Je suis d'accord. Le film de Danny Boon est une atroce manifestation du pétainisme encore en vigueur dans nos corons. En revanche, le film qu'il faut absolument voir (il y a urgence tu vois) s'appelle
Andalucia.
Je vous soumets l'admirable critique de Mandelbaum parue dans
Le Monde du 4 mars dernier. On croirait du second degré.
Critique
"Andalucia" : portrait kaléidoscopique d'un fils d'immigré maghrébin
Que signifie être aujourd'hui un fils d'immigré maghrébin en France ? Comment conquérir la dignité individuelle face à l'humiliation collective au quotidien ? Comment être à la fois français de plein droit et dépositaire d'une mémoire et d'une identité colonisées ? Comment vivre cette différence sans qu'elle soit diluée par l'intégration ni aliénée par le communautarisme ? Ces questions, dont l'actualité nous rappelle l'urgence, Andalucia, deuxième long-métrage d'Alain Gomis après L'Afrance (2001), les pose de la plus belle manière. En les laissant remonter à la surface plutôt qu'en les assénant frontalement, en signant un film qui tient davantage d'une incarnation poétique à la Artaud que d'un traité sociologique à la Bourdieu.
Le centre de cette évocation sensorielle est un personnage nommé Yacine (interprété par l'exceptionnel Samir Guesmi, qui passe ici du rang de silhouette familière du cinéma français à celui d'acteur de premier plan) que la caméra ne va plus lâcher. But de l'opération : tenter un portrait en mouvement d'un homme qui va plus vite que le film.
Ce grand flandrin au charme canaille, c'est le dandy d'un nouveau Paname hanté par ses anciens colonisés, le clochard céleste des temps modernes, le pied nickelé de la cité baguenaudant dans la capitale. Soit un type qui a tout le temps le cul entre deux chaises, un type en guerre ouverte, à qui ni la banlieue, qui ne lui pardonne pas de l'avoir quittée, ni la capitale qui le dédaigne n'accordent de place.
UN RÊVE DE TRANSE SOUFI
A l'image de son personnage, le film est construit comme une insurrection. Moments volés, fragments de vie, logique onirique. Entre caresse et violence, Yacine se confronte à une multitude de caractères. Une belle funambule sud-américaine, des parents qui ne comprennent pas sa vie, un copain africain qui fait de la figuration comme esclave dans des fictions historiques, un poète en maraude dans une soupe populaire, un vigile de la même origine qui lui fait péter les plombs, une jeune femme inaccessiblement blanche qui l'emmène dans son bel appartement.
Mais Yacine fait le rêve d'autre chose, et cet ailleurs nourrit l'ivresse esthétique d'Andalucia. Un rêve de transe soufi qui nous élève, un rêve de geste qui nous libère, comme celui, miraculeux, de Pelé durant la demi-finale de la Coupe du monde de football de 1970 opposant le Brésil à l'Uruguay. Et puis aussi un rêve d'Espagne, de tolérance, d'âge d'or. D'abord à Tolède, parmi les portraits du Greco. Puis en Andalousie, terre imprégnée de la plus longue présence mauresque sur le continent européen, avant la Reconquête chrétienne et sa sinistre obsession de pureté.
C'est là que finit ce très beau film, et que Yacine, tel Jésus sur les eaux, se met doucement à s'élever de terre, au nom du droit inaliénable à se réinventer.
(1 h 30.)