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La France qu’on aime

Envoyé par Gérard Rogemi 
18 mars 2008, 17:08   La France qu’on aime
J'aime beaucoup l'hebdomadaire toulousain "L'Opinion Indépendante" qui chaque semaine régale ses lecteurs avec d'excellents articles. Cette semaine la fournée est particuliérement succulente.

Petit voyage au cœur de la France profonde à travers quelques-unes de ses figures et de ses symboles…

Des supermarchés partout, des magasins ouverts le dimanche, la suppression des départements, sans parler d’honnêtes professions (coiffeurs, taxis…) livrées à la déréglementation, d’une relance de l’immigration légale afin de répondre aux exigences du marché de l’emploi (mais n’y a-t-il pas plus de deux millions de chômeurs en France ?) ou de la création de nouvelles villes technologiques : les propositions du récent rapport Attali censé libérer la croissance et indiquer les voies à suivre pour la France de demain faisaient rire ou frémir. Les ordonnances de ces médecins de circonstance – qui rappellent irrésistiblement ceux que de Gaulle nommait les «profiteurs d’abandon» et les «débrouillards de la décadence» - finissent en général à la poubelle, mais leurs illuminations modernistes et technophiles ont le mérite de désigner le danger : la fureur de la table rase derrière la froideur gestionnaire… Mais la France ce n’est pas des chiffres et des courbes. C’est une façon de vivre et de penser, une manière d’être, avec ses tares et ses vertus. La France c’est aussi «800 millions de tombes», selon l’expression de Pierre Chaunu, une histoire et une géographie, un «plébiscite de tous les jours» (dixit Renan) qui dépasse les batailles électorales, versions pacifiées de notre goût pour la guerre civile, un bon sens populaire et un panache aristocratique ancrés jusque dans les tréfonds du vieux pays. Voici donc quelques silhouettes et évocations de la France profonde, celle que l’on aime… C.A.


La France d’en bas vue du Nord
Bienvenue chez les Ch’tis, deuxième film réalisé par Dany Boon, a vite quitté les pages cinéma de la presse pour occuper les rubriques «économie» et «société» tant son succès inattendu vire au raz-de-marée. Avec près de cinq millions d’entrées après une semaine d’exploitation (les producteurs visent les 15 millions d’entrées…), l’histoire de ce directeur d’une poste sanctionné par une mutation de Salon-de-Provence vers une petite ville du Nord renoue avec les comédies populaires de qualité dont Gérard Oury et Francis Veber (dans ses bons jours), voire l’équipe du Splendid du temps de sa splendeur, semblaient détenir jalousement les clés. Pourquoi un tel engouement ? Simplement parce que le scénario efficace, jouant sur les préjugés et leur retournement, est au service d’un tandem impeccable (Kad Merad / Dany Boon) qui rappelle les virtuoses d’antan (Bourvil / de Funès). Surtout, Bienvenue chez les Ch’tis n’emprunte pas les voies traditionnelles de la comédie hexagonale - déboires sentimentaux de trentenaires, sous-produits inspirés des Bronzés (Jet-Set, Camping, Disco…), produits pour ados (de Michael Youn à Brice de Nice) – et livre un divertissement ancré dans une réalité très française et même «régionale», mais qui peut toucher tous les spectateurs indépendamment de leur âge ou de leur condition.
À l’heure de l’uniformisation des langues et des cultures, c’est cet enracinement mêlé d’universalisme (à l’image du parler ch’ti amenant le personnage interprété par Kad Merad à s’ouvrir aux autres) qui explique l’enthousiasme du public. Bienvenue chez les Ch’tis est une manière d’anti-Astérix et Obélix aux Jeux Olympiques, superproduction au budget pharaonique et au casting encombré de people «bling-bling» (Schumacher, Zidane, Tony Parker, Adriana Karembeu, Amélie Mauresmo…) destiné à s’ouvrir le marché européen. Quand Astérix sortait simultanément sur les écrans de plusieurs pays, le film de Dany Boon choisissait une diffusion exclusive dans le Nord-Pas-de-Calais une semaine avant la sortie nationale… Enfin, Bienvenue chez les Ch’tis filme avec tendresse des fonctionnaires, des supporters de foot, des prolos, bref tous ceux que les «attaliens» et les bien-pensants de la modernité voudraient voir disparaître. Éloge de la solidarité, de l’amitié et de la générosité (autant de valeurs non cotées en Bourse), cette plongée dans la France profonde est d’une fraîcheur réconfortante. C.A.

Denis Tillinac, amoureux de la France
Quand il ne se fait pas le chantre de la modernité sarkozyenne dans les colonnes de Valeurs actuelles, Denis Tillinac retrouve des accents que l’on devine plus sincères pour célébrer la vieille France - celle des départementales et des cathédrales, des Hussards noirs et de l’apéro, des poètes et des bourgeois de province - que l’on retrouve entre les pages de son récent Dictionnaire amoureux de la France. Dans la préface, l’auteur de Maisons de famille et de Spleen en Corrèze affiche son «patriotisme de facture rustique». Avec fierté et volupté, il décline le bonheur d’être français qu’il savoure autant dans l’éloge des gares, de la deux-chevaux et des plaques minéralogiques que dans celui «des plats du pays qui tiennent au corps, et des vins qui parlent encore patois». Ce parisien aux accents corréziens est chez lui partout en France et ses racines qui l’ont «incité à la quête de l’universel» lui permettent de brocarder ceux de nos compatriotes allant chercher leurs modèles «dans la Silicon Valley». À ceux-là, il préfère un panthéon mêlant histoire et littérature où entrent Jeanne d’Arc, Henri IV, d’Artagnan, Cyrano, Chateaubriand, de Gaulle, Maigret ou Piaf. On savoure aussi un bel éloge des «copains», ce «mode de sociabilité (…) sans équivalent dans les autres pays» qui «relève toujours plus ou moins de l’offense à l’ordre social» en fournissant «une morale de repli et de compensation, une recette pour conjurer la solitude quand l’amante ou l’ami ont posé des lapins». Tillinac se souvient sans doute de la fameuse phrase de Marc Bloch : «Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France : ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération. Peu importe l’orientation de leurs préférences. Leur imperméabilité aux plus beaux jaillissements de l’enthousiasme collectif suffit à les condamner.» De la France, il prend tout et récuse la tentation du masochisme national : «rien de plus pervers que d’opposer une France imbue de ses clochers et haïssant le reste du monde à un universalisme d’intellos hors sol présumés libres de préjugés». Ce dictionnaire gomme bien des défauts de notre pays et il a raison. Si l’amour n’était pas aveugle, ce ne serait pas de l’amour… C.A.

Dictionnaire amoureux de la France,
Plon, 400 p, 22,50 €.
Marc Lièvremont : la revanche du rugby terroir
Après huit années de Bernard Laporte, de rugby bling-bling, de jambon Madrange et de conciliabules nocturnes dans des casdingues avec vue sur mer, la nomination du placide Marc Lièvremont comme sélectionneur du XV de France a sonné la revanche du rugby-terroir. Le nouveau sélectionneur a annoncé sans rougir son salaire (10 000 euros mensuels) et a certifié qu’il ne l’arrondirait pas avec des ménages ou des publicités. Dans ses fonctions, l’ancien troisième ligne aile de Perpignan, Paris et Biarritz est épaulé par Emile N’Tamack, qui fut un pensionnaire apprécié de la section sport-études du lycée Jolimont et le gai cavalier du Stade Toulousain que l’on sait, et par Didier Retière, ancien talonneur du Racing qui a brièvement goûté au plus haut niveau avant d’aller promener ses crampons du côté du Creusot, de Dijon et de Nuits-Saint-Georges. C’est donc toute l’Ovalie française qui est représentée par ce trio, à la fois les ors et la gloire des matchs internationaux du XV de France, les phases finales du championnat et les matches entre amateurs cabossés qui font des bulles dans la boue le dimanche après-midi en Fédérale 2. Pendant que Bernard Laporte a poursuivi sa course vers le haut en s’installant au ministère de la Jeunesse et des Sports, le rugby français est donc redescendu sur terre, au plus près des fameux «fondamentaux» et des non moins fameuses «valeurs» du jeu tel qu’on l’aime «en bas». Moins de joueurs parisiens dans l’équipe de France de Marc Lièvremont, plus de Montpelliérains, de Clermontois et de Montalbanais. Et même un Auscitain pour le consoler de jouer dans une équipe promise à la relégation en Pro D2. C’est la revanche du rugby de papa. S.L.

François Hadji-Lazaro : revoilà Pigalle
On la vu jouer avec Pigalle, Les Garçons Bouchers et Los Carayos. Vêtu d’un pantalon d’apprenti en boucherie tenu par une magnifique paire de bretelles, il a chanté le M.I.N. de Rungis, la bière à la pression, la rue des Martyrs et son inoubliable bar-tabac. Il aime le morgon de Marcel Lapierre, le gewurztraminer de Christian Binner et les champagnes d’Anselme Selosse. Au cinéma, où il excelle dans les petits rôles de figuration, il a notamment joué dans Germinal de Claude Berri, La Cité des Enfants perdus de Jean-Pierre Jeunet et J’ai vu tuer Ben Barka de Serge Le Péron. Né d’un sang turc et grec à la fois, François Hadji-Lazaro à la bouille ronde et pleine d’un personnage de Victor Hugo ou d’Emile Zola. Pour la télévision, il a d’ailleurs interprété le rôle d’un ami de Jean Valjean dans la version de Josée Dayan. François Hadji-Lazaro est impressionnant en concert. Pendant une heure et demie, il chante en jouant de tous les instruments connus et moins connus qui lui tombent sous la main (accordéon diatonique, vielle à roue, dulcimer, banjo, violon, cornemuse, guimbarde, guitare portugaise à sept cordes, ukulélé, etc.). Ce garçon qui n’a jamais suivi le moindre cours de solfège est un pur autodidacte, qui a appris tout seul à gratter son banjo, à chanter les petits maux d’amour et à faire la comédie. Il a une poésie et un lyrisme très à lui, qu’on découvre dans Contre Courant (2004) et Aigre doux (2006), deux albums solo auxquels le public français n’a pas accordé l’attention qu’ils méritaient. Il a tort : Hadji-Lazaro, c’est autre chose que Renaud. Pour réchauffer les souvenirs du bon vieux temps, François sort fin mars un album du groupe Pigalle intitulé Neuf & occasion, «recueil de nouveaux bébés d’aujourd’hui et de trésors engloutis d’antan». On y trouvera réunis six nouveaux titres, un DVD documentaire sur son travail et tous les clips de Pigalle. S.L.

Inventaire hexagonal
Avec son Inventaire curieux des choses de la France, Alain Schifres dresse une radiographie ludique et buissonnière de l’hexagone. Le verre Duralex, le buffet Henri II, les charentaises, la culotte Petit Bateau, le Livre de poche ou la toile de Jouy y prennent place, mais à côté des objets et des produits, on retrouve également expressions, caractères, mythes, lieux communs, qui disent la France d’hier et d’aujourd’hui. La France change d’adresse et de visage, mais les choses les plus modernes seront bientôt démodées ou mises à l’encan, comme le souligne Schifres dans sa préface. Reste alors le patrimoine, «ce qui remplace la patrie quand les frontières sont ouvertes», et les fameuses exceptions françaises dont l’auteur souligne la nature inépuisable : «Une exception s’éteint, une autre s’éveille.» On ne demande pas mieux. C.A. Inventaire curieux des choses de la France, Plon, 470 p, 23 €.

Christian Authier et Sébastien Lapaque

Article paru dans l'édition du Vendredi 14 Mars 2008
Utilisateur anonyme
18 mars 2008, 18:03   Re : La France qu’on aime
Bienvenue chez les Ch’tis est une manière d’anti-Astérix et Obélix aux Jeux Olympiques

Il est toutefois amusant de constater que les deux films ont les mêmes producteurs : Claude Berri et Jérôme Seydoux.
Claude Berri... vous êtes sûr ?

De toute facon l'argent n'a pas d'odeur cher Ami!
Utilisateur anonyme
18 mars 2008, 18:24   Re : Tu quoque...
En fait, Astérix est produit par Jérôme Seydoux et Thomas Langmann (le fils de Claude Berri).
La seule réserve que j'exprimerais se rapporte au texte traitant du "rugby de terroir". Il est de bon ton chez les journalistes branchés, qu'ils écrivent ou non sur le sport, de se gausser de Laporte, surtout depuis les défaites et les mauvais matches de l'équipe de France en octobre et en novembre derniers.

1. Le salaire de Laporte était, semble-il, inférieur de près de moitié à celui de Liévremont. Quand Laporte a accepté la charge de sélectionneur (c'était en 1999), il a accepté aussi une baisse importante des revenus qu'il tirait du rugby professionnel : au Stade français, son salaire était bien supérieur. C'est pourquoi les dirigeants de la Fédération lui ont permis de continuer à gérer ses affaires et d'arrondir ses revenus par de la publicité. D'ailleurs, la publicité est venue un peu par hasard, à la suite du "coup de gueule" qu'il a poussé dans les vestiaires du Stade de France (en 2002) à la mi-temps du match France - Italie. La télévision filmait (depuis, elle ne filme plus); Laporte est devenu un personnage de pub.

2. Laporte exprime par sa carrière, bien mieux que Lièvremont (Argelès, Perpignan, Stade français) et N'tamack (Toulouse), le rugby de terroir : équipe de rugby de Gaillac, puis celle de Bègles (la banlieue ouvrière et plouc de Bordeaux), troisièmes mi-temps, bandas et banquets arrosés. Il n'a connu en tant que joueur que le rugby dit "amateur" (avec primes de matches certes), qui rejetait le professionnalisme (à la différence du XIII) mais favorisait l'ascension sociale des meilleurs joueurs. A Laporte ont été offertes de nombreuses possibilités de devenir un petit notable, qui prend des marchés grâce à son carnet d'adresses, aux protections d'industriels ou d'hommes d'affaires, à ses amitiés.

3. Il semble que les sociétés que possédait Laporte ou dont il était le principal actionnaire avaient pour champ d'activités le tourisme (campings, restaurants, casinos), l'alimentaire, l'image et l'événementiel : des activités de "ploucs".

4. Laporte avait une qualité : c'était un vrai professionnel pour ce qui est du jeu de rugby. Ce que j'ai vu des cinq matches de l'équipe de France me laisse penser que le trio qui la dirige est d'abord un trio d'amateurs qui (ignorance, naïveté ou confiance benoîte dans les miracles par exemple) font jouer sans buteur l'équipe de France contre les Anglais (ce qui ne s'est jamais vu depuis trente ans ou plus), ne sont pas capables de sélectionner huit avants qui ne reculent pas dans les mêlées fermées ou dans les mauls (la mêlée française a même été dominée par les Ecossais et humiliée au moins quatre ou cinq fois, même contre le Italiens), refusent de faire jouer contre les Italiens le meilleur preneur de balles en touche que la France ait jamais eu (Bonnaire), etc. Des entraîneurs du rugby de terroir n'auraient jamais commis ces bourdes.

5. Il semble d'ailleurs que Laporte ait conseillé à Lapasset de choisir Lièvremont, en dépit de son expérience limitée, pour sélectionneur, et cela au détriment de grands entraîneurs ayant fait leurs preuves en France ou à l'étranger.
J’avais copié le texte ci-dessous en réponse au message d’Henri « Amour pour l’objet contemplé » (sur le fil « Proust ») et je voulais l’intituler « La France qu’on aime » ; et voilà que je tombe sur ce titre ! Je place donc ici cet autre extrait des souvenirs de Pol Vandromme, les quasi dernières lignes de l’ouvrage. Cet hommage vibrant d’un Belge à la doulce France, (telle qu’elle est si peu décrite sur ce forum), je l’ai lu plusieurs fois et je vous avoue qu’il m’a presque tiré des larmes.


« Ah ! Siegfried ! Ah ! Le dialogue de la fin, si fiévreux et en même temps si doux, si déchirant et déjà offert à la nostalgie. (Je suis un peu lyrique pour compenser les froideurs méprisantes dont Giraudoux, aujourd’hui, est accablé.) Je me le répète souvent pour l’intégrer à mes souvenirs. Que le cercle se forme, que la voix du conte s’élève. C’est le soir, la pièce va finir avec la fête des mots.

Siegfried.- c’est la première ville française qu’on voit là ?
Piétri.- Oui, c’est le village.
Siegfried. – Il est grand ?
Piétri.- Comme tous les villages. 831 habitants.
Siegfried. – Comment s’appelle-t-il ?
Piétri. – Comme tous les villages. Blancmesnil-sur-Audinet.
Siegfried. – La belle église ! La jolie maison blanche !
Geneviève. – C’est la mairie.
Piétri.- Vous connaissez le village, Mademoiselle ?
Geneviève. - Et à mi-flanc de la colline, ce chalet de briques entre les ifs, avec marquise et véranda, c’est le château.
Piétri. - Vous êtes d’ici ?
Geneviève.- Et au bout de l’allée de tilleuls, c’est la statue. La statue de Louis XV ou de Louis XVI.
Piétri. – Erreur. De Louis Blanc.
Geneviève. – Et cet échafaudage dans le coin du champ de foire, c’est sur lui que les pompiers font l’exercice le premier dimanche du mois. Leur clairon sonne faux.
Piétri. – Vous connaissez Blancmesnil mieux que moi, mademoiselle.
Geneviève. – Non. Je ne connais pas Blancmesnil. Je ne l’ai jamais vu…Je connais ma race
.

Je suis, moi aussi, de cette race, né du chant de légende que Giraudoux compose en son honneur. Une certaine familiarité avec les choses, liée à un art de la vie. La vraie poésie sociale se trouve là : dans les apparences qui dévoilent en secret le mystère d’un ordre accessible au charme du quotidien. On dit ; c’est désuet, c’est joli, c’est une romance d’opérette. On dit des bêtises. C’est l’intelligence, la mesure, la mélodie d’une civilisation.
La doulce France, mythe angevin, invention des poètes élégiaques, a fini par verser dans la niaiserie bourgeoise des coteaux modérés. Mais, au-delà de ce folklore à présent vulgarisé, et à l’intérieur d’une fronde perpétuelle qui constitue la trame de l’histoire d’un peuple, il existe une terre de Canaan, La France, là-bas, au sein des querelles de l’Hexagone, est une île. L’Île de France.
D’une manière générale, ceux qui y abordent pour s’installer ont eu le goût des barricades. Ils se sont fatigués de l’inanité de la politique et de la folie des militants. Ils savent qu’il n’y a de sagesse sociale que si l’on refuse cette part d’une nation qui se déchaîne dans les batailles civiles et que la seule vérité française, c’est le respect de la diversité française. Ils ne sont plus versaillais ou communards, chouans ou conventionnels, laudateurs de passions sectaires, mais héritiers d’un mode de vie sur lequel l’Histoire, avec ses souvenirs de clan et ses provocations de bande, n’a plus prise. Un cognac, une porcelaine, une soupe paysanne, un bistrot, la couleur d’un ciel, une place de village, l’accent d’une langue leur paraissent des merveilles plus savantes, plus délicates, et qui en disent plus long sur l’intimité d’un peuple que les parades de tribune, les grimaces des systèmes, la prospective des sociologues. À la vie jouée du théâtre ils préfèrent la vie vécue du quotidien ; aux fureurs collectives, la lenteur et la patience d’une éducation séculaire ; aux songes messianiques les mots de passe de leurs rêves sans arrogance.
Quand Hergé s’éloigne du boyscoutisme et de Tintin, il se rapproche du capitaine Haddock et se réfugie à Moulinsart. L’île de France n’est pas une réalité géographique ; c’est un état d’esprit et un état d’âme. On la découvre partout dans la littérature française, connivence pour émigrés qui ne calomnient plus l’immigration. C’est Nerval du côté de Senlis. C’est Proust du côté de Combray. C’est Chardonne du côté de Barbezieux. C’est Fraigneau du côté de Perpignan. C’est Vialatte du côté de Clermont-Ferrand. C’est Daniel Boulanger du côté de Compiègne. C’est Marcel Aymé du côté de Dole. C’est Bastide du côté de Biarritz. C’est Anouilh du côté du bal des voleurs. C’est le côté giralducien de la vie, le miroir de la France heureuse.
Je sui Français de cette France-là. Le programme des écoles l’ignore et même la dédaigne, trop étriquée, trop provinciale. La réforme des études sera achevée le jour où l’on délaissera le parallèle classique entre Corneille et Racine, où l’on mettra face à face Larbaud et Cocteau, l’élève Léniot et Dargelos. La France buissonnière, alors, aura eu raison de la France à l’esbroufe ; le bonheur français de l’orgueil français.
Pessimiste rageur, à la lisière de la forêt, pessimiste amer dans sa tour d’ivoire, pessimiste heureux sur sa terre à moissonner, voilà mon itinéraire. Moins fou sans être devenu sage, moins bête sans m’être corrigé par l’intelligence sociale, hypnotisé par la grâce humaine et offusqué par la disgrâce du monde, avec peu de certitudes mais si robustes que rien ne les entamera désormais, et cette foi des sceptiques, leur repos aussi, les doutes qui ne bloquent pas les chemins qu’ils obstruent.
(…) »
Merci chére Aline pour ce superbe extrait.
Voilà ce qu'écrivait il y a quelques années la revue "l'Opinion Indépendante" sur Pol Vandromme.

Vandromme, le passeur

Il suffit de consulter la biographie de Pol Vandromme pour constater que cet écrivain belge est depuis, presque un demi-siècle, un irremplaçable passeur, un amoureux fou de littérature française qui s’est plongé dans ce puits sans fond pour en ressortir des auteurs condamnés au bannissement ou d’autres qui auraient pu être bannis pour ne pas avoir obéi au terrorisme intellectuel de leur époque. Rebatet, Drieu, Brasillach, Céline : Vandromme a exhumé avant qu’ils ne reviennent à la “mode” les maudits de notre littérature non pas pour une quelconque réhabilitation politique mais parce qu’ils étaient des écrivains importants. Pour autant, Vandromme ne s’est pas contenté d’exhumer, il a salué en leur temps quelques-uns des talents les plus éclatants du paysage littéraire : Nimier, Aymé, Anouilh…

Outre ses recueils d’articles, ces dernières années, Pol Vandromme s’est attelé avec méthode à l’écurie des hussards : Nourissier, Déon, Marceau et récemment Michel Mohrt. Des écrivains célèbres, institutionnels (du moins si l’on considère, pour les trois derniers cités, l’Académie française comme une institution et non pour ce qu’elle est devenue : le refuge de la subversion), mais que Vandromme replace dans leur singularité à mille lieux des clichés éculés rabachés par une intelligentsia confite dans ses préjugés. Avec son dernier essai, Michel Mohrt, romancier, Vandromme éclaire de son œil aigu l’œuvre d’un grand écrivain finalement méconnu. Vandromme ne trempe pas sa plume dans l’encre convenue de la critique littéraire et n’espère pas de renvois d’ascenseur. Il ne faut pas attendre de lui des biographies respectueuses mais plutôt des déclarations d’amour débarrassées de la dévotion béate. Il dialogue avec les auteurs, s’imprègne de leurs écrits et de leur sensibilité, sans esprit de système, avec une intuition qui ne trompe pas. C’est ce qui donne ce ton inimitable au style de Vandromme : cette fraternité clandestine avec les livres et les écrivains, ces mots de passe qui scellent une communion d’âme et de cœur. Rappelons aussi que cet intercesseur a écrit sur Jacques Brel, Georges Brassens, le football sans oublier son merveilleux petit livre intitulé Le Monde de Tintin. Sans doute faudra-il un jour lui consacrer, à son tour, l’hommage qu’il mérite.
* Michel Mohrt, romancier, La Table Ronde
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