… pourriez-vous prendre une fois de plus le chemin de ce domaine interdit (particulièrement, allez savoir pourquoi, aux Suisses et aux Belges) ?
(( Il y a encore quelques troupes d’italiques à soumettre au passage…))
« Pour Renaud Camus et autres promeneurs des parcs »
«
Mon temps est passé ; mon monde est mort… » (Charles-Joseph de Ligne)
Au domaine d’Egmont, quelques spectres vous croisent, couleur de vieille écorce, de vieille pierre : Louis XV, Christine de Suède, Jean-Baptiste Rousseau, Voltaire aussi – ce mauvais plaisant… Mais dans ce jardin bien ordonné, où le rêve est facile, où l’on perd de sa pesanteur, s’annonce celui qu’on ne s’étonne d’y voir, l’esthéticien des parcs, l’amant de la Nature corrigée…
Une destinée heureuse appelle une statue heureuse ! Celle, mièvre et virile comme une musique de clavecin, que créa John Cluysenaar, a toute la grâce d’une apparition. Elle incite à quelque inclination de tête. Et si familière et si hautaine, à la fois ; Le prince…Aussi pertinemment chez lui qu’à Beloeil, Vienne ou Versailles.
Chérissons les statues inutiles, inexpliquées… Celle-ci a ce mérite de ne commémorer rien, ni l’homme de plume, ni l’homme de guerre, ni le diplomate, ni l’architecte, ni le galantin. Non plus qu’un siècle, non plus qu’une caste. Ou si l’on y veut déchiffrer un symbole, que ce soit un discret hommage à l’Esprit, en sa brillante incarnation – ce riche et antique patrimoine d’Esprit qu’allait disperser la Raison parvenue…
Ne nous méprenons pas. Le prince de Ligne ne résume pas du tout le siècle dix-huitième : il est aux antipodes de ces philosophes préparant l’avènement du bourgeois ; il est l’aristocrate, qui passera la main au dandy. Soit ce type de supérieure humanité, dont tout bon démocrate entretient la hantise. La suprême apparition de l’aristocrate, dis-je bien ; d’une force corrigée de la Nature, comme un parc…
(Michel De Ghelderode «
Mes statues »)