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Conversation avec le premier « No Border » (12 février 1938)

Envoyé par Francis Marche 
Extrait du premier volume de l’Histoire de la Deuxième guerre mondiale, de Sir Winston Churchill (traduction par mes soins)

Le 12 février 1938, huit jours après avoir accédé au commandement suprême, Hitler avait convoqué le chancelier autrichien, Herr von Schuschnigg, à Berchtesgaden. Celui-ci s’était exécuté, et était accompagné de son Ministre des affaires étrangères, Guido Schmidt. Nous disposons du témoignage écrit de Schuschnigg [ses mémoires Ein Requiem in Rot-Eiss-Rot, p. 37] dans lequel figure le dialogue suivant. Hitler avait évoqué les défenses de la frontière autrichienne. Celles-ci suffisaient à rendre une opération militaire nécessaire pour les vaincre, et donc à soulever la question majeure de la guerre et la paix.

« Hitler : Je n’ai qu’à en donner l’ordre, et du jour au lendemain, les épouvantails ridicules qui se tiennent sur cette frontière se volatiliseront. Vous ne vous figurez tout de même pas que vous pourriez résister ne serait-ce qu’une demi-heure ? Qui sait, il se pourrait bien que le soir même je fasse soudainement irruption à Vienne, comme un orage au printemps. Et alors vous vivriez une sacrée expérience, croyez-moi ! Je tiens tout particulièrement à éviter cela aux Autrichiens, car il y aurait un grand nombre de victimes à déplorer. Après la troupe, arriveraient les S.A. et la Légion ! Personne ne pourrait freiner leur soif de vengeance, pas même moi. Vous voulez faire de l’Autriche une autre Espagne [référence à la guerre d’Espagne qui faisait rage à ce moment] ? Eh bien croyez-moi, j’aimerais, si possible, éviter ça.
Schuschnigg : « Je vais recueillir les informations nécessaires et mettre un terme à l’édification de tous ouvrages de défense sur la frontière allemande. Naturellement, je conçois que vous pouvez faire pénétrer vos troupes en Autriche, mais, Monsieur le Chancelier, que nous le souhaitions ou pas, cela ne manquerait pas d’entraîner des effusions de sang. Nous ne sommes pas seuls au monde. Une telle action signifierait probablement la guerre. »

Hitler, qui fait montre d'une certaine clairvoyance à cette occasion, répond qu’il a la situation « sous contrôle » comme on dirait aujourd’hui : Mussolini lui mange dans la main et, prétend-il, tous deux s’entendent comme cochon ; l’Angleterre ne lèvera pas le petit doigt pour l’Autriche… « quant à la France, eh bien, il y a deux ans, quand l’armée allemande a occupé la rive gauche du Rhin avec une poignée de bataillons – à ce moment, j’ai risqué gros. Si la France avait mis ses forces en mouvement, j’aurais été contraint de me retirer. Mais pour la France, c’est à présent trop tard ».

Ce qui mérite d’être relevé dans ce passage : le qualificatif « d’épouvantails ridicules » que Hitler réserve aux gardes-frontières autrichiens. Or le propre père du jeune Autrichien Adolphe Hitler, que l’intéressé honnissait et méprisait, exerçait précisément l’état de garde-frontière autrichien.

Pour ne point quitter l’Autriche et sa capitale, disons qu’il y a là un matériau freudien de première.

Je n’ai pas lu Mein Kampf, mais tout indique, des documents historiques auxquels nous avons accès, que A.H était un homme en révolte contre les pères, ceux qui pouvaient être tenus pour responsables du désastre germanique de 1918. Non seulement les pères avaient perdu la guerre, mais, dans le système obsessionnel hitlérien, avaient été trahis, s’étaient laissé trahir, étaient par conséquent rien moins que des cocus méprisables.

L’hitlérisme : surrection de la horde des frères (puinés) désargentés, affamés, d'un pays ruiné et trahis, dans une subversion visant les pères (coupables à la fois de défaite militaire et de faiblesse face à la trahison). Surrection qui anime mêmement l’islamisme, mais c’est une autre question, car à l’emprise sur le monde, les Frères musulmans ajoutent l’emprise sur les sœurs.

Churchill insiste dans son ouvrage sur la nature prolétarienne, affamée et assoiffée de revanche du portrait que l’on pouvait dresser de A.H., qui par exemple, faisait un contraste violent avec le port aristocratique et dédaigneux des émissaires diplomatiques britanniques que le gouvernement de Sa Majesté envoyait de temps à temps le rencontrer à Berlin dans les années 30.

Révolte contre le père, et, de manière singulièrement superposée dans le cas de A.H, révolte contre les frontières des nations. L’hitlérisme est un sans-frontiérisme, le premier dans l’histoire du monde contemporain : seule compte dans cette vision l’universalité de l’homme germanique, pour qui les frontières n’existent que pour être enjambées. Hitler rêvait de faire de l’Europe un loft germanique et Margaret Thatcher commentant la construction européenne dont elle était témoin ne s’y trompait pas qui affirmait que l’Allemagne était ainsi parvenue par la paix à ce que la guerre lui avait refusé.

L’enseignement à tirer de ces faits d’histoire est un nouveau regard que nous devons porter sur le sans-frontiérisme politique militant et agressif, que propage une certaine « extrême-gauche » qui se fait appeler « antifa » : ce militantisme coche toutes les cases du syndrome hitlérien – les frontières nationales ont le don de l’irriter, il veut l’humanité dans un loft ; et la culture woke anti-nationale, ou la non-culture revendiquée, s’accorde à merveille avec le mépris des pères et du sexe masculin en général (que promeuvent la PMA « pour toutes » et bientôt la GPA), mépris lui aussi bruyamment revendiqué.

Dire aujourd’hui, comme Churchill l’avait anticipé, que les « antifas » sont de nouveaux hitlériens n’est pas une figure de rhétorique un peu facile : leurs visions, géopolitique et anthropologique (élimination du père), fait miroir avec celles que propageait l’agitateur suprême dans la première moitié du siècle dernier, et avec des méthodes qui mériteraient la considération de ses SA. Non content de ressembler aux Hitlériens, ils sont les dignes continuateurs de l’entreprise hitlérienne des années 30 (ce qui n'inclut pas la Shoah, vous l'aurez remarqué).

Les « années 30 », ce sont eux.
Le deuxième volet de cet enseignement va sans dire car il découle logiquement du premier: que la défense de sa patrie et de ses frontières est résolument antagonique et contraire à l'hitlérisme.
Essayons de résumer : le 11 mars 1938 les troupes hitlériennes pénètrent en Autriche et en une journée, A.H. effectue un exploit aux multiples dimensions, historiques et personnelles:

1. Il "tue le père", mais c'est peu dire, il l'annihile la fonction patriarcale de son géniteur qui avait été garde-frontière autrichien. Il le tue, l'humilie et le trahit radicalement, cette transgression spectaculaire vaut "revanche" (contre la personne de son père qui avait été homme violent et dont il semble avoir été le souffre-douleur dans son enfance) mais aussi contre les pères-traitres qui avaient signé le Traité de Versailles. A.H. châtie les traitres en leur infligeant une trahison scopique, multidimensionnelle. Notons qu'il trahit aussi et plus simplement sa patrie, l'Autriche, en abolissant sa frontière que son père gardait. Voilà une extraordinaire superposition: un acte géopolitique doublé d'un mobile intime. La patrie et ce qu'on appelle aujourd'hui "le patriarcat" furent donc réduits à néant en Europe, au moins symboliquement, dans un geste dont un homme seul prit l'initiative et qui s'accomplit en une journée.

2. La patrie est donc vidée de son être au nom des impératifs d'un lebensraum aux frontières à définir, dont il n'est pas question d'arrêter le tracé avant d'en avoir poussé les limites à l'extrême, les avoir conquises de haute lute. Dès ce jour, la guerre devient inéluctable. La question qui se pose à son sujet n'est plus celle de sa survenue mais des modalités de son déclenchement. Et cette guerre allait être la plus meurtrière de l'histoire de l'humanité.

Mais il y a bien plus : dans cette journée de l'Anschluss, A.H. fonde un schéma directeur pour l'Histoire européenne à venir, celui qu'incarne aujourd'hui ce qu'on appelle l'"Union européenne": les frontières nationales doivent être abolies pour aménager un espace nouveau propre à accommoder un peuple nouveau racialement défini (par importations et métissage), comme avait été racialement défini le peuple germanique dont il fallait aménager le lebensraum dans les années 30 du siècle dernier. Que le curseur racial placé aujourd'hui sur le métissage soit à l'opposé de la position qu'il occupait en 1938 dans l'esprit de A.H. voulant une race pure ne constitue pas une différence de nature car le curseur conserve son axe racial. L'anti-racisme metissagier actuel reste un racialisme.

Abolissez les nations et leurs frontières, et surviennent les races et leurs territoires tribaux, leurs lebesraum respectifs.

Enfin, il y a l'actuelle dénonciation endémique du "patriarcat" (chez les néo-féministes et autres amis des populations qu'on importe en Europe) qui accompagne le désir d'abolion des frontières et des nations. Avec celle-ci, le schéma de récurrence atteint son achèvement: la fonction paternelle (et sa dimension intime, biologique même) est touchée d'un même mouvement que la notion de patrie et de patrimoine (cancel culture, woke, etc.). Il faut assassiner les récits nationaux (que nos historiens en chaire aiment tant à désigner comme "roman national") et déboulonner les statues du patrimoine, soit l'étape qui précède logiquement les autodafés et les épurations ethniques.

Les deux plans menés de front dans la conscience et le sub-conscient d'A.H. sont reconduits et leur exécution est elle aussi simultanée: le plan géopolitique d'abolition des patries est bien solidaire de celui de l'humiliation du "mâle".

Néo-fems et antifas sont en train de rééditer la geste hitlérienne fondatrice qui a culminé avec l'Anshluss. Rien ne manque aux manifestations de son être, celui de l'hitlérisme 2.0, et le projet que l'on voit se tramer en toile de fond de cette geste s'accorde à merveille avec leurs "actions de terrain" : il est celui de l'aménagement patient et obstiné, construit à coup d'intrigues et de bluff, du lebesraum germanique-universaliste, du grand loft européen post-national, évidé de ses narrations nationales et des peuples qui les portaient.
» la défense de sa patrie et de ses frontières est résolument antagonique et contraire à l'hitlérisme

Phrase étonnante, on dirait presque un coup de bluff, là aussi, et je préfère parler de nazisme plutôt que d'"hitlérisme", pour autant que ces deux termes se recoupent : je ne vois tout simplement pas comment il serait possible de faire l'impasse sur le nationalisme s'agissant du nazisme.
Ce dernier est un ultra-nationalisme völkish donnant la priorité absolue à la défense des intérêts de ce Volk, "peuple-nation" allémano-aryen défini exclusivement de façon biologique-racialiste : l'irrédentisme et la belligérance consécutifs à cette valorisation axiomatique de ce peuple-nation afin d'établir son incontestable suprématie ne sont pas un "universalisme" voulant abolir les frontières, mais un expansionnisme nationaliste visant à asservir les autres peuples en foulant aux pieds de la machine de guerre nazie leurs frontières, pour élargir le territoire propre du Reich.
A mon sens, cela n'a rien à voir, et l'identitarisme littéral et absolu affirmant par la conquète la puissance de sa prééminence nationale exclusivement au détriment des autres, cela souvent jusqu'à leur annihilation physique, ne peut tout même pas être considéré comme un "universalisme", ou alors les mots n'ont plus de sens.

Quant à la "revanche contre les pères", ceux-là n'étaient que les couilles molles dégénérées et corrompues par les ennemis de la nation allemande, justement (libéraux et juifs principalement), qui avaient perdu la guerre, des verdreckte Loser, point des pairs, fiers porteurs de gonades à la fibre patriotique pure et inaltérable qui ne se seraient jamais laissés humilier.
Je trouve que le mouvement des Wandervögel rend bien mieux compte de cette révolte contre les aînés, mouvement très völkish, enraciné dans une mythique "âme allemande" et dont nombre de cadres nazis étaient issus, très naturellement éclusé dans le nazisme naissant...

Et puis, pourquoi s'obstiner à offrir à Hitler une sorte de "troisième carrière" ??



« Le mouvement des Wandervögel, c'était d'abord l'acte par lequel la jeune génération se désolidarisait de ses aînés. Cette guerre perdue, cette misère, ce chômage, cette agitation politique, nous n'en voulions pas. Nous jetions à la figure de nos pères l'héritage sordide qu'ils tentaient de nous faire assumer. Nous refusions pêle-mêle leur morale d'expiation, leurs épouses corsetées, leurs appartements étouffants, capitonnés de tentures, de portières et de poufs à glands, leurs usines fumantes, leur argent. Par petits groupes chantants et enlacés, dépenaillés, coiffés de feutres défoncés mais fleuris, ayant pour tout bagage une guitare sur l’épaule, nous avions découvert la grande et pure forêt allemande avec ses sources et ses nymphes. Efflanqués, crasseux et lyriques, nous couchions dans les fenils et les crèches, et nous vivions d'amour et d'eau claire. Ce qui nous unissait par-dessus tout, c'était notre appartenance à une même génération. Nous entretenions comme une franc-maçonnerie de la jeunesse. Certes nous avions des maîtres. Ils s'appelaient Karl Fischer, Hermann Hoffmann, Hans blüher, Tusk. ils écrivaient pour nous des récits et des chansons dans de petites revues. Mais nous nous entendions trop bien à demi-mot pour avoir besoin d'une doctrine. Nous ne les avons jamais vus à Kiel.
C'est alors que se produisit le miracle des gueux. Nous, écoliers errants, nous avions la soudaine révélation, avec cette Ligue des gueux (Bund der Geusen) qui nous ressemblaient comme des frères, mais qui relevaient de l'idéologie nazie, que nos idéaux et notre manière de vivre n'étaient pas forcément voués à demeurer en marge d'une société forte de son organisation et de son inertie. Les gueux, c'étaient des Wandervögel doués d'une force révolutionnaire qui menaçait directement l'édifice social. »

Michel Tournier, Le Roi des aulnes
L'hitlérisme, en diplomatie, dans les années 1934-1939 était une doctrine géopolitique qui nous intéresse ici, qui intéressait Churchill: l'hitlérisme géopolitique, on le découvre en lisant ces matériaux (récits, discours à la Chambre britannique, comptes rendus et notes diplomatiques, etc.) doit être distingué du nazisme pour en composer l'interface internationale, le visage géostratégique. La mise en drame et en scène hitlérienne, on vient de le voir, était largement aussi personnelle, voire intime que politique dans ces années-là: Hitler, qui décidait seul du sort de l'Allemagne, puis, par extension, de l'Europe, réglait des comptes avec tous : les pères, les traitres à l'Allemagne, son propre père, largement autant qu'avec l'Angleterre et la France.

Curieusement, et ceci est rarement relevé : Hitler méprisait copieusement l'Angleterre, pays sans armée continentale, habitué des dérouillées militaires sur le Continent (bataille de la Somme, etc.), dont l'armée, à la puissance de feu inférieure à celle de la Belgique dans ces années-là, n'était guère plus qu'une "police coloniale", commandée par des généraux qui en été restés, grosso modo, à la guerre en dentelles et qui, dans les rares velléités de dépasser ce mode d'action sur les théâtres des opérations, s'étaient couverts de ridicules. Seule la flotte britannique pouvait mériter d'être un peu respectée, mais plus l'Air Force, avec laquelle, dès 1934, l'Allemagne jouait à parité de puissance (ce que Churchill ne cesse de déplorer dans son ouvrage).

Mais Hitler avant une dent personnelle contre les Anglais qui l'avait gazé trois semaines avant l'armistice de 1918. Il fallait, coûte que coûte, humilier cette nation, honnie et méprisée. L'hitlérisme c'etait, dans ces années-là, 50 pour cent au moins de dent personnelle contre l'ennemi. Contrairement à la mafia, Hitler vous visait parce qu'il y avait quelque chose de personnel en lui contre vous. D'où la pertinence de l'hitlérisme, de préférence au nazisme quand on se penche sur ces développements.

Rien de cela vis-à-vis de la France. Pourquoi ? parce que A.H avait un faible pour le petit vin blanc, le saucisson à l'aïl, le camembert coulant, le berret basque, l'opéra Garnier et la Tour Eiffel ? Non.

Parce que la France, en 1936, était la seule puissance qui possédait les moyens militaires de couper court à ses aventures, ses calculs, ses coups de bluff, ce qui commandait chez lui un certain respect. Seule puissance en Europe ? Même pas: dans le monde ! car ni les Etats-Unis d'Amérique, très occupés par eux-mêmes à ce moment (isolationnisme, reconstruction économique, etc.), ni l'Union soviétique (parallèlement elle aussi trop occupée par elle-même et ses efforts d'industrialisation et ses luttes intestines accompagnées de purges, le communisme n'étant rien d'autre qu'une purge, un médicament, appliqué au monde agraire par et pour l'industrie et l'industrialisation des espaces ancestraux) ne se trouvaient en mesure, non plus que désireux, de mobiliser des forces contre les coups de poker de Hitler en Europe occidentale à ce moment

La remilitarisation de la Rhénanie par Hitler eut lieu en 1936. La pensée stratégique d'Hitler était la suivante: si je remilitarise la Rhénanie sans que les Français ni la Ligue des Nations ne bronche, il me devient possible d'ériger une ligne de défense sur le flanc ouest de l'Allemagne qui donnera à celle-ci les coudées franches pour abattre les frontières à l'Est et ouvrir son lebensraum dans ces espaces (Europe du Sud-est) sans que les couilles molles de l'Ouest ne bronchent davantage qu'elles n'ont broché quand j'ai occupé la Rhénanie. C'était audacieux, risqué, ça a été risqué et ça a marché.

Tout se joua donc, stratégiquement, en Europe, en 1936.

Or en 1936, dans le seul pays, la France, qui eût pu faire fermer sa gueule à Hitler et anéantir ses plans, c'était le Front populaire, son pacifisme, sa confiance en la bonté foncière de l'Homme et des institutions internationales (Ligue des nations, multilatéralisme dialoguiste, etc.), son goût pour la négociation civilisée avec "monsieur Hitler", qui régnait.

Une certaine bourgeoisie française, enfin, la plus bête, c'est à dire, la dominante, se plaisait à penser : plutôt Hitler que le Front populaire. Pour faire court, ces crétins ne virent pas une seconde, que c'était le Front populaire qui leur amenait Hitler, que sans lui, le Front populaire, un Clémenceau, un Poincaré, eussent réglé "la question hitlérienne" en Rhénanie en envoyant les gros bataillons dont disposait la France à ce moment, au lieu de "sissies" du type Daladier ou Neuville Chamberlain, lequel était la couille molle en chef à ce moment outre-manche; que le Front populaire, par conséquent (et le caractère "prolétarien" d'Adolf Hitler, n'en doutons pas, ne manquait pas d'avoir ses effets sur les socialos au pouvoir à Paris) fut bel et bien l'accoucheuse, la sage-femme du désastre de mai 1940 et tout ce qui s'ensuivit.
Enfin, pour certains gauchistes ou gauchisants de l'époque, ce semble davantage avoir été : plutôt Hitler que la guerre, alors que l'engagement à gauche était une donnée déjà acquise.
Mollesse gonadique, bêtise, aveuglement ? Pourtant, des gens comme Déat ou Doriot n’étaient certainement pas des couards, combattirent même avec bravoure et furent décorés, n'étaient point très crétins non plus (Déat fut élève remarqué et doué d'Alain, estimé même de de Gaulle !), alors quoi ?...
L'horreur de la guerre en soi, après le cataclysme de 14-18, qui avait créé une sorte de répulsion viscérale à rempiler pour un second tour ? Peut-être...
Plus j'avance (lentement, posément et même pesément) dans l'ouvrage monumental de W. Churchill, plus je me rends compte de l'écrasante dissemblance, phénoménale dissymétrie ou asymétrie, entre la manière hitlérienne et celle des diplomates anglais et français. Il y eut un phénomène que l'on pourrait qualifier de dissonance dialogique entre les deux camps au cours des années et des mois qui conduisirent à Munich: les démocraties, quand Hitler bluffait (occupation de la Rhénanie, violation du traité de Versailles, puis de Locarno, avalement de l'Autriche puis dépeçage de la Tchécoslovaquie à Munich, et toujours en promettant, en jurant, que, à chaque fois, se serait sa dernière incartade, que, par exemple, il se foutait du sort futur de la Tchécoslovaquie une fois réglé le sort des Sudètes) pensaient encore qu'il fallait, avec le bonhomme, user de ce que Churchill appelle avec ironie la "sweet reasonableness" (la "douce raison", si l'on veut), non sans une certaine condescendance de classe envers le Chancelier de Berlin. Bref, nos démocraties anglaise et française, se laissaient rouler dans la farine et y prenaient plaisir, refusant de voir que le petit agité du bocal qui, quinze ans auparavant, avait connu la faim (ce qui n'avait évidemment jamais été le cas des Daladier, Eden, Neuville Chamberlain non plus que Churchill lui-même) avait le mordant direct, acharné et fatal du pitbull terrier qui dévore la main de qui lui sert sa viande dans un plateau.

En revanche quand le bougre annonçait, sans cligner des yeux, qu'une fois le moment venu, l'heure propice, il anéantirait les populations juives d'Europe, les démocraties voulurent y voir une sorte de métaphore, d'excès de language,bref, un bluff là même où il n'y avait ni exagération ni bluff, où il y avait pure littéralité du discours, coïncidence de celui-ci avec les actes à venir !

Je dis qu'il est impossible qu'une telle double méprise de la part de ces démocraties civilisées ne pût être autre que, sinon semi-consentante ou semi-complice, en tout cas assujettie au régime d'une radicale dissymétrie de perception, d'une dissonance induite par le statut d'aliénation de deux mondes (politiques et sociaux) disjoints.

Asymétrie. Dans ses discours de cette époque (1938), A.H. argumentait ainsi: les dictatures ne changent pas de cap. L'homme d'aujourd'hui, s'il est là demain, suivra le même plan, la même politique géostratégique. En cela, il n'est point dangereux puisqu'il ne saurait surprendre (!) En revanche, développait-il, si, par exemple, le doux Chamberlain ou l'ineffable et conciliant Harold Wilson se trouvaient, à la faveur de quelque élection anglaise, remplacé par un M. Eden ou un Churchill, l'Allemagne serait attaquée ! La démocratie est dangereuse, bien au-delà du danger supposé des dictatures pour la pérennité de la paix parce qu'elles sont soumises à l'impondérable politique. Hitler jugeait logiquement qu'il fallait profiter de la tendresse conjoncturelle et momentanée des démocraties pour frapper, multiplier les coups, les bluffs, des acquis territoriaux, utiles quand, dans le futur, la démocratie montrerait les dents à l'occasion d'un changement de personnel dirigeant.

Son cynisme politique reposait sur une certaine sagesse désenchantée vis à vis de l'humain: le méchant (Churchill, Eden) peut effacer en un tour de main la douce construction du gentil. Il faut donc se servir du gentil et de sa tenure provisoire pour se prémunir contre le méchant qui ne manquera pas de prendre son tour à la direction des impondérables démocraties. Neuville Chamberlain et Daladier furent ainsi collabos avant guerre.

Winston Churchill dans son livre parle de "the miraculous luck of Herr Hitler" dans ces années. Comment expliquer cette "chance miraculeuse" du chef Nazi autrement que par cette dissonance entre les deux camps : paraît chanceux celui qui multiplie les victoires, les gains dans le jeu, par une manière occulte à la culture de celui qui lui attribue pareille barraca. A.H. était situé de l'autre côté du miroir, de manière contraposée aux manières du monde, diplomatique et civilisé. Ainsi placé, il ne pouvait qu'enfiler les victoires, dans la sidération de ceux qui n'entendaient rien à son jeu, car A.H, pour tout dire, jouait à peine, ne se donnait qu'à peine la peine de bluffer, tant le camp d'en face, quoi qu'il fît, réussissait à l'aider comme aucun.
Il faut ajouter ceci: il y avait, dans les cercles du pouvoir britannique, notamment au Foreign Office, une sorte de complaisance assumée envers le bouillonnant chancelier allemand. L'un des hauts responsables de ce pouvoir déclarant par exemple, lors de l'occupation militaire de la Rhénanie par les troupes allemandes, qui se fit en 1936 en violation frontale des traités en vigueur (Versailles mais pas seulement), que, après tout, ils ne font que rentrer dans leur arrière cour (their backyard). Le phénomène Hitler les fascinait de par l'exotisme radical de canaille rare qu'il offrait. Ces hauts responsables britanniques éprouvaient envers lui l'affection et la complaisance bien connues de l'aristocrate pour le voyou. Un peu comme notre racaille d'aujourd'hui sous les yeux de ceux qui sont prêts à en excuser tous les débordements: Monsieur Hitler était décidément bien divertissant.

C'était différent chez les Français, qui virent dans un premier temps le spectre de la guerre se profiler directement sur leur territoire, pour plus tard, lâchement, pousser un soupir de soulagement en se figurant que le chef nazi visait le bassin du Danube bien davantage que l'Alsace et la Lorraine puisqu'il se contentait d'y fortifier ses lignes dans un geste apparemment défensif.

L'hitlérisme, par son complexe d'attitudes et de visées géopolitiques pensées et élaborées en des stratégies à la fois fines et audacieuses, doit être distingué du nazisme sur ce plan parce que ce dernier, fondamentalement, ne se démarque en rien du socialisme soviétique jusqu'en 1941 ou même 1945, ces deux systèmes n'étant animés que d'un unique eschaton commun, qui consistait à industrialiser tout l'espace disponible, et à marche forcée, en vue de "moderniser" cet espace en relevant le pouvoir d'achat du petit peuple, appelé ainsi à être éternellement reconnaissant à ses dirigeants initiateurs de cette politique. Le socialisme (qu'il soit "national" ou communiste) n'est rien d'autre qu'un industrialisme qui l'oppose logiquement aux deux bords du conservatisme agraire: qu'il soit traditionnel ou d'inspiration anarchiste (Mexique), l'anarchisme étant vide d'eschaton, son ambition est celle d'une harmonie quiescente de la société (Fourrier, Proudhon, etc.) à la différence de l'hybris industrialiste et son obsession du "progrès".

Jusqu'à la disparition de son chef et inspirateur en mai 1945, l'hitlérisme se distinguait du stalinisme par son appétit de conquête territoriale et d'annexion des nations petites et mal défendues, soit ce que l'on a appelé le pangermanisme. Tandis que le bolchévisme paraissait se contenter de s'auto-purger sans viser la conquête ni l'expansion coloniale. Mais il y eut une bascule formidable en mai 1945, quand Staline, à la mort de son concurrent direct sur le Continent européen, se mit en devoir d'avaler les nations du versant est de l'Europe. Je l'ai souvent souligné ici: le sceptre du monisme continental-impérial migra d'un coup, à ce moment, de Berlin à Moscou et Staline, dès lors, se fit hitlérien.
» La démocratie est dangereuse, bien au-delà du danger supposé des dictatures pour la pérennité de la paix parce qu'elles sont soumises à l'impondérable politique

Aussi les démocraties, par leur variabilité intrinsèque, figurent en politique le survival of the fittest.
Oui, eh bien justement. Depuis que l'Union européenne existe et se renforce, il n'y a plus d'alternance politique dans les pays qui la composent qui serait susceptible de "surprendre" les dictatures. Dans les années 30, Hitler redoutait l'émergence d'un nouveau Clemenceau en France, où qu'une élection anglaise mette Churchill au pouvoir, car le revirement des politiques extérieures des pays concernés eussent pu réduire ses plans à néant en quelques semaines ou quelques jours.

Quand je reprends ici à mon compte l'observation de Margaret Thatcher en référence à l'UE selon laquelle ce que la guerre avait refusé à l'Allemagne, celle-ci l'obtient par la paix ou quand je dis (un peu crûment, ce qui n'a jamais manqué d'en effaroucher certains), que l'Union européenne, c'est le Reich sans les chambres à gaz, ce n'est pas coquetterie d'esprit de ma part : la pensée unique produit une politique unique et sans variation démocratique, ce qui affaiblit les démocratie (plus de "survival of the fittest" obtenue grâce à la grande amplitude des politiques possibles en régime démocratique de par le fait d'une alternance radicale qui n'attend qu'une élection pour s'opérer) et les noie dans le monisme stratégique, la fixité, l'impossibilité de "reculer pour mieux sauter" (on a parfois, à mon sens très pertinemment, mentionné que A. Hitler était incapable de reculer ou de faire un pas de côté, comme on l'apprend dans les écoles militaires de l'aristocratie, anglaise et française), l'homme étant un rustaud inculte, il ne savait qu'avancer, ce qui, par exemple dans tout jeu de stratégie (les échecs) est la recette infaillible de toute ruine et tout anéantissement. Mais, et c'est là que se situe sans doute "la chance miraculeuse" de l'intéressé, comme personne n'agissait ainsi, il a pendant quatre ou cinq ans (jusqu'à la fin de 1940) raflé toutes les mises sur le tapis, tous les pions sur l'échiquier, sa stratégie de lourdaud matois et pressé désarçonnant tout le monde y compris et surtout ses critiques en Allemagne, ce qui lui donna des ailes, mais d'Icare.

Donc, en 2021, ce que je viens de dire signifie, que, par exemple, face à Erdogan, aux manières de plus en plus hitlériennes, l'Union européenne ne peut rien faire, ni le surprendre, ni le contrecarrer dans ses manoeuvres. Face au grand turc, l'Union européenne c'est Daladier et Chamberlain sans l'ombre de la possibilité que ces deux-là laissent jamais la place à un Churchill ou un De Gaulle par alternance démocratique -- tout le continent est gouverné par une doctrine, une pensée, une politique, unique et invariable qui, commande aux nations d'Europe ce qu'elles doivent faire.

Le Reich hitlérien avait le même défaut: une pensée, une doctrine, inflexible, continentale, invariable. On a vu la suite.
Lu hier soir, dans l'avant-dernier chapitre du volume 1 de l'Histoire de la seconde guerre mondiale, de W. Churchill (impossible de lire plus d'une page et demie par jour de cet ouvrage, tant il est de règle qu'un ouvrage aussi étranger à l'actualité ne se puisse lire autrement, mais aussi: parce qu'il est de règle qu'un ouvrage d'une telle actualité ne se puisse non plus lire autrement, on hurlerait à ses contemporains si l'on venait à enfreindre cette règle élémentaire du savoir être dans son temps):

Qu'en 1936, l'Allemagne travaillait dans les usines d'armement comme en pleine guerre: 60 heures par semaine et en trois-huit, à manufacturer les meilleurs canons du monde, les obus les plus cinglants et percutants jamais inventés, des Messerschmitt Me 262, ou ses précurseurs, etc.

Cependant que la France de Léon Blum et du Front populaire, première puissance militaire en Europe, on ne le répètera jamais assez, fêtait l'accession aux 40 heures par semaine, aux congés payés, et célébrait tout ça à coups de petit vin blanc, de bal musette et d'adorable insouciance.

Quatre ans plus tard, le principe de réalité déferlait avec ses panzer sur la France du Nord, tuant 100000 de nos concitoyens en trois semaines.

C'est con le socialisme. C'est très con, et au fond, très dangereux, un socialiste.
Dissonance dialogique

Traduction de la première page du Chapitre XIX du vol 1 de l'ouvrage de W. Churchill:

M. Chamberlain ne cessait de croire qu'il lui suffisait de créer un contact personnel avec les Dictateurs pour produire une amélioration marquée dans l'état du monde. Il ne se doutait pas que leurs décisions étaient acquises. Le coeur gonflé d'espoir, il proposa d'effectuer une visite en Italie, accompagné de Lord Halifax [Secrétaire d'État au Foreign Office, après la démission d'Anthony Eden] en janvier 1939. Avec un certain retard, une invitation leur fut envoyée et le 11 janvier, la rencontre eut lieu. On se prend à rougir à la lecture, dans le Journal de Ciano [ministre des Affaires étrangères de l'Italie fasciste et gendre du Duce] des entrées qu'il consacre aux commentaires que s'échangèrent les Italiens en coulisse de cette entrevue, et qui ont trait à notre pays et ses représentants. "Pour l'essentiel", écrit Ciano, "cette visite se fit en mode mineur.... Elle n'a donné lieu à aucun échange véritable. Comme nous sommes éloignés de ces gens ! Ils appartiennent à un autre monde. Nous en faisions part après dîner au Duce. "Ces hommes, dit Mussolini, ne sont pas fait de la même étoffe que Francis Drake et les autres magnifiques aventuriers qui créèrent l'Empire. Ils ne sont, somme toute, que les fils fatigués d'une longue lignée d'hommes riches." "Les Britanniques, écrit Ciano, ne veulent pas se battre. Ils s'efforcent de reculer le plus lentement possible [pas si lentement que ça à Dunkerque l'année suivante, mais passons], mais ne veulent pas combattre... Notre conversation avec les Britanniques est close. Rien n'a été accompli. J'ai téléphoné à Ribbentrop pour lui faire savoir que cela avait été un fiasco, absolument insignifiant... Les yeux de Chamberlain s'emplirent de larmes alors que son train sur le départ s'ébranlait et que ses compatriotes entonnèrent le chant "For he's a jolly good fellow" [Car c'est un bon camarade]. "Mais qu'est-ce donc que cette chansonnette ?" demanda Mussolini". Puis, quinze jours plus tard [toujours dans le Journal de Ciano]: "Lord Perth vient de soumettre à notre approbation une mouture du discours que Chamberlain doit prononcer à la Chambre des Communes afin que nous puissions suggérer des modifications si nécessaire." Le Duce l'a approuvé, en faisant le commentaire suivant: "Je crois bien que c'est la première fois que le chef du Gouvernement britannique soumet à un gouvernement étranger le texte de l'un de ses discours. C'est de très mauvais augure pour eux".

Voilà donc confirmés deux traits essentiels pour la compréhension de cette époque (et accessoirement, de la nôtre):

La Collaboration avec les dictatures fut anglaise bien aussi largement que française. Mais ce qui distingue la première est qu'elle s'engagea avant la déclaration du conflit.

L'attitude d'un Chamberlain soumettant son discours à la Chambre à l'approbation du Duce vaut bien celle d'un Laval soumettant le sien aux autorités d'occupation allemande deux ans plus tard, n'est-ce pas ?

L'autre trait est la complète disjonction, dissonance dialogique, entre deux mondes, celui d'une aristocratie anglaise finissante, appelée, dans quelques années, à brader son empire, et celui des cercles fascistes au pouvoir à Rome (à noter quand même que Ciano, qui est proche du Roi Victor-Emmanuel, est lui-même membre de l'aristocratie italienne).
Je voudrais revenir un instant sur l'incapacité des démocraties occidentales actuelles à "surprendre" les forces, extérieures et intérieures qui les menacent.

Ces démocraties, où, décidément, rien ne doit changer jamais, ni les options politiques fondamentales de leurs gouvernants, ni même le personnel de décision à la tête des grands corps d'Etat, ainsi privées d'alternance, et en état de soumission permanente à une instance souveraine (l'UE et ses organes économiques et judiciaires), aux politiques elles aussi invariables et dictées par un consensus mondial et mondialiste (Davos), ont perdu toutes les facultés et les vertus qui faisaient d'elles (ou qui ont pu faire d'elles, il y a 75 ans) des adversaires redoutables des dictateurs.

Ces démocraties (France et Allemagne en tête) sont ce qu'il est convaincu d'appeler des démocratures dans lesquelles toute déviation ou contestation relatives à la doxa politique en vigueur sont criminalisées, font de leurs partisans des justiciables en puissance. Ce sont des démocraties à parti unique (en France "le parti présidentiel", LREM, comme dans les dictatures d'opérette africaines ou sud-américaines, Macron gouvernant la France comme un chef d'Etat africain assurant son exercice du pouvoir pour 40 ans ou plus par un parti qui n'a d'autre raison d'être que d'en garantir la pérennité).

Ces démocratures, après tout, pourraient être un couteau suisse de résistance aux menées des dictateurs, étant susceptibles de combiner, en principe, les avantages des dictatures et des démocraties. Hélas, c'est le contraire qui est vrai. Ces démocraties à politique unique et immuable, sans alternance imaginable à leur tête, cumulent les défauts des deux formules, le cas Macron étant l'illustration parfaite de cette calamité: elles sont fortes, féroces et implacables envers les faibles (à l'intérieur) qui contestent leur principe, et s'agenouillent dans des contorsions dégradantes vis à vis des forts qui les menacent à l'extérieur.

L'UE infligeant des sanctions symboliques, des condamnations de pure forme à l'endroit de la Chine et de la Russie; Merkel fleurtant avec Erdogan; Macron s'épuisant en ronds de jambe devant Xi Jinping ou généralement tout ce qui est puissant et brutal, après avoir crevé les yeux des protestataires en France pendant des mois.

Fortes envers les faibles, faibles envers les forts, telles sont les démocratures que sous subissons en Europe occidentale en régime UE, mais qui plus est, ces régimes, prévisibles par définition (point d'alternance possible à leur tête) ne peuvent pas être autres que faibles face aux menaces (Islam, Poutine, etc.) puisque ces démocratures sont à visage constant et immuables: si elles étaient fortes plutôt que faibles, la permanence d'attitude qui leur est inhérente les eût déjà précipitées dans des conflits sanglants!

Parce que la démonstration de force ne saurait être constante, l'immuabilité, la rigidité, en politique extérieure, n'admet pour attitude, pour définition et pour visage, que la faiblesse constitutive et constante.

La faiblesse (comme aussi, mais à l'inverse d'elle, l'exceptionnelle omnipotence absolue) jouit du privilège de ne jamais devoir varier ni changer de visage.
Je glisse ici cet article, Francis. La faiblesse comme essence de la démocratie (de l'homme de la démocratie) y est notamment analysée au prisme d'un rapprochement audacieux des œuvres politiques de Platon et Nietzche (l'un des dadas de Monique Dixsaut).

Extrait : "Tous deux formulent à quelques siècles de distance un même diagnostic paradoxal, signe de sa nature à la fois historique et transhistorique : la démocratie est l’avant-dernière étape d’une dégénérescence dont la dernière est la tyrannie, et il y a entre elles un rapport de filiation."

Fast-forward to today, nous vivrions donc bien sous une tyrannie "faible", "débile", grimée en vaste démocratie européenne.
Oui merci. Il y a beaucoup dans cet article. Ce que j'aime retenir en cet instant, ceci:

La religion, la morale, la politique ne sont plus que religion, morale et politique de la compassion. Dans ce refus de supporter, d’infliger et de s’infliger toute forme de souffrance, la vie se nie elle-même : les contradictions, les disputes, la méfiance, sont signes d’une santé qui ne craint pas d’affronter les obstacles, le doute, l’insécurité, l’incertitude. Lorsque la volonté de puissance renonce à l’agressivité, à la cruauté nécessaire pour vivre, elle s’oriente vers le néant. Un nihilisme actif, destructeur, avait engendré le christianisme, puis il s’est retourné contre lui et il domine encore « aujourd’hui », mais il a pour avenir possible et trop possible un nihilisme passif, un « bouddhisme européen » dont le type est le dernier homme décrit par Zarathoustra.

Votre femme auteur est à peu prés irrésistible. En cela elle imite et fait écho à telle ou telle autre, dont cette Isabelle Rieusset qui aujourd'hui fascine et séduit par ses thèses invraisemblables sur l'esthétique après avoir, longtemps avant le lancement de notre siècle, fait battre mon cœur avec une force qu'aujourd'hui encore j'ai peine à lui pardonner.
» Dans ce refus de supporter, d’infliger et de s’infliger toute forme de souffrance, la vie se nie elle-même : les contradictions, les disputes, la méfiance, sont signes d’une santé qui ne craint pas d’affronter les obstacles, le doute, l’insécurité, l’incertitude.

Tout est bien, alors : la vie qui se nie elle-même offre le plus haut degré de contradiction qui se puisse concevoir.

Quoi qu'il en soit, d'aucuns, et non des moindres, ont soutenu mordicus que la religion, la morale et la politique, en réalité tout le cheminement enspiralé de l'histoire humaine n’avait jamais été que fondamentalement contradictoire à la vie, au déferlement monstrueux et horrifique de la réalité nue comme elle est et comme elle va, dans une réaction salutaire de rejet et de répulsion qui ne voulait rien tant qu'émousser la brutalité des points de contact et s'aménager, parmi le tumulte ambiant, des havres aussi calfeutrés que possible.
Comme dans le fond rien n'a vraiment changé, ils avaient raison : de vrais in-nocents.
Peu de temps (quelques jours) avant sa mort,Jacob Taubes écrivait "im entscheidenden Sinne post Christum
leben", soit (je traduis ici sous l'autorité d'Alain) "vivre post Christum dans un sens décisif".

Le philosophe Michel Maffesoli, dans un entretien donné cette semaine nous rappelle que "la peur n'empêche pas la mort mais empêche le vivre".

Extrait d'un article d'un universitaire (Bruce Rosenstock), apparemment spécialiste de Jacob Taubes et Carl Schmitt (et du dialogue entre ces deux figures de la pensée allemande post WWII, intitulé "Palintropos Harmoniê: Jacob Taubes and Carl Schmitt 'im liebenden Streit", paru (en anglais) dans la revue New German Critique
121, Vol. 41, No. 1, hiver 2014


Giorgio Agamben’s interpretation of the Katechon in 2 Thessalonians (Time That Remains ,108–11) sides with Schmitt in identifying the force that delays the end of time with Imperial Rome, but it disagrees with Schmitt in that Agamben argues that Paul does not view the Katechon as a positive force restraining the “lawlessness” (anomia of Satanic dominion (the violence leading to the Last Judgment). Agamben argues that “lawlessness” for Paul in this passage is positive, referring to the inoperativity of the older order of imperial Nomos in the community of
agape, the community of the “Nomos Christi.” Taubes, I argue, offers a more complicated picture than Agamben’s. The revolutionary force “from below” does indeed tend toward antinomian, messianic “lawlessness,” but it contains the seeds of its own self-destruction in its radicalization as “nihilistic revolution.” Taubes, unlike Agamben, finds a
positive role in the everyday structures of law and order that restrain the nihilistic impulse in “lawlessness.” Only in the “counterstriving jointure” of both forces can the Galgenfrist remain open. Agamben loses sight of the complex interplay of forces that makes it impossible to describe one as positive and the other as negative.


Selon cet auteur, le Katechon, pour se vivre dans un sens décisif, doit se vivre dialectiquement: les forces du nomos impérial, si elles ne sont point contrecarrées par l'impulsion "du bas" qui désire ardemment la fin des temps, suspendent, ou prolongent indéfiniment, le Galgenfrist (le sursis) et l'histoire s'arrête (cf. le schème de la "fin de l'histoire" qui fit tant parler de lui après la chute de l'URSS et la naissance simultanée de l'UE). La communauté, celle de l'agapè (que Maffesoli désigne comme la surrection du nous dans les temps que nous vivons - cf. les "gilets jaunes"; Maffesoli caractérise aussi comme atomisation le port du masque sanitaire facial obligatoire, que le "nous" se plaît à rejeter) répond dialectiquement au nomos impérial par une poussée du bas vers le haut qui relance le vecteur d'accélération vers la fin des temps et restitue au Katechon la flèche du sens et de l'historicité.

Il faut y voir une sorte de mécanique (céleste) du type képlérien: le nomos freine, cependant que les forces révolutionnaires appelant le désordre messianique poussent et précipitent la fin des temps. L'un veut la fin de l'histoire, l'immobilisation et la dissolution du "nous" par atomisation des humains; l'autre veut le "nous" de la fin des temps. La vie s'intensifie sous l'action de cette antinomie. Une orbite elliptique du corps de l'histoire se dessine ainsi, nous dit Rosenstock.

C'est ainsi que la peur de la mort, c'est déjà la mort, la vie qui ne se résout pas à être elle-même, la vie sans solution ni dissolution possible.

C'est, me semble-t-il, en substance, ce que nous dit ici Monique Dixsaut:

Lorsque la volonté de puissance renonce à l’agressivité, à la cruauté nécessaire pour vivre, elle s’oriente vers le néant. Un nihilisme actif, destructeur, avait engendré le christianisme, puis il s’est retourné contre lui et il domine encore « aujourd’hui », mais il a pour avenir possible et trop possible un nihilisme passif, un « bouddhisme européen » dont le type est le dernier homme décrit par Zarathoustra

J'ai eu récemment des discussions fournies sur le site Causeur.fr au sujet de la corrida. J'ai été amené à dire à tous que la mise à mort n'étaient pas un spectacle mais une représentation.

Qu'en fait de représentation, elle était celle de notre carrière ici-bas: dès notre naissance, nous sommes en situation de mise à mort, et le lent et désespéré supplice du toro figure le nôtre, du début à la fin, et que la mort différée de la bête (délai équivalent au Galgenfrist de Taubes et Schmidt) était aussi représentation du fil de l'histoire.
17 juillet 2021, 20:01   Les vraies forces katechoniques
On ne peut tout de même pas ne pas se poser la question : comme Katechon qui vous pousse vers le bas en ne vous lâchant pas les basques et qui joue par anticipation votre propre mort et la fin de votre temps dans quoi vous ne pouvez qu'exulter et enfin vivre, est-ce que les Autres par excellence, c'est-à-dire les étrangers, les migrants, les remplaçants, ne se posent pas un peu là, en portant au cœur de votre empire statique et pétrifié la négation, la violence et le désordre ?
Vous voulez de la cruauté, de l’agressivité et de la contradiction ? alors chérissez par-dessus tout vos agresseurs patentés, plutôt que ces chimères de Gilets Jaunes (les GJ) si vite liquéfiés, les pignoufs, qui n'ont vraiment rien à voir avec le noûs, quoi qu'en dise Maffesoli.
« la peur n'empêche pas la mort mais empêche le vivre »

C'est bien une phrase de sociologue, tiens... Pour se préoccuper, au plus près des gens, de la façon réelle dont se passent les choses et est subi le réel, tintin ! Mais pour ce qui est des vastes généralités qui ne tiennent quavec d'improbables bretelles, sans quoi on perd le pantalon, c'est autant que vous voulez...

Mais comment sont-ils bâtis, ces matamores qui peuvent contrôler leurs affects ? Et puis ces gens qui sont persuadés de savoir quelle est la meilleure façon de vivre sont formidables ; d'où tirent-ils ces connaissances ??

On ne va pas la ramener une fois de plus sur la passion de Hobbes pour la peur...


« Si seulement ils pouvaient avoir peur, eux aussi, la grande peur partagée, comme en temps de guerre, l'attente collective, alors, ce serait celui qui n'a pas peur qui serait en dehors... ce serait peut-être lui le malade ! Mais il n'y a pas de guerre, depuis longtemps elle n'existe plus. Que faire de la peur ?
L'assassin qui me guette, un couteau à la main — meurtrier imaginaire, symbolique passant — est un bon citoyen qui se promène, il ne veut pas tuer, il n'y pense même pas. »

Thérèse Sandrau - La Main sur la bouche (1965)
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