Le site du parti de l'In-nocence

Evidemment

Envoyé par Roland Destuves 
28 septembre 2022, 21:36   Evidemment
Evidemment

"Evidemment, ce sont des humains qui programment le robot et qui peuvent à tout moment le débrancher."
29 septembre 2022, 08:07   Re : Evidemment
Dans l'immédiat, l'éconazisme post-humain : [www.leparisien.fr]

Cela dit, peut-être se fabriquera-t-il du compost de robot dans 150 ans.
29 septembre 2022, 22:04   Re : Evidemment
Il était temps ; au boulot, les robots !

« L'esclave est un outil animé, alors que l'outil est un esclave inanimé. » (Aristote)
30 septembre 2022, 18:23   Bien sûr que non
Soit dit en passant, cette bonne femme numérique (Tang Yu) ne m'impressionne pas plus que ça : tant que la machine ne sera pas intellectuellement autonome, c'est-à-dire capable de pensée reflexive instituant une subjectivité et donc une volonté propre, elle ne sera qu'un truchement artificiel parodique d'intelligences tout ce qu'il y a de plus humaines.

Or ce passage, capital en l'occurrence, de la calculatrice à l'être indépendant doué d'intériorité représentative et réactive face à un environnement (comme l'est tout organisme un peu complexe), il semble bien qu'on soit à des années-lumière de le réaliser techniquement, parce qu'on ne le comprend toujours pas.
30 septembre 2022, 22:36   Re : Evidemment
Certes, mais il y a un autre passage envisageable, c'est celui de l'être indépendant à la calculatrice.

Que le robot soit à des années-lumière de "parler humain", soit, mais que se passe-t-il à la longue si l'humain, de son côté, se met très vite, par nécessité, à "parler robot" ? Car si l'un quelconque des collaborateurs de cette entreprise est amené à s'entretenir avec la "patronne", quelle langue sera parlée ? Celle du robot ou celle de l'humain ? Celle du robot, bien sûr, dans son absence "d'intériorité représentative", on pourrait dire dans sa bêtise, à laquelle l'humain, fort de toute sa supériorité,sera le seul à pouvoir et devoir se conformer s'il veut être compris.
Etrange esclave que celui qui impose à son maître la façon de donner des ordres, sinon, il ne fait rien !
01 octobre 2022, 18:37   Sérieusement
» Certes, mais il y a un autre passage envisageable, c'est celui de l'être indépendant à la calculatrice

Je ne pense pas que ce soit possible, parce que fondamentalement ladite conscience de cet "être indépendant" est une caractéristique d'espèce, pratiquement un fait biologique déterminé par l'histoire de l'évolution humaine, un trait particulier et intrinsèque que je vois mal oblitéré en quelques instants par les aléas, aussi fâcheux soient-ils, de la vie professionnelle, comme la fréquentation ponctuelle d'une pimbêche électronique de "patronne" qui n'est elle-même qu'un outil inanimé.

Soyons doctes et sérieux : en termes sartriens, le "pour-soi" (condition de l'homme conscient) aspire éperdument à recouvrer l'état idéalement entier de l'"en-soi" (l'objet, la machine, le robot, Tang-Yu), mais las ! c'est peine perdue, impossible, fatalement irrécupérable.
04 octobre 2022, 11:06   Re : Evidemment
Quoi qu'il en soit, il me semble que nous faisons l'expérience, sans doute pour la première fois dans l'histoire humaine, de dialoguer avec des objets jusqu'alors réputés muets. Qu'il s'agisse, pour les robots, d'un simulacre de parole n'enlève rien au fait que ce dialogue s'exerce exactement dans les mêmes conditions qu'un dialogue entre êtres humains.

Alors de deux choses l'une : ou bien le robot progresse dans sa capacité à communiquer jusqu'à ce qu'on ne puisse plus distinguer sa parole de celle d'un humain dans toutes ses nuances et, par là, atteint nécessairement à une forme de "conscience" (ce que vous estimez, sans doute à juste titre, impossible), ou bien il n'y atteint pas du tout et, dans ce cas, c'est l'homme qui, pour poursuivre un dialogue devenu indispensable aux actes de sa vie, pourrait être amené à la longue (et non pas en "quelques instants") à développer une nouvelle forme de "conscience" dont nous ne savons pas quelle forme elle pourrait prendre.
04 octobre 2022, 16:57   Re : Evidemment
L'impossibilité, pour l'heure théorique, de distinguer la parole d'un robot de celle d'un humain serait un signe: celui de la contamination robotique touchant l'humain. Seul l'humain partiellement dépouillé de ses attributs d'humanité, de ses capacités linguistiques humaines, connaîtra pleinement cette impossibilité. La robotisation est contagieuse, épidémique, dès lors qu'il s'agit de langage.

Voir à ce sujet la très riche étude de Monique Cantor-Sperber au sujet de "l'épidémie" (signifiant "séjour" dans le grec très ancien) qui sévit sur le langage après la visite du rhéteur Gorgias en Thessalie: les Grecs de cette région, par fantaisie et snobisme semble-t-il, se prirent à "parler le Gorgias" (jeux rhétoriques alourdissant la lexis, etc.) sans pouvoir s'en défaire.

Gorgias était venu de Sicile en tant qu'ambassadeur d'une colonie grecque, Leontium, plaider la cause de sa défense face aux menées bellicistes des Syracuséens.

Le langage est véhicule de contamination. Dans certains états de civilisation très dégradés, ou "décadents", ses formes évoluent, se plient à des exigences qui lui sont extérieures, qui peuvent être celles de la technique dans le cas du robot, après avoir été, comme dans l'épidémie dont Gorgias fut à l'origine, un germe allochtone (Gorgias ayant vraisemblablement été lui-même contaminé par frottement à des dialectes de Sicile, ou anti-frottement (surcorrection, etc.) Gorgias devait parler une sorte de québécois surcorrigé, ce qui fit fureur à Nancy et à Strasbourg.

Monique Cantor-Sperber précise que la vogue du Gorgiasisme s'éteignit assez vite à Athènes, mais qu'elle persista en Thessalie.

Monique Cantor-Sperber : L'Epidémie du rhéteur Gorgias en Thessalie, in Ethiques grecques, PUF Quadrige, 2001.
04 octobre 2022, 20:55   La réappropriation
» Quoi qu'il en soit, il me semble que nous faisons l'expérience, sans doute pour la première fois dans l'histoire humaine, de dialoguer avec des objets jusqu'alors réputés muets. Qu'il s'agisse, pour les robots, d'un simulacre de parole n'enlève rien au fait que ce dialogue s'exerce exactement dans les mêmes conditions qu'un dialogue entre êtres humains

S'il s'agit d'un "simulacre" de parole — autrement dit d'une parole toujours humaine (les langages informatiques n'en demeurent pas moins des langages humains) relayée par un support expressif extérieur —, il n'est alors pas le moins du monde question de "dialogue", mais bien de monologue, cela tant que le support, la machine, n'aura pas été pourvue d'une réelle autonomie mentale.
Ce à quoi nous avons affaire alors ne relève à mon sens que d'un procédé point si inédit ou révolutionnaire en soi, qui consiste dans le fait que des hommes commandent à d'autres hommes, et éventuellement en disposent, par des moyens techniques plus ou moins sophistiqués.

Incidemment, on peut dire que l'homme a constamment et dynamiquement été le produit d'une interaction avec son environnement, lequel était essentiellement naturel et donc a-humain, cela constitue même le présupposé fondamental de la théorie de l'évolution ; en l'occurrence, si cet "environnement" est en passe de devenir de plus en plus automatisé (au sens littéral, peuplé d'automates), et si ces automates sont le produit de sa propre technique et d'une maîtrise allant croissant de la nature, on peut logiquement en inférer qu'il devient de plus en plus l'effet de sa propre complexité et intelligence, en d'autres termes, qu'il s'autodétermine, plutôt qu'il ne s'asservisse à quelque entité ontologiquement extérieure et différente, laquelle n'est qu'une chimère, puisqu’elle n'existe en réalité pas, du moins tant que les machines ne s'animeront pas.
04 octobre 2022, 21:42   Re : Evidemment
Si l'arborescence des choix rationnels, parfaitement maîtrisée par l'IA, il va de soi, et l'arborescence des cheminements syntaxiques, propres à l'humain, si abondamment illustrée par Chomsky dans la première partie de son oeuvre, s'équivalent structurellement et se recoupent, alors, oui, il y a dialogue et délibération entre le robot et l'humain.

Et il devient possible de suivre la PDG robotique d'une société qui imprimera au devenir de celle-ci un certain cours, par un cheminement décisionnel rationnel et dûment pesé, auquel les humains devront, dans l'intérêt de la puissance et de continuité organique de la "corporation" qui les encadre et les nourrit, sinon se soumettre, du moins s'accommoder, se plier aux suggestions et injonctions qui le balisent et l'orientent.

L'autonomie du robot est réelle, même si elle est fille d'un emprunt à l'humain. Il n'y a plus monologue face à la créature mécanique de l'homme mais dialogue interspécifique, comme il y a dialogue intergénérationnel entre le père et le fils, y compris lorsque celui-ci est le dernier et le plus méprisable des bâtards.
05 octobre 2022, 00:16   Pas pour demain
Je vois la chose ainsi : tant que le robot sera incapable de faire autre chose que ce pour quoi il a été conçu et programmé, quelle que soit sa puissance de traitement de données, il ne sera qu'un outil exécuteur de la volonté humaine qui l'aura destiné à de certaines tâches particulières.
Dans ces conditions, quoi qu'il fasse, il ne sera que la traduction démultipliée par sa puissance de calcul de la volonté de ses concepteurs et "employeurs" (en l'occurrence, "diriger" de la façon la plus efficace possible selon certains critères prédéterminés), et exactement comme il n'y a en réalité aucun "dialogue" entre un locuteur quelconque et un interprète (mais seulement possiblement entre le premier et l'interprété), il n'y en aura semblablement aucun entre l'humain et le robot, mais toujours entre divers humains : le "dialogue" continuera d'être intraspécifique.

La seule façon pour le robot de déroger à son état littéralement fonctionnel (exécuteur d'une ou de certaines fonctions pour lesquelles il a été conçu) serait de se prendre lui-même pour objet et but de ses possibilités computationnelles, autrement dit de devenir ce qu'on appelle un "sujet" conscient qu'on répute capable de volonté propre, et donc de s'assigner à volonté de nouvelles tâches, les plus hétéroclites, voire de se mettre hors service, se reposer ou vaquer à des choses inimaginables.

C'est pourquoi les "arborescences" rationnelles et syntaxiques respectives du robot et de l'humain ne peuvent s'équivaloir à mes yeux, parce que l'humain lors de la production de son discours ne pense censément qu'à lui (faire bonne impression, obtenir une augmentation, une promotion, sortir au plus vite pour aller pisser, que sais-je), alors que le robot n'a pas du tout de "lui", mais ne fait qu'exécuter servilement de toutes les façons possibles dont on l'a préalablement doté ce pour quoi il a été fabriqué.
07 octobre 2022, 09:32   Re : Evidemment
Fort bien, nous voilà rassurés. Le robot PDG d'aspect femelle n'est qu'une sorte de mégaphone amélioré. Rien de nouveau sous l'hologramme.
07 octobre 2022, 12:48   Re : Evidemment
L'animal, le chien domestique en particulier, est-il "un sujet conscient capable de volonté propre" ? Très partiellement il se peut. Mais sa volonté, lorsqu'elle se manifeste, est assujettie à celle de son maître. Néanmoins, quand son maître lui parle, il y a une forme de dialogue qui n'est pas intraspécifique mais bien interspécifique. Le chien n'est pas le simple porte-voix de son maître puisque le maître s'adresse à lui, entre avec lui dans une dynamique communicante.

Le robot est un étant distinct de son créateur. Les échanges entre les deux entités sont possibles, dynamiques et même créatifs et sont bien d'ordre interspécifique.

Confier la direction d'une entreprise à un robot programmé pour ce faire revient à confier la chasse, l'action de chasser le gibier, à son chien: à l'instar de l'animal assujetti aux ordres de son maître, le robot chassera le gibier commercial, découragera la concurrence, opèrera des deals qu'il refermera comme le chien referme les mâchoires sur le perdreau avant d'apporter le volatile à son donneur d'ordre. Sans le chien de chasse, robot naturel programmable et programmé, le chasseur armé de son simple fusil est une bicyclette sans roue ni guidon.

Or le chasseur, encore une fois, parle à son chien, lui accorde respect et considération, le récompense de ses oeuvres, le soigne, l'entretient, l'entraîne et le nourrit comme une personne, un employé, un robot splendidement performant.
07 octobre 2022, 15:49   Re : Evidemment
Je crois bien que pour illustrer son drôle de "parlêtre", Lacan disait dans son séminaire quelque chose comme : J'aime les nouilles, le cinéma et Ginette — mais à elle, je le lui dis.

Toujours sur le caractère vital de l'intersubjectivité, ceci, glané sur FB :

"6 octobre 2022. Services publics, transports, banques, assurances, etc : partout, c'est un délire d'incitations à se connecter, à créer des " applications ", des " espaces personnels ". Ce matin, à la gare de Rethel, j'ai félicité l'agent SNCF qui, à son guichet, avec compétence et sourire, renseignait les clients, vendait les billets. Enfin l'humain ! En Espagne, un grand mouvement parti de Séville est en train de remettre en cause non l'informatique en général, mais l'informatisation intégrale de nos vies. Nous ne sommes pas des zombis électroniques ; nous avons besoin de visages, de voix, de dialogues...Pour se reconnecter à l'Ordre humain, il faut se déconnecter de ce Système inhumain ! Il ne faut pas que se réalise la sombre prédiction de Marguerite Yourcenar : les hommes tueront l'Homme."
07 octobre 2022, 19:39   Les âmes portatives
Francis, bien que le chien ne parle pas, il ne fait pour moi aucun doute qu'un "dialogue" puisse s’instaurer entre lui et son maître, celui-là (le chien) étant incontestablement doué d'une volonté propre ; et bien qu'un robot un tant soit peu perfectionné puisse "parler" de façon plus ou moins convenable, je ne vois là aucune sorte de dialogue possible entre l'humain et lui, car il n'est littéralement qu'un porte-voix sophistiqué, ne faisant qu'exécuter des algorithmes dont on l'a préalablement équipé et qui le constituent de part en part, n'étant que cela : une série d'instructions.

Ne percevez-vous pas cette différence fondamentale entre le chien et le robot ? : le premier est vivant, l'autre n'est qu'une machine.
Il me semble que Merleau-Ponty avait écrit quelque part quelque chose comme : « La conscience est littéralement engluée dans le monde, la vie... », c'est-à-dire qu'elle est comme inscrite dans l'évolution (à tous les sens) d'un corps dans le monde, émergeant progressivement de l'interaction d'un organisme avec son milieu jusqu'à former une interface perceptive spécifique qui est une intériorité vécue à partir de quoi est représenté le monde : chez l'homme qui semble avoir développé cette caractéristique à son plus haut degré cela a donné le "corps propre" et la conscience de soi ; dans le reste du monde animal ce semble en être à l'état embryonnaire et plus ou moins élémentaire, selon le niveau de complexité des organismes, mais quand même : un cafard n'en est pas moins infiniment plus volontaire qu'un stupide robot, alors ne parlons pas du chat, du chien et du bonobo.

Vous êtes marrants, vous autres les dualistes (il me souvient que vous avez écrit que vous l'étiez ?) : l'âme (c'est-à-dire le principe de l'autonomie mentale) étant conçue comme chose si absolument séparée de la matière, donc de la vie qui est matière organique, elle en devient de ce fait détachable des corps, portative en somme, et toute prête à être réinjectée dans ce qu'on voudra après tout, et n'importe quel support pourrait faire l'affaire, alors pourquoi pas un tas de ferraille électronique ?...
07 octobre 2022, 21:27   Re : Evidemment
Le fait, humain, de parler à son chien, n'est nullement universel. Il est un fait de civilisation. Il participe à un contrat, un jeu de demi-dupes auquel, semble-t-il (mais il faudrait enquêter) seul l'Occidental consent.

En Indonésie, que j'ai un peu connu, à Bali notamment, qui était un espace physique et mental encore indouiste il y a trente ans, il ne serait venu à l'idée de personne, jamais, de parler à son chien !

Une Balinaise amenée en Europe trouvait à la fois comique et scandaleux ces dames des villes qui "expliquent" à leur chien où faire pipi, qui le sermonnent, le menacent, etc.

J'ai demandé pourquoi, récemment, à quelqu'un qui connaît infiniment mieux que moi la mentalité de ces pays (l'archipel malais) pour y avoir grandi, la réponse est remarquable: c'est une question de hiérarchie, l'homme ne doit pas s'abaisser à adresser sa parole humaine à un non-humain.

Quel contrat et quel jeu de demi-dupe? très exactement le contrat qui lie le robot à l'homme par lequel il est entendu que le robot ne comprend que très partiellement le langage articulé des humains, mais il est entendu aussi que, avec lui, nous allons faire comme si.

Ce que certains se figurent être un "robot porte-voix" en devient dès lors un robot-miroir qui renvoit l'illusion de l'intelligence du langage humain articulé. Le phénomène est frappant au Japon, où la femelle robot est tout de suite une sorte de coquine qui entend bien se jouer des humains, ce dont raffolent les humains de là-bas. Le contrat est comme au théâtre: il prévoit qu'il est entendu entre les parties (acteurs et spectateurs en situation d'interaction) que le méchant joué sur scène est un méchant authentique. Il est construit sur une illusion consentie; il est un contrat civilisationnel (l'Asie du Sud-Est, et il me semble aussi, l'Afrique majoritairement, refusent ce contrat à l'animal domestique).

Nous savons bien, parce que nous sommes des humains relativement cultivés, que l'être organique (animal domestique) et le tas de ferraille ressortissent à deux plans ontologiques inégaux, pourtant, parce que cela nous sert, nous parlons en usant d'un langage humain articulé à l'un et à l'autre aux termes de contrats de nature similaire.
07 octobre 2022, 21:37   Re : Evidemment
(Une Balinaise amenée en Europe trouvait à la fois comique et scandaleux ces dames des villes qui "expliquent" à leur chien où faire pipi, qui le sermonnent, le menacent, etc.

Moment vraiment très drôle dans l'Abécédaire de Deleuze quand il exprime l'effarement qui est le sien lorsqu'il entend les gens, dans la rue, parler bêtement (!) à leur chien. Il se moque du rapport œdipien qu'entretient le propriétaire de chien avec son animal, incapable qu'il est d'avoir avec lui un rapport animal.)
08 octobre 2022, 19:06   Du sens
Il paraît que la domestication du chien remonte à plus de 10 000 ans au moins ; nul doute qu'on devait déjà alors parler à son chien, pour lui faire comprendre ce qu'on attendait de lui, lui intimer des ordres, notamment lors de parties de chasse communes, car c'était un précieux compagnon de chasse, et je vois mal une communication quelconque s'établir par le seul moyen de rayons noétiques ; cependant, à l'aube du néolithique, vous conviendrez que l'"Occident" comme aire civilisationnelle spécifique n'avait encore que très peu de sens, voire pas du tout.

Justement, et je n'y peux rien, j'achoppe presque intuitivement sur cette notion de "compréhension" : le chien comprend ce qu'on veut de lui, reconnaît certains vocables et finira par les interpréter correctement ; on peut en fait lui enseigner le sens de n'importe quel mot.
Je vous fiche mon billet que le robot ne comprend rien du tout, pas plus qu'une théière programmable, un four, un aspirateur commandable à distance, un TV intelligente qui s'allume au son de votre voix : "comprendre" c'est saisir le sens, et le sens n'a aucun sens pour quelque chose qui n'est qu'ustensile, objet, ce qu'est de part en part le robot même attifé en Tang Yu.

Je reviens à ceci qui me paraît le plus important : le "sens" ne peut avoir de sens, avoir lieu comme phénomène mental, que chez un être vivant doué de capacités perceptives et représentatives réalisant un soi comme entité vivante indépendante qui veut persévérer dans son être, et cela vaut sans aucun doute pour le chien.
A ce titre le robot-objet n'a aucune existence, n'ayant aucun soi assignable : les notions mêmes de sens, compréhension et conscience aucune pertinence sémantique pour ce qui n'est qu'amas de matière inanimée, alors qu’elle en ont certainement pour un être vivant relativement intelligent comme le chien : cela, je tiens qu’on le pressent et le sait quand on s’adresse à l’un ou l’autre, ce qui fait que le type de communication et de relation avec l’un et l’autre ne peuvent être similaires, même contractuellement.

Tout cela est à creuser plus avant...
08 octobre 2022, 20:36   Re : Evidemment
Pardonnez-moi, mais, pour ma part, je n'ai jamais prétendu que le robot avait la moindre existence propre ni la moindre capacité de compréhension et c'est précisément pour cela qu'il appartient à l'homme de se mettre à sa portée. Et si la nécessité de communiquer avec des robots (eussent-ils été conçu par lui ) lui devient impérative, l'homme prend le risque de perdre ou de voir diminuer ses facultés humaines. Autrement dit, que le robot ne puisse devenir "intelligent", selon les critères humains, n'empêche pas que l'homme devienne "bête", selon les critères du robot.
09 octobre 2022, 12:38   Re : Evidemment
Autrement dit, que le robot ne puisse devenir "intelligent", selon les critères humains, n'empêche pas que l'homme devienne "bête", selon les critères du robot.

C'est exactement cela: il existe un plan de rencontre (pour parler comme Deleuze) sur lequel tous deux se rejoignent: le robot mime l'humain et l'homme imite le robot, parle robot, se rabote le langage et l'esprit pour rejoindre son "partenaire", interlocuteur, exécutant. Ce plan de rencontre est le terrain d'un rapport conventuel, factice, proto-civilisé (comme l'on peut dire qu'on "civilise" son chien en le dressant, pour finir, source d'amusement bien connue, par lui ressembler jusque dans la physionomie et la voix).
09 octobre 2022, 19:32   Dans l'expectative
» l'homme prend le risque de perdre ou de voir diminuer ses facultés humaines

Derechef, les "facultés humaines" fondamentales — intelligence, pensée réflexive, aptitude au langage etc. —, et même moins fondamentales que cela d'ailleurs, acquises au cours de centaines de milliers d’années ne se perdent pas en un tournemain par la fréquentation d'une valetaille automatisée.
Je ne vois pas pourquoi en fait : c'est un peu comme si vous disiez qu'un homme intelligent et cultivé devait nécessairement perdre, à la longue, ses dispositions à force de côtoyer de temps en temps des êtres de moindre qualité (ce qu'il est bien obligé de faire) : pensez-vous réellement que ce soit le cas ?


Après tout, nous savons toujours à qui ou à quoi nous avons affaire : une machine est une machine, et l'insuffisance de son mimétisme de l'humain, tant physique qu'intellectuel d'ailleurs, saute pratiquement aux yeux pour quiconque possède une maîtrise acceptable de ces "facultés humaines", culturelles au premier chef : ceux qui en écrivant s'en laissent conter par quelques énormités d'un "correcteur automatique" ne connaissent de toute façon pas, au départ, leur langue et n'en ont cure, et les autres ne peuvent que s'en amuser : cela ne change dans le fond pas grand-chose à un état de fait, qui est que l'humain à son meilleur résiste toujours vigoureusement par le haut, et le reste, ma foi, n'a fait de tout temps que suivre à peu près n'importe quoi. Bêtise crasse foncièrement humaine (elle a tout de même fait des ravages, celle-là) ou plus modernement mécanique et automatisable, cela ne fait pas grande différence à mes yeux.

Remarquez, un automate idiot et peu performant est beaucoup plus facilement et rapidement révisable et perfectible qu'un homme, parce que le robot est démontable et remontable à volonté comme tout objet manufacturé, alors que ce semble plus difficile pour ce qui concerne la matière humaine, dont les facultés majeures sont inscrites dans le cours du temps : il n'est pas du tout exclu du reste qu'à terme l'innommable GPT-3, mieux et plus finement programmé, ne finisse par pouvoir produire des textes grammaticalement plus corrects que ceux dont serait capable un locuteur lambda peu soucieux de belle langue dans un milieu strictement humain.

Quoi qu'il en soit, ce que d'aucuns appellent le Désastre n'a pas attendu l'avènement plus démocratisé des machines réputées intelligentes, loin s'en faut, pour advenir, alors un peu plus, un peu moins : s'il est vrai que la machine est également un moyen de mise à disposition pratiquement instantané et infini de richesses humaines et culturelles, voire de multiplication des mondes, pour qui saurait en tirer parti plutôt que se lamenter indéfiniment sur l'inéluctable perte d'un soi en terre cuite, on peut même estimer que les choses pourraient s’équilibrer à la hausse.
Enfin nous verrons...
09 octobre 2022, 21:57   Re : Evidemment
Nous savons bien, parce que nous sommes des humains relativement cultivés, que l'être organique (animal domestique) et le tas de ferraille ressortissent à deux plans ontologiques inégaux, pourtant, parce que cela nous sert, nous parlons en usant d'un langage humain articulé à l'un et à l'autre aux termes de contrats de nature similaire.



"Lors de sa sortie en 1999, Aibo, le robot chien de Sony, est rapidement devenu la coqueluche des amateurs de gadgets, notamment des Japonais, très friands de robotique. Pourtant onéreux (environ 1.800 euros), Aibo a été écoulé à 15 millions d'exemplaires dans le monde jusqu'à l'arrêt de sa commercialisation en 2006. Sony ayant fermé le service après-vente de son robot chien en 2014, de nombreux propriétaires nippons, très attachés à celui qu'ils considéraient comme un véritable compagnon, ont même participé à un service funéraire pour les Aibo."

[www.futura-sciences.com]
09 octobre 2022, 22:34   Re : Evidemment
ont même participé à un service funéraire pour les Aibo."


Kitou Des Cévennes
@KCevennes
En réponse à
@LolitaLeRetour
A mes deux chats, avant qu'il ne quittent cette terre, et je leur parle encore en espérant qu'ils m'entendent et qu'ils sont toujours quelque part près de moi.

[twitter.com]
09 octobre 2022, 22:36   Re : Evidemment
Il se crée un continuum peu ordinaire chez les civilisés modernes (Occident post-chrétien - Japon - Chine):

Homme, robot, animaux domestiques se conjoignent sur un plan ontologique commun et continu.

Je laisse à chacun ici le soin de juger qui se ravale, s'abaisse et qui s'élève dans cette évolution conjonctive, en se rappelant cette sentence du Balinais (citée supra) qui nous dit en substance qu'il est ici question de hiérarchie: parler à un chien, c'est abaisser la parole humaine.

Et parler à un robot ?
09 octobre 2022, 23:49   Re : Evidemment
Pour moi, parler à un robot est une humiliation, ce qui paraît curieux, dans la mesure où Les Japonais, si à cheval sur le thème de l'humiliation, ne ressentent apparemment pas un tel sentiment. Pourquoi ? Parce que le robot est une création humaine et que, non seulement on ne saurait être humilié par ce que l'on a créé mais, au contraire, en tomber amoureux ? Je n'en sais rien.

Mais je me demandais comment Eytan imagine la notion de progrès en ce qui concerne les robots. Quels sont les limites à ce progrès ? S'il y en a, ce serait une première, avec la notion de progrès.
09 octobre 2022, 23:58   Re : Evidemment
Ce doit être une pulsion du civilisé : hominiser (anthropomorphiser) tout ce qui bouge. "Il ne lui manque que la parole" disait-on jadis. Plus désormais. Si la chose parle ou paraît dotée d'une animation parolière, le miracle de l'accession au logos chez l'objet est pris comme allant de soi. Encore une fois, c'est une illusion volontaire, une des plus chérissables qui soient, celle de la facticité mutuellement convenue. (Le robot, peut-être, me prend pour un con et se fout de ma gueule, mais tant pis, faisons comme si).

Cette illusion est chérissable comme peut l'être, pour le dire enfin, l'illusion amoureuse (je crois qu'il m'aime, et il croit que je l'aime, ergo nous nous aimons et vogue la galère amoureuse).
10 octobre 2022, 00:01   Re : Evidemment
La continuité animal domestiqué-robot, à propos, fut là dès les premiers automates, même truqués: il fallut que dans le siècle de Descartes, les automates commençassent par imiter un canard.
10 octobre 2022, 00:13   Re : Evidemment
La question de l'animal domestique qui ne peut se moquer de l'humain affleure parfois dans les interrogations multiples des uns et des autres face à l'animal.

Me revient en mémoire le cas de cet homme dont le chien boîtait horriblement sans qu'un diagnostic vétérinaire ne vienne à bout du mystère. Tout, dans les articulations concernées, fonctionnait normalement chez l'animal.

On s'avisa alors que le maître lui-même était, depuis plusieurs semaines ou plusieurs mois, affligé d'une claudication causée par une lésion quelconque.

La médecine conclut que l'animal, par solidarité interspécifique, s'était pris à boîter lui aussi, comme les élèves d'une classe d'écoliers qui se rasent tous la tête en signe de sympathie pour celui qui, parmi eux, a perdu ses cheveux sous l'effet d'un traitement (anti-cancéreux, etc.).

Mais un "minority report" existe, qui dit que "le chien affectant de boîter se foutait de la gueule de son maître" !

L'incertitude est totale sur ce plan: l'hypothèse que le robot, parlant comme un idiot, serait souterrainement engagé dans la veine moqueuse, péjorative de l'humain : tu t'abaisses, regarde-moi t'imiter et fais-toi juge de ton abaissement est-elle à écarter résolument ?

Il y a tout un jeu complexe, chez les Japonais qui tourne autour de cette incertitude dans leurs interactions avec les robots des deux sexes ou "genres".
10 octobre 2022, 00:36   Re : Evidemment
Hominiser le robot et anthropomorphiser l'animal domestique (lui conférer des droits animaux/sociaux, etc.) sont un geste, un signe de sens identique. Il s'agit d'un signe de dé-différentiation confusionnelle (illusion consentie) touchant l'humain. Le pontage verbal (l'accès au Verbe ou au Logos) factice et illusoire, parachève ce geste.

Mais il est presque impossible de ne pas rattacher ce phénomène à celui de la réintégration de l'humain dans l'économie écosystémique dite "circulaire": rabattre l'Homme sur la condition animale, en ne créant plus rien, en ne sortant plus jamais du donné écosystémique, et par conséquent en ne produisant non plus aucun déchet, à l'instar de l'animal sauvage et du robot (le robot ne mange ni ne défèque, il est donc non producteur de déchets systémiques non recyclables à la différence de l'humain tel qu'il a été jusque ici), est congruent avec l'entreprise d'arrêt de l'Histoire à laquelle oeuvre la davocratie.

Le parti animaliste est un parti davocratique.
10 octobre 2022, 00:51   Re : Evidemment
Triangulation:

L'animal consomme de la nourriture et produit des déchets organiques recyclables, il est donc, en principe, créature écosystémique. Mais il n'est pas doué de parole, même si certains se révèlent capables d'émotions authentiques au contact des humains.

Le robot ne consomme aucune nourriture organique ni ne produit de déchets au quotidien, il est donc "écosystémiquement" propre ou "neutre", et il est capable d'un simulacre de parole, d'échanges verbaux et d'émotions factices dans ses interactions avec les humains.

L'humain: créature écologiquement sale, qui s'est détournée des écosystèmes pour créer désormais près d'un tiers du monde sublunaire visible, et qui est doué de parole et de faculté d'imitation sans limites.

Il ne reste plus désormais au troisième qu'à se mettre à l'école des deux premiers pour redevenir propre et écologiquement neutre et quiescent, soit "durable" (sustainable).

L'affaire n'est pas mince, mais elle semble bien engagée, du moins sur le plan des idées, avec le robot et Canis lupus familiaris pour modèles et émules.
10 octobre 2022, 00:56   Re : Evidemment
Au canard mécanique qui fascinait Descartes, il faudrait ajouter les premier grands robots (comme on dit grands mammifères ou grands félins) installés dans les laboratoires, en France, au tournant des années 70/80 du siècle dernier. A Saclay, par exemple, où une connaissance avait vu un robot massif, muni qu'un bras immense, enfermé dans une cage comme un gorille de cirque.

Personne, aucun ingénieur, n'aurait su dire pourquoi, si ce n'est par contagion du statut animal.
10 octobre 2022, 13:03   Re : Evidemment
La question de la liberté du chien posée par Sartre ne se posera a priori jamais pour le robot. Ce qui n' évacue pas celle de l'abandon de l'intelligence humaine à des machines. Dans les domaines vitaux de la médecine et de la guerre notamment... Le robot-radiologue qui ne reconnaît pas une tumeur naissante ou le robot-tueur qui se trompe de cible à réduire en charpie, comment dire... Car l'employer à ces fins d'identification suppose qu'il fasse mieux que l'homme, pas aussi bien ni, évidemment, moins bien que lui. Bref, en lui abandonnant certaines de nos facultés les plus éminentes et proprement humaines, si j'ose dire on lui interdit tout droit à l'erreur. Ensuite, les gaffes pourront toujours être rattrapées avec des excuses officielles et de jolis chèques... Mais enfin sur le plan des ultimes conséquences physiques et de la morale, une fois encore, bonjour les dégâts.
10 octobre 2022, 14:03   Re : Evidemment
Le chien sartrien, en prenant sur lui, pouvait sauver son maître en le délestant de quelques complexes. Le propriétaire de robots, de son côté, regagne en le libérant le temps angoissant qu'il consacrait à ses stressantes besognes. Dans le Nevada, après la séance de "fire and forget", les boys du 21e siècle vont faire un tour au pub ou à la salle de gym.
10 octobre 2022, 19:13   Robocène
Concernant la question d'un possible progrès robotique, je crois que la réponse découle simplement de ce qui fait le plus manifestement défaut à toute "intelligence artificielle" jusqu'à présent : l'acquisition d'une forme de conscience, donc d'égoïsme et de volonté.
Autrement dit d'une façon de "subjectivité" : si celle-ci est nécessairement et indissolublement liée à la vie comme propriété émergente dans un organisme, alors toutes les tentatives de copier certaines caractéristiques de l’intelligence humaine pour les transposer dans un support mécanique quelconque échoueront à réaliser une véritable révolution dans ce domaine, l'avènement d'une ère des machines, "robocène" ou autre...
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