Cher Jean-Marc, il y a un marque-page dans mon livre, à la page 271 (mais il y en a plein d’autres) pour ce passage du survol de la Russie et de la Sibérie, le désir topographique frustré et les réflexions qui s’ensuivent sur le désintérêt des voyageurs pour la beauté des paysages. De là mes pensées vont à la petite camionnette vert foncé, vous savez celle de l’
Épuisant désir de ces choses (et c’est reparti ! Comment voulez-vous qu’on s’en sorte ?) :
« Le présent n’est pas dans ce qu’on espère. La vérité n’est pas dans ce qu’on imagine. Être vous prend par surprise. Vivre ne tient pas tapi au milieu du désir – mais plutôt, peut-être, au cœur des coïncidences, parmi l’inattendu et l’inenvisagé, dans l’écorce d’un quotidien paradoxal, le quotidien des autres, où nous serions tombés du ciel en autocar ou en jeep, dans le Bardastrandar, sur le contrefort du Pinde, dans la sierra de Gredos, entre les Batuecas et les Hurdes.
Tombés du ciel sans tomber, même, à travers le hublot d’un avion, sur les chemins de la Nouvelle-Ecosse ou du Maine, au réveil, quand on a volé toute la nuit sur New York ; et certaines haciendas de la sierra de Merida ne sont reliées à l’univers par aucune voie qu’on distingue de là-haut ; tandis qu’une petite camionnette vert foncé, qu’on suit pendant presque une minute, dans son avance cahotante et résolue vers le bout du monde, vers l’absence de tout, vers le rien fait steppe, au-delà de Neuquen, sur l’Altiplano, on est sûr que c’est le secret d’exister qu’elle va livrer consciencieusement au néant, dans une jolie boîte vert foncé."
(Page 118)