Depuis longtemps, les « certitudes » avaient mauvaise presse. Il était de bon ton, entre gens comme il faut, de considérer toute affirmation tranchée comme suspecte, une faute de goût, eu égard à la « complexité du réel ». Mais, à la longue, cette chasse aux « certitudes » (valoriser le doute, nuancer, éviter la « caricature...) c’était devenu un peu fatigant.
La maladie contagieuse aura eu le mérite d’en soulager plus d’un, et même plus d’une, en faisant sortir du Purgatoire ces fameuses et jusque là peu recommandables « certitudes ». Car la maladie contagieuse est pourvoyeuse de certitudes enfin recevables. Elle commence par instaurer un égalitarisme d’ordinaire sujet à discussion mais que, dans ce cas, personne ne songe à contester : face à la contagion n’importe qui devient l’autre et le même, potentiellement contaminé ou contaminant, tout le monde est à égalité, une bonne chose de faite.
S’ensuit l’évidence qu’il faut tout faire pour éviter d’appartenir à la catégorie des contaminants afin que plus personne ne se retrouve dans celle des contaminés. Aussitôt, l’individualisme n’a plus aucune excuse, inutile de chercher à lui accorder des circonstances atténuantes ni de s’engager dans les éternels coupages de cheveux en quatre à son sujet, il devient simple synonyme d’égoïsme, on peut le désigner comme le « mal », un point c’est tout. C’est un soulagement.
Par voie de conséquence, la définition du « bien » s’en trouve elle-même opportunément simplifiée, clarifiée, exaltée sous le nom de « sens des responsabilités », un « sens » à son tour indiscutable, facile à cerner et qui ne requiert qu’un seul acte : se faire vacciner. Se faire vacciner ou ne pas se faire vacciner, l’alternative délivre en un clin d’œil de l’embarras des choix. Soulagement supplémentaire.
De même, ceux qui rechignent au vaccin sont aisément rangés dans la catégorie des « irresponsables » et, avec la conscience de bien agir, on peut se permettre de refuser d’écouter leurs raisons, fussent de simples doutes, on peut les condamner sans appel, sans courir le risque d’être accusé d’intolérance ni de « rejet de l’autre » ce qui, somme toute, n’est jamais garanti avec les autres catégories d’irresponsables, mais avec eux, aucune hésitation.
Moyennant quoi, les vaccinés convaincus – qu’on pourrait aussi nommer « pratiquants » pour les différencier des vaccinés tièdes – retrouvent le sentiment avantageux de « faire société », de « jouer collectif », de se distinguer de la tourbe confuse, braillarde, archaïque et absolument infréquentable des « antivax », « antipass », complotistes délirants et, plus généralement, de se distinguer des méchants égoïstes qui « ne jouent pas le jeu ».
Ainsi, par la communion sous les espèces du vaccin, la maladie contagieuse offre-t-elle à beaucoup une occasion en or de partager la si réconfortante foi du charbonnier, lavée du moindre doute, et de se plonger avec délice dans le bain de jouvence des certitudes retrouvées – pimenté comme il se doit d’un soupçon de hargne plus ou moins marqué à l’égard des pécheurs et des pécheresses qui n’en feraient pas autant.