sans trois
« Je me suis longtemps refusé à tenir pour vrai ce que je vais dire, car compte tenu de la singularité de ma nature et du fait que l’on tend toujours à juger les autres d’après soi-même, je n’ai jamais été porté a haïr les hommes, mais au contraire à les aimer. C’est l’expérience qui, non sans résistance de ma part, a fini par me convaincre ; mais je suis sûr que les lecteurs rompus au commerce des hommes, reconnaîtront la justesse de mes propos ; tous les autres les trouveront excessifs, jusqu’au jour où l’expérience, s’ils ont l’occasion de faire réellement l’expérience de la société humaine, leur ouvrira les yeux à leur tour.

J’affirme que le monde n’est que l’association des coquins contre les gens de bien, des plus vils contre les plus nobles. Lorsque plusieurs coquins se rencontrent pour la première fois, ils se reconnaissent sans peine, comme par intuition, et entre eux les liens se nouent aussitôt ; si d’aventure leurs intérêts s’opposent à leur alliance, ils n’en conservent pas moins une vive sympathie les uns pour les autres et se vouent une mutuelle considération. Quand un coquin passe un contrat ou engage une affaire avec un individu de son espèce, il agit le plus souvent loyalement sans songer à le tromper ; a-t-il en revanche à traiter avec des honnêtes gens, il leur manque nécessairement de parole et, s’il y trouve avantage, s’efforce de les perdre. Il lui importe peu que ses victimes aient assez de cœur pour se venger, puisqu’il espère toujours, comme cela se vérifie presque à coup sûr, triompher de leur courage par la ruse.
[...]
En revanche, les gens de bien et les hommes de cœur, qui se distinguent de la masse, sont tenus par elle pour des êtres d'une autre espèce ; non seulement on ne les regarde pas comme des frères et des amis, mais on les excepte volontiers du droit commun et, comme on le voit sans cesse, on les persécute plus ou moins sévèrement selon le degré de scélératesse et d'ignominie de l'époque où il leur est échu de vivre. En effet, de même que, dans l'organisme, la nature tend toujours à se purger des humeurs et des principes incompatibles avec les constituants du corps, de même, dans les grands complexes humains, la nature ordonne que quiconque diffère grandement de l'ensemble, surtout si cette différence marque en même temps une opposition, soit anéanti ou expulsé par tous les moyens. Ce sont toujours les meilleurs et les plus nobles qui sont les plus détestés, car ils sont sincères et appellent les choses par leur nom. C'est là une faute impardonnable pour le genre humain qui ne hait jamais tant celui qui fait le mal, ni le mal lui-même, que celui qui lui donne son vrai nom. »

Giacomo Leopardi - Pensées
08 juillet 2020, 21:18   Mais...
"Si je m’examine à fond pour connaître mon but final, je constate que je n’aspire pas véritablement à être bon et à me conformer aux exigences d’un Tribunal suprême ; mais, tout à l’opposé, que j’essaie d’embrasser du regard la communauté des hommes et des bêtes toute entière, de comprendre ses prédilections fondamentales, ses désirs, son idéal moral, de les ramener à des préceptes simples et de commencer le plus tôt possible à évoluer dans leur sens à seule fin d’être si agréable même qu’il me soit permis d’accomplir ouvertement, aux yeux de tous et sans perdre l’amour général, les ignominies qui sont dans ma nature."

Franz Kafka – Journal intime (30-12-1917)
08 juillet 2020, 23:15   Vieux travers
« On fait souvent du bien pour pouvoir impunément faire du mal. »

La Rochefoucauld - Maximes et Réflexions diverses
30-12-1917 ??

Mon édition du Journal (pas "intime") est celle du Livre de poche "biblio", dans l'inégalée (trouvé-je) traduction de Marthe Robert : il n'y a pas d'entrée à cette date, la dernière en cette année 1917 est du 10 novembre. Mince...

« 15 octobre

La plupart des chiens aboient sans raison dès qu'ils voient venir quelqu'un de loin ; d'autres, qui ne sont peut-être pas les meilleurs chiens de garde, mais se conduisent en créatures raisonnables, s'approchent tranquillement de l'étranger, le flairent et n'aboient que s'ils sentent une odeur suspecte. »
12 juillet 2020, 16:17   Re : Distractions estivales
Vous avez raison, je viens de vérifier et ne m'explique pas où j'ai bien pu pêcher cette date du 30 décembre 1917 pour cette citation que j'avais recopiée il y a longtemps dans un de mes carnets. Elle ne figure en effet ni dans l'édition de la Pléiade, ni dans un volume d'extraits du "Journal" publiés en 1953 par Grasset sous le titre Tentation au village".
Le fait que j'indique Journal intime m'a donné à penser que j'avais peut-être relevé cette citation dans un autre volume qui porte ce titre, traduction de Pierre Klossowski, publié également par Grasset en 1945. Peine perdue : rien au 30 décembre 1917 !
Simple curiosité (ou justification de l'intitulé de ce "fil), que lisez-vous au 1er octobre 1917 dans votre édition du Livre de Poche "Biblio", que je n'ai plus ?
12 juillet 2020, 17:27   Re : Distractions estivales
Entre le 25 septembre et le 8 octobre il n'y a rien, mais, et le mystère s'éclaircit, le dernièr paragraphe à cette première date est bien ce passage qui nous occupe, extrait d'ailleurs d'une lettre à Félice Bauer :

« D'une lettre à F, peut-être la dernière (1er octobre) : Si je m'examine à fond pour connaître mon but final... »

Puis vous avez omis la dernière phrase : « Seul m'importe donc ce tribunal des hommes que, par surcroît, je veux tromper, sans toutefois commettre de fraude. »

Cela rejoint une remarque qui m'avait paru fort juste de Marthe Robert, justement, dans son Introduction au Journal : que Kafka était à l'agonie d'être si irrémédiablement singulier, et qu'il n'aspirait qu'à faire corps avec la communauté des hommes...

« Si la vérité est contenue dans l'indissoluble unité du monde humain, hors duquel la vie est absurde et morcelée, l'individu seul n'a pas d'existence vraie, l'isolement n'est qu'une folie, la solitude n'est qu'un refuge trompeur, une fuite devant les responsabilités de la vie. Le jugement que Kafka a porté sur lui-même et qui, dans le Journal, apparaît d'une sévérité inexplicable, ne s'éclaire que par cette certitude qui entraîne des décisions immédiates : surmonter la révolte de l'homme particulier,, trouver la voie qui mène à une communauté vivante, enracinée dans un sol, une tradition, une histoire. »
12 juillet 2020, 18:31   Re : Distractions estivales
Si la vérité est contenue dans l'indissoluble unité du monde humain, hors duquel la vie est absurde et morcelée, l'individu seul n'a pas d'existence vraie, l'isolement n'est qu'une folie, la solitude n'est qu'un refuge trompeur, une fuite devant les responsabilités de la vie. Le jugement que Kafka a porté sur lui-même et qui, dans le Journal, apparaît d'une sévérité inexplicable, ne s'éclaire que par cette certitude qui entraîne des décisions immédiates : surmonter la révolte de l'homme particulier,, trouver la voie qui mène à une communauté vivante, enracinée dans un sol, une tradition, une histoire.

Il y a des conséquences économiques à cela: dès lors que, à la différence des animaux, le monde naturel ne nous est pas "milieu ambiant", c'est, comme pour la fauvette le jardin, la société humaine qui est notre mode (sinon monde) d'existence à statut de donné naturel. Il s'ensuit mille remises en question: à commencer par la notion "d'économie circulaire" ou "sans déchet" : l'écosystème du monde naturel nous étant étranger, la société humaine étant démarrée ou déprise de lui, le déchet insoluble, non résorbable, est au coeur de la condition humaine cependant qu'il ne l'est pas pour la condition animale, ("la nature est sans déchet", etc.) et la circularité, chimère économique, en devient qualifiable comme l'est la solitude dans ce verdict de Kafka : "refuge trompeur".

L'éolienne semble être l'incarnation de ce mal : censée être source d' "énergie renouvelable", la renouvelabilité de cette source doit s'entendre au service d'une expansion humaine antagonique aux équilibres du milieu naturel (elle tue les rapaces au sommet de la chaîne alimentaire, meurtrit les paysages naturels, émet des basses-fréquences nuisibles, etc..)

Il est très difficile de se représenter "la société humaine" comme figure d'un éco-socio-système, ne serait-ce que parce qu'aucune société humaine n'est stable dans la durée (à la différence des écosystèmes naturels hors perturbations par des catastrophes, y compris catastrophes d'ordre anthropique bien sûr). L'horreur de cette condition est la solitude de l'être humain pour qui seules deux ou trois créatures ont accepté de partager l'éco-socio-système : le chat, le chien, le pigeon, (la poule, le mouton, les ruminants, doivent être tenus dans des enclos, ne s'attachent pas spontanément à la société humaine). Toutes les autres créatures le refusent, le jugent haram. Les sociétés humaines, inexorablement, dérivent, leur expansion (démographique et économique) est elle-même une longue et méandreuse dérive. Pourtant, il n'est rien d'autre, aucun "retour à la nature" possible, aucune circularité avec elle (impossibilité d'engrener nos roues à ses roues) qui ne soit envisageable : l'ontologie l'interdit.

La société humaine est un enfer faustien (pas de retour en arrière possible, pas de descente possible de la crémaillère de son "progrès"), mais s'en déprendre, c'est être guetté par la folie, la déshumanisation, l'abolition de l'humain.

Ce dilemme philosophique, rendu sensible au XVIIe siècle en Occident, est intact, n'a pas évolué d'un cheveu jusqu'ici. Il demeure aussi dénué d'issue aujourd'hui qu'à l'époque de Descartes.
12 juillet 2020, 20:52   Re : Distractions estivales
Donc, deux cercles, ou plutôt, un cercle et une spirale :

Le cercle éco-systémique ;

La spirale socio-systémique, spirale parce qu’il y a translation du corps circulaire sur un axe (celui du "progrès") incident au plan de ses girations.

Ces deux dimensions, l’une étant la négation de l’autre (l’ordre artificiel et social, historiquement, s’est construit contre le monde naturel) sont telles que leurs rouages respectifs ne peuvent s’engrener sans se nuire. Elles sont mutuellement exclusives.

L’Arche de Noé de la spirale socio-systémique est d’une pauvreté affligeante, un désert : les espèces animales qui en sont parties, et le sont en s’excluant du monde naturel, de leur plein gré, se comptent sur les doigts d’une main (chien, chat, pigeon, toutes les autres n’étant que partiellement domesticables).

C’est ainsi que la fascination de Descartes pour les automates s’éclaire d’un jour nouveau : le philosophe de la déprise du monde naturel et de sa domination par l’Homme voulant parfaire le cercle socio-systémique, il voulut le peupler d’animaux artificiels, dans le but louable d’en faire un monde miroir du monde naturel. Cette ambition est rigoureusement logique, et notre entêtement moderne à animer ce cercle de robots n’en est que la continuation. Le robot est un animal parfaitement social, et il n’est que cela (lâché dans la nature, privé de l’homme, il s’éteint et meurt). Le robot quasi-parfait, à tout le moins essentiel au cercle socio-systémique a nom Facebook. Il est l’animal de compagnie absolu, qui ne remplit d’autre fonction que purement sociale. En ce sens il est chez nous comme le lion, ou la troupe de gnous, dans la savane.

Facebook, d’ailleurs, avec ses parades de visages avenants, se présente comme une animalerie où l’on choisira avec gourmandise l’animal humain de compagnie, où la victime à venir de sa prédation. Il est un pilier du socio-système, comme peut l’être, par exemple dans l’écosystème océanique, le plancton : tout le monde en mange, ou y mange, directement ou indirectement.

Pour en revenir à ce que nos élites internationales aiment à désigner comme « économie circulaire » : le vice de cette pensée tient au fait que le monde naturel, extérieur et concurrent au socio-système, tout en lui étant jumeau, reste objet et source de notre alimentation, de notre absorption de nutriments, d’oligo-éléments et d'éléments chimiques indispensables à l’économie du socio-système (minerais, terres rares, etc.) : cercle écosystémique et spirale socio-systémique sont ainsi appelés à frotter leurs rouages. Et là, patatras ! le déchet apparaît qui trahit l’incomplétude du socio-système lequel a besoin, pour s’entretenir, de se greffer d’une manière ou d’une autre sur le monde naturel, tel le virus sur son hôte.

Cette donne, ou « condition humaine » si l’on veut, en 2020, paraît aussi immuable que l’année de publication du Discours de la Méthode.
13 juillet 2020, 13:43   Re : Distractions estivales
Le virus réalise une interface porteuse d’un hypothétique espoir de circularité; son mode de prédation sur les espèces animales et homo sapiens fait miroir à celui de l’anthroposphère sur le monde naturel : sur nous il s’appuie pour assurer son expansion, sa conquête du vivant, à l’instar d’homo sapiens sur le monde naturel auquel nous passons le harnais pour chevaucher le progrès loin de tout piétinement circulaire.

Certains voient en son action une sorte de « revanche de la nature sur l’homme » : le déchet que produit le virus dans son expansion, ce sont nos morts, ses victimes. Il casse le substrat que nous lui offrons et sur lequel il s’appuie comme nous cassons la montagne pour en extraire le marbre ou les minerais, ou les paysages naturels et patrimoniaux par nos éoliennes qui n’ont de renouvelables que les destructions qu’elles causent et répètent partout.

Mais si le virus est à l’homme ce que l’homme est à nature, il faut voir en lui un truchement par lequel les roues de l’anthroposphère et celles de l’écosystème s’engrènent dans un jeu de miroirs ou un kaléïdoscope, une circularité.

L’appartenance du virus à l’interface entre le monde hors les hommes (la forêt tropicale, par exemple) et les sociétés humaines est amplement décrite par la communauté scientifique où elle fait consensus: le virus (Ebola, SRAS, etc.) surgit en effet dans les franges de l’anthroposphère (les lisières des grandes forêts africaines, etc.) là où la circularité illusoire du socio-système rencontre la circularité des écosystèmes – la perturbation que nous causons à ceux-ci nous est rendue par les ravages que causent sur nos sociétés les virus qui en sortent (que les hommes extraient par la viande de brousse, véhicule de la plupart des virus les plus remarquables, dont le VIH).

S’instaure alors, dans ce chaos, une forme de circularité bio-économique : là où les échanges biologiques sont égaux, où la nature rend coup pour coup par le truchement des virus, une dynamique s’instaure, un état entropique à tous le moins, qui stoppe net l’expansion de l’anthroposphère (confinement universel cette année et coup d’arrêt porté à la croissance économique, zones forestières tabou où les hommes s’interdisent toute pénétration, etc.).

Le virus force l’espèce humaine à l'adaptation, à laquelle il conjugue la sienne aux réalités biologiques de son substrat (ses tentatives de reprogrammer l’ADN humain à chaque infection sont le siège d’une double adaptation : le virus mute par essais et erreur autant qu’est mutagène son action sur l’organisme qu’il infecte et qui en ressortira immunisé, donc modifié, ou autre, si non mort) : si nous domestiquons la nature, la dominons, l’exploitons et l’humanisons, son délégué, le virus en fait autant sur nous pour le compte de sa mandante.

Par conséquent, si une circularité (bio-) économique doit voir le jour, ou se dessiner subjectivement, c’est par le truchement de cet agent d’interface entre l’écosystème et le socio-système de l’anthroposphère : le virus nous dresse à ses volontés comme le dompteur les fauves du cirque.
14 juillet 2020, 17:36   Re : Distractions estivales
Erreur
14 juillet 2020, 18:03   Re : Distractions estivales
La circularité en économie (cercle de production-consommation exempt d'émission de déchets) n'est pas possible pour les raisons que nous avons examinées (l'anthroposphère approche l'écosystème comme le mineur le gisement, l'exploitant forestier la forêt : l'hypothétique circularité de ses activités ne peuvent en rien chevaucher la circularité des processus écosystémiques ou ses rouages s'engrener aux siens).

Mais l'unité du vivant fait qu'une bio-circularité s'établit entre les deux sphères, celle des activités anthropiques et celle des processus du monde naturel. Cette bio-circularité se clôt et s'accomplit par le virus qui conjoint ces sphères et verrouille leur agitation dans un rythme commun; le virus ordonne une régulation, un ralentissement, une mise au pas des activités anthropiques en causant sur nous des destructions miroirs de celles que nous causons au monde naturel.

Donc, oui, en quelque sorte, il y a bien un schème circulaire qui commence par une symétrie des réponses entre les deux mondes, mais cette circularité ne se laisse entendre que par le tragique des destructions causées au vivant; c'est-à-dire la morbidité.

La circularité n'est pas seulement mortifère par l'ennui inhérent à la répétition qui la sous-tend : elle l'est par la morbidité qui se manifeste dans son être (étant morbide) sur le mode éminemment tragique et l'expérience de la finitude, mode dialogique du "si tu me tues, tu meurs aussi" qu'installe l'unité du vivant.
14 juillet 2020, 18:22   Re : Distractions estivales
» L’Arche de Noé de la spirale socio-systémique est d’une pauvreté affligeante, un désert : les espèces animales qui en sont parties, et le sont en s’excluant du monde naturel, de leur plein gré, se comptent sur les doigts d’une main (chien, chat, pigeon, toutes les autres n’étant que partiellement domesticables).

C’est ainsi que la fascination de Descartes pour les automates s’éclaire d’un jour nouveau : le philosophe de la déprise du monde naturel et de sa domination par l’Homme voulant parfaire le cercle socio-systémique, il voulut le peupler d’animaux artificiels, dans le but louable d’en faire un monde miroir du monde naturel


Je ne comprends pas très bien pourquoi vous voulez juger l'ordre social humain, ce que vous appelez le "cercle socio-systémique", ou le "règne humain" dans son ensemble, à l'aune du monde naturel : même s'il y a eu, comme vous le dites, "déprise", rupture et départ, les productions de l'activité humaine ne sont tout simplement plus réductibles aux critères selon lesquelles on pourrait estimer une quelconque richesse du monde naturel : à chacun ses spécificités et son dévolu, et cette "spirale socio-systémique" a produit ce qui relève des attributs propres à l'homme : l'intelligence, la culture, la politique, la morale, l'art, la complexité, la technique etc. Bien ou mal, meilleur ou pis que la nature, on n'en sait rien, et la question n'a en fait même pas à être posée, à moins de vouloir à toute force réintégrer le statut de bête, ce qui (à de rares exceptions près) semble n'être plus possible.

C'est chez Descartes justement que cette incommensurabilité fondamentale entre le monde naturel et l'humain a été posée de la façon la plus absolue, sans appel et aucune possibilité de rappel puisque il n'y a selon lui jamais eu véritablement de rupture, les deux ordres n'ayant jamais été unis, c'est-à-dire consubstantiels : la nature est ainsi par essence mécanique, et les animaux sont des machines, relevant d'une "substance" propre, la res extensa, cause de l'existence matérielle de laquelle relèvent exclusivement les êtres naturels : c'est ainsi, c'est ontologique...
Et ce n'est qu'à l'homme qu'est échu le privilège pneumatique, si j'ose dire, au moyen de quoi il n'a jamais été naturel puisqu'il participe lui de la res cogitans, la "substance pensante", qui est une tout autre affaire : je crois que le dualisme "dur" cartésien rend d'emblée toute notion de "retour à la nature" parfaitement dénuée de sens, puisque dans cette optique ce qui fonde l'homme en tant que tel est par définition et essence extra-naturel.
En ce sens, et dans la plus stricte orthodoxie cartésienne, me semble-t-il, le "dilemme" s'évanouit de lui-même : l'homme est condamné à son état d'être irrémédiablement "spirituel", parce que c'est ce qui le fait être ce qu'il est, et même ce qui réjouissait tant M. Teste, dans la compagnie charnelle des femmes, qu'il y aurait là opportunité (enfin !) "à être bêtes ensemble", n'a plus que valeur de métaphore...
15 juillet 2020, 13:30   Re : Distractions estivales
"Entre le 25 septembre et le 8 octobre il n'y a rien, mais, et le mystère s'éclaircit, le dernier paragraphe à cette première date est bien ce passage qui nous occupe,"

Merci beaucoup pour cet éclaircissement, qui vaut bien une autre citation que j'espère, cette fois, correcte, extraite des Carnets de Joseph Joubert :

"Le penchant à la destruction est un des moyens employés pour la conservation du monde."
Joseph Joubert - 6 juin 1796
15 juillet 2020, 16:58   Rock'n roll
Ah, ce Joubert...

« Madame Victorine de Châteney disait de moi que j'avais l'air d'une âme qui a rencontré par hasard un corps, et qui s'en tire comme elle peut. Je ne puis disconvenir que ce mot ne soit juste. »

Joseph Joubert - Maximes et Pensées (Éditions André Silvaire (édition très portative, un "micro-poche", à glisser aisément dans une poche de jeans même un peu moulants ))
15 juillet 2020, 18:11   Re : Distractions estivales
Comme vous dites, ce Joubert...
Il y a chez lui, en dehors de ses analyses si souvent pertinentes, quelque chose d'anachronique, un goût naturel du fragment, du presque rien, qui ne doit rien à son temps (si c'était l'un de nos contemporains, on soupçonnerait aussitôt l'affectation)

Voici quelques journées de 1786 :

1er octobre :
La jolie et la fille facile. L'honnête homme.

2 octobre
Un capucin m'a béni. J'ai consolé un voleur.

5 octobre
La bonne fille. La riante. La reposée et la tendre.

6 octobre
Ma mère...

Planté le peuplier.
15 juillet 2020, 19:38   Re : Distractions estivales
L’idée de Dieu recèle des vertus pratiques que n’a pas, que n’avait pas, la foi chrétienne du temps de René Descartes ou Baruch Spinoza. Descartes était déiste. Qu’est-ce qu’un déiste ? Un penseur qui n’est animé, envahi, occupé, par aucune foi mais qui retient l’hypothèse divine comme expérience et outil de pensée. Descartes était de ceux-là. Fort de cette arme il s’est permis l’inconcevable : déhiérarchiser l’ordre naturel et la sphère de res cogitans. Cette dernière étant un désert zoologique, il s’autorisa de la meubler de canards à rouages mécaniques et bien sûr, au centre de cette ménagerie, de placer sa Francine.

Le repli déiste lui autorisa cette audace : dès lors que l’expérience de pensée s’appuie sur le divin, celle-ci prend son envol et s’affranchit de toute hiérarchisation d’étants (il n’est rien qui dans l’instance pensante ne jouisse du moindre surplomb sur la sphère où s’organise le vivant non pensant puisque l’instance divine supervise le tout).

L’option déiste dé-chaîna la pensée chez Descartes, lui ôta toute peur et toutes chaînes. Les avalanches de pages et de plages qu’il produisit sur l’anatomie du corps humain par exemple, son exploration de la mathématique aussi, doivent à peu près tout à l’affranchissement déiste.

Mais la chute du déisme (avec Nietszche) fit resurgir la vaste problématique de l’interprétation du vivant et de l’assignation de sa place hiérarchique. La roue du vivant est une, et homo sapiens, qui est un vivant, qui n’est pas un robot ou un canard mécanique, retrouve sa place ambiguë, problématique : que doit-il faire du reste de la biosphère?

Descartes (et Spinoza, sans doute) réalisèrent une excursion passagère, lumineuse et brève, sous le linteau déiste, hors de cette problématique douloureuse.
16 juillet 2020, 19:06   Re : Distractions estivales
Et pourtant, Francis, malgré ce "déisme", Descartes est souvent tenu pour l'initiateur quasiment officiel de la "modernité" en philosophie, plus à raison qu'à tort, ce semble : c'est qu'il instaura solidement le magistère du "sujet" dans toute considération sur l'existence et le monde, et revisita le point d'assise inexpugnable de la certitude à partir de l'exclusive saisie de l'être pensant par lui-même. Pas mal, et les résidents du zoo, naturels ou artificiels, n'ont plus qu'à bien se tenir...
27 juillet 2020, 23:16   Pour rebondir sur l'âme
« La flatulence due à une ingestion de fèves, selon les pythagoriciens, est provoquée par les esprits des morts habitant ces légumes, qui, une fois entrés dans leurs corps, tourmentent ceux qui les ont mangés : le jour, par des vents, la nuit, par des cauchemars. L'incube serait comme un vent non expulsé qui circule intérieurement, faisant battre les volets qui protègent l'âme endormie. »

Guido Ceronetti - Il Silenzio del corpo, traduit de l'italien par André Maugé

Parmi les trois épigraphes de ce livre, il en est une, de Léon-Paul Fargue, que j'ai toujours trouvée absolument irrésistible : 

« Je peux rarement considérer quelqu'un sans le plaindre. »
28 juillet 2020, 14:42   Re : Distractions estivales
Lisant Walter Scott, qui était un poète écossais, homme fait quand le jeune Charles Darwin entamait ses observations à bord du Beagle, contraint pour rembourser ses dettes d'écrire des romans à succès (dont un certain nombre devenus des opéras -- The Bride of Lamemoor, the Puritans, etc.) -- romancier visionnaire, on tombe sur des perles très éclairantes dans cette discussion qui porte sur ce qu'il est convenu de nommer l'anthroposphère et ses rapports, et absence de rapports, ses ressemblances et dissemblances, avec le monde naturel et ses deux parties constitutives (règne végétal, règne animal).

Le clonage par exemple, forme de parthénogenèse, produit des effets distincts entre le monde animal et le monde végétal : le bouturage, opération qui exploite la lignée somatique d’un végétal, n'entame en rien l'intégrité de la descendance de la plante, mais qu'en est-il du "bouturage" sur l'animal ? L'expérience de la brebis nommée Dolly (par coïncidence, elle aussi était écossaise!) dans les années 90 du siècle dernier fut édifiante: on fit subir à Dolly l'équivalent de ce que subit la civilisation latine (j'y reviendrai avec Walter Scott), à savoir que cette brebis, premier mammifère cloné de l'histoire à partir d'un noyau de cellule somatique adulte, c'est à dire en court-circuitant "l'âme" de la lignée germinale qui est le matériel reproducteur des individus adultes, fut ainsi une « reconduction » de l’animal mère davantage que sa reproduction. Dolly ne « naquit » jamais mais vécut un prolongement par ramification, branchaison du corps adulte d’une congénère. Très vite, les chercheurs s’aperçurent que Dolly vieillissait rapidement. Le corps animal de Dolly, dès sa venue au monde, avait le même âge que celui de la brebis adulte sur lequel avait été opéré le prélèvement de la cellule transplantée qui en était à l’origine. C’est-à-dire que l’âme (lignée germinale des cellules souche) de Dolly était ailleurs et avec elle l’horloge du vieillissement ; celle-ci ne se trouvant pas à l’intérieur du corps de l’animal, Dolly vieillissait, accusait un âge qui était celui de l’âme extérieure à ce corps, lui-même pourtant animé et relativement sain (viable et vivant).

Les résultats de ce « bouturage » sur le monde animal étaient par conséquent tout autre que ceux que l’on peut observer dans le monde végétal, où il ne s’accompagne d’aucun effet de cet ordre (le cas des greffes de végétaux étant encore différent et se rapprochant du clonage failli, comme l’évoque W. Scott dans cette méditation).

Qu'en est-il de l’anthroposphère ? La cité des hommes (privés de Dieu ou sous le linteau du divin) est un corps animé qui peut évoquer un biotope dans notre comparaison avec le monde naturel, ou un arbre (principe d’organisation hiéarchique similaire, souvent) ou encore un animal (échinoderme au principe d’organisation axiale ou radiale, typique de certains invertébrés). Si la cité incarne le socio-système par excellence, que pouvons-nous connaître de son ontologie à travers l’observation des organisations du vivant et de ses écosystèmes ? Une cité peut-elle être reproduite par marcottage ou bouturage, ou par greffe ? ou bien non ? et dans l’affirmative, jusqu’à quel point ? Si elle possède une âme, quelles opérations peut-on s’autoriser sur elle ? Cette âme nous échappera-t-elle si on applique à ce corps l’opération de transplantation, s’éloignera-t-elle du corps qui dépérira comme chez la brebis Dolly ? Si la cité est un corps civilisé, jardiné, celui-ci est-il animal ou végétal ? S’il est assimilable au végétal, sa reconduction somatique (bouturage, transplantation) ne nuira pas à sa viabilité, mais s’il l’est à l’animal, il s’éteindra bientôt à l’issue de sa transplantation et de la branchaison qui le fait advenir. La sphère spatio-temporelle qui « fait l’âme » des cités, plaiderait pour des caractéristiques végétales de reconductibilité, mais sa nature animée (corps animé d’êtres animés, les humains) la rapprocherait de l’animal et donc du cas Dolly, qui est animal reproducteur et non reconductible. En d’autres termes et ceci est fondamental : les murs (soma) et la chose minérale mourront-ils bientôt, quand ils soutenaient des palais, par éviction de l’âme ? et par « éviction » il faut entendre sans doute le « cancel culture » déterminée au déboulonnage des statues et à l’arrachage des plaques de rues porteuses d’âmes. Le Grand Paris (prolongement reconducteur de Paris) a-il un sens, un avenir, si l’âme civilisée est morte ?

Il semble bien que le poète Walter Scott ait anticipé une réponse à ces questions, dans la méditation qui ouvre le roman (son avant-dernier) de la série des Waverley Novels : Robert, comte de Paris.
Roman historique riche d’enseignement qui nous présente Constantinople sous le règne de l'Empereur Alexis Ier Comnène (1081-1118), dont la fille la princesse Anne Comnène (auteur de l’Alexiade) fut probablement la première historienne du monde chrétien, Robert, comte de Paris a été traduit en français (édition Furne) dès 1836.
Ce roman devrait figurer parmi les lectures obligatoires de tout étudiant en sciences politiques ou en diplomatie. W. Scott y décrit la position et les initiatives périlleuses d’Alexis 1er face à la première croisade de Bohémond mais aussi les Normands, les Scytes et les Bogomiles et bien sûr le sultan turc. Tout le roman, inspiré par l’Alexiade, illustre les combinaisons et enjeux stratégiques (alliances paradoxales, à fronts renversés, etc.) mis en œuvre par l’Empereur face aux différents périls.

Voici dans l’édition Furne le texte en français de cette méditation sur Constantinople-Dolly, soit l’âme d’une cité, l’éther subtil de sa civilisation, à la migration décidément impossible et aux palais promis à une déchéance rapide :

« Les observateurs attentifs de la nature, dans le règne végétal, ont remarqué que, lorsqu’on prend une greffe sur un vieil arbre, cette griffe qui, dans la forme extérieure, a l’apparence d’une jeune pousse, est, dans le fait, parvenu au point de maturité, et même de dépérissement, que le tronc qui lui donne naissance. De la vient, dit-on, qu’on voit souvent, à peu près à la même époque, certains arbres d’une espèce particulière se dessécher et mourir, parce que, devant toutes leurs formes vitales à la même souche, ils ne peuvent prolonger leur existence au-delà de la sienne.

De la même manière, les puissances de la terre [lire : les puissances terrestres], par un grand et soudain effort, ont cherché à transplanter des villes, des Etats et des peuples, croyant assurer à leur nouvelle capitale la richesse, la majesté, la magnificence et l’étendue sans borne de l’ancienne cité qu’ils voulaient rajeunir. Ils espéraient recommencer une nouvelle suite de siècles, à partir de la date de la fondation de leur nouvelle ville, qui devait avoir, du moins ils se l’imaginaient, autant de durée et non moins de renommée que l’ancienne, que le fondateur se flattait de voir remplacée par sa nouvelle métropole dans toute la gloire de sa jeunesse. Mais la nature a ses lois, et elles semblent s’appliquer au système social comme à l’ordre végétal. Il paraît que c’est une règle générale que ce qui doit durer longtemps doit être mûri lentement et perfectionné par degrés ; tandis que tout effort soudain, quelque gigantesque qu’il soit, pour amener tout à coup l’exécution d’un plan combiné pour durer des siècles, offre nécessairement, dès le principe même, des symptômes de ruine et de mort. Ainsi, dans un beau conte oriental, un derviche explique au sultan de quelle manière il a vu croître les arbres magnifiques sous lesquels il se promène, en cultivant les graines qu’il avait semées ; et l’orgueil du prince est humilié en songeant que ses plantations, venues d’une manière si simple, acquéraient une nouvelle vigueur à chaque retour du soleil, tandis qu’il voyait se dessécher, dans la vallée d’Orez, la tête majestueuse des cèdres épuisés qu’il avait fait transplanter par un violent effort.
Je crois que tous les hommes de goût, et il en est beaucoup qui ont été voir récemment Constantinople, ont été d’accord que, s’il était possible de trouver sur toute la surface du globe un endroit digne de devenir le siège d’un empire universel, ceux qui seraient appelés à faire un pareil choix accorderaient la préférence à la ville de Constantin, comme réunissant à la fois la beauté, la richesse, la sûreté et la grandeur. Cependant, avec tous ces avantages de la situation et du climat, avec toute la splendeur architecturale de ses églises et de ses palais, avec ses carrières de marbre et ses trésors immenses, l’empereur qui fonda cette ville doit avoir reconnu lui-même que, quoiqu’il pût employer ces riches matériaux au gré de sa volonté, c’était l’âme de l’homme, c’était ses facultés intellectuelles, portées par les anciens au plus haut degré, qui avaient produit ces chef-d’œuvre de talent, lesquels, comme ouvrages de l’art ou du travail moral, frappaient de stupeur et d’admiration ceux qui les voyaient. Le pouvoir de l’empereur pouvait dépouiller d’autres villes de leurs statues et de leurs chefs-d’œuvres pour en décorer celle dont il avait fait sa nouvelle capitale ; mais les hommes qui avaient fait de grandes actions, et ceux, presque aussi estimés, qui avaient célébré leurs hauts faits à l’aide de la poésie, de la peinture et de la musique, avaient cessé d’exister. La nation, quoique étant encore la plus policée du monde, avait passé cette époque de la civilisation où le désir d’une juste renommée forme la seule ou la principale récompense des travaux de l’historien ou du poète, du peintre ou du statuaire. La constitution despotique et arbitraire introduite dans l’empire avait entièrement détruit depuis longtemps cet esprit public qui avait animé les historiens libres de Rome, et n’avait laissé que de faibles souvenirs qui ne produisait aucune émulation.

Pour parler comme s’il s’agissait d’une substance animée, quand même Constantin aurait pu régénérer sa nouvelle métropole par la transfusion des principes vitaux de l’ancienne Rome, ces principes n’existaient plus, pour que Constantinople pût les emprunter, et Rome les transmettre.
………………………………………………………………………………………………………………………………….
La splendeur empruntée dont Constantin orna sa ville était elle-même en quelque sorte un indice de décadence prématurée. »

Il n’est pas de volonté créatrice. La création ne se conçoit que dans le respect de processus naturels et historiques lents; sur ce plan, anthroposphère et monde naturel sont similaires. Le geste de reconduction, calculé, global et volontaire est « faux », il est voué à l’échec, son fruit à la déchéance, car il dérègle l’horloge des âmes, celle de la Création elle-même et de ses principes de transmission et reproduction. Le bricolage humain, clones, eugénisme, transhumanisme, et autres stratégies puériles de reconduction de soi, est grossier, impuissant devant les siècles, et avec eux la socio-ingénierie des gouvernants apprentis sociers qu'ils prétendent imposer aux nations et aux peuples historicisés : s'il y a des peuples qui se disent "racisés", nous, Occidentaux de souche judéo-chrétienne, sommes des peuples historicisés.
28 juillet 2020, 19:51   Re : Distractions estivales
Abasourdi par une telle lecture et de telles perspectives. Je suis groupie. Grand merci, cher Francis.
30 juillet 2020, 12:36   Re : Distractions estivales
Les manipulations génétiques, le clonage somatique, relevent bien de la même démarche dualiste dure du cartésianisme qu'incarnent les automates animaliers, ceux que chérissait et fascinait le philosophe : dans l'automate, l'âme absente du coeur de l'objet n'en est pas moins existante -- elle est celle du maître qui en tire les ficelles. L'horloge de son vieillissement est entre les mains du concepteur et réparateur de l'automate. Ces êtres, animaux, zombies, automates ou robots sont intégrés au socio-tope (qui s'oppose au bio-tope) éviscérés de leur autonomie : leur créateur les surplombe comme une instance divine mais celle-ci est "fausse"; cette instance génitrice n'est qu'un mime acéphale du divin, son imago, son village Potemkine.
.
En effet l'ordre de la Création est doté d'un schéma autre que celui-là : les créatures qui lui sont assujetties sont pourvues d'une âme-horloge résidente, qui leur est interne, ce qui a pour avantage de garantir l'autonomie du sujet dans le socio-tope, et s'agissant des animaux, une autonomie relative dans le biotope, qui peut aller jusqu'à leur intégration volontaire au socio-tope (cf. le chien qui recherche la société des hommes).

Le faustisme, l'ambition démiurgique et plus particulièrement le "transhumanisme" en ressortent pour ce qu'ils sont : une gesticulation désespérée consistant à fabriquer des zombies entièrement assujettis à un contrat de maintenance qu'un petit maître marionnettiste aura signé de sa main.

La reconduction ou prolongement de soi que promet le transhumanisme est porteur d'une terrible dépendance, bien plus forte que celle que peut engendrer le socio-tope originel (gourous, coach, psy, etc.): le contrat d'entretien à passer avec son ingénieur sera léonin; il sera un contrat de sujétion.

Dolly, animal zombie était dépendant et sur-assujetti au socio-tope par au moins trois chaînes : son ingénieur qui l'avait créée; les ingénieurs qui assuraient son maintien et la réussite technique de l'acte de reconduction du vivant dont elle était le siège, et, comme nous l'avons vu, la dépendance foncière, ontologique, au corps qui détient, et détenait dès l'amont de son existence, l'horloge de son vieillissement, la règle naturelle de son affaiblissement et sa finitude.

Beau programme, le transhumanisme, n'est-ce pas ?
Utilisateur anonyme
31 juillet 2020, 08:08   Re : Distractions estivales
Francis@
Le faustisme, l'ambition démiurgique et plus particulièrement le "transhumanisme" en ressortent pour ce qu'ils sont : une gesticulation désespérée consistant à fabriquer des zombies entièrement assujettis à un contrat de maintenance qu'un petit maître marionnettiste aura signé de sa main


D'accord avec vous. Mais ce faustisme gesticulant est aussi, et avant tout, l'expression de la haine des limites, la différence sexuelle représentant la limite par excellence... Celle qui faisait qu'en ce monde, il y a des limites ! (Je sais, c'est emmerdant mais c'est comme ça.)

On comprend alors pourquoi notre époque est tellement travaillée par le transsexualisme : la dissolution de la frontière homme-femme apparaît comme l'accomplissement ultime de “l'individu roi-et-reine”, en même temps que la matrice de tous les transfrontiérismes. Le transhumanisme, qui veut “augmenter” les hommes en modifiant leur constitution biologique ou en les hybridant avec la machine, ne connaît pas de transhommes ni de transfemmes, mais seulement des transhumains, et participe de ce mouvement. James Hughes, ancien directeur de la World Transhumanist Association (maintenant Humanity), n'a-t-il pas dit des transsexuels qu'ils constituaient « les troupes de choc du transhumanisme »... ? L'enjeu d'une sortie de la condition humaine, c'est d'abord cela : une sortie de la condition sexuée qui dément le fantasme de complétude individuelle.
02 août 2020, 23:44   Re : Distractions estivales
Vous en avez de bonnes : la vie humaine est une gesticulation désespérée, aussi le faustisme est encore bien plus naturel à l'homme que la nature que supposément il dénature.
05 août 2020, 23:15   Quant à soi
» Beau programme, le transhumanisme, n'est-ce pas ?

C'est une question intéressante : Les vrais jumeaux sont des clones naturels, ils partagent exactement le même matériel génétique, si je ne me trompe ; pourtant, on est en droit de supposer que chacun d'eux a une âme propre. Du moins, je ne vois pas pourquoi les processus neuro-physiologiques aboutissant à la subjectivation nécessaire chez chaque jumeau ne créera pas ce qu'il est convenu de nommer une intériorité exclusive, un espace mental et psychologique unique, les différenciant radicalement malgré certain air de famille.

Je crois que même les vaches et les cochons clonés présentent certaines dissemblances physiques, pour ne rien dire de leur caractère. De là à affirmer que d'éventuels clones humains échapperont à cet inévitable processus d'individuation mentale, rien selon moi ne le permet ; même les automates, les androïdes, pourvu que l'ingéniosité humaine parvienne à les doter d'une certaine indépendance d'esprit, finiront par être comme vous et moi : ultimately, very private.
24 août 2020, 00:20   Un idéal
« Ne pas être encore mort, voilà qui suffit aux pauvres de l'existence... »

Fernando Pessoa - Le Livre de l'intranquillité
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