En lisant les extraits des
Carnets du voyage en Chine que publie le
Magazine littéraire, on est frappé par une évidence : Barthes n’a pas du tout retrouvé en Chine cet enthousiasme et cette excitation qui caractérisaient sa découverte du Japon dans
L’Empire des signes. Le sentiment qui domine chez lui pendant ces trois semaines de voyage, c’est l’ennui, l’accablement (« La fadeur renouvelée du thé est homologue à la fadeur répétée des discours. », « Toutes ces notes attesteront sans doute la faillite, en ce pays, de mon écriture (par comparaison avec le Japon). Je ne trouve, en fait, rien à noter, à énumérer, à classer. »).
Le Japon est le pays de l’écriture et du signe ; la Chine est le pays du stéréotype (« Ici affronté en plein à mon vieil ennemi fascinant : le Stéréotype = le Dragon. »). Barthes décrit la cérémonie du premier mai sur la place Tian an Men en s’amusant des portraits « poilus » de Marx et Engels, qu’il rapproche de Bouvard et Pécuchet (il lit d'ailleurs pendant son séjour en Chine l'ouvrage de Flaubert) ; il conclut ainsi : « Un premier mai décevant, plat, nullement héroïque ni révolutionnaire, terriblement prosaïque (…) Est-ce qu’on peut prétendre développer la conscience politique sans développer l’intelligence (la réflexion) d’autre part ? Peut-on aiguiser politiquement et infantiliser le reste ? Ce premier mai donne paradoxalement l’imagination terrifique d’une humanité luttant politiquement à mort pour… s’infantiliser. L’enfant serait-il l’avenir de l’homme ? ».
Ses notes sur le paysage témoignent aussi de sa déception : « Un pays sans pli. Le paysage n’est pas culturalisé (sauf la culture elle-même de la terre) : rien qui dise l’histoire. (…) Le paysage est de plus en plus sec. Pays fade. » Les corps eux-mêmes semblent curieusement anesthésiés, désexualisés : « Les corps ? Tassés et élastiques. Un côté sac. Pas de différence sexuelle. (…) Mais où mettent-ils donc leur sexualité ? »
Enfin, pour l’anecdote, je signale cette remarque de Barthes à propos de ses compagnons de voyage : « Le seul pour lequel il m’aura fallu de la patience aura été Ph. S. »…