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Énorme ceci, énorme cela

Envoyé par Pierre Jean Comolli 
Le remplacement systématique de "immense" par "énorme" ou "gros" pour qualifier une performance m'énerve en ce moment peut-être plus que l'arrivage incessant de nouveaux anglicismes sur le marché du métissage linguistique (en voici deux, parmi les derniers mis en circulation : "pour être honnête" au lieu du bon vieux "honnêtement" qui ne faisait de mal à personne et traduisait très bien le "to be honest" des Anglais et l'incorrect "émotionnel" à la place de "émotif" ou "ému", lesquels rendaient comme il faut "emotional").
Quant au phénomène qui, par exemple, fait dire "sens commun" pour "bon sens", la connaissance implicite, strabique de "common sense" poussant ici au contresens, il me fascine carrément.
Si comprends bien vous insultez vos contemporains d'américanomanes. Et puis quoi derrière ?

J'en appelle au publique qui nous lit : dû à votre manque d'éducation, à la base, ce que vous dites est en lien avec quoi ?


Ce "dû" qui amène avec lui la syntaxe américaine -- "Dû à vos obsessions, vous ne comprenez pas qu'on ne vous veut pas du mal, allez ! dénudez votre épaule, ça prendra 1 seconde et vous ne sentirez rien" et l'effroyable "en lien avec", calque de "in relation to" qui bouffe tout ce que le français a mis de siècles à patiemment polir ses "afférent à", "ayant trait à", "connexe à", "en rapport avec", etc., me rendront fou. "En lien avec" signe son petit con né dans les années 80/90 et biberonné à la sous-culture du management amerloque. Des boutons, vous dis-je, des boutons, j'en ai, quand je les vois par transparence dans leur expression, toujours et systématiquement pétris de prétention et de suffisance, ne jamais manquer de me coller "en lien avec" dans leurs traductions.
Je n'ai jamais jeté un oeil sur les rapports de McKinsey, mais je suis sûr et certain que s'ils sont rédigés en français (ce qui n'est guère probable), enfin ce qui le sont peut-être en France, par des jeunes francophones à lunettes cerclées, sont truffés de "en lien avec" et de "dû à leur attitude".

Je suis pour qu'on les parachute de force quelque part, sur le front Ukrainien par exemple, pour nous en débarrasser. Il paraît que les grands dangers guérissent de l'aliénation.
Et cet "en responsabilités", non... J'ai même un ami qui y est allé de son, Il part en retraite bientôt. J'ai serré les dents au téléphone !
Un fleuron : "de base" qui s'aligne sur (un autre) le basically que les Américains jettent en tête de phrase et qui ne veut strictement rien dire de particulier, qui n'est qu'un raclement de gorge initial.

ex: De base, Macron se croit déjà réélu.

Etant désoeuvré, enfin je veux dire idle, en janvier dernier, je me suis baladé un peu sur les "espaces" de Twitter où chacun vient mettre son grain de sel en direct (je veux dire en live) devant 120 personnes, façon "nuit debout". J'en ai contracté un bourdonnement d'oreille qui mettra un an à guérir. Ca m'apprendra.

Les Français nés après 1975 baragouinent une non-langue où il n'est jamais question que de ressenti inexprimable et vécuïste. Inaptitude totale au moindre début de conceptualisation, de nominalisation -- le français se distinguait par cette vertu de nominaliser, ce qui crée une objectivation, une distance avec l'objet du discours (enfin je veux dire le narratif quoi) que n'a pas l'anglais moderne, dé-latinisé, et son jaillissement incoercible et typiquement féminin des formes verbales s-v-c.

Et cette autre scie, le "narratif", qui a balayé "le discours" et bouscule la langue, y prend ses aises, et bloque tout affinage conceptuel.
Le pire du pire : mandat pour "obligation" (obligation vaccinale devenant "mandat des vaccins"). Je me tue à leur expliquer (sur Twitter) qu'en anglais, "obligatoire" se dit "mandatory" et que donc, il n'est pas question de traduire "mandate" autrement que part "obligation", et surtout pas "mandat". Certains percutent, d'autres non. J'en ai même eu un pour me soutenir, très agressivement, très content de sa démonstration, que "mandat" c'est parfait, et qu'en français ça recoupe le sens d'obligation, et que d'ailleurs les dictionnaires, etc.. et de vouloir à tout prix me clouer le bec en beauté.
Ces abominations sont aggravées par le fait qu'on explique en effet bêtement ces mésusages. Le temps passant, elles feraient presque passer les "juste", "tu vois", "checker" et autres "focuser" initiaux pour de moindres maux ; ou bien ces premières salves étaient-elles le signe avant-coureur d'une maladie à venir plus grave. Maladie : un vieux grammairien, dans le Monde, ne se contentait pas de rejeter les explications bêtes à la Hagège (la langue est naturellement dynamique et les variations linguistiques qui découlent de cette dynamique sont nécessairement positives et enrichissantes) : il ne pouvait que constater que la langue française, sous le coup notamment de son américanisation, était devenue folle et pauvre, désœuvrée. Comme je suis abonné au Monde.fr, je vais tâcher de retrouver cet entretien.
Citation
Francis Marche
Un fleuron : "de base" qui s'aligne sur (un autre) le basically que les Américains jettent en tête de phrase et qui ne veut strictement rien dire de particulier, qui n'est qu'un raclement de gorge initial.

ex: De base, Macron se croit déjà réélu.

Etant désoeuvré, enfin je veux dire idle, en janvier dernier, je me suis baladé un peu sur les "espaces" de Twitter où chacun vient mettre son grain de sel en direct (je veux dire en live) devant 120 personnes, façon "nuit debout". J'en ai contracté un bourdonnement d'oreille qui mettra un an à guérir. Ca m'apprendra.

Les Français nés après 1975 baragouinent une non-langue où il n'est jamais question que de ressenti inexprimable et vécuïste. Inaptitude totale au moindre début de conceptualisation, de nominalisation -- le français se distinguait par cette vertu de nominaliser, ce qui crée une objectivation, une distance avec l'objet du discours (enfin je veux dire le narratif quoi) que n'a pas l'anglais moderne, dé-latinisé, et son jaillissement incoercible et typiquement féminin des formes verbales s-v-c.

Et cette autre scie, le "narratif", qui a balayé "le discours" et bouscule la langue, y prend ses aises, et bloque tout affinage conceptuel.

Dans le Monde d'hier : "« De base, on était déjà fliqués, mais le télétravail n’a pas arrangé les choses », se désole Sybile (à la demande de la salariée, le prénom a été changé)."

Ce foutu "narratif" asséné cent fois par jour pour qualifier les "discours" ou "récits de propagande" prêtés à Poutine, quel supplice... C'est un spécialiste, celui-là : [fr.wikipedia.org]

Autre manie : entrelarder la moindre phrase de deux ou trois "avec".
05 avril 2022, 19:44   Toponymie
Même que les pires américanismes s'invitent sans façon jusqu'aux confins de l'Europe, comme en ce lieu-dit si bien nommé, Boutcha : butcher ya !
À propos des images retouchées de Boutcha, qui sont celles d'un plateau de cinéma, un autre jeu de mots me vient, en forme de question : floutage de gueule ? Peut-être y reviendrai-je en inaugurant une discussion.
Inaugurez ! Inaugurez, cher Pierre Jean, the jury is still out on this one et I haven't made my religion yet (voyez comme je peux, moi aussi piquer mes phrases de clichés globbish pour en jeter dans les forums fréquentés par les ploucs qui n'ont jamais vu l'Amérique ailleurs qu'au cinéma).

J'ai de fortes suspicions (je ne vais pas dire "de gros soupçons" ça ferait trop plouc et ringard) de mise en scène à ce sujet. Tout ce raffut, pardon, je veux dire, ce racket, me paraît avoir trop l'éclat d'une démonstration, I mean, it's too ostentatious to be real, is this how you would put it, the Frogs ?
06 avril 2022, 23:07   Le rose et le noir
Rien ne fait plus cinoche que le réel, c'est bien connu ; surtout quand il est terrible et qu'on est peinard dans ses pantoufles.
Il paraît que le premier journaliste à avoir été sur place et documenté la scène était une israélienne, Hadas Grinberg, c'est du moins ainsi que fut présenté son reportage sur la Première chaîne ; reportage convaincant, du reste, quant à la petite apocalypse dont fut le théatre la localité, et journaliste très israélienne : peu impressionnable et ne s'en laissant pas conter.

Toujours est-il que l’apparence de la journaliste, avec son minois mignon de petite esquimaude, avait elle-même quelque chose de kitsch, d'irréel colorié, eu égard aux circonstances, car la jeune femme n'avait trouvé d'autre vêture pour montrer une fosse commune qu'un seyant anorak du plus beau et pimpant rose, tranchant sur la mort.
Réponse pratique de l'intéressée, car la couleur avait un peu interloqué sur les "réseaux sociaux" : « On se les gelait, et c'était mon vêtement le plus chaud. » Eh oui...


Impossible, du moins à notre niveau de connaissance des faits, de nier la réalité de ces cadavres.

C'est l'identité des auteurs de ce massacre qui semble poser problème, et les circonstances exactes de son exécution.

Le massacre de Sabra et Chatila, par exemple, avait, lui, bien donné lieu à une enquête préalable à la condamnation morale et politique de ses auteurs.
("Iconique" a remplacé "emblématique", pour ainsi dire, du jour au lendemain. Fascinantes, les vitesses et les lenteurs des grand et petit remplacements...)
Oui, j'avais remarqué pour "icônique", et le naufrage bien entamé d'emblématique. Mais là, on est au niveau du magazine Gala, qui vous placera de l'icônique en veux-tu en voilà.

Un remède, individuel, confidentiel et secret: rouvrir des classiques français des XVIIIe, XIXe et premier XXe, et redécouvrir, chez Voltaire (Le Siècle de Louis XIV, ouvrage admirable, qui aurait peut-être mérité un meilleur titre, enfin, pour aujourd'hui) par exemple, mandement, terme pouvant, à l'extrême rigueur, traduire le "vaccin mandate" chez ceux qui ne voudraient pas entendre parler de traduire ce terme par "obligation vaccinale".

Ou, chez le Jacques Bainville des années 20 (Le Dix-huit Brumaire), le terme français qui traduirait parfaitement le "care" américain: la sollicitude, tout bêtement.

Mille termes, du français pourtant presque élémentaire, à sauver par la lecture et l'écrit.
Tout à l'heure, à la télé, le Sacré Cœur n'était plus emblématique de Paris mais icônique... de, mmh, non, décidément ce n'est pas payant d'estropier la langue.

Mais oui "mandement", qui a sans nul doute donné mandatory (obligatoire)... Pendant mes années anglaises, du milieu à la fin des années 1990, j'avais le plus grand mal à faire admettre aux locaux que plus de mots anglais venaient du français que l'inverse. Je ne sais d'ailleurs pas d'où je détenais cette connaissance...

Je note régulièrement sur un bien nommé pense-bête électronique certains mots de cette clarté "élémentaire" que vous signalez. Les deux derniers en date : abominer et malsonnant, trouvés dans les notes du traducteur d'un recueil d'articles de G. Bateson.
Que dire de "dévasté(e)", inévitable pour dire l'émotion de la compagne jetsetteuse du producteur hollywoodien terrassé par une crise cardiaque, apprenant la nouvelle ?

L'épouse de Charles Aznavour s'est dites dévastée par la nouvelle du décès de son époux qui lui est parvenue alors qu'elle se trouvait en séjour à la Barbade, etc.

Ce devastated se disait anéanti(e) avant ce tsunami de sous-langue dérivée du globbish par lequel le français est dévasté.
Ce soir, 2 #NUPES nous insultent de "racistes" et aucune sanction

[twitter.com]

"insulter de", qui est de la langue d'enfant de quatre ans, accomplit d'énormes progrès en ce moment, ENORMES !
Au lieu de "nous traitent de...".

S'il y a bien une échelle micro d'effectuation du GR, où se faufilent et prolifèrent les anglicismes, tout autant prospère urbi et orbi cette véritable régression que vous signalez. Là, c'est l'ordre des mots qui est complètement chamboulé. Le cerveau des locuteurs les agence comme il peut, puis est expulsée de la bouche cette sorte de babillage agressif, qui, ne nous trompons pas, est l'apanage linguistique de bien des nocents (Tu sais c'est qui... Je sais pas c'est quoi...).
L'espace public est baigné de cette matière, de ce parler racaille infanto-juvénile. C'est terrifiant !
Autre perversion sournoise du français élémentaire par contagion souterraine de l'anglais: obéir en transitif direct.

"Je l'ai obéi pendant 15 ans (avant de lui mettre de la poudre de perlimpinpin dans son café, etc.)".

Ainsi un ouvrage, de la collection "Pour les nuls" s'intitule fièrement : "COMMENT SE FAIRE OBEIR PAR SON CHAT".

Je me tue à leur expliquer (toujours sur Twitter) qu'on obéit à quelqu'un (transitif indirect) et que par conséquent la voix passive est impossible sur "obéir" et qu'il faut donc dire "Comment se faire obéir DE son chat". C'est ce qu'on enseignait en sixième en 1966, en parallèle aux rudiments de grammaire latine.

Personne ne comprend ce que je veux dire. Beaucoup pensent qu'ils ont affaire à un dingue pétri d'arrogance.

Je vous assure que nous auront bientôt un ouvrage de la collection Pour les Nuls "COMMENT SE FAIRE PARLER PAR SON ENFANT". C'est l'affaire de quelques mois.
15 octobre 2022, 18:45   Incertitude
Pardon Francis, mais je ne suis pas d'accord : le verbe obéir peut bien être employé à la voix passive : « j'entends être obéi de vous sur-le-champ ! » (dictionnaire de l'Académie française)...

Maintenant, et même ensuite, selon le Larousse on peut être obéi "de" ou "par" quelqu'un : "se faire obéir" étant de forme passive, le complément d'agent qui suit pourrait aussi bien être introduit par "par" : à mon avis les deux prépositions devraient être possibles, encore qu'à l'oreille le "de" semble plus discret...
"se faire obéir" comme se faire tondre ou se faire gronder, oui certes ("un officier qui sait se faire obéir de ses hommes", etc.) mais donnez-nous des exemples de "se faire obéir par" chez un auteur de qualité acceptable. L'exemple du dictionnaire de l'Académie française ("obéir de vous") va tout à fait dans mon sens.

Encore une fois "obéir" comme "parler" sont transitifs indirects, n'admettent par de complément direct. On ne peut pas davantage écrire "se faire obéir par" que "se faire parler par" ou "se faire mentir par" mais évidemment se faire offrir un présent par sa maîtresse ("présent" est complément) car offrir admet un complément direct, est correct, de même que, pour les mêmes raisons, "se faire lire une histoire par sa fille", etc.

Mais les verbes à transitivité indirecte stricte comme obéir, parler, mentir (on obéit AU caporal, A un ordre, on ment A sa femme, on parle A son chien) n'admettent ni complément ni voix passive construite avec "par" !

"manquer à sa femme" "plaire à son mari", "faire confiance à son avocat", "tenir à qqun/qq chose" etc. sont du même acabit.

*ma femme s'est faite manquée par moi ; *mon mari s'est fait plaire par moi; *mon avocat s'est fait faire confiance par moi sont autant de folies grammaticales et sémantiques.
16 octobre 2022, 23:07   Finesses
A partir du moment où un verbe peut être employé à la voix passive, il suit la construction propre à cette voix, qui introduit le complément d'agent (ce qui effectue ou subit l'action) par les prépositions "par" (le plus souvent) ou "de", souvent les deux sont possibles.
Or, le verbe "obéir" admet bel et bien la voix passive, et dans ce cas je ne vois pas vraiment de raison pour laquelle il ne pourrait être suivi de "par" : c'est qu'il semble bien que lorsque qu'il est employé de cette façon, la valeur transitive indirecte moderne de ce verbe s'annule pour ainsi dire, pour recouvrer la valeur transitive directe qu'il avait en français classique :

« Un certain nombre de verbes peuvent être employés comme transitifs et comme intransitifs [...], c'était le cas en français classique des verbes "contredire", "empêcher", "obéir", "prier", "satisfaire" etc.
Ces doubles constructions viennent souvent de ce que la langue maintient dans l'usage l'état ancien d'un verbe à côté de son état nouveau. "Obéir", "pardonner" en ancien français admettaient un nom de personne comme complément d'objet... »
(R.L. Wagner et J. Pinchon - Grammaire du français classique et moderne (1962))

Je conjecture donc qu'employé passivement, "obéir" réintègre son état ancien à valeur transitive directe (sinon il ne pourrait en effet s'employer passivement) et la préposition "de" n'a en l'occurrence plus rien à voir avec une quelconque valeur transitive indirecte, mais ne sert qu'à introduire le complément d'agent, en concurrence avec "par" : plus rien ne s'oppose alors à ce qu'on puisse aussi bien écrire « Je me fais obéir par qui je veux ».
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