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À propos de la jusristocratie israélienne : un autre son de cloche

Envoyé par Marcel Meyer 
Il est actuellement à peu près impossible, en France comme ailleurs, d’entendre parler de la bataille politique qui oppose le gouvernement Netanyahu à la Cour suprême israélienne et à ses partisans autrement que sur le mode « le gouvernement d’extrême-droite israélien met en danger la démocratie de ce pays ».

Et pourtant... Voici l’essentiel d’un article écrit par deux universitaires israéliens et publié le 10 mars sur le site de The Free Press transcrit en français avec l’aise de Google (https://www.thefp.com/p/our-think-tank-sparked-mass-protests). Il rappellera bien des choses aux Français.

Si vous êtes abonné aux grands journaux américains (…) vous avez peut-être entendu dire que la démocratie israélienne est en grave danger à cause des réformes judiciaires proposées par le gouvernement. (...)
Voici la réalité actuelle en Israël : l'État juif est une démocratie florissante, mais sa Cour suprême est une loi en soi. Son pouvoir incontrôlé a commencé au début des années 1990, lorsque le président de la Cour, Aharon Barak, a annoncé que même en l'absence de constitution, la Cour pouvait invalider une législation et bloquer les actions du gouvernement avec lesquelles elle n'était pas d'accord.

La soi-disant “révolution constitutionnelle” de Barak — c'est ainsi que Barak lui-même l'a surnommée — a également eu pour effet de créer une cour idéologiquement homogène. Contrairement à la situation dans presque tous les pays démocratiques du monde, en Israël, les juges siégeant à la Cour suprême et les représentants de l'Association du Barreau - qui ont de fortes incitations personnelles à voter avec les juges, et le font presque toujours dans la pratique - constituent la majorité du comité qui sélectionne les nouveaux juges dans tous les tribunaux. Cela a abouti à une clique auto-entretenue, tirée en grande partie de la gauche politique et de l'élite sociale du pays, qui a le dernier mot sur presque toutes les décisions politiques du pays.

Il y a eu d'autres changements aussi et aucun d'entre eux n'a été voté par le peuple ou la Knesset.
Barak a rétroactivement déclaré que les lois fondamentales d'Israël étaient une constitution fonctionnelle et a commencé à abroger les lois sur cette base. (Israël n'a pas de constitution formelle.) La Cour s'est également donnée le pouvoir d'opposer son veto aux actions du gouvernement qui satisfaisaient à tous les critères juridiques, mais que la Cour considérait simplement comme “déraisonnables”. Il a également déclaré que le procureur général n'est pas simplement le conseiller juridique du gouvernement ; il en est le patron, en ce sens que toute directive émise par le procureur général lie juridiquement le gouvernement. Imaginez aux États-Unis si le procureur général et non le président avait le dernier mot sur la politique gouvernementale sur toutes les questions, de la peine de mort aux droits des homosexuels.

C'est la situation actuelle en Israël. Pendant des décennies, la majorité des citoyens ont vu leur voix – et le résultat de leurs votes – réduite au silence par une tyrannie croissante de fonctionnaires non élus et de technocrates.
Les réformes proposées actuellement à l'étude à la Knesset israélienne visent à remédier à la situation en instituant des freins et contrepoids de base à la Cour — des freins et contrepoids qui sont la norme dans d'autres démocraties occidentales.

Voici les éléments constitutifs de ces propositions de réforme :

1. Le gouvernement est libre de choisir ses propres positions juridiques et sa propre ligne de défense et de représentation devant les tribunaux.
2. La Cour ne peut pas utiliser sa propre conception du « caractère déraisonnable » comme seul motif d'invalidation d'une décision administrative ; tous les autres motifs restent inchangés.
3. Le Comité de sélection judiciaire se compose actuellement de neuf membres (trois juges de la Cour en exercice, deux représentants de l'Ordre des avocats, deux ministres et deux membres de la Knesset, dont un de l'opposition). La réforme redynamiserait le comité, remplaçant surtout les deux représentants du Barreau par des représentants de la Knesset.
4. La Cour n'entendrait pas les requêtes sur la constitutionnalité de la pseudo-constitution elle-même (à savoir, les Lois fondamentales).
5. La Cour suprême ne pourrait annuler des lois qu'avec un vote à la majorité qualifiée d'un banc complet de 15 juges. (Notez que ce serait la première fois que le pouvoir de la Cour d'annuler des lois serait confirmé par une législation.) En outre, une majorité de membres de la Knesset pourrait temporairement annuler une telle décision.
Tous ces changements – à l'exception du dernier point, impliquant la dérogation à la Knesset, qui a peu de chances de survivre aux négociations et que nous ne soutenons pas – rapprocheront Israël des normes acceptées dans d'autres démocraties.

Les objections passionnées à ces réformes se concentrent sur des hypothèses farfelues. Et si la Knesset annulait les élections ? Et si le gouvernement interdisait les pratiques religieuses bénignes ? Après tout – et cette partie est généralement ajoutée dans un murmure – certains des membres actuels de la Knesset de la coalition ont l'air assez effrayants et les juges ressemblent à des adultes responsables.
Nous sommes sensibles à l'alarme que ces plans - en particulier la disposition de dérogation - ont provoquée chez certains Israéliens patriotes. Nous sommes également parfaitement conscients de l'exacerbation cynique de ces inquiétudes par une opposition politique furieuse que Netanyahu soit à nouveau Premier ministre.
Dans le même temps, leurs inquiétudes quant à l'avenir de la démocratie israélienne trahissent leur propre surdité à la peur, à la frustration et à la privation de leurs droits vécues par une grande partie de la population israélienne durant les trois dernières décennies. Les inquiétudes concernant certains détails des réformes proposées ne peuvent être une excuse pour maintenir un système de gouvernement par des juges qui n'a jamais été adopté par le peuple et sur lequel il n’a même jamais été consulté.

De plus, les critiques des réformes devraient se demander si le système actuel serait aussi attrayant si la situation était inversée, avec une Knesset dominée par des progressistes et une Cour penchant à droite et invalidant les mesures progressistes (ainsi par exemple, maintenant que la Cour suprême des États-Unis est composée d'une majorité de juges conservateurs nommés à vie, beaucoup de gens de gauche aux États-Unis demandent des restrictions au pouvoir de la Cour).

Quant aux scénarios cauchemardesques sur l'annulation d'élections ou l'annulation des droits des minorités, ils cherchent à empêcher les contestations de la tyrannie réelle et actuelle de la Cour en faisant appel à de futures tyrannies imaginaires. Malgré toute son indiscipline, aucune Knesset n'a jamais suggéré quoi que ce soit comme l'annulation d'élections. Israël a survécu avant la révolution judiciaire d'Aharon Barak dans les années 1990, avec des gouvernements aussi homogènes idéologiquement que celui de Netanyahu et personne ne doutait qu'il s'agissait d'une démocratie.

D'un autre côté, les juristes de la Cour suprême d'Israël revendiquent le pouvoir de suspendre un Premier ministre en exercice et envisagent en effet de prendre une telle mesure contre Netanyahu en ce moment, annulant ainsi le résultat de l'élection.

Des millions de personnes de la droite politique (et de nombreux centristes également) crient depuis des années à l'usurpation du pouvoir par la Cour et ses soutiens du barreau. Mais ils n'ont jamais pensé à essayer de mettre en danger l'économie et la sécurité du pays pour obtenir ce qu'ils voulaient.

Maintenant, les partisans de la « juristocratie » font exactement cela. Ils créent une tempête d'instabilité, arrêtant le trafic et même, dans certains cas, ne se présentant pas au service de réserve militaire, pour créer une crise à court terme qu'ils invoquent à leur tour comme une nouvelle raison de préserver le statu quo. (...)

Si les manifestations actuelles parviennent à faire dérailler les réformes, la Cour et la classe professionnelle qui en bénéficient, triomphantes, exerceront leur pouvoir incontrôlé encore plus capricieusement qu'auparavant, entraînant une privation fondamentale de pans entiers de la société et, à terme, l'éruption d'une crise plus profonde que l'actuelle.
Moshe Koppel est président du Kohelet Policy Forum et professeur émérite d'informatique à l'Université Bar Ilan. Eugene Kontorovich, chercheur à Kohelet, est professeur de droit constitutionnel à la faculté de droit Scalia de l'Université George Mason.
La gauche est, le plus souvent, toute puissante dans les médias, y compris en Suisse.
« 5. La Cour suprême ne pouvait annuler des lois qu'avec un vote à la majorité qualifiée d'un banc complet de 15 juges. (Notez que ce serait la première fois que le pouvoir de la Cour d'annuler des lois serait confirmé par une législation.) En outre, une majorité de membres de la Knesset pourrait temporairement annuler une telle décision. »

Ce petit en outre qui n'a l'air de rien, dans cet article que je trouve d'autre part schématique et partial, est précisément là où le bât blesse le plus : selon la proposition de loi, la Knesset pourra purement et simplement annuler une décision de la Cour relative à l'inconstitutionnalité d'une loi — entendre par là sa non-conformité aux "lois fondamentales" et à la Déclaration d'indépendance qui, quoi qu'on en ait, tiennent lieu de Constitution —, pourra donc annuler une telle décision par majorité minimale de 61 députés (la Knesset en compte 120) et donc voter une telle loi, qui sera en outre valide pour au moins 4 ans.

Revenons sur terre : cela veut dire qu'un hurluberlu vociférant de type Ben-Gvir, pour autant qu'il parvienne à imposer son point de vue au sein de la bande de zozos (certains d'entre-eux sont des allumés grave) qui composent le gouvernement, pourra mener la politique qu'il souhaite et faire comme bon lui semble, et ce sans aucun, absolument aucun contre-pouvoir effectif de quelque nature que ce soit : cela, dans un pays comme Israël qui est tout de même une sorte de permanente poudrière en latence qui n'explose pas du fait du respect de quelques équilibres fragiles à ne rompre en aucun cas, cela peut à juste titre être considéré comme alarmant au superlatif.

Grosso modo, je crois qu'on peut dire que la contestation à ces projets de lois est animée par ce qui constitue la cheville ouvrière du ressort et du succès de ce pays, sur les plans militaire et économique surtout : avoir réussi à susciter un tel rejet et une telle animosité d'une part très importante de la population active en si peu de temps est un exploit à faire pâlir d'envie quelques jaunissants GJ ou anémiques syndicalistes français.




Ben-Gvir et sa traditionnelle galette sur la tête...



Il m'intéressait de savoir ce que vous en pensiez, cher Alain Eytan.

Il ne vous aura pas échappé que l'objection précise que vous soulevez, la possible annulation par la Knesset (éventuellement emmenée par un quelconque zozo dites-vous) d'une décision d'inconstitutionnalité, est partagée par les auteurs de l'article et qu'ils ne pensent pas que cette disposition ait une chance d'être adoptée (« à l'exception du dernier point, impliquant la dérogation à la Knesset, qui a peu de chances de survivre aux négociations et que nous ne soutenons pas »), et je partage moi aussi leur réticence sur ce point précis.

Reste tout le reste, qui évoque furieusement la situation que nous connaissons ici, avec des juges, des instances, des cours, des conseils, nationaux et européens, non élus, qui bloquent et punissent tout écart à la doxa gaucho-davocratique du moment et imposent partout, quels que puissent être les résultats des consultations électorales, le Grand Remplacement.
Ce qu'on appelle si pudiquement la "clause dérogatoire" vient d'être adoptée la nuit dernière en première lecture : c'est en fait le nerf de la guerre juridique qu'entendent mener ces gens, et je ne vois pas pourquoi cela aurait "peu de chances de survivre aux négociations", pour la bonne et simple raison qu'il ne semble pas y avoir dans le camp gouvernemental de réelle volonté d'arriver à un compromis sur les points cruciaux de cette "réforme". On dirait une bande de gamins enivrés d'être revenus au pouvoir et qui n'ont de cesse que leurs fantasmes ne s'accomplissent coûte que coûte, quitte à déchirer le pays et après eux le déluge.

Je dis que cette appellation est pudique parce que ce qu'elle signifie concrètement, dans le régime parlementaire israélien où tout gouvernement a nécessairement une majorité de 61 députés au moins, est donc que le gouvernement aura toute licence de faire absolument ce qu'il veut, de faire voter toutes les lois qu'il souhaite, disposant mécaniquement de cette majorité, sans qu'il y ait en regard aucun contrôle, examen critique et pouvoir réel de l'en empêcher : la Cour suprême en Israël est le seul contre-pouvoir effectif, c'est ainsi.
Cela veut dire pratiquement que si toutes ces propositions de lois seront votées comme telles, nous assisterons purement et simplement à une sorte de confiscation du pouvoir, dans un pays où ce pouvoir ne représente en réalité qu'une moitié des électeurs, les blocs dits de droite et de gauche continuant d'être parfaitement égaux (en fait, et encore, parce que les orthodoxes et les "sionistes messianiques", qui semblent avoir fait main basse sur l' exécutif, sont en réalité assez minoritaires).
Pour ce qui constitue, je le répète, une majorité des forces vives du pays, entrepreneurs, hightechistes, militaires etc., et qui sont viscéralement attachés à ce qu'on ne peut faire autrement que nommer, pardon, une vision du monde occidentale, individualiste et libérale (plutôt que strictement traditionaliste, religieuse et plus autoritariste), cela est tout simplement inadmissible. Probablement avec raison, ajouterais-je.

Il ne faut tout de même pas oublier qu'Israël continue d'être, bon gré mal gré, une force occupante, on n'y peut rien, qui au motif parfois tout à fait justifié (mais pas toujours) de devoir se défendre impose sa présence et ses troupes sur un territoire où la population, les Palestiniens, n'en veulent pas et même la haïssent ; dans ces conditions il me semble absolument nécessaire qu'il existe une instance extra-gouvernementale disposant du pouvoir d'empêcher des illuminés d'ordonner à la troupe de faire n'importe quoi, comme du reste un Ben-Gvir en serait parfaitement capable. C'est aussi élémentaire et vital que cela.
Au fait, si je ne me trompe, en France, le Conseil constitutionnel a un droit absolu de censure pour toute loi, et tout type de loi, et si la non-conformité constitutionnelle est prononcée, l'Assemblée ou le gouvernement ne disposent d'aucun recours là-contre, non ?
Netanyahou et sa clique semblent avoir complètement perdu les pédales, et en passe de perdre le contrôle du pays, après le limogeage du ministre de la Défense, un certain Gallant. Tous les généraux que j'ai pu entendre ce soir ont sans exception, d'une mine à la fois si épouvantée et solennelle que c'en était amusant, averti que le pouvoir actuel menaçait de plonger le pays dans un état de chaos et de danger comparable aux premiers jours de la guerre du Kippour, et précipitait ce qu'on ne pouvait faire autrement qu’appeler une guerre civile.
Il paraît que 700 000 manifestants sont descendus dans la rue cette nuit, ce qui sur 9 000 000 habitants fait en effet beaucoup. Cerise sur le gâteau, les syndicats et le pouvoir municipal annoncent pour demain une grève générale qui va paralyser le pays.

Bref, c'est un beau spectacle, qui vaut largement à mes yeux les petits combats franchouillards pour des bassines d'eau, et d'interminables tirades rasoir sur la réforme des retraites, ah mais ! A chacun ses affaires. Soit dit en passant, il appert finalement, pour reprendre la phrase liminaire de ce fil, que « le gouvernement d’extrême-droite israélien met en danger la démocratie de ce pays », voire, clament d'aucuns, le pays tout court.

A noter la forte présence du drapeau national, dans ces happenings...





Pour répondre à votre avant-dernier message, la Cour suprême israélienne étant seule gardienne des lois fondamentales, elle cumule les compétences qui, en France, sont réparties entre le Conseil d'État, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel.
A cela on peut également ajouter qu'il n'existe pas en Israël de deuxième chambre, l'équivalent d'un Sénat, lequel fait aussi (ou devrait, à tout le moins) office de contre-pouvoir et de garde-fou...

Pour en revenir au turbulent Ben-Gvir, notons que cet ex-membre du mouvement Kach (mouvement du rabbin Kahane déclaré en Israël "organisation terroriste" et dont la doctrine inspira, voire fut à l'instigation de l'opposition ultra-violente qui culmina dans l'assassinat de Rabin), que ce drôle donc a reçu de Netanyahou la promesse écrite de mettre en œuvre le plus rapidement possible le développement et le rattachement d'une "Garde nationale" à son propre ministère, la Sécurité intérieure, en échange de son accord pour suspendre les votes relatifs à la réforme juridique.
Evidemment, la presse en Israël ne se prive pas d'évoquer à cet égard la création de "milices privées", petite resucée ultra-juive de la Schutzstaffel, pourquoi pas, dépendant intégralement des oukases d'un idéologue passablement déjanté comme ce type.
Peut-être n'a-t-elle pas tout à fait tort... Décidément, Bibi nouvelle version semble avoir bien vieilli et prêt à faire à peu près n'importe quoi...
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