Tout le monde a fait tout un foin parce que quelques boutonneux ignoraient le sens du mot "ludique", soit ; il n'en reste pas moins qu'on peut se demander si les rédacteurs des "sujets" sont forcément mieux lotis, quant à la faculté de penser en général, car la question incriminée (« le jeu est-il toujours ludique ? ») pourrait paraître à première vue de ce genre de questions à la con qui feraient ouvrir de grands yeux d'ébaubi à plus d'un.

En effet, un logicien à l'esprit un peu borné aura tôt fait de relever le caractère apparemment saugrenu de la question de savoir si : « A a-t-il les caractéristiques de A ? » : en vertu de l'élémentaire principe d'identité, ça vaudrait mieux, eh bêta...

Et pourtant, on suppose que les rédacteurs avaient en tête une acception volontiers libertine du ludisme : quelque chose d’aérien, de désinhibé, de primesautier, désentravé le plus possible de toute forme de contrainte autre que celle de goûter au plaisir du pur giu.
Mais c'est ainsi : depuis Wittgenstein au moins, on sait que tout jeu n’est strictement défini que par la série de règles qui le constituent, sans quoi il serait un autre jeu, ou n’importe quoi.
Où l’on retrouve la pire des contraintes : tu obéis aux règles ou tu sors.

"Dans ce jeu, celui des deux joueurs qui commence la partie prend un tel avantage sur son adversaire qu’il est à peu près certain de l’emporter. C’est pourquoi il est admis par tous qu’on ne saurait s’en remettre à un simple tirage au sort pour déterminer qui jouera en premier. On propose alors aux futurs adversaires de se départager en disputant une partie d’un autre jeu. Mais celui-ci comporte à son tour des règles telles qu’il est impossible pour l’un des joueurs de prendre le dessus sur l’autre. Les joueurs ne s’en aperçoivent pas tout de suite mais quand ils ont compris que ce deuxième jeu n’aura pas de vainqueur, ils décident d’en passer par un troisième, aux règles plus sournoises encore en cela qu’elles égarent les deux joueurs, leur font perdre de vue (quelquefois définitivement) l’enjeu de la partie, qui est de déterminer qui jouera le premier. Il arrive ainsi que la partie du jeu initial ne soit finalement jamais entamée, dans ce jeu."

C'est l'Arlésienne, votre jeu... Dans la vie, quand on entend en pratiquer un, on peut le faire sans trop de manières, sans atermoyer, sans chichis cérébraux, on s'y met tout de suite si on connaît les règles, lesquelles ne sont jamais quasiment impraticables, cela n'aurait pas grand sens, puis on joue, ni plus ni moins. Facile.

Tenez, parmi les nombreux commentateurs de la guerre d'Ukraine, il en est un qui est présenté comme "ex-espion du KGB", à l'air assez jovial et rigolard, je l'aime bien, il s'agit de Sergueï Jirnov, ancien condisciple de Poutine dans une école d'espionnage. Son jugement sur ce dernier est peu flatteur : c'est un type moyen, question intelligence. Quant à sa réputée maîtrise du jeu d'échecs, ça l'a fait marrer : « Poutine, c'est le type de joueur qui, sentant son adversaire prendre l'avantage, ce qui arrive souvent étant donné sa médiocrité, surtout en Russie, eh bien il prend l'échiquier et le fracasse sur la tête de l'autre joueur en proclamant sa victoire. »
Mais ce n'est pas du jeu, ça... Les règles des échecs et celles du rentre-dedans ne peuvent s'interpénétrer, et les unes influer sur le déroulement d'un autre jeu. Pas du tout.