Le site du parti de l'In-nocence
Fruit d'une longue conversation, dûment arrosée, avec ma "Japonaise de référence":

Qu'il n'y a qu'une portion limitée de l'humanité prête à verser des larmes, en chants, en chansons, en romances, en vers, en musique muette, en long métrage, sérialisé ou non, sur la perte, l'absence irrésolue, l'interrogation éperdue, qui touche l'aimé(e).

Les Blancs du Nord, ceux aussi d'Amérique latine et les Jaunes du Nord (Japon, Corée, Chine, avec une jolie coulure au Vietnam) en sont seuls capables, avec l'Inde du Nord.

Ailleurs, Sud-Est asiatique, Afrique et Madagascar, avec, bien sûr, l'ensemble des mondes islamiques, demeurent royalement, effrontément, admirablement insensibles aux affres de l'amour indicible, que l'on a dit jadis courtois.

Il y a deux DEUX humanités: celle qui pleure la femme aimée, l'amant en allé, et l'autre, qui viole, prend, se sert sur l'autre sexe, et combat, rapine, et se meut dans la prodigieuse indifférence au chagrin de celle ou de celui qui a son âge, qui n'est pas un enfant, qui n'est pas un membre de sa famille, et qui se meurt peut-être d'être loin et de ne pas être entièrement, résolument à nous comme il ou elle le voudrait.
L'Afrique a des chants de séduction, l'Arabie, même heureuse, aussi, mais aucune élégie pleurarde et désespérée parce que celui ou celle qui n'est pas de son groupe, pas de sa tribu ne saurait rejoindre l'auteur ou l'interprète du chant.

Et le blues alors, dans le Sud profond de l'Amérique du Nord? Parlons-en : ce sont des chants d'auto-apitoiement, jamais de digne regret, même larmoyant, qui seraient comme on le fait ailleurs, jeté dans les airs en évocation et invocation de celui ou celle qui nous a brisé le coeur et ravi l'âme. Les chants du blues ne tournent jamais autour de la figure de l'absent mais de soi souffrant (la trahison, l'infidélité, comme chez Billie Holliday) ou l'absence et la solitude, dûment mis en scène, mise en scène de soi souffrant qu'une certaine race chouineuse a érigé en art sacré-profane, en folklore politique.
Le grand Christian Poché : "En Occident, le musicien ou le compositeur, par exemple Mozart, est l’objet central. En Orient ou au Moyen-Orient, on considère plus celui qui écoute, qui s’exclame, qui peut mourir foudroyé d’émotion." À l'appui de cette assertion il faudrait que je joigne une photo de mon épouse fondant d'émotion dès que se fait entendre la voix de Fairouz ou d'Oum Kalthoum. L'effusion qui s'empare à tout moment des Arabes au moindre "habibi" est sans équivalent et signe une expérience de la musique, poignante mais aussi joyeuse (on danse presque toujours en chantant), qui est comme l'envers de leur expérience religieuse.

Dans les premiers blues, l'affranchi-pas-encore-libre pleure souvent la disparition de l'amante qui l'accompagnait dans le bouge pour y noyer dans l'alcool, la musique et le sexe le vide existentiel provoqué par la perte de son statut social (le statut d'esclave, aussi ignoble fût-il, était bien un statut social conférant des droits et une place dans le monde).

Cela dit, je suis bien d'accord avec ça : "Les chants du blues ne tournent jamais autour de la figure de l'absent mais de soi souffrant (la trahison, l'infidélité, comme chez Billie Holliday) ou l'absence et la solitude, dûment mis en scène, mise en scène de soi souffrant qu'une certaine race chouineuse a érigé en art sacré-profane, en folklore politique."
La rengaine victimaire des Noirs ne s'est jamais éteinte, y compris dans le rap le plus agressif.
Ces jugements radicaux sur ce dont sont capables les hommes selon qu'ils appartiennent à telle aire géographique ou autre, telle culture ou civilisation me semblent trop tranchés, surtout s'il s'agit d'artistes et de poètes, qui sont censés être presque par définition des êtres d'exception qui ont pu se dédomestiquer des mentalités ambiantes.
A mon sens, il suffit qu'il y ait eu un Omar Khayyamm ou Ibn Arabi (en fait il y en eut beaucoup plus je crois) pour que ce type de "déterminismes ethno-socio-culturels" puissent être sans trop d’extraordinaire dépassés par le réel, tant mieux...


« Quand nos deux corps perdront mon âme avec la tienne,
les os des morts seront ma tombe avec la tienne.
Et plus tard, des maçons, pour bâtir un tombeau,
viendront déterrer ma poussière avec la tienne. »

Omar Khayyam (Persan de l'an mille et quelques) - Rubaiyat

« And death shall have no dominion.
Dead men naked they shall be one
With the man in the wind and the west moon;
When their bones are picked clean and the clean bones gone,
They shall have stars at elbow and foot; »

Dylan Thomas (Gallois de l'an mille neuf cents et quelques) - And death shall have no dominion
Oui bon. C'était une vision franco-japonaise concoctée sur un coin de table de cuisine fort encombré.

Il en est ainsi des associations humaines improbables : elles ne sont soutenues par aucun tuteur en matériau premache. Ne peuvent se fonder sur aucun terreau anthropologique ou simplement historique commun. Elles s'improvisent un sol en tissant des métaphores, improbables et hasardeuses, dans un constant souci de bienveillance mutuelle.
Les hommes arabes ont en réserve plus de sang et de larmes d'amour à verser pour leur prophète que pour leurs femmes et leurs enfants.
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