Conversation avec ma correspondante japonaise, qui a dû quitter la France en novembre dernier et ne sait quand la reverra: je lui décris l'existence ici, lui représentant que les boutiques sont ouvertes jusqu'à 18 heures mais qu'aucun lieu de convivialité ne l'est, si bien que la pratique de la ville consiste à trotter dans ses achats, bien avant l'heure du couvre-feu, pour regagner les tanières à l'heure dite, sans possibilité de s'arrêter dans la ville, de s'y asseoir pour regarder tourner le monde, à une terrasse, couverte ou non. L'immobilité urbaine est interdite (il faut "circuler et ne rien voir", selon l'injonction policière caricaturale en France)
Je dis que j'écoute beaucoup de musique, sur France Musique, à longueur de soirée, et qu'à la fin des concerts on entend des applaudissements, et j'explique à ma correspondance que, à défaut d'audience, ces applaudissements sont ceux que doivent produire les musiciens eux-mêmes pour "imiter l'ambiance d'un concert en public". Cette remarque me vient: que même les nazis n'avaient pas osé faire ça à la France, et ce disant, je dois écrabouiller un sanglot qui me surgit derrière la glotte.
Foutue époque. Honte d'être ici. Honte d'être d'ici. Honte et douleur.