L’ANIMATEUR fête aujourd’hui ses 58 ans. Mais une autre date, gravée dans son agenda, indique le 14 décembre. Dans un mois pile, le journaliste et animateur quittera Paris où il vit depuis près de cinquante ans. Il s’installera à la « campagne », dans l’ancien collège royal et militaire de Thiron Gardais (Eure-et-Loir) qu’il avait acquis en 2013, avant de le restaurer et d’y ouvrir un musée. Pour cet « amoureux » de la capitale, à la tête
d’une mission de sauvegarde du patrimoine que lui avait confiée son ami Emmanuel Macron en 2017, le déménagement sera forcément un peu « douloureux ». Le confinement est passé par là, mais il y a une autre raison, dit-il au « Parisien » dans une interview coup de poing : il en a… marre.

Pourquoi quittez-vous Paris ?

Stéphane BERN

J’y vis depuis mes 10 ans, et je n’en peux plus. J’ai passé deux confinements chez moi, dans le Perche, où j’ai la chance d’avoir plus d’espace. Ça a été le déclencheur. Vivre à la campagne me rend plus heureux. J’ai douze poules dont je mange les œufs, des chèvres, et mes deux chiens adorent. Ici, je bosse mieux. Et comme mon métier me permet de travailler en grande partie à distance, j’ai fait le choix de rendre mon appartement parisien à Pigalle (IXe
arrondissement), où je vivais depuis dix-huit ans. Je reviendrai pour le travail, mais je serai désormais hébergé. En prenant du recul, je l’apprécierai sans doute davantage. Malgré le petit pincement au cœur, je suis soulagé de quitter Paris. J’avais l’impression de devenir fou…

Que reprochez-vous à cette ville ?

La saleté, les trous dans la chaussée, les chantiers permanents, le bruit, et surtout, surtout, la violence… Il faut
entendre comme les gens se parlent. La circulation est une source inouïe de tensions. Les voitures contre les piétons, les trottinettes contre les vélos, les scooters contre les voitures… Cette guerre des roues est insupportable. Les vélos,
par exemple, roulent à contresens, mordent sur les trottoirs, ne respectent pas un feu. Les trottinettes sont abandonnées n’importe où. C’est anarchique et dangereux. Je ne crois pas être le seul à ressentir cette agression… ni à partir d’ailleurs. Pensons un peu aux personnes âgées, aux personnes handicapées, aux
enfants. Pensons aussi aux artisans qui habitent la banlieue et refusent désormais des chantiers dans la capitale
parce que c’est trop compliqué. Pour ce qui est du vivre ensemble, on a tout lâché.

En tant que Monsieur Patrimoine, quel constat faites-vous ?

Je suis toujours émerveillé par sa beauté, mais je déplore un laisser-aller général, et même un certain enlaidissement. Paris est devenu une poubelle où les gens se débarrassent de tout, n’importe où et n’importe comment. Où est passée la Ville Lumière ? Je m’inquiète aussi pour le mobilier urbain, qui fait partie intégrante de son identité visuelle. Comme
les Parisiens et les touristes, j’y suis très attaché. Les bancs Davioud remplacés, les grilles d’arbres en fer qu’on enlève sous prétexte de manifestations, et même les anciens kiosques qui étaient si beaux… Les nouveaux bancs au Panthéon et les fontaines des Champs-Élysées, c’est quand même affreux. Changer les choses, je n’ai rien contre,
mais pas si c’est pour détruire notre patrimoine visuel et encore moins si c’est pour faire moins beau. Vouloir faire le
bonheur des gens malgré eux, c’est de l’idéologie. Il y a comme une fuite en avant.

Vous visez Anne Hidalgo ?

Non, ce serait trop facile ! Sa tâche est loin d’être simple, et que je sache, ce n’est pas elle qui salit, et ce n’est pas la faute des éboueurs. Les premiers responsables, ce sont d’abord les usagers. Elle ne peut pas mettre un cendrier et une poubelle derrière chaque habitant. Elle a certes sa part de responsabilité mais elle ne mérite pas tous les coups qui
lui sont donnés.

Vous entretenez de bons rapports avec la maire ?

Nous avons des relations presque amicales. Elle est très sympathique comme personne et je respecte énormément son travail. Elle prend de très bonnes initiatives pour Paris. Culturellement, la ville est très vivante.
C’est la qualité de vie, le quotidien des gens, qui ne va pas. Il m’arrive régulièrement de lui parler de patrimoine et de
ce qui cloche à mes yeux. Ce n’est pas facile à dire, ni probablement à entendre. Mais Paris est trop précieux pour que je garde le silence.

Vous trouvez que la maire et ses adjoints n’écoutent pas assez ?

Peut-être pensent-ils que s’ils ont été si bien réélus en juin 2020, c’est que les Parisiens étaient contents comme
ça. Mon sentiment, c’est que les alliés écolos font du chantage à la maire et qu’on leur passe beaucoup. J’espérais
qu’ils deviennent les défenseurs de notre patrimoine urbain et des arbres… or il n’y a jamais eu autant d’arbres
abattus, ni autant de bétonisation. À croire qu’ils sont favorables à l’artificialisation des sols. Ainsi, à l’emplacement de l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul (XIVe arrondissement), on a trahi le vœu de Malraux de protéger ce quartier qui abrita les ateliers d’artistes où vécurent Picasso, Modigliani, Apollinaire ou Aragon. Comment imaginer un « écoquartier » dont tous les arbres ont été arrachés ?

Le coup de colère que vous poussez aujourd’hui, c’est aussi celui de #SaccageParis, très actif sur Twitter depuis
avril dernier. Vous avez d’ailleurs relayé certains de leurs messages…

Je regarde ce mouvement citoyen avec beaucoup de sympathie car ce sont des lanceurs d’alerte, et qu’ils pointent un certain nombre de problèmes. Les renvoyer à la case facho, comme je l’entends, c’est injuste. Arrêtons de considérer que les citoyens qui défendent le patrimoine sont d’affreux conservateurs ou des suppôts de l’extrême droite. On peut
être de gauche et l’aimer tout autant. Même si on n’est pas d’accord sur tout avec #SaccageParis, écoutons au moins ce qu’ils ont à dire au lieu de dénigrer.

Et vous, qu’avez-vous envie de dire à Mme Hidalgo ?

Chère Anne, réveillez la beauté de cette ville. Restaurez son prestige, son attrait, sa qualité de vie. C’est capital en
vue des Jeux olympiques de 2024, qui ne doivent pas se transformer en cauchemar pour les Parisiens.