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Vœux pour l'an 2023 - directives

Envoyé par Alain Eytan 
« La conscience qu'a un être raisonnable de l'agrément de la vie accompagnant sans interruption toute son existence est le bonheur, et le principe de prendre le bonheur pour mobile suprême de détermination du libre choix est le principe de l'amour de soi. » (Emmanuel Kant - Critique de la raison pratique)

Où l'on voit qu'il ne suffit pas de ressentir l'agrément, la satisfaction, le bien-être, le plaisir, mais qu'il faut en outre être conscient du fait qu'on les éprouve, se le pouvoir représenter : l'euphorie à fleur de peau ne suffit donc pas, encore faut-il qu'on sache qu'on est bien.

Je veux croire que Kant ne se contente pas du calme pneumatique presque plat des Anciens, imperturbables champions de l'ataraxie, mais qu'il consent volontiers à ce que la surface étale de l'équanimité soit aussi parfois dérangée par des remous, des turbulences, même des Charybde aspirantes et goulues et de grosses vagues écumeuses.

Qu'il y faut donc également une certaine dose d'égoïsme, d'amour-propre, de j'menfoutisme.

Le "sans interruption" a de quoi faire tiquer, ne semble pas très réaliste : de même qu'on ne peut jouir indéfiniment d'un seul jet continu, il paraît raisonnable de ménager de temps en temps quelques pauses, pour reprendre des forces, se ramasser, se regrouper, et fermer la lucarne réflexive tant sur l'extérieur que l'intérieur : simuler le non-être, autant que ce soit possible.
02 janvier 2023, 14:30   L'anti-sage
N'était le Christ et l'Evangile, ma haine de Dieu frôlerait les sommets de l'absurde et de la folie : si Dieu existe, c'est un monstre, une espèce de démence de l'univers. S'il n'existe pas, mon sentiment ne varie pas, car je je hais comme non-existant. Comme l'écrit Cioran: "Même si Dieu n'est pas, il est". L'ignominie de la mort, l'abjection de finir dans un trou entre quatre planches tandis qu'on abandonne avec la plus parfaite grossièreté ceux qui ont besoin de nous pour vivre, nous assigne le lot de vermine impuissante. Nous sécrétons de l'art et de la religion comme la seiche jette son encre pour échapper à son prédateur. Tout fait ventre, pour se donner le change. Mais je refuse de me constituer prisonnier. Je veux mourir vivant, c'est-à-dire assassiné, en pleine possession de ma haine et de mon irrévocable désir de vivre et de comprendre pourquoi je vis. "Faisons au moins que ce soit un scandale", s'écriait Etienne de Sénancour. Chercher à la vie un sens que la mort ne réduise pas à néant, c'est là ma préoccupation primordiale.

Depuis ma chute dans le temps, l'univers m'apparaît comme une apocalypse permanente. La force de l'habitude a faussé le sens des mots: la paix n'est pas le contraire de la guerre, il n'y a pas de trêve dans la boucherie dont le monde est victime. Mourir dans son lit cajolé ne vaut guère mieux que disparaître dans l'explosion d'un obus. La sagesse des fumeurs de pipe n'est qu'un état de soumission qui revient à déserter le front où la bataille fait rage. Cela fait quarante ans que je suis à la recherche de quelque chose dans le monde qui ne soit ni le monde ni l'homme. Cela s'appelle peut-être la foi. Je ne crois à rien, même pas à mon incroyance. C'est aux frontières de la raison que je ferraille contre l'inadmissible et l'inconcevable. Je me considère, et avec moi tout ce qui grouille sous le soleil, comme un déporté destiné au four crématoire, à la torture, à la fosse commune. J'en sais suffisamment pour savoir que je n'en saurai pas davantage. Ma foi prend racine dans cet espace nul. Auprès de la guerre que je mène contre la valeur des mots et l'apparence hideuse que prend par anticipation la beauté d'un visage promis aux vers, le bafouillage des athées est une forme de crédulité pire que celle des assemblées religieuses. C'est au-delà de ces ridicules joutes que ça se passe : la situation est encore plus grave que ce qu'on peu imaginer dans les pires moments de lucidité. La bêtise au niveau des perceptions supplante la bêtise au niveau des concepts. Les philosophes nabots qui nous susurrent leur romance sur le désespoir serein sont des traîtres ou des imbéciles. Même si ma révolte est vaine, et je ne doute pas qu'elle le soit, elle sent moins mauvais que ces accommodements benoîts qui traînent dans toutes les philosophies et toutes les pseudo-religions depuis que le monde est monde. Je mourrai ivre de rage, tendant le poing vers le ciel comme Job sur son tas de fumier. --- Jean Carrière, Le Prix d'un Goncourt - 1987.
02 janvier 2023, 23:03   La débrouille
Très bien, et la philosophie, ou la posture du poing brandi, moi-même, petit coq qui vitupère sur ses ergots, volontiers la ferais-je mienne, à mes heures... Oui mais enfin, dans la vie, on fait comme on veut, et surtout comme on peut, quoi, même si c'est petitement, mesquinement à l'occasion, rapport à la question sans réponse de la meilleure façon de vivre, non ?...

De toute façon, ces grands moralisateurs (je ne dis pas que ce soit le cas de Jean Carrière), tout en nerfs et qui font les cent pas comme des forcenés, bousculant tout le monde alentour, surtout ceux qui veulent se reposer un peu, finissent par devenir un peu casse-pieds à la longue, je trouve...
03 janvier 2023, 18:48   Re : La débrouille
« J'en sais suffisamment pour savoir que je n'en saurai pas davantage. Ma foi prend racine dans cet espace nul. »

C'est hypostasier l'ignorance comme source de sens. Bonne veille démarche négative.
21 janvier 2023, 02:10   Mariage du Ciel et du Bordel
Au fait, à propos du poing tendu contre toutes choses de ce monde, impossible de louper Tourneur...

...enfin, il paraît hors de doute qu’une étoile flambante et furieuse se manifesta au-dessus du triangle du toit, faite de rayons fuligineux, tordus, mal noués, et que l’enfant nouveau-né lui montra le poing par une lucarne, tandis qu’elle secouait sur lui ses boucles informes de feu. Ainsi entra Cyril Tourneur dans la vaste concavité de la nuit cimmérienne.

Marcel Schwob - Vies imaginaires
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