Cela paraît si trivial qu’on hésite presque à l’énoncer : tout ce dont on cherche le sens est tributaire d’autre chose que soi pour qu’on puisse le douer de sens. Ainsi, quelque part entre l’insensé, que ce soit un signe, un acte, un événement ou une forme quelconque, et ce qui peut l’informer, réside le sens. Purement directionnel, il indique cette direction allant des premiers à l’Autre. Par voie de conséquence, tout ce qui par essence et définition empêche l'établissement d’un rapport avec une altérité et se suffit à soi-même, est insensé : le beau est insensé, le parfait est insensé, l’absolu est insensé, Dieu est insensé, et il semble bien que la vie le soit également, car on ne peut en elle se porter vers autre chose qu’elle.
En vérité, à cette aune bien des choses paraîtront insensées, dès lors qu’il est souvent difficile, voire impossible, d’établir un lien univoque entre tel étant et ce qui en garantirait le sens : on s'éreinte à chercher, se résigne à coiffer l'épouvantail d'un chapeau ridiculement dépareillé, et ne peut se résoudre à laisser ce qui seulement apparaît, sans tutelle sémantique, en l’état. Voilà pourquoi l’acte de dotation de sens pourrait sembler à maints égards divin, ou mystique : une grâce, pratiquement une offrande : sens enfin trouvé, assigné ! On respire, cela ne vague pas cahin-caha dans une indétermination de stricte contingence, toujours inhumaine…
C'est ainsi qu'à l'issue d’ardues investigations logiques, Gottlob Frege avait fini par définir le sens comme "mode de donation de l’objet" :
Die Art des Gegebenseins.