"Une question de langage me tournait dans la tête. Je déteste qu'on emploie le mot "maman" autrement qu'au vocatif et dans un cadre privé : que même à soixante ans on s'adresse ainsi à sa mère, très bien, mais que passé l'école maternelle on dise "la maman d'Untel" ou, comme Ségolène Royal, "les mamans", cela me répugne, et je devine dans cette répugnance autre chose que le réflexe de classe qui me fait tiquer quand quelqu'un dit devant moi "sur Paris" ou, à tout bout de champ, "pas de souci". Pourtant , même pour moi, celle qui allait mourir, ce n'était pas la mère d'Amélie, de Clara et de Diane, mais leur maman, et ce mot que je n'aime pas, ce mot qui depuis si longtemps me rend triste, je ne dirais pas qu'il ne me rendait pas triste mais j'avais envie de le prononcer. J'avais envie de dire, à voix basse : maman, et de pleurer et d'être, pas consolé, non, mais bercé, juste bercé, et de m'endormir ainsi."
Emmanuel Carrère -
D'autres vies que la mienne (2009)
(à la lisière de cet extrait, notons que, les hommes politiques en vue usant tous du même langage, pourquoi citer l'un d'eux plutôt qu'un autre au moment d'illustrer le rejet à l'égard d'une manière de parler, sinon pour parler, plutôt, de sa détestation particulière de l'homme politique cité ? Un autre auteur, tout aussi exaspéré qu'Emmanuel Carrère par "les mamans" n'aurait aucun mal à les juger spécialement répugnantes dans la bouche de M. Sarkozy d'où il n'aurait aucune difficulté à les entendre surgir.
J'ai bien peur que ce soit de cette façon que beaucoup de citoyens finissent par choisir pour qui ils vont voter : les discours sont similaires mais il m'agacent (ou me séduisent) sortant de telle ou telle bouche.)