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Visions davosiennes projetées en 1869 en France (Flaubert)

Envoyé par Francis Marche 
Le programme économique et social de Davos, celui qui se veut post-Grande réinitialisation, et que son auteur Klaus Schwab résume par la formule désormais emblématique « vous ne possèderez rien et serez heureux », est il révolutionnaire et nouveau ? Révolutionnaire, oui, sans doute ; nouveau, beaucoup moins.

On le trouve spectaculairement résumé dans l’Éducation sentimentale, sous couvert du portrait que fait Flaubert de l’un de ses personnages, le jeune socialiste pré-marxiste, et prototypique du genre, Sénécal.

A cette époque, la pensée socialiste française pré-marxiste (par l’œuvre de Charles Fourier, notamment) était allée assez loin dans l’élaboration de ce qu'il faudrait qualifier d'anthropolitique (soit ce que le post-moderne actuel nomme « le sociétal ») en s’appuyant sur les principes d’égalité et de fraternité repris des idéaux révolutionnaires du siècle précédent, jusqu’à aboutir à une matrice sociale projetée -- dans laquelle les mutations industrielles connaissant un essor en Amérique (ce que Flaubert entrevoit de façon géniale ici, dans ce roman paru en 1869, quand Frederick Winslow Taylor était encore en culottes courtes) jouent un rôle pivot –, matrice sociétale qui ressemble comme une sœur à celle que nous proposent les thuriféraires du Great Reset.

Les convictions de Sénécal étaient désintéressées. Chaque soir, quand sa besogne était finie, il regagnait sa mansarde, et il cherchait dans les livres de quoi justifier ses rêves. Il avait annoté Le Contrat social, il se bourrait de la Revue indépendante [c'était la revue du socialiste Pierre Leroux, à laquelle collaborait George Sand] Il connaissait Mably, Morelly, Fourier, Saint-Simon, Comte, Cabet, Louis Blanc, la lourde charretée des écrivains socialistes, ceux qui réclamaient pour l’humanité le niveau des casernes, ceux qui voulaient la divertir dans un lupanar ou la plier sur un comptoir ; et, du mélange de tout cela, il s’était fait un idéal de démocratie vertueuse, ayant le double aspect d’une métairie et d’une filature, une sorte de Lacédémone américaine où l’individu n’existerait que pour servir la Société, plus omnipotente, absolue, infaillible et divine que les Grands Lamas et les Nabuchodonosors. Il n’avait pas un doute sur l’éventualité prochaine de cette conception ; et tout ce qu’il jugeait lui être hostile, Sénécal s’acharnait dessus, avec des raisonnements de géomètre et une bonne foi d’inquisiteur.

Le thème de l’utopie sociale -- « vous ne possèderez rien serez heureux » offre une définition de l’utopie -- est repris dans les dialogues de Bouvard et Pécuchet.

Mais Sénécal est aussi « woke » et cancelliste en diable :

Les titres nobiliaires, les croix, les panaches, les livrées surtout, et même les réputations trop sonores le scandalisaient, — ses études comme ses souffrances avivant chaque jour sa haine essentielle de toute distinction ou supériorité quelconque.

Voilà donc habillé pour l'hiver le petit antifa modèle, déboulonneur de statues, ardent partisan des biopolitiques absolutistes (eugénisme, ingénierie de la reproduction, principes de la médecine vétérinaire appliqués à l'humain pris comme troupeau social dans la caserne matricielle) et davosien malgré lui, fin prêt à servir la cause utopiste de la Grande Réinitialisation dans ce roman paru en 1869.
Saisissant !

Mais au moins cette détestation viscérale des transcendantaux trouvait-elle alors un débouché, une expression par l'adhésion passionnelle à des doctrines et des programmes qui avaient une autre gueule que le vide rempli d'agressivité qui agite ces pitoyables merdeux œdipiens et autres sorcières que sont antifas, wokistes et annulâtres. (La teneur "spiritualiste" et l'ampleur noétique des œuvres prophétiques de Fourier, Saint-Simon ou Comte, quand même...)

Du coup, ce Sénécal aurait-il participé aux déboulonnages de statues, aurait-il souillé les plaques de rues ou voté pour Sandrine Rousseau ? Je ne crois pas.
Ah, l'Amérique et son dieu Dollar, le suprême et indépassable Transcendantal dans lequel viennent éternellement se lover les winners du Spectacle, y compris le militant et politique, de loin le plus divertissant d'entre tous !... [nypost.com]
« Voilà donc habillé pour l'hiver le petit antifa modèle, déboulonneur de statues, ardent partisan des biopolitiques absolutistes (eugénisme, ingénierie de la reproduction, principes de la médecine vétérinaire appliqués à l'humain pris comme troupeau social dans la caserne matricielle) et davosien malgré lui, fin prêt à servir la cause utopiste de la Grande Réinitialisation »

C'est beau comme du Marche en grande forme.
01 février 2022, 00:09   Fric et apophatisme
» Ah, l'Amérique et son dieu Dollar, le suprême et indépassable Transcendantal dans lequel viennent éternellement se lover les winners du Spectacle*

Ils ont bien raison, et théologiquement tapent dans le mille : le dieu Argent est probablement ce qui se rapproche le plus de l'infinité divine en ce qu'elle soit inconcevable, ineffable et totale, pouvant possiblement être tout ce qu'il y a, et ne se laissant jamais limiter dans aucune forme particulière.
C'est l'image la plus ressemblante d'une puissance pure et absolument protéiforme, d'une infinité sonnante et trébuchante entre ses doigts, de ce qu'on pourrait appeler avec Maïmonide la "négation attributive" : Dollar pouvant être tout, il n'est rien en l'espèce ; rien à voir avec ces ridicules déicules terrestres qu'on a nommé Dieu, en acte donc déjà bornés, qui assignent sens, direction, devoir-être et but.
L'absolu est dans le portefeuille, l'inqualifiable déjà dans la moindre piécette.
Sénécal est un petit soldat, dûment mansardé, du saint-simonisme, du comtisme et du fouriérisme. Notre antifa, fondamentalement, est un mansardé de Davos (pendant deux siècles, dans nos capitales européennes, Paris, Londres, Vienne et Berlin, le "poète mansardé" a couvé le 20e siècle et ses suites actuelles, inlassablement et à défaut de mieux -- duchesse généreuse, épouse de banquier ou de haut fonctionnaire, qui d'aventure l'en détourne et le convertisse à l'amour de l'or et des honneurs).

Il s'ensuit que les canons davosiens actuels sont à l'antifa contemporain ce que l'oeuvre de Saint-Simon ou l'Attraction passionnée de Charles Fourier pouvaient être à Sénécal. Il y a eu, fait remarquable, conservation du type (Senécal à travers les âges) et pure translation du type dans le temps et son raccrochage à une chaîne ininterrompue d'oeuvres de la pensée, sans solution de continuité, faisant bloc : le livre-programme de Klaus Schwab et Thierry Malleret (auteur français qui semble avoir été proche d'un certain courant socialiste français incarné un temps par le rocardisme) continue l'oeuvre saint-simonienne et fouriériste, et son aspect littéraire et philosophique moins reluisant ne doit pas faire illusion sur le maintien de la substantifique moëlle non plus que sur l'épine dorsale qui assure cette continuité.
02 février 2022, 19:45   Vies imaginaires
Soit dit en passant, j'ai pris connaissance, d'un œil distrait il est vrai, de ce qui est censé être les grandes lignes directrices de ce "Great Reset", et suis tout de même resté sur ma faim, car je n'y ai vraiment rien vu qui justifie qu'on en fasse tout ce fromage : "propositions" généralissimes pour ne pas dire fumeuses qui n'engagent en réalité à rien ou presque, état d'esprit "positif" d'une petite bande de nantis vertueusement plus disposés à faire le bien plutôt que le mal, ce qui est louable, et sinon cette prétentieuse hauteur de vue qui voudrait faire accroire qu'on peut disposer du cours des choses, de l'issue de grands fléaux globaux aux cours des marchés financiers, comme il faudrait qu'on le veuille, avec la bonne tête du prince Charles en prime, comme emblème et boussole.

Toujours est-il, Schwab ou pas, que je peine toujours à comprendre comment et pourquoi des chefs d'entreprise, financiers et hommes d'argent avant tout, capitalistes jusqu'à la moelle, vireraient tout à trac au collectivisme tendance totalitaire, cela me semble être du même tonneau que l'hypothèse de l'intromission de nanopuces 5g, fichées dans les filaments aérénautiques messagers, par voie vaccinale.
Mais comme le collège d'hommes d'affaires en goguette s'est en effet prononcé très favorablement pour la 4ème révolution industrielle, grands dieux, sait-on jamais...
La baisse tendancielle du taux de profit -- et la perception de limites physiques à l'exploitation des ressources naturelles --. amènent la classe capitaliste mondiale à repenser sa domination sur un mode oligopoliste, qui dépasse et rend caduc le principe de concurrence libre et ouverte. Le système rejoint alors et restaure logiquement le schème économique du socialisme primitif. My take.
Les ultrariches, à l'échelle mondiale, forment à présent un cercle, un "club fermé" et qui entend le rester. Même Elon Musk, face à eux, fait figure d'outsider. En Occident (hors Chine et Russie, donc), les richesses se concentrent en un nombre de paires de mains moindre que celui que compte un bourg de taille moyenne en France. Le village mondial existe au sens strict : 2000 personnes décidant du sort du monde. L'accession à cette oligarchie n'est plus permise par les lois ordinaires du capitalisme libéral. Le "club" est fermé comme sont décrétées finies les ressources naturelles.

La fin de l'histoire, proclamée conjointement à l'apparition orchestrée des deux autres finitudes (celle de l'extension des richesses capitalistes et celle des ressources naturelles terrestres), émise au tournant du millénaire, emporte avec elle la fin du capitalisme en tant que système ouvert.

Le capitalisme, dans ce moment, se découvre une entéléchie : voici qu'en se refermant, en se mourant, il débouche sur le communisme ! Et il est remarquable que ce mouvement referme la boucle ouverte en Chine où le communisme maoïste déboucha, à la cloture du millénaire, sur l'instauration d'un capitalisme industriel. Le passage du millénaire fut une fin et un commencement sans reste. Le résultat étant l'égalisation des conditions : Chine et Occident parviennent ainsi, par un cheminement qui paraissait les opposer, à un état sociologique et macro-économique transitoire au sein duquel les rapports de forces sont semblables.

"Vous ne possèderez rien et serez heureux" est un message plus riche de sens qu'il n'y paraît. D'abord il n'est pas "Nous ne possèderons rien et serons heureux" qui eût été un message communiste vingtiémiste classique. Non, c'est bien "vous", et non nous autres, qui ne possèderez rien. Nous autres demeurerons l'oligarchie possédante, immuable, exclusive comme un club et close à tout jamais, barrée d'accès, la caste inaccessible qui s'exclut du régime qu'elle entend instaurer pour tout ce qui n'est pas elle.

La boucle est bouclée: le socialisme primitif pré-marxiste, que les possédants davosiens et leurs serviteurs entendent proposer aux gueux (enfin, tout ceux qui ne sont pas de leur caste - Elon Musk, Donald Trump, dans cette optique, sont des espèces de roturiers du capitalisme), veut la mort du petit capitaliste, de l'indépendant, et l'égalité générale chez tous les éléments des classes hétérogènes à la leur.

Les formes et les modalités de la "caserne" qu'évoque Flaubert, soit le phalanstère fouriériste où familles et filiations sont dissoutes, font l'objet d'étude fondamental de Davos, laboratoire économique et anthropolitique ou s'élabore l'Homme nouveau post-capitaliste.
Le village mondial existe au sens strict : 2000 personnes décidant du sort du monde.

Et cela donne, pour la France désindustrialisée, en 2021, une croissance par la consommation (essentiellement "culturelle") de 7% : Macron et Le Maire, fiers employés de l'année des boutiquiers du village mondial ayant fourré d'euros les poches des Français pour, précisément, qu'ils continuent d'acheter du Netflix, du Uber, du Amazon...
...et gare ! car dès que l'État fantoche range son chéquier et que le pouvoir d'achat des biens du Village baisse, immédiatement le peuple des junkies divertis gronde. Il faut remercier chaque jour que Dieu fait Zemmour de ne parler QUE de ce que les coalitions de marchands du temple au pouvoir essaient de cacher en fourguant leur méthadone culturelle. En remettant le civilisationnel authentique au centre du village français, Zemmour dégage le culturel mystificateur du village mondial. C'est déjà ça ! (Zemmour est rempli de petits bouts de Pascal, Heidegger, Jésus, De Gaulle et Debord.)
Donc, pour en rester au cadre mondial: la fin de l'histoire proclamée au lendemain de la chute du mur de Berlin (et du revirement denguiste en Chine remettant à l'honneur l'"enrichissez-vous!" capitaliste) a rendu le capitalisme désormais si bien débarrassé de tout modèle concurrent que celui-ci s'est en quelque sorte ossifié en embrassant la négation de lui-même: la constitution d'une oligarchie possédante à l'échelle de tout l'Occident qui tient à imposer des distances à la roture, qui tient à garder le gueux hors-jeu, notamment par le revenu universel, l'abrutissement de masse et la fin de l'argent liquide (et la consommation de stupéfiants, dans lesquels il faut inclure Netflix).

Les Trump et autres Elon Musk sont en quelque sorte de petits boutiquiers contestataires face à des méga-groupes comme Black Rock ou Vanguard. Leur contestation politique de l'oligarchie qui détient les rênes du jeu politique et économique en Amérique et en Europe leur fait adopter une position qui ressemble à celle de la boutique robespierriste ferraillant contre l'aristocratie il y a deux siècles.

L'oligarchie maîtresse du jeu et instigatrice d'un tour historique nouveau (celui que prône Davos) amorce une évolution paradoxale qui prône ainsi un socialisme Disneyland dans lequel un QR code, un "passe", remplacent le fiat monétaire circulant librement.

Dans ces parcs d'attraction et autres camps de vacances, l'argent est aboli: un identifiant suffit, que l'on pourra garder si l'on se montre obéissant mais qui peut vous être retiré d'autorité si vous enfreignez les règles qu'édictent les propriétaires des lieux, aussi obscures, changeantes et capricieuses que peuvent l'être les règles "sanitaires" proclamées par le ministre Olivier Véran toutes les semaines.

Le régime égalitaire, celui du camp de prisonnier, du camp de vacances ou du milieu pénitentiaire, du phalanstère ou de la caserne, s'articule sur l'interdit de capitalisation et de possession de biens matériels, que résume la formule davosienne "vous ne possèderez rien, etc."

Le combat anticapitaliste est achevé et abouti. Il a abouti à Davos. Ses instigateurs ont été les grands possédants qui s'apprêtent, par la Grande Réinitialisation, à instaurer pour nous le socialisme primitif, pour eux la jouissance oligarchique débridée, soit un régime auquel est parvenue la Chine par une voie qui ne paraissait antagonique à celle-là que par sa désynchronisation historique avec l'Occident (la Chine était communiste quand dominait chez nous le capitalisme ancien; puis elle a embrassé le capitalisme à dominante oligarchique quand nous faisions de même par déconstruction du capitalisme de concurrence; leur parcours et le nôtre se rejoignent dans la même "fin de l'histoire" mais en ayant traversé des horizons historiques contraposés).

L'affinité élective entre le Parti communiste chinois et ses "objectifs sociétaux" et ce socialisme-là doté d'objectifs similaires n'est pas le fruit du hasard non plus que celui d'un calcul cynique de la part de l'oligarchie occidentale : elle ressortit à une nature commune, elle-même fruit de la mort du capitalisme dix-neuviémiste et vingtièmiste, trépas au terme duquel il a enfanté, en Occident comme en Orient, deux ordres constituants distincts: l'oligarchie jouissante d'une part; les peuples organisés en un socialisme de caserne ou de parc d'attractions et d'amusement (le plus souvent de réalité virtuelle), d'autre part.
S'il fallait synthétiser cette évolution, ce phénomène en quelques phrases : le capitalisme de libre entreprise, aux acteurs indépendants les uns des autres, aux entreprises s'adonnant à la concurrence, se meurt à Davos. Ce trépas engendre deux éléments disparates mais familiers :

1. une oligarchie qui a tout l'aspect de l'aristocratie française du siècle de Louis XIV, jouisseuse (ce sur quoi l'affaire Epstein ne fait que lever un coin du voile) bien à la manière des aristocrates libertins du XVIIIe, dont la puissance économique ne connaît ni bornes ni concurrence;

2. le peuple des gueux, débarrassés du poids de l'argent ("vous serez heureux", sous-entendus légers et soulagés), en relation d'égalité profonde, sans perspective de capitalisation, classe prolétaire aux individualités indistinctes, à qui l'on applique des politiques vaccinales et une médecine de type vétérinaire (vaccination des troupeaux) chez qui famille, filiation et même différenciation sexuelle ont été abolies, et qui n'auront bientôt pas plus de nation ni de récit national que de récit familial où pourrait se cristalliser une identité originale. Véritable masse grise (ne prenant des couleurs que dans le monde virtuel) des dystopies orwelliennes, tenue en sujétion par le divertissement (intotainment comprise) et en laisse par le revenu universel, et à qui la Classe 1 offre à présent la carotte du socialisme primitif.

A ces deux classes, il faut ajouter l'existence d'une frange contestataire indépendante, faite de "boutiquiers" à l'ancienne (Trump, Musk), self-made men dix-neuviémistes, véritables dinosaures mécontents, ruant dans les brancards, et qui, au plan socio-économique, s'étage de Donald Trump au routier et au petit restaurateur.

La mutation engagée à Davos l'a été à l'initiative de la Classe 1, celle-ci disposant pour ses oeuvres d'auxiliaires et hommes de main particulièrement féroces en l'espèce des antifas tout de noir vêtus. L'antifa, agent du combat anti-capitaliste, n'est pas seulement financé par Davos, il poursuit les mêmes objectifs anti-capitalistes que la Classe 1, soit l'instauration du socialisme primitif pour les masses, conçu pour fiche la paix et laisser les coudées franches à la caste des Maîtres.

Cette mutation s'opère à la faveur de la passivité, de l'assentiment las et soumis de la Classe 2.

Mais elle peut être politiquement compromise par la frange indépendante et contestataire susdite, que tendent à représenter le candidat aspirant Zemmour en France et le potentiel candidat Trump aux Etats-Unis.

Le capitalisme entre ainsi, par l'action de cette frange que l'on voit se dresser au Canada ces jours-ci, en révolution contre lui-même, ou, si l'on préfère, contre la figure de son dévoiement que lui propose la Classe 1 des davosiens !
"Le capitalisme entre ainsi, par l'action de cette frange que l'on voit se dresser au Canada ces jours-ci, en révolution contre lui-même"

S'agissant du capitalisme, ce retournement contre soi ne procède plus d'un mouvement d'immanence mais marque à chacune de ses manifestations l'entrée dans l'âge auto-immun du capitalisme (Derrida, sur le tard, a retrouvé Foucault de façon étonnante). Trump, Zemmour, Musk et quelques autres sont bien les tempêtes cytokiniques de notre temps.
03 février 2022, 19:59   Never better
"Entéléchie" ? BTTP ? Hmm...

Je regarde le capitalisme à l'œuvre, comme variation de la valeur d'une capitalisation qui s'affiche à la vue de tous, sans fausse pudeur, la boursière : allez, par exemple le S&P 500, qui couvre plus de 80% du marché américain (et encore, est-ce un indice sans dividendes), durant les cinq dernières années, regardez-moi ça :







Capitalisme ne s'est jamais mieux porté, c'est une véritable floraison, en réalité, a blooming, by all means, come on...
03 février 2022, 20:53   Re : Never better
Les marchés boursiers sont manipulables. Par les market makers, je croyais que vous le saviez. Oui entelechie, que j'entends ici comme dérivé de telos. Mais peu importe.
03 février 2022, 22:38   Re : Never better
Le graphe ci-dessus montrait une évolution sur une période relativement courte, 5 ans ; sur 10 ans la variation est de +236% ; sur 20 +315%.
Il me sidérerait que quiconque ou quoi que ce soit soit en mesure de "manipuler" les marchés durant des périodes aussi longues : d'abord parce qu'ils sont en vérité fondamentalement imprévisibles et se comportent comme des systèmes chaotiques, tant le nombre de facteurs y déterminant les cours sont incalculables ; ensuite parce qu'il existe malgré tout, à échéance plus longue, une corrélation forte, encore que non exclusive bien entendu, entre les profits des entreprises et les cours : je ne crois tout simplement pas à la possibilité de trafiquer durablement les résultats financiers d'icelles, surtout quand elles sont comprises dans des indices aussi globaux que le S&P 500.

Là est le cœur palpitant du capital se reproduisant comme de chauds petits lapins, lesquels n'ont selon toute vraisemblance aucune raison de se faire du souci ; alors, out of the blue, à l'orée de cette formidable "nouvelle révolution industrielle" (qui est de ce point de vue une manne, convenons-en), virer cocos ??
03 février 2022, 23:27   Re : Never better
» "Vous ne possèderez rien et serez heureux" est un message plus riche de sens qu'il n'y paraît. D'abord il n'est pas "Nous ne possèderons rien et serons heureux" qui eût été un message communiste vingtiémiste classique. Non, c'est bien "vous", et non nous autres, qui ne possèderez rien. Nous autres demeurerons l'oligarchie possédante, immuable, exclusive comme un club et close à tout jamais, barrée d'accès, la caste inaccessible qui s'exclut du régime qu'elle entend instaurer pour tout ce qui n'est pas elle.

M'est avis que tout capitaliste qui se respecte et entend le demeurer a aussi vitalement besoin des capitaux des autres que n'importe quelle entreprise cherche désespérément acheteurs à ses produits.
04 février 2022, 21:35   L'âme dans tous ses états
"Entéléchie" fut traduit en latin par perfectihabia : avoir de la perfection ; perfection acquise ; perfection qui résulte du passage à l'acte, de l'accomplissement de la forme ; parachèvement formel.
C'est en somme le degré de perfection ultime auquel est justifié d'accéder un être, avant quoi il n'est que puissance et matière, indéterminé et dénué de sa raison d'être ; forme est raison d'être ; « L'âme est l'entéléchie première du corps... » (Aristote) ; l'âme est la forme du corps, qui est sa raison d'être, et le fait être soi.

Plus tard on en est revenu au point de professer que l'âme était ce qui faisait se déprendre de soi, à jamais (le "pour-soi"), et que l'homme était animal enfermé à l'extérieur de sa cage (Valéry)...
Les richesses et la puissance économique sont aujourd’hui entre les mains de quelques groupes et sociétés dont le nombre est si réduit que deux grands groupes (Vanguard et Black Rock) réunissent aujourd'hui la capitalisation, concentrent la propriété de 80 pour cent environ de ces richesses hors Chine et Russie. Ils possèdent, directement ou indirectement, voire très indirectement, 80 pour cent d’absolument tout ce qui est possédable.

Il s’ensuit que ces intérêts privés ne souhaitent plus que les principes élémentaires qui ont fait jusqu’ici les piliers du capitalisme, savoir la concurrence libre et l’enrichissement sans limites pour tout un chacun, aussi humble que soit son extraction, continuent d’être le mobile de l’activité économique. Ils souhaitent se préserver dans la position qu’ils ont acquise, faire cartel, faire cercle et se fermer au capitalisme tel qu’il a été pendant deux siècles. D’où la constitution d’une oligarchie économique qui entend peser sur le cours politique du monde. Cette mort du capitalisme se solde dans un éclatement :

1. D’un côté l’oligarchie que représente Davos et qui filtre et trie selon ses critères d’adhésion tout élément (individu ou entreprise) qui entend la rejoindre, ces individus, triés sur le volet, sont les Young Leaders qu’instituent ces puissances en les mettant à leur service;

2. De l'autre côté, un ordre socialiste primitif est proposé aux masses (« vous ne possèderez rien et serez heureux »)

Pour la première fois de son histoire, le capitalisme se découvre une raison d’être qui dépasse son objet, une « âme » si l’on veut, qui se situe en dehors de l’objet traditionnel du capitalisme lequel n’a été autre que son auto-entretien, l’auto-entretien d’une dynamique sans autre finalité que le développement d’elle-même ad infitium et l'accomplissement du « progrès » (soit un processus et non un état) en général.

Cette finalité nouvelle, que j’ai appelé entéléchie, n’est autre que le programme d’instauration d’un ordre socialiste davosien qui va jusqu’à prévoir l’abolition de l’argent (comme lorsque la Chine populaire s’est mise en communes il y a 60 ans). Le capitalisme, en éclatant, révèle cette entéléchie, que jusque là on ne lui avait pas soupçonnée, il l'a révèle et l'affirme dans cet ouvrage "The Great Reset" que certains ont comparé au Manifeste du Parti Communiste de Marx par la portée et le ton qu'il se donne.

Cette évolution s’appuie sur un autre mobile, et qui, plus cyniquement, lui sert de prétexte, qui est celui de la découverte de la finitude des ressources dont use le capitalisme traditionnel ; de ce mobile découle le concept nouveau de durabilité, principe guide des Objectifs 2030, duquel dérive le concept d'« économie circulaire ». Ce jeu de concepts confère à l’économie une mission nouvelle, celle, pour faire court, de « sauver la planète ». L’autre élément de finitude est l’impossibilité que la croissance démographique puisse demeurer exponentielle plus longtemps, ne serait-ce qu’au regard de la première finitude.

Le discours de K. Schwab annonce donc une réinitialisation du capitalisme s'appuyant sur des principes nouveaux :

1. La croissance, tant économique que démographique, n’étant plus possible sur un mode ouvert et infini, il convient qu’elle soit placée, ou qu’elle demeure, entre les mains d’un nombre fini, arrêté, de « responsables » qui gèreront la planète et les masses humaines dans un régime de finitude assumée;

2. Cette finitude conservatrice nouvelle étant posée, il va désormais être interdit aux masses de se livrer à une prolifération d’entreprises et de richesse désordonnée comme le capitalisme non-rénové les avaient encouragées à faire jusqu’à présent. La suppression de l’argent liquide, le contrôle du crédit, la mainmise sociale qu’entend exercer sur les masses cette oligarchie « éveillée » et consciente, et qui subordonne l’exercice des libertés publiques à l’usage de « passes » désactivables à distance, et bien sûr l’octroi d’un revenu universel, seront là pour garantir que les masses resteront à leur place, n’empiéteront en rien sur les prérogatives entrepreneuriales et jouisseuses de l’oligarchie.

Or on observe une convergence extraordinaire entre ce schéma davosien et le régime néo-capitaliste chinois : comme dans ce schéma, nous trouvons en Chine une oligarchie possédante et jouisseuse (possédant toutes les libertés qui traditionnellement caractérisent les sociétés occidentales libérales), s’autorisant toutes les audaces entrepreneuriales et sociétales, et des masses tenues en sujétion et encasernées.

Cette convergence n’avait rien de prévisible ni d’attendu puisque la Chine avait commencé par se « mettre en communes » avant d'évoluer vers ce régime où la dualité capitalisme-socialisme se trouve conciliée dans un état social et politique résolument frère de l’aboutissement que nous promet Schwab en Occident par le Great Reset.

On peut évidemment supputer que « la Chine a inspiré Davos » mais je ne le crois pas. Il n’est guère pensable que Vanguard et Black Rock se soient mis à l’école de Pékin pour couver et pondre cet ordre mondial nouveau. Si cette convergence admet une explication, celle-ci demeure occulte, métahistorique, et si je devais avancer une thèse à ce sujet, je dirais que les courbes de cyclicité historique entre la Chine et l’Occident sont en train de se croiser : ces évolutions, parties d’horizons politiques antagoniques (Chine se mettant en communes quand l’Occident connaissait ses Trente glorieuses, etc.) se croisent et se rejoignent sous l’effet d’une conscience commune, voire un inconscient commun, une subjectivité nouvelle induite par les discours sur la finitude du monde sublunaire, finitude que les oligarchies respectives (occidentales et chinoises) prennent pour prétexte dans l’entreprise coordonnée de préservation de leurs intérêts.

L’internationale socialiste a échoué. L’internationale post-capitaliste (ou néo-capitaliste), qui existe et se donne des formes (cercles, conclaves, congrès, grandes messes, et jusqu'à l'édition d'un Manifeste) similaires à sa contrepartie socialiste, est à l’œuvre et en voie de parvenir à ses fins.
Economie circulaire : au fond, quelle meilleure recette imaginer pour garantir que les riches et les puissants d'aujourd'hui seront les riches et les puissants de demain et les pauvres et les faibles d'aujourd'hui, les pauvres et les faibles de demain, sans transfert, accidentel ou systémique, d'aucune part du contingent des seconds au contingent des premiers ?

L'économie circulaire est le fruit d'une pensée oligarchique, "l'instrument théorique d'une domination", pour reprendre le langage althussérien, celui d'une oeuvre qui eut jadis la faveur des penseurs de cette oligarchie nouvelle.

Cette oligarchie estime en effet que le socialisme est une très bonne chose, pour les masses qu'il faut contenir, dominer et contrôler, que "le crédit social à la chinoise", soit le permis à points d'une liberté sous condition, est décidément ce que l'on peut concevoir de mieux pour "gérer la finitude" ; quant à l'infini (celui dans lequel se déploient les possessions, la jouissance du corps augmenté et les richesses matérielles) il lui est réservé de droit divin, ou peu s'en faut. Duplicité fondamentale de cette politique: oui à l'égalité universelle ! mais pour les autres, les gueux.
05 février 2022, 21:59   Un nabab à Jéru
Francis, j'ai du BlackRock, du Vanguard, du Ishares, que sais-je, même du Lyxor, çà et là, si si... Manquerait plus qu'une de ces sociétés possédât le fric que je lui confie, moyennant commission ! ce sont en gros des sociétés de gestion d'actifs, elles ne possèdent pas ce qu'elles gèrent, même "indirectement", à mon sens ; les actifs en question sont des valeurs cotées, le plus souvent en bourse, d'une façon ou d'une autre ; ces valeurs sont fondamentalement dépendantes de la capacité des organismes qui les émettent de produire du profit, c'est -à-dire du revenu ; le revenu est quant à lui fonction de la capacité de ces organismes, sociétés, à trouver preneurs de ce qu'elles proposent, produits, services, n'importe quoi en fait, pourvu que ce soit monnayable ; pour qu'il y ait preneurs, il demeure essentiel qu'il existe une clientèle, aussi large que possible, disposant elle-même d'une certaine richesse, aussi relative que vous voudrez ; sans quoi, à terme, la valeur constituant l'actif n'en sera plus une, deviendra très vite invendable, et il pourrait très bien arriver à BlackRock ou Vanguard ce qui arriva à Lehman Brothers et à Bear Stearns, pourquoi pas : l'explosion en plein vol, quand le monde, effaré, s'est rendu compte que le bien fiduciaire, l'actif, était en réalité totalement déconnecté de toute contrepartie réelle pouvant générer quelque sorte de profit.

Ce que je dis là est élémentaire et balourd, je veux bien, mais je crois n'en demeure pas moins toujours juste dans les grandes lignes : si le nabab et propriétaire (très, trop au prorata, hélas) d’Apple que je suis est bénéficiaire à 1049% ( !!! (je vous jure, je viens de regarder)) du titre, c’est qu’il y a encore énormément de gens qui ont les moyens de se payer ce qu’Apple vend, qui n’est d’ailleurs pas donné ; Amazon et Microsoft sont à l'avenant, etc.

A défaut de quoi le capital fondra comme neige au soleil…
Et vous avez pris du Pfizer ?
06 février 2022, 19:58   Eytan consulting
Roland, prenez plutôt un bon ETF couvrant l'ensemble du secteur pharmaceutique, BlackRock en a d'excellents, et vous ferez plaisir à Francis, en intégrant le petit cercle très fermé des possédants...
Hélas, mon bagage philosophique est bien trop mince pour m'aventurer dans ce genre d'action.
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